PORTE VI. L’ex-Turkestan chinois : le Xinjiang, région autonome de Chine. Villes mortes en Asie centrale sur l’ancienne Route de la Soie.
Avant-propos
Fig. 145 – La ville morte de Yar dans l’oasis de Tourfan. Stupas, temples, sanctuaires, cimetières, tertres, habitations et ruelles parsèment le plateau d’argile. |
La photo du stupa de Yar (Jiaohe) dans l’oasis de Tourfan, repérée à la bibliothèque du Musée royal de Mariemont, est à l’origine de cette mission. D’autre part, une exposition sur l’architecture de terre était prévue au Centre Georges Pompidou fin 1981. L’auteur exposa tout l’intérêt du projet au professeur Tony Hackens de l’Université catholique de Louvain. Celui-ci contacta Jean-Marie Simonet, alors attaché culturel à l’ambassade de Belgique à Pékin. Par retour de courrier, l’auteur reçut l’invitation officielle de la Société d’architecture de Chine, lui assurant toute l’assistance nécessaire à la réalisation de ce projet qui en étonnait plus d’un. Le jour de Pâques 1981, muni d’un dossier contenant les copies des plans, croquis et photos des édifices signalés par les expéditions du début du siècle, l’auteur s’envolait pour Pékin où l’attendaient les autorités officielles. C’est ainsi que l’auteur réalisa l’une de ses missions les plus enrichissantes sur les villes mortes, celles de l’oasis de Tourfan.
Introduction
Le territoire compris sous la dénomination d’Asie centrale, correspond aux républiques asiatiques de l’URSS et au Turkestan chinois, l’actuelle région autonome du Xinjiang, peuplée en majorité d’Ouïgours, population d’origine turque et de religion islamique. Cette vaste région du monde devint au cours de l’histoire, « le pays aux mille cités » dont parlent les historiens classiques et chinois. Nulle part ailleurs, sauf en Mésopotamie, on n’a recensé autant de témoins de l’architecture monumentale en terre crue, relativement bien préservés grâce aux conditions climatiques exceptionnelles. S’y trouvent des forteresses, des monastères, des monuments funéraires, des mausolées, des stupas, des sanctuaires et des villes mortes, tous édifiés le long des divers tracés de la célèbre Route de la Soie, nom que lui donna le géographe allemand von Richthofen à la fin du XIXème siècle.
La Route de la Soie évoque les espaces infinis des steppes, les caravanes au long des pistes, les caravansérails de l’Orient, les objets rares et la soie de Chine (110). Son histoire est aussi celle de l’Eurasie, vaste continent au centre duquel se trouve sans doute l’aire originelle de nos civilisations indo-européennes. Aux frontières de ce territoire immense, en perpétuel mouvement, trois blocs civilisateurs : la Méditerranée, l’Inde et la Chine. Les trois civilisations sont dès l’origine, réunies par un vaste réseau d’échanges commerciaux et artistiques.
Fig. 146 – Entretien des puits karez creusés le long des galeries souterraines, alimentant en eau l’oasis de Tourfan. |
Dans le Turkestan chinois, les deux Routes orientales de la Soie enserrent le désert du Takla Makan et le bassin du Tarim. Elles se rejoignent à Touen Houang où la porte de Jade s’ouvrait à la Chine. Avant d’atteindre ce but, il fallait traverser des régions désertiques, heureusement jalonnées par des oasis où se créèrent de petites principautés qui grâce au commerce et à la propagation du bouddhisme, devinrent d’importants centres religieux et artistiques, essentiellement entre le Ier et le Xème siècle de notre ère. Pour beaucoup d’entre elles, elles ne purent exister que par un ingénieux système d’écoulement souterrain des eaux : le puits karez. Celui-ci était déjà connu il y a 2500 ans, par les Perses achéménides. De longs canaux creusés de main d’homme, permettaient d’acheminer l’eau, depuis des nappes phréatiques du pied des montagnes jusqu’aux lieux où l’habitat s’était établi. Ce système alimenté par des puits, comprend un total de 1600 km de tunnels dans le district de Tourfan ; il était indispensable à l’irrigation et la survie de la région. Dans ce cas, l’oasis se révèle une création humaine, à l’opposé d’un site dit naturel. Ces galeries draineuses, longues parfois de plusieurs dizaines de kilomètres, se retrouvent encore aujourd’hui en Syrie, en Irak, au Maroc, en Oman et en Iran. Comme en Mésopotamie, sans la présence de l’eau ni d’une terre argileuse et limoneuse, aucune de ces cités n’aurait pu voir le jour.
