PORTE XII. Sites sur la côte Pacifique du Pérou. Pyramides à rampes, temples et cités.
Avant-propos
Fig. 283 – La pyramide du Soleil à Trujillo au Pérou : une énorme masse de briques crues en forme de pyramide à degrés avec terrasses et rampes. |
Introduction
Datant de 1300 avant notre ère, des sites historiques ont été découverts en Amérique centrale dans la vallée de l’Oaxaca, au sud de Mexico. Les pyramides mayas du Mexique, d’énormes massifs de terre crue, sont parmi les plus connues. C’est au Pérou, le long du Pacifique, que l’évolution de l’architecture monumentale en terre se révèle la plus remarquable. Vers 1500 avant notre ère, apparaissent dans la Vallée du Viru les premiers signes d’une architecture religieuse : des temples rectangulaires dont il ne subsiste que quelques fondations. Les plus anciennes pyramides connues apparaîtront dans les derniers siècles av. J.-C. (207).
La vallée de Moche et les ruines de Chanchán. Les temples-pyramides.
Fig. 284 – La cité de Chanchán : l’enceinte et les vestiges en terre crue fortement érodés par les pluies saisonnières et le changement climatique. |
Durant la période Mochica qui s’étend du Vème au IXème siècle, d’énormes pyramides en briques crues furent construites près deTrujillo au nord du Pérou. Parmi elles, la pyramide de la Lune ou Huaca de la Luna et la pyramide du Soleil ou Huaca del Sol dans la vallée de Moche, édifice qui présente jusqu’à aujourd’hui un état exceptionnel de conservation (208). Ceci est dû à la grande sécheresse et au gigantisme de ses proportions. Cette pyramide à degrés et rampes mesure à la base 228 m sur 136 m et s’élève en multiples terrasses de cinq étages dressés sur la base composée de trois niveaux jusqu’à plus de 40 m de hauteur, soit l’équivalent d’un immeuble de treize étages. On estime que 130 millions de briques furent nécessaires à sa construction. La Huaca del Sol tenait probablement lieu de centre administratif de la ville de Moche et de l’ensemble du royaume. On pense qu’elle servait de mausolée et de palais pour la famille régnante. Les personnages les plus importants de la ville vivaient à proximité de la Huaca.
A partir du XIIIème siècle, les temples érigés sur pyramide seront inclus dans les grandes cités qui se développent le long du littoral péruvien. Le centre le plus important et le mieux connu est Chanchán, capitale du royaume Chimú (1100-1450), site inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial en 1986 (209). Le royaume Chimú connut son apogée au XVème siècle, peu avant de succomber à la puissance inca. L’aménagement de la ville, la plus importante de l’Amérique précolombienne, reflète une stratégie politique et sociale rigoureuse, marquée par sa division en neuf « citadelles » ou « palais » formant des unités indépendantes. Pouvant abriter jusqu’à 30 000 personnes, la cité en ruine couvre vingt kilomètres carrés. Essentiellement construits en adobes ou en tapia (pisé), les murs sont souvent décorés de frises aux motifs géométriques et marins, des poissons, des pélicans et des filets de pêche, vu sa proximité avec l’océan Pacifique. On rencontre dans la région d’autres édifices à rampes de la même époque, entièrement recouverts de motifs décoratifs zoomorphes tracés dans l’enduit de finition et soigneusement restaurés. A propos de la restauration de Chanchán, Karin Riemer écrivait en 1992 :
« Entre 1964 et 1969, seul le palais Tschudi fut l’objet de restaurations. Les travaux, qui n’ont touché qu’une petite partie du palais, se sont limités à des reconstitutions fantaisistes, au cours desquelles des critères de symétrie et autres relevant du domaine de l’esthétique, l’ont emporté sur les données archéologiques. Par ailleurs la documentation, qui devrait accompagner tout travail de restauration, est quasi inexistante. Du point de vue scientifique il en résulte que non seulement des informations archéologiques précieuses sont irrémédiablement perdues, mais qu’en outre, les parties authentiques et reconstituées se sont fondues en un tout indissociable, de manière à aboutir à une fraude archéologique, au nivellement des passés et à la fusion entre copie et original » (210).
