PORTE III. Palais et temples mésopotamiens de l’ancienne Nabada en Syrie. Reconstruction partielle à l’identique de Tell Beydar/Nabada.
Avant-propos
Fig. 86 – Les premiers visiteurs de la nouvelle Nabada, lors de l’inauguration du site de Tell Beydar reconstruit. |
Le 30 mai 2004, eut lieu l’inauguration officielle du site reconstruit de Tell Beydar (70). Ce fut l’un des événements majeurs du Programme de formation à la sauvegarde du patrimoine culturel de Syrie subsidié par la Commission européenne. Il concernait seize projets aux objectifs divers, s’étalant de 2002 à 2004, avec un budget total de 1.000.000 d’euros. Le projet Beydar se révéla unique en Syrie : une restitution partielle à l’identique sur plus de 3 m de haut en certains lieux. Seuls des matériaux traditionnels furent employés, semblables à ceux d’il y a plus de 4000 ans : la brique crue pour les murs, l’enduit de terre pour le recouvrement des murs et le djousse pour les finitions (71). Pour la confection des briques, la terre provenant des déblais de fouilles fut utilisée, contribuant au recyclage du matériau millénaire. On veilla à ce que toutes les eaux de pluie s’écoulent rapidement en dehors du site, l’enduit imperméable des murs et des sols faisant en quelque sorte office de « toiture moulante ». Aucun produit chimique ne fut requis. Le site reconstruit s’inscrit avec justesse dans le paysage – steppe semi-désertique – et offre un côté spectaculaire avec ses temples étagés sur le versant sud du tell et avec l’escalier monumental d’accès à l’acropole. Volumes et espaces originels, dégagés de toute toiture, s’apprécient pleinement. L’environnement est préservé, même enrichi par l’intervention architecturale.
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Introduction
Depuis 1992, une mission archéologique syro-européenne poursuit l’exploration systématique du site ancien de Tell Beydar, une ville en couronne fondée au début du IIIème millénaire avant notre ère, abandonnée vers 2150, puis réinvestie par un village d’époque hellénistique entre 175 et 50 av. J.-C. Le site livre depuis 1993, les plus anciens documents écrits découverts en Syrie. Ils sont datés des environs de 2425 av. J.-C. : plus de 200 tablettes cunéiformes, bulles inscrites et autres documents épigraphiques. Les principales découvertes architecturales concernent des constructions officielles implantées sur des terrasses étagées, au cœur de la ville haute, c’est-à-dire sur l’acropole : un palais, quatre temples, des bâtiments administratifs et à fonction économique, constitués de magasins et d’ateliers (72). Ces édifices datant de la période Jezireh archaïque IIIb (aux environs de 2450 – 2400 av. J.-C.), sont bâtis de part et d’autre d’une rue monumentale qui menait de la Porte sud de la cité à l’entrée du palais. La rue gravit les différentes terrasses de la ville haute par des escaliers majestueux constitués de dalles de basalte et se resserre en deux points marqués par des postes de contrôle de la circulation.
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Fig. 92 – Le temple G accessible depuis la Main Street et le temple K au bloc ornemental en niches et redans. |
Stratégie de préservation. Renaissance d’espaces millénaires.