Il fallut des siècles pour que les spécialistes étrangers s’intéressent à cette partie du monde. Monique Maillard écrit : « Avec Demetrius Klementz commence l’ère des grandes expéditions en Asie centrale qui marque le début du XXème siècle et voit la compétition acharnée des expéditions européennes et japonaises. La visite de Klementz à Tourfan en 1898 est la première à être uniquement consacrée à l’étude des sites anciens et des vestiges qui y subsistent. Entre novembre 1902 et février 1914, prennent place trois grandes campagnes de fouilles, dirigées par les savants allemands Albert Grünwedel et Albert von le Coq. A partir de 1902, le comte puis révérend Otani, bouddhiste japonais, organise plusieurs expéditions vers l’Asie centrale, le pays d’Occident. Les Russes après 1909 réapparaissent dans la région avec l’indologue Serge Oldenbourg qui, accompagné du linguiste Malov, s’attache à compléter les observations de ses prédécesseurs. Marc Aurel Stein, au cours de ses importants voyages à travers l’Asie centrale, ne fait que passer à Tourfan qui lui semble le fief des archéologues germaniques. Le sinologue français Paul Péliot agit de même. En 1927 et 1935, le suédois Sven Hedin organise une expédition en collaboration avec le gouvernement chinois. Le dernier archéologue européen à visiter le bassin de Tourfan est Joseph Hackin qui participe à la fameuse croisière jaune (111). Entre 1955 et 1961, diverses campagnes de fouilles chinoises sont organisées, depuis l’installation en 1949 de la République populaire de Chine. » (112)
L’oasis de Tourfan : stupas, monastères, sanctuaires.
L’oasis de Tourfan est située à quelque 250 km au sud-est d’Ouroumtsi, chef-lieu de la région autonome du Xinjiang (113). Dernier grand centre culturel de la Route septentrionale de la Soie avant la Chine ancienne, Tourfan possède dans un rayon d’une quarantaine de kilomètres, de nombreux vestiges dont les structures en briques crues ou en pisé défient le temps depuis deux millénaires (114). La ville est entourée de remparts comme Kotcho ou Yar construite sur une étroite terrasse d’argile, avec les monastères de Sangym-aghyz, sanctuaires et temples rupestres de Bézéklik qui parsèment la région et font l’objet de fouilles archéologiques depuis la fin du XIXème siècle. Des travaux d’aménagement et de sauvegarde ont été entrepris récemment (115).
Fig. 148 – Le tai-san d’Astana proche de Kotcho, sorte de pyramide tronquée en terre dont les parois sont creusées de rangées de niches en briques au sommet arrondi. |
Tourfan comme les autres sites situés sur la Route de la Soie, depuis Kachgar à l’est jusqu’à Dunhuang et même Lanzhou à l’ouest, possède une longue tradition de l’architecture en terre crue. La dépression de Tourfan, située à 130 m sous le niveau de la mer, couvre une plaine d’environ 4000 km2. Elle est caractérisée par une aridité extrême, une chaleur jusqu’à 40°C en été, un froid pouvant descendre à 30°C sous zéro en hiver, des vents secs, l’absence de neige, une pluie excessivement rare – 20 mm de pluie par an – et une humidité de l’air quasi nulle. Ces facteurs expliquent le bon état de conservation de nombreux monuments dont les principes de construction guident toujours les bâtisseurs d’aujourd’hui. Les destructions furent davantage le fait des populations en quête de terres cultivables ou de briques emportées à bon compte ou le fait de pilleurs isolés. Ainsi la ville-garnison de Yar s’allonge sur un étroit plateau entouré de ravins profonds. Située à 10 km à l’ouest de Tourfan, elle protégeait la région à l’époque des Tang (VIIème-Xème siècle) et fut abandonnée après la dynastie Yuan, vers le XIVème siècle. Se dresse encore l’étonnant ensemble de stupas multiples, monuments bouddhiques par excellence, en place depuis plus de mille ans. Sur une large terrasse, quatre groupes de vingt-cinq tourelles disposées en damier étaient répartis dans les quatre directions. Au centre du complexe, trône la tour principale, entourée de quatre plus petites, la seule partie bien conservée du monument. L’ensemble funéraire semblait ainsi souligner avec insistance la notion des quatre Orients.
