PORTE IV. La nécropole thébaine de Louxor en Egypte. Ensembles mortuaires et le nouveau village de Gourna.
Avant-propos
En automne 1976, à la suite de missions réalisées la même année en Iran, en Irak et en Syrie, l’auteur participa à la mission archéologique belge de l’Assassif à Louxor. Envoyé par la Fondation Reine Elisabeth, il fut chargé de la restauration des pylônes en briques crues du tombeau de Padihorresnet et de l’aménagement du site. Ce fut pour lui l’occasion de visiter le nouveau village de Gourna, construit par Hassan Fathy à partir de 1945. Les habitations offraient alors un tel état de délabrement que l’auteur ne reconnut pas immédiatement l’œuvre du grand architecte égyptien. Ruelles barrées, constructions en partie effondrées, occupation sauvage des lieux. Après plus de 50 ans d’abandon, un projet de sauvegarde semble se dessiner, grâce à l’Unesco et le Ministère égyptien de la culture.
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Introduction
Vers 3200 avant notre ère, les Egyptiens édifient des constructions pour abriter les dieux et les chefs. Cette architecture utilise le pisé, les palmes et certaines plantes des marécages. Le pisé sera par la suite progressivement remplacé par la brique crue, technique peut-être importée de Mésopotamie. La pierre de taille n’apparaîtra que vers 2700, grâce à Imhotep, architecte du roi Djoser, le premier architecte dont l’histoire nous ait livré le nom. Les constructions en briques crues furent adoptées autant par les pharaons et ses nobles, que par les classes les plus pauvres (83) Palais et masures utiliseront ce matériau ; seuls les temples et les tombeaux les plus prestigieux seront construits en pierres appareillées. Les Egyptiens faisaient peu de cas de leur demeure privée qu’ils considéraient, selon l’historien Diodore de Sicile, comme une « hostellerie », vu le peu de temps qu’on y séjourne. Peu de ces constructions en terre nous sont parvenues.
Ensembles mortuaires de l’Assassif : pylônes et appartements souterrains.
Dans la vallée de l’Assassif à Louxor, subsistent les pylônes des ensembles mortuaires de l’époque saïte (vers 600), et à proximité, les greniers voûtés du temple de Ramsès II (vers 1200) et le mur d’enceinte du site de Karnak. Quasi aucune trace de villages anciens. En effet, les conditions naturelles du pays exigeaient d’épargner le plus possible de terre arable, de se mettre à l’abri de l’inondation annuelle et de rester toutefois à proximité du fleuve. Tout ceci contribua à établir de tous temps, un habitat très groupé. Ce qui fait que les villages d’aujourd’hui sont bien souvent construits sur plus de cinq millénaires d’occupation continue.
Fig. 111 – Sépultures au pied des temples de Deir el-Bahari, vallée de l’Assassif. Dans le coin inférieur droit : le chantier de la mission archéologique belge de l’Assassif. |
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L’une de ces structures offre toujours l’un des rares témoignages d’un décor en niches et redans conservé sur plus de 6 m de haut. Cependant située le long de la route d’accès au temple d’Hatshepsout, elle passe totalement inaperçue aux yeux des visiteurs, faute de l’aménagement des abords.
La mission du professeur belge Herman De Meulenaere s’est chargée, parallèlement à l’étude scientifique de la sépulture de Padihorresnet, de restaurer des parois souterraines et de remonter sur une certaine hauteur, les murs d’enceinte et de séparation des cours, afin de livrer aux responsables égyptiens un site fouillé et clôturé. La reconstruction des pylônes laisse apparaître la structure d’origine particulièrement érodée. La façade en niches et redans a été restituée en briques de récupération, en tenant compte du léger fruit propre aux pylônes, l’âme du mur étant composée d’un mélange de cailloutis et de nouvelles briques crues également utilisées pour la reconstruction des murs intérieurs.
Gourna-la-Neuve. Hassan Fathy : un architecte révolutionnaire.