Fig. 94 – Le chantier de restauration et de reconstruction, utilisant des briques crues de même format et de même composition que celles relevées sur le site. |
Après deux missions effectuées par le consultant international en janvier et mai 2003 : contacts avec la DGAMS, l’architecte national Muhammad al-Garad et l’Unité de gestion du programme, visite du site et analyse de l’état de conservation des murs en briques crues, il s’ensuivit deux campagnes de préservation architecturale en automne 2003 et au printemps 2004. Les bâtiments analysés furent pour la plupart, trouvés dans un bon état de conservation, certains présentant encore des murs conservés sur plus de 2 m de haut. Après dix ans d’exposition aux intempéries, malgré des mesures de protection simples (sacs de terre empilés contre les parties les plus fragiles de certains murs, couches de terre sur les sols), il devint nécessaire d’appliquer un vaste programme de préservation du site. Les travaux englobèrent le palais, les bâtiments officiels et les temples, les ateliers, la ruelle est-ouest et la rue monumentale la Main Street, enfin le palais hellénistique situé en dehors de l’aire centrale. Dans un premier temps, il fut question de restaurer le grenier à céréales et de le transformer en musée du site, mais le projet fut abandonné pour faire place à la préservation de celui-ci dans sa quasi totalité. Le programme coordonné à Damas par le Dr. Jeanine Abdul Massih, a également inclus des cours de formation théorique sur l’architecture de terre dans le monde et de formation pratique, donnés sur place. Des étudiants et architectes syriens, de même que des membres de la mission archéologique d’alors, assistèrent aux conférences illustrées de diapositives inédites, tandis qu’ils recevaient une documentation reprenant entre autres une sélection des photographies les plus représentatives de l’architecture en briques ou en terre crue.
Fig. 95 – Séchage des briques sur le tell, au plus près des murs à restaurer. Dans le fond : la maison de fouilles élevée sur l’enceinte circulaire. |
Outre des événements exceptionnels comme glissement de terrain, tremblement de terre et ceux attribués à l’histoire même du site lors des occupations successives, les facteurs principaux de destruction des architectures de terre sont surtout de nature climatique. A Tell Beydar, indépendamment des vents de sable qui provoquent l’érosion éolienne des murs, ce sont les pluies de printemps et d’automne qui agissent en premier lieu. Le sommet des murs, privé de toute protection, se voit ainsi lentement fissuré ; l’eau pénètre dans la maçonnerie qui se désagrège de l’intérieur suivant des plans verticaux. D’autre part, des flaques d’eau provenant du ruissellement le long du mur et de la pluie elle-même, se créent à la base de celui-ci et entraînent son affouillement, accélérant le décrochage de l’enduit. A cette érosion éolienne et pluviale, il faut ajouter dans une moindre mesure, des facteurs comme la végétation prenant racine, le passage des chèvres et moutons, les nids de guêpes et d’oiseaux, les galeries de rongeurs et les faits et méfaits de l’homme, surtout des enfants.
Fig. 96 – Confection des briques avec un moule en bois, utilisant la terre argileuse et les brins de paille comme liant. |
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Au pied des murs à construire, le mortier dit le wahal aux mêmes ingrédients que pour la brique, mais le plus souvent sans paille, est piétiné avant d’être posé à la main ou à la truelle sur les assises de briques. Après un repos d’au moins 48 heures, l’enduit mural dit le sia’a, composé de terre tamisée, eau, brins de paille, le tout également piétiné, se pose à la truelle rectangulaire. Le djousse provenant de Deir ez-Zor, se mélange avec l’eau et un peu de paille hachée, augmentant sa rigidité et empêchant la formation de craquelures lors du séchage. Des coloris différents peuvent être obtenus par mélange des djousses gris et blanc. Pour la couche de préparation des sols, du gravier provenant de Tell Tamer, fut utilisé. Avant les travaux de préservation proprement dits, les futurs chantiers furent nettoyés de toute végétation et débris divers et débarrassés des dispositifs de protection provisoires, installés précédemment en des lieux jugés plus fragiles. Fosses anciennes et sondages parfois très profonds, furent rebouchés. Tout ceci exigea un temps dont il a fallu tenir compte. Suivant l’état de conservation du mur, on opta pour l’une des trois interventions suivantes – décrites par Marie-Ève Sténuit – : la consolidation, la restauration ou la reconstruction à l’identique, celle-ci se révélant la plus adéquate.