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Fig. 154 – L’artère principale de Yar, en partie creusée dans le plateau (1er niveau), en partie construite (2e niveau). |
A l’extrémité nord-ouest de la principale artère, au fond d’une longue étendue découverte, s’élève le plus grand sanctuaire de toute la ville, ruine imposante signalée par tous les archéologues qui ont visité ces lieux. Le plan affecte la forme d’un rectangle de 88 m de long sur 59 m de large, entouré de murs épais hauts de plusieurs mètres et percé d’une seule porte au centre du côté sud-est. Un passage conduit à une large cour bordée d’une terrasse de terre, dont les ailes s’ouvrent sur un ensemble de salles de tailles diverses. Au bout de la cour, une terrasse accessible par des escaliers supporte le pilier central du Grand sanctuaire cerné de quatre murs aujourd’hui aveugles. Autrefois, les parois intérieures étaient couvertes de panneaux peints qui faisaient le tour du stupa ; ce qui permettait à l’illettré à qui on raconta un tas d’histoires, de pouvoir les visualiser grâce au parcours honorant le stupa sacré. Les quatre faces de la construction centrale étaient ornées de deux rangées de douze niches, chacune contenant un bouddha en méditation (116). L’ensemble parait avoir été recouvert d’une polychromie disparue. En 1981, seules quatre niches étaient encore visibles sur le monument consolidé à sa base.
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Grünwedel a retrouvé dans la ville, trois grands complexes de ruines qu’il estime être des cloîtres, dont celui appelé Bèta (121). La façade se développe sur 100 m et la longueur du monument atteint 170 m. Les angles de son épais mur d’enceinte sont renforcés par des tours massives. A l’intérieur, s’étend une grande cour à ciel ouvert, contenant une cella renfermant un haut pilier-stupa, récemment reconstruit. Autour de la cour, s’ouvrent des salles voûtées ou de grandes pièces carrées couvertes de coupole. Ces édifices étaient ornés de statues ou contenaient des peintures qui ont permis de les attribuer au culte bouddhique.
Fig. 162 – Le site rupestre de Bézéklik : mélange intime entre l’architecture creusée et celle construite. |
A côté de ces constructions dont le plan se développe sur terrain plat, il existe des ensembles religieux, installés dans les vallées en gorge qui descendent vers le bassin du Tarim. Les vallées étant fort étroites, les moines bouddhistes ont creusé des chambres dans des vallées abruptes ou quand c’était possible, ils ont utilisé d’étroites terrasses naturelles pour y édifier l’avant-corps d’un sanctuaire dont les salles s’enfoncent dans la montagne. Le mélange est toujours intime entre l’architecture rupestre et l’architecture construite. L’une creuse le matériau lui-même, l’autre utilise le matériau prélevé sur place, c’est-à-dire le loess, limon calcaire très fin, probablement d’origine éolienne. Il en est ainsi du sanctuaire de Bézéklik aujourd’hui restauré et visité, comprenant sur près d’un kilomètre, les grottes aux mille bouddhas et de nombreuses peintures murales (122).
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Tourfan : ville, villages, vignobles. Séchoirs et maisons-vignes.