Fig. 287 – Conservation du décor de la base des murs par un enduit imperméable : une tentative discutable (1983). |
Les changements climatiques de ces dernières années mettent en péril des sites du Patrimoine mondial, dont Chanchán en particulier. Dès avril 2007, à partir de 26 études de cas, du Parc national du Kilimandjaro à la grande barrière de Corail, l’Unesco alerte sur les menaces que les changements climatiques font peser sur les sites naturels et culturels inscrits sur cette Liste. Le rapport intitulé Etudes de cas sur les changements climatiques et le Patrimoine mondial se divise en cinq chapitres qui traitent des glaciers, de la biodiversité marine, de la biodiversité terrestre, des sites archéologiques et des villes et peuplements historiques. « La communauté internationale reconnaît désormais largement que les changements climatiques constitueront l’un des défis majeurs du XXIème siècle », y soulignait le directeur général d’alors Koichiro Matsuura. Les changements climatiques pourraient également porter atteinte aux sites archéologiques du Patrimoine mondial, selon le rapport qui examine les menaces pesant sur la zone archéologique de Chanchán, mais aussi sur d’autres biens situés au Canada ou dans la Fédération de Russie. Les modifications des cycles de précipitations et de sécheresses, de l’humidité, du niveau des nappes phréatiques et, par conséquent, de la chimie du sol, auront inévitablement une incidence sur la conservation des vestiges archéologiques. Le rapport analyse notamment la façon dont les précipitations liées au phénomène climatique El Niño, détériorent la fragile architecture de terre de Chanchán (211).
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Pachacamac : une muraille ou un DVD. Investir dans l’homme ou l’image virtuelle.
Grand site cérémoniel de 460 hectares, Pachacamac occupé depuis le début de notre ère, s’est développé entre 900 et 1470, offrant aujourd’hui les vestiges de quelque cinquante édifices en adobes. De nombreuses constructions de toutes époques couvrent sa superficie : murailles, habitations, entrepôts, temples dont celui du Soleil élevé par les Incas à la fin du XVème siècle, pyramides et pyramides à rampe. Cette dernière forme de construction consiste en un agencement d’espaces ouverts, entourés de murs de clôture, dont la place et la plate-forme à laquelle on accède par une rampe, forment le noyau central. Parmi les édifices remarquables, il en est un qui se signale par sa reconstruction quasi complète : la Mamacona (1440-1533), aussi appelée le temple de la Lune ou Achawasi. C’était une résidence construite par les Incas, pour héberger certaines femmes religieuses, dédiées au culte du Soleil. Mamacona signifie aussi « la maison des Femmes choisies ». Le complexe entourant la résidence, inclut un réseau de canaux souterrains et plusieurs bassins d’eau utilisés sans doute pour des cérémonies religieuses.
Fig. 293 – La pyramide à rampe n°III : reconstruction partielle de l’enceinte ménageant dans sa partie supérieure un chemin de visite. |
« Selon la vision classique, écrit Peter Eeckhout, les pyramides à rampe seraient des temples ambassades représentant les régions et les ethnies soumises au culte et dans lesquels auraient résidé les prêtres chargés de récolter un tribut toujours grandissant, en faveur de la divinité tutélaire du site. Chaque pyramide serait un palais construit par un seigneur qui l’occupe le temps de son règne et y est enterré à sa mort. L’édifice est alors rituellement abandonné tandis que le successeur du chef défunt élève sa propre pyramide. Ce modèle trouve des exemples de comparaison dans d'autres sites mieux connus tel que Chanchán. Selon les dernières découvertes de l’archéologue, aucun matériel n’a été décelé, prouvant la présence de gens originaires de régions éloignées. Par contre, les archéologues ont plutôt trouvé des preuves d’une occupation domestique, quotidienne, marquée par la richesse d’une élite, mais pas de traces cultuelles ! Ces pyramides devaient être des lieux de production de nourriture, de vêtements, de poterie. En fait, les similitudes avec d’autres palais andins sont devenues de plus en plus flagrantes. Il ajoute « Ça devenait compliqué de croire à tout prix qu’il s’agissait de temples ».
Suite à l’expertise architecturale, l’auteur recommanda entre autres la reconstruction partielle de l’enceinte d’une pyramide, sur 50 m de long, 4 m de haut et 2,50 m de large. Les autorités souhaitaient en effet intégrer les alentours des constructions situées sur la plus haute partie du site, à l’angle nord-ouest, au circuit général de visite (20 000 visiteurs par an), sans autoriser quiconque à pénétrer à l’intérieur des édifices. Aussi le consultant imagina-t-il de ménager sur la partie supérieure de l’enceinte reconstituée, un passage à ciel ouvert rappelant les chemins « périmétriques » anciens, sorte de mur promenade ou corredor conduisant à un belvédère en bois, une œuvre d’art en soi en relation avec le Land Art, en partie dissimulé et autorisant de larges perspectives.