La restauration s’applique aux murs partiellement conservés ou peu endommagés, sur la hauteur qu’ils avaient lors de leur découverte. Après en avoir supprimé les parties faibles, une ou plusieurs assises sont démontées et remplacées au sommet de celui-ci tandis que les parements selon les cas, se voient recouverts d’une brique ou d’une demi-brique. Si le cœur seul du mur est conservé, il est entouré de briques traditionnelles neuves de même dimension. Ne contenant aucun matériau moderne imperméable, ce « coffrage » présente l’avantage de laisser respirer la brique au centre même de la paroi, évitant sa dégradation de l’intérieur. Les parements taillés en escalier, assurent la liaison entre les assises anciennes et modernes. Pour des murs plus élevés, la masse ancienne fut creusée de niches de liaison, afin d’assurer un meilleur ancrage. Les montants des portes furent systématiquement reconstruits. Pour la protection du sommet des murs, on choisit de le recouvrir de deux assises de briques en retrait l’une de l’autre et en retrait par rapport à la paroi, de manière à offrir avec le mortier et l’enduit de finition une surface légèrement bombée. Ceci permet l’évacuation latérale de l’eau de pluie. Cette solution s’avère plus esthétique que la pose d’un toit de briques à versants, débordant légèrement. Les murs restaurés sont enduits d’une nouvelle couche de sia’a, tant sur la surface ancienne que sur la nouvelle.
La reconstruction partielle à l’identique fut appliquée aux murs trop dégradés, conservés sur peu d’assises ou décelables à la surface du sol. Démontés jusqu’au sommet des fondations, ils sont alors remontés, en prenant soin de ménager les baies de porte au bon endroit, préalablement précisées au sol. Dans le cas d’un mur non conservé, on opta pour une hauteur de reconstruction de 1 mètre et pour des enduits traditionnels. Ce type d’intervention est de loin le plus spectaculaire ; il a permis d’élever certains murs sur plus de deux mètres, permettant aux visiteurs de se rendre compte du volume extérieur (les niches et les redans), des espaces intérieurs et du cheminement propre à chaque temple, depuis la porte d’entrée jusqu’au lieu sacré. A ce sujet, voici ce que dit l’archéologue Marie-Ève Sténuit : « Les archéologues, quelque peu frileux dans un premier temps vis-à-vis de cette technique plus radicale que les autres, ont été conquis par la méthode. Il s’avère en effet que le démontage des murs jusqu’à leurs fondations est le moyen le plus précis pour retrouver le plan originel d’un bâtiment (et certains détails du plan ont pu grâce à cela être rectifiés) et, d’autre part, une première évaluation après un hiver a permis de constater qu’il s’agit de la solution la plus satisfaisante en matière de qualité et de durabilité de conservation. » (77).
Les sols disparus ont été rétablis à leur niveau d’origine. Quant à ceux conservés de manière fragmentaire, ils ont été dans un premier temps protégés d’une couche de terre en attendant leur restauration, puis damés et recouverts d’une couche de préparation de graviers qui assure le drainage des eaux de pluies. Une couche de djousse blanc a ensuite été posée, remontant de 20 à 50 cm sur les murs, ce qui permet d’en protéger la base et associée à la couche de préparation, de limiter les risques d’affouillement. Selon la méthode ancienne, la base des murs a été préparée pour recevoir le djousse ; les joints entre les briques ont été creusés afin de permettre la pénétration du djousse, une bonne adhésion de celui-ci et pour la même raison, la première couche de djousse a été striée avant la pose de la seconde. Les briques cuites manquant dans les pièces pourvues de pavement, n’ont pas été remplacées. Les lacunes ont été comblées avec du djousse gris. Les installations comme les escaliers, les seuils, les toilettes, les podiums, les bassins, les jarres encastrées dans le sol, les drains verticaux, ont été soit réparés, soit reconstruits à l’identique, selon leur état de conservation.