Outre les ruines de nombreux sites historiques et archéologiques, l’oasis de Tourfan renferme un habitat occupé essentiellement par la minorité musulmane ouïgoure dans une région en cours de sinisation (125). Elle bénéficie de conditions climatiques exceptionnelles. De tout temps, l’homme s’est adapté aux rudes conditions d’existence, en vivant en partie sous terre durant la saison chaude et sur terre ou à l’étage durant l’hiver, réchauffé par les rayons du soleil ou d’astucieux systèmes de chauffage. Longue de 8 km, la vallée des Vignes abrite des séchoirs à raisins uniques au monde et un habitat où la brique crue et la vigne s’unissent pour le meilleur du paysage rural. La maison s’ouvre sur une longue terrasse abritée par la vigne grimpante formant couverture, la treille ; tout contribue à isoler l’habitation des rigueurs de l’hiver comme de l’été.
« A côté des murs de terre obtenus par creusement dans le sol, la construction offre de nombreux procédés à partir du même matériau : la maison-poterie, faite de torchis compressé durci par le feu, les murs en pisé – terre coulée dans les banches –, les murs de terre renforcés par des poteaux serrés les uns contre les autres et liés par la terre, les murs de torchis, les murs en briques crues – éléments de terre séchés au soleil –, les briques cuites enfin, d’abord pour les tombes des Han occidentaux, puis généralisées aux habitations urbaines chez les Han orientaux. Si la terre est utilisée pour les murs, elle l’est aussi pour les couvertures qui témoignent de la variété des procédés de mise en œuvre dans le nord-est de la Chine. Il s’agit de procédés de torchis qui se perpétueront bien au-delà de l’apparition des tuiles et parallèlement à l’usage des couvertures végétales en herbe ou en chaume de blé, de millet ou de riz » (126).
La maison du centre-ville occupe le fond d’une parcelle clôturée dont l’accès depuis la rue passe par une cour plantée d’arbres, parfois recouverte d’un treillis de bois sur lequel court la vigne qui peut atteindre les rives de la toiture plate. Cette couverture de vigne ou de nattes de paille préserve ainsi la cour des rayons du soleil. La maison de plan rectangulaire à trois travées est légèrement enterrée par rapport au niveau de la cour. Le rez-de-chaussée se divise en trois pièces voûtées de 3x6 m, percées d’une petite ouverture côté cour et contenant le khang (127). L’étage se prolonge par une terrasse balcon reposant sur une structure en bois accrochée à la façade et montant jusqu’à la rive de la toiture. Ceci permet un accès direct à la cour par un escalier extérieur en briques crues – l’équilibre des structures intérieures n’est pas rompu –, appuyé contre un mur de clôture et dans lequel se trouve le four à pain. La cour contient en outre un chenil, une bergerie, un poulailler et un petit potager.
La maison des faubourgs s’inscrit dans une parcelle alignée le long de ruelles ombragées et bordées de murets en briques de terre ou de lœss battu entre un coffrage de rondins (128). Comme Tourfan peut connaître de longues périodes de vents de sable, les murets servent entre autres à retenir les terres. La maison de plan rectangulaire s’ouvre sur une terrasse abritée par la vigne grimpante. Ces constructions à toit plat sont souvent reliées à une autre couverte d’une voûte à tranches (129). Aucun enduit n’est appliqué sur les parois extérieures, à part celles des façades du centre-ville, où des éléments ornent les portails d’entrée ou les assises faîtières et celles des constructions qui demandent la réalisation de parties arrondies comme les mangeoires à bestiaux. Les murs intérieurs de clôture sont ajourés pour économie de briques et aération des terrasses et sont traités avec plus de fantaisie dans la disposition des pleins et des vides. Vu l’extrême rareté des pluies, les toitures sont essentiellement conçues pour isoler l’intérieur du froid et de la chaleur. Une meilleure isolation est parfois obtenue en recouvrant la toiture de nattes ou de gerbes de paille. La célèbre vallée des Vignes, connue de tous temps, compte de nombreux séchoirs à raisins en briques crues, orientés dans la mesure du possible nord-sud et édifiés soit sur les flancs incultes de la vallée, soit parmi les cultures. Chaque séchoir se présente comme une longue construction à un étage, le séchoir proprement dit occupant le niveau supérieur divisé dans le sens de la longueur. La toiture en rondins, nattes de paille, branchages et couches de terre, repose en partie sur les façades extérieures : une enveloppe constituée de piliers reliés par un claustra de briques crues. Le rez-de-chaussée est formé de deux espaces voûtés (130) sur toute la longueur de la construction ; c’est là que les grappes de raisin sont entreposées dans un premier temps. Un soin tout particulier est apporté à la réalisation des claustras et de la frise supérieure, tout en veillant au décrochement de la toiture plate sur les deux façades longitudinales.