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Fig. 120 – Le Master Plan de la nouvelle Gourna (1948) et une rue du village avec ses espaces quasi clos. |
Ce fut pour lui une réelle épreuve, devant lutter chaque jour contre une bureaucratie sceptique et corrompue. « Comment les autorités de l’Egypte auraient-elles pu tolérer qu’on laissât les paysans bâtir eux-même leur logis, quand le projet d’industrialisation entraînait justement le développement d’une industrie du bâtiment ? », écrit Meriem Lequesne (87), qui ajoute « Pendant un demi siècle, Hassan Fathy va mobiliser ses énergies pour ouvrir à l’architecture une voie alternative et militante. Il prônera un modèle de “développement autocentréˮ, le seul à ses yeux capable de prendre en compte les besoins réels d’une majorité de la population, en terme d’habitats et d’équipements. Il sait que les modèles culturels et technologiques importés d’Occident (88), sont inopérants pour résoudre l’équation socio-économique de la pauvreté. »
« Le 8 février 1980, sur le coup de midi, au Caire, nous étions quatre devant la porte de Hassan Fathy – membre associé de l’Académie royale de Belgique –, né avec le siècle, décédé en 1989. Il y avait là Marthe Blanpain, Jacques Evrard et Christine Bastin, une fille du confrère qui nous a quitté il y a vingt ans, l’architecte Roger Bastin dans la maison duquel il est passé à Namur. Hassan Fathy habitait un appartement à l’étage d’un ancien palais arabe, au milieu d’un dédale de cours intérieures et de pauvres gens, nous semble-t-il, non loin de la citadelle et de l’université al-Azhar. De l’étage où nous étions reçus, on plongeait dans des salles de cours d’où parvenaient des voix de professeurs mêlées à celle d’un muezzin au sommet d’un minaret voisin. L’accueil était d’une simplicité totale, sans la moindre mondanité chez quelqu’un qui avait fréquenté les milieux les plus huppés de la ville, le palais du roi Farouk lui-même. On a même dû chercher le sucre pour le thé, car lorsque le maître partait en voyage tout le monde venait sans vergogne s’approvisionner chez lui ; car tous le considéraient comme leur “papaˮ. L’homme qui nous recevait, paraît avoir deux points d’accrochage : la musique et l’architecture avec l’urbanisme. Je ne parlerai pas de la musique que je ne connais pas, mais son architecture, pour moi, est écrite dans le livre auquel beaucoup de praticiens ont, au moins un instant, attaché un intérêt majeur : Construire avec le peuple, publié au Caire dès 1969. »
Le chanoine Lanotte.
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« Dans l’oasis de Kharga, la température en juillet et août atteint 48°C à l’ombre, ce qui excède considérablement la zone de confort et a de graves conséquences physiologiques. Ce qui revient à dire que le refroidissement et la ventilation naturelle doivent être mis à profit dans la conception de la maison comme dans l’urbanisme. Dans la journée, l’air est plus frais dans les couches supérieures que près du sol. Dans l’architecture traditionnelle, en Egypte, en Irak, en Iran (92), dans les Emirats, en Inde et au Pakistan, ce phénomène est utilisé pour créer des courants d’air en utilisant des capteurs d’air, des malkaf. La malkaf est une cheminée élevée au-dessus de la maison, pourvue d’une large ouverture face au vent dominant, captant l’air des couches supérieures pour le pulser à l’intérieur. Dans presque toutes les agglomérations des régions chaudes et arides, les maisons sont « introverties » avec les pièces d’habitation ouvertes sur les cours intérieures. Ainsi sont assurés au mieux la protection contre les vents chauds du désert et le rafraîchissement par stockage de l’air frais qui se dépose dans la cour pendant la nuit. Il y a une différence de près de 20°C : celle-ci demeure jusqu’à une heure avancée de la journée. L’ombre est le premier moyen de se protéger de la chaleur, ce qui est démontré par la configuration traditionnelle des rues étroites, couvertes et sinueuses » (93)
« L’œuvre de Fathy a aussi une portée universelle. Il sera notamment invité aux Etats-Unis et en France pour y éclairer ou poursuivre son œuvre. Fathy apparaît dès les années 1960 comme un des très rares « gourous » d’une quête des architectures alternatives et démocratiques dans les pays en développement. En 1983, peu avant sa mort, le Grand Prix d’architecture viendra couronner son œuvre reconnue et décrétée exemplaire » (94) . Pour Fathy comme pour Le Corbusier et bien d’autres comme les architectes des temples millénaires d’Ourouk, le beau et l’utile sont étroitement liés et l’architecture est au service du bonheur des hommes.
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