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Le circuit proposé interdit tout passage à l’intérieur des vestiges, contribuant à leur conservation dans le temps. En jouant sur la gradation des émotions due aux séquences spatiales, la lente découverte des édifices : l’architecture des pyramides et l’urbanisme qui les relie, procurera les informations et les sensations nécessaires avant le « point d’orgue » de la visite, que constitue le temple du Soleil. C’est en fonction d’une restauration par étapes et du circuit conçu pour offrir les meilleurs points de vue, que l’on choisira les murs ou parties de mur à traiter – consolider, rehausser, reconstruire, etc. – et les sols à dégager. Seront retenus essentiellement les murs dont l’existence ne fait quasi aucun doute quant à la hauteur, largeur et longueur connues, suivant le principe de la Charte de Venise qui dit « La restauration s’arrête là où commence l’hypothèse ». Les briques des murs resteront apparentes, sauf exception. La consolidation de certains sillons d’affouillement a été entreprise avec succès par le directeur de la mission.
D’un côté, on rehausse le caractère spatial des lieux par un traitement aujourd’hui indiscutable ; de l’autre, on laisse certaines parties « sensibles » en l’état, témoignages des travaux archéologiques, en attendant de prendre des mesures de « restauration fine », comme la réparation d’enduits fissurés, l’ouverture ou non des portes bouchées, l’expérimentation in situ de nouveaux enduits. Ces interventions devraient faire l’objet d’une mission de consultance technique qui engagerait un cycle d’observations et de mesures.
La réhabilitation de l’enceinte lui donne une nouvelle fonction compatible avec les contraintes et la structure du mur, tout en offrant une promenade archéologique indépendante des vestiges d’origine. Une attraction de plus, mais aussi un outil de surveillance pour les gardiens armés du site fort prisé par les pilleurs nocturnes. Lors de la reconstruction, des ateliers de formation aux savoir-faire traditionnels dont la construction en briques crues, seraient à envisager afin de sensibiliser les habitants du village à la protection de leur environnement. Le budget d’une telle opération devrait être principalement consacré à l’utilisation de la main d’œuvre locale (212).
Le directeur de la fouille avait un autre point de vue : il souhaitait que, dès 2007, les visiteurs puissent visionner des reconstitutions du site, son évolution architecturale au fil du temps. « C’est beaucoup plus parlant pour le novice, dit-il, que des textes à rallonge. » Entre reconstruction partielle à l’identique et reconstitution virtuelle sur DVD aisément transportable, faut-il vraiment choisir ? L’une des idées essentielles, défendues par l’Unesco au colloque de Lima en 1984, était : « La notion de patrimoine culturel s’étend à toutes les manifestations de la culture vernaculaire contemporaine. Tentative, sur le plan national, de rendre à l’Indien et à son descendant métis, la fierté de sa culture, et de l’inciter ainsi à vouloir protéger son bien, que trop souvent encore, il préfère ignorer pour ne pas être perdant dans un monde où ne comptent que les valeurs occidentales ». On ne conserve pas seulement de vieilles briques, mais on fait du neuf en reconstruisant une muraille, la marque visible et spectaculaire d’une intervention contemporaine qui a son utilité dans le développement du site dont il faut redorer l’image (213). Conservation et développement durable vont ici de pair, dans le souci du confort des visiteurs et dans l’amélioration de la qualité de vie des populations locales (214). La sauvegarde et la mise en valeur de Pachacamac doivent servir les intérêts de tous, s’agissant d’un site national d’une importance culturelle majeure. C’est son immensité et son caractère paysager, où la nature et les constructions ont tendance à se confondre, qui fait aujourd’hui toute la puissance évocatrice des civilisations disparues. En 2007, un séisme l’a paralysé, provoquant une instabilité structurelle telle qu’il a fallu le fermer au public. D’autre part, le manque de financement menace la préservation de ce vaste ensemble architectural, l’un des plus notables du monde précolombien. En 2009, les fouilles se poursuivaient avec la reconstitution de la rue nord-est (215).
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