Rentrant dans le cadre d’une stratégie globale, le projet Promotion de l’architecture de terre en Syrie vise dans un premier temps à mettre en place les fondements d’une réflexion partagée avec tous les acteurs locaux, afin de définir les axes de travail pour préparer les projets de demain. A long terme, il vise aussi la création d’un « Pôle de formation et d’excellence » spécialisé dans la construction en terre, la conservation, l’expérimentation et l’innovation (78). Ce pôle devrait permettre d’offrir aux établissements d’enseignement et de recherche, ainsi qu’aux centres de formation professionnelle, une occasion pour relancer la recherche et la coopération scientifique et technique dans ce domaine :
- proposer, dans le cadre de ses activités, un programme pédagogique et technique de qualité, avec des conférences-débats, des expositions vivantes, des ateliers, des chantiers-écoles, etc,
- produire en collaboration avec les partenaires syriens, des documents techniques et didactiques pour sensibiliser un large public à la pertinence de la démarche et pour vulgariser les techniques de construction en terre,
- réaliser avec l’aide d’entrepreneurs syriens, des projets novateurs dans le cadre de la mise en place de la filière de construction en terre (79)
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Problèmes et Résultats. Visibilité et pérennité.
Pour résoudre le problème majeur de l’évacuation des eaux de pluie, on opta pour la solution qui veut que le sommet et les parois des murs comme les sols, jouent le rôle de « toiture », conduisant les eaux le plus rapidement en dehors du site, grâce à un jeu de pentes légères. Les canalisations et les drains anciens en terre cuite, pierres et briques cuites, ont été remis en usage lorsque c’était possible. Dans d’autres cas, de faibles pentes ont été aménagées sur les sols afin d’éviter la stagnation de l’eau à la base des murs.
Fig. 107 – Les visiteurs du 30 mai 2004 s’engagent dans l’étroite rue est-ouest bordant les temples F et G et les ateliers. |
Cette solution a comme avantage de n’introduire aucun élément étranger ni sur le site, ni dans le paysage. Néanmoins, fut envisagée l’utilisation d’une structure textile de protection, légère et réversible, en actualisant le projet « Light Umbrella » (80). Pour des raisons compréhensibles – difficultés du financement et du sponsoring, réalisation d’une technologie importée, problèmes d’ancrage de la superstructure, conditions climatiques parfois extrêmes, problèmes d’environnement, d’autorisations et de gardiennage, éloignement par rapport aux grands centres urbains –, malgré sa faisabilité, la technologie est aujourd’hui maîtrisée, sa nature innovante et audacieuse, le projet « L.U. » reste en projet ! Suite aux premières campagnes, des articles scientifiques, relatifs soit à la construction de la maison-village, soit à la reconstruction du site, ont été publiés tant dans la presse nationale qu’internationale ; les résultats obtenus in situ restent impressionnants, spectaculaires, exemplaires. Ce qui est le fait de la mission archéologique qui se charge d’un entretien régulier annuel. Quelques ouvriers sont alors détachés de la fouille pour procéder à de petites interventions localisées ; ceci ne nécessite donc pas de personnes étrangères à la mission. Après plus de 4400 ans, le palais et les temples avec leur espace cérémoniel, les rues est-ouest et principale, les ateliers et l’escalier monumental d’accès, la porte d’entrée de l’acropole, s’en retournent à la lumière.
Il s’avère que le choix du site de Beydar par la DGAMS était bien fondé, occupant une place unique parmi les projets retenus par la Commission européenne. L’efficacité de l’intervention montrera à coup sûr tous ses effets lorsque les chercheurs et les touristes tant syriens qu’étrangers voyageront davantage dans cette partie reculée de la Syrie. Dans un proche avenir, le site reconstruit devrait se voir aussi connu et reconnu que les sites de Ebla et de Mari. Incontestablement, il s’agit déjà d’un laboratoire à ciel ouvert unique dans ce pays, que pourront apprécier les membres successifs de la mission archéologique, témoignant de son impact immédiat sur les activités de chaque participant. Sa visibilité et sa pérennité dépendront des facteurs climatiques comme de l’entretien régulier (81). Tell Beydar : un cas exemplaire de la mise en valeur et de la préservation réussie d’un ensemble architectural élevé en briques crues, la renaissance d’une ville de la Haute-Mésopotamie, un « don du ciel » en pleine steppe (82).