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- - Histoire générale - - Brigitte D'Hainaut-Zvény, Jean-Marie André, Lei Wu, Guy Baudoux, Shuting Ma, Meiling Pen Morceaux choisis du répertoire de musique traditionnelle chinoise Brève introduction aux quatre genres musicaux présentés à l'Académie royale de Belgique le 25 février 2015
Amateur
Reporticle : 130 Version : 1 Rédaction : 14/03/2015 Publication : 19/05/2015

Morceaux choisis du répertoire de musique traditionnelle chinoise

L’Académie royale de Belgique a accueilli, le 25 février 2015, un récital exceptionnel de morceaux choisis du répertoire de musique traditionnelle chinoise présentés par Maître Zhang Wei Dong - acteur au premier niveau national en Chine membre de la troupe du kunqu du nord de Pékin, professeur au conservatoire central et dans plusieurs universités de Pékin - accompagné par ses disciples, Messieurs JIN Gu, LIU Bo, Mesdames ZENG-MOHR Yun et WEI Xing.

Le présent texte constitue une brève introduction aux quatre genres musicaux présentés lors de cette soirée. Sa lecture pourra être complétée par la consultation de l’enregistrement vidéo de ces performances, de la traduction des textes interprétés et d’un interview de Maître Zhang, également disponibles sur ce site.

La musique traditionnelle chinoise, quelques jalons de son histoire

Interview de Maître Zhang Wei Dong, Acteur au prenier niveau national en Chine, par Jean-Marie André

La musique chinoise est aussi ancienne que ses dynasties. Dès le 25e siècle avant J.-C., le savant Lyng Lun théorise un système pentatonique. Curieusement, il associe des notes à des classes sociales : gōng = l'empereur, shāng = le ministre, jué = le bourgeois, zhǐ = le fonctionnaire et= le paysan. Avec la dynastie des Shang (1600-1046 av. notre ère), la Chine entre dans l'âge de bronze et les premiers instruments à percussion et les carillons voient le jour. Bien avant la musique occidentale, c'est déjà sous la dynastie des Zhou de l'Ouest (1046-771 av. notre ère) que la musique ancienne chinoise a défini une série de 12 lǜ (Shí-èr-lǜ, "???"). Sur une base acoustique, la tradition culturelle chinoise conserve cependant les gammes pentatoniques et, parfois, les étend en modes heptatoniques.

Un carillon - biānzhōng en chinois - de soixante-cinq cloches a été retrouvé en 1978 dans la tombe de Zeng Hou Yi, Marquis Yi de Zeng, une petite principauté de l'époque des Royaumes combattants. Il date de 433 avant notre ère. L'étendue de son spectre sonore est de 5 octaves de 7 notes et l'octave centrale contient douze demi-tons analogues à ceux de notre gamme tempérée. Le carillon est maintenant exposé à Wuhan au musée de la province de Hubei.

Pour Confucius (551-479 av. notre ère), la musique permettait d'atteindre l'harmonie universelle. La musique purement instrumentale est pourtant restée peu pratiquée en Chine. Elle était le plus souvent accompagnée de paroles, de poèmes ou d'hymnes.

Sous la dynastie des Han (de 206 av. notre ère à l'an 220), la musique rituelle apparaît exécutée par de grands orchestres (94 personnes) et ballets (8 groupes de 8 danseurs). La musique de banquet et de divertissement voit le jour sous la dynastie des Tang (618-907). La première institution musicale officielle, le jardin des poiriers, est créée en 714, à Chang'an, l'actuelle Xi'an.

Sous la dynastie Song (960-1279), le théâtre du Sud, le Nanxi ("???") nait à Lin'an (Hangzhou - "???") dans la province du Zhejiang. Il repose sur de nombreuses scènes de traditions locales. Ce sont des ballades et des chansons populaires locales dans une langue vernaculaire. Les représentations sont fort longues ; elles alternent vers non rythmés et langue parlée. Le nombre d’actes est illimité.

Plus tardif, le Zájù ("???"), le théâtre du Nord de la dynastie Yuan (1279-1368) se développe à Bianjing ("???"), aujourd'hui Kaifeng ("???") dans la province du Henan. L'originalité et la valeur littéraire s'accentuent dans une scénographie qui privilégie le chant, la déclamation, la mimique et la pantomime.