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New Turfan : école, hôpital. Nouveau village et modernité.
Fig. 171 – Une école à Tourfan : l’unique portail d’entrée, le bel étage des classes, les chambres en sous-sol. |
Fig. 172 – Hôpital à deux niveaux : une composition centrale. L’utilisation de la terre ne fut pas un frein aux conditions hygiéniques des lieux. |
La principale école de la ville, construite vers 1950, possède des murs porteurs en briques crues de forte épaisseur (131). Seuls les encadrements de fenêtres et portes, les assises inférieures et supérieures, les piliers intermédiaires et les angles de façade sont en briques cuites. Les classes sont situées de part et d’autre d’un couloir. Le soubassement est constitué d’une série de petites pièces voûtées à moitié enterrées, qui peuvent servir de chambre à coucher pour le personnel enseignant, le plus souvent dotée du système de chauffage khang. Tourfan compte deux hôpitaux dont l’un construit vers 1966 à proximité d’une bâtisse datant de la fin du siècle précédent, offre une dizaine de chambres ; les médicaments y sont conservés dans des pièces voûtées à moitié enterrées. Le principal hôpital construit vers 1958 offre sur deux niveaux une cinquantaine de chambres voûtées (132), alignées de part et d’autre d’un couloir. Le principe de construction est identique à celui appliqué pour les murs porteurs et les parties voûtées en berceau.
A l’extérieur, des briques cuites de petit format sont utilisées pour les parties davantage exposées aux intempéries ou celles qui demandent un appareil plus délicat. La façade enduite se développe symétriquement de part et d’autre du portail d’entrée et présente une alternance de colonnes encastrées et de baies verticales. On notera que sur le plan hygiénique, la terre a malgré tout été choisie pour la réalisation des murs et des enduits intérieurs des chambres d’hospitalisation. D’autre part, l’utilisation judicieuse de la brique crue et de la brique cuite permet de penser que les constructeurs ont bien connaissance de la limite des matériaux employés. Ce qui entre autres, permet à chaque ouvrier d’avoir sa place sur le chantier, depuis le manœuvre et le maçon jusqu’au maître-artisan.
« Le village de Qian Jin, près de Tourfan, compte 137 familles de la minorité ouïgoure. Avant leur regroupement au sein de cette brigade, les familles vivaient dans différents villages, éloignés les uns des autres de 2 à 3 km. En 1964 les autorités élaborèrent un plan d’ensemble afin de bâtir un nouveau village. La brigade partagea les frais de construction avec la commune populaire. Les briques crues furent réalisées par la brigade, tandis que la commune populaire offrait les techniciens et le bois. Le patrimoine appartient aux familles individuelles, chaque famille ayant cinq ans pour rembourser la brigade. En 1975, 59 aires ont été aménagées (une aire = deux parcelles = deux familles). Les bâtiments à caractère public ont été réalisés en même temps. Les matériaux principaux sont le lœss pour les murs de clôture, la brique crue pour les murs porteurs et les voûtes des caves, tandis que d’autres matériaux locaux comme le bois sont utilisés pour la toiture, les fenêtres et les portes. Ces maisons se révèlent très confortables, été comme hiver. Il s’agit d’un bon exemple pour résoudre le problème du logement » (133).
Ouroumtsi : la capitale. Polychromie sur rue.
Fig. 173 – Avenue de la Libération à Ouroumtsi : une alliance judicieuse entre briques cuites, terre crue et enduits colorés. |
Dans les années 1970, la région autonome du Xinjiang jouissait d’un statut autonome. A cette époque, un important effort avait été entrepris pour intégrer les minorités ethniques qui bénéficiaient de tous les droits reconnus à la majorité Han. Aujourd’hui la situation politique et économique aurait bien changé ; entre autres, le processus de sinisation et ses conséquences parfois dramatiques. Ainsi dans une autre région autonome, le Tibet. Ouroumtsi (en chinois Wuluqumi), chef-lieu de la région autonome du Xinjiang, s’est considérablement développée depuis les années 1950. Ville industrielle plantée dans une forêt de cheminées d’usine, elle connaît de graves problèmes de pollution atmosphérique (134). Subsiste néanmoins le centre-ville historique, unique par les façades richement colorées des habitations ouïgoures qui s’alignent de part et d’autre de l’avenue de la Libération. Plus au nord, s’étendent le quartier Hui musulman et le quartier Han au tracé rectangulaire. La température peut connaître d’importantes variations de température entre l’été et l’hiver : de +30°C à -25°C ; la pluie peut tomber de mars à octobre et la neige de novembre à février. Humide toute l’année, le climat y est fort différent de celui de la région sèche de Tourfan, distante de 250 km, ce qui n’empêche pas l’utilisation de la terre crue, alors protégée des intempéries.
Fig. 175 – Le quartier des maisons « bourgeoises » ouvertes sur la cour intérieure et rehaussées par rapport à la rue. |
La ville comprend en outre de vastes maisons où habitent les privilégiés du régime comme des professeurs ou des responsables politiques. Ces habitations, très confortables l’été comme l’hiver, ont été construites dans les années 1930 et se révèlent toujours d’actualité. Les murs de briques crues ont une épaisseur de 60 cm ; la hauteur des pièces est de 3,10 m ; les planchers sont en bois ; les ouvertures sont munies de doubles-fenêtres. Si possible l’espace habité, le bel étage, est surélevé par rapport au niveau de la rue (136). L’accès se fait par une cour intérieure qui donne sur celle-ci. Les pièces principales sont en outre bien isolées, d’une part par les combles, d’autre part par les caves, et chauffées par un système astucieux de diffusion de chaleur (137). A 40 km au nord d’Ouroumtsi, plusieurs bourgades ont été créées vers 1950, pour exploiter les terres cultivables. Le plan d’ensemble de ces villages se rapproche étroitement de celui de la brigade Qian Jin près de Tourfan. La brigade de Baduan comporte une centaine de familles d’origine Han, Ouïgoure et Hui, réunies par quartier. Une famille comporte environ neuf personnes. Les parcelles sont disposées dans un réseau quadrangulaire de chemins et de rues bordées de hauts peupliers. Chaque propriété clôturée comprend une maison construite sur toute la largeur de la parcelle (138). Le logement est constitué d’un hall central qui donne accès à trois pièces, attenant à une terrasse avec verger et puits. La terre qui sert à la confection des briques, est directement prélevée sur la parcelle, là où est implanté ensuite le potager qui se trouve alors en contrebas. Un grand soin est apporté à la réalisation du débord de toiture, côté terrasse. La toiture en légère pente vers l’intérieur de la parcelle s’entretient tous les trois ou quatre ans. Suivant les quartiers, les habitations présentent de légères variations en plan et en qualité de matériaux. Selon les données culturelles, on fait plus ou moins usage de briques pour les murs, de dalles cuites pour les sols et les banquettes et de pierre pour les soubassements. Les murs porteurs restent en briques crues tandis que les murs de clôture sont soit ajourés, soit en travées de lœss battu. En 1957, Liu Dunzhen relevait le manque d’hygiène des maisons paysannes où la lumière et l’aération étaient insuffisantes, la notion d’abri ou de défense primant sur celle du confort immédiat. Il terminait sa conclusion en écrivant : « Sans enquête à l’échelle nationale, tout travail sera sans fondement » (139). Cela implique l’ouverture des frontières à l’intérieur de la Chine – aujourd’hui acquise – et une approche qui vise à révéler l’influence de la culture, de l’économie et de la politique sur l’architecture dite vernaculaire. Les séjour de l’auteur en 1981 et en 1985 lors d’un colloque international tracèrent la voie, ce qui aboutit entre autres, à l’inscription de l’extraordinaire site des Tulou Hakka du Fujian sur la Liste du Patrimoine mondial (140).
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