Le Nanxi du Sud évolue au cours des années vers le Chuanqi ("???"). Ce dernier emprunte des mélodies de Kunshan ("???" près de Suzhou dans la province du Jiangsu) et des instruments du Nord. Il donne ainsi naissance au Kunqu ("???"), un théâtre d'une écriture raffinée, accompagné d'une instrumentation douce basé sur des arguments plus "romantiques". Le Kunqu est proclamé en 2001 et inscrit en 2008 au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (1).

L'Opéra de Pékin, le Jīngjù ("???") est plus tardif. Il date de 1790 sous l'empire Qing. C'est en son début un art exclusivement masculin avec un accompagnement très rythmé de cordes et percussions. Le jeu de scène est basé sur l’allusion exprimée par une oralité tant scandée que parlée. Un maquillage bien précis permet de distinguer d'amblée les héros des traîtres.

Le Kunqu, une forme ancienne d’opéra

Morceaux choisis du répertoire de musique traditionnelle chinoise. Récital présenté à l'Académie royale de Belgique, le 25 février 2015.

Le Kunqu ("???") est la forme la plus ancienne d’opéra chinois qui soit encore jouée de nos jours. Ce théâtre, classique par excellence, qui connu son âge d’or sous la dynastie des Ming (XVIe-XVIIe siècles), se caractérise par le recours à un répertoire de grande qualité littéraire et un style musical ( « shuimodiao ») qui associé la musique du Sud à des mélodies et des instruments venus du Nord. Son influence a été déterminante sur le développement d’autres formes d’opéras, telle celle, plus tardive, de l’opéra de Pékin.

Longtemps plébiscité, sa survivance fut menacée au siècle dernier et le genre est aujourd’hui marginalisé. Une situation que tente d’enrayer son inscription sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO, et l’implication militante d’un certain nombre de troupes qui, telle celle de Maître Zhang, entendent faire valoir, ici et là, les qualités et l’importance de ce genre théâtral et musical.

Fig 1.
Photo C. RützClose
Fig 1.

Constitué à l’origine par des performances qui associaient des rites, des chants, des danses, des acrobaties et d’autres divertissements (2), l’opéra chinois s’est progressivement structuré et imposé comme le lieu d’une culture fédératrice, impliquant les lettrés comme les classes populaires. Son répertoire fut, en effet, longtemps « le livre de ceux qui ne savaient pas lire », une mémoire collective, vivante et partagée, « un vivier de précédents » (3) et de recettes. C’est, en effet, à travers leurs livrets que bon nombre de Chinois ont appris à connaître les grands romans historiques, picaresques ou judiciaires, les récits féeriques, fantastiques et les grandes sagas romanesques, au sein desquelles les auteurs avaient inséminé de vieux fonds mythologiques, religieux et folkloriques. Et c’est dans ce répertoire, riche de figures et de situations emblématiques, que ces spectateurs ont longtemps puisé des références, précédents et modèles de comportements. Ce sont, en effet, ces racines profondes que le genre enracine dans la tradition chinoise qui le rendent si important, car l’opéra n’est pas seulement un spectacle, c’est la mémoire poétique d’un peuple. Une mémoire qui lui permet de ne pas se couper de l’immense durée chinoise, des concepts et des valeurs qu’elle charrie et qui lui offre l’opportunité de s’inventer un avenir qui ne soit pas amnésique de son passé.

Le Pavillon aux pivoines, ou Mudan ting ("???") est une pièce de Tang Xianzu datant de 1598, divisée en cinquante-cinq scènes réparties en trois actes. Le premier acte se passe dans le pavillon des Pivoines où une jeune fille, Du Liniang (Liniang = « la belle fille »), fille du préfet Du, rêve d’un lettré pauvre dont elle tombe amoureuse et auquel elle se donne en songe. Malade d'amour, elle finit par en mourir. Le deuxième acte est centré sur la figure de l’amoureux qui séjourne dans le jardin du pavillon on est enterrée la jeune fille, laquelle lui apparaît en rêve et lui demande d’ouvrir son cercueil. Du Liniang peut alors réapparaître. Le troisième acte prolonge cette histoire et se termine par la célébration traditionnelle du mariage.

Dans le Pavillon aux pivoines, le rêve, opposé à la raison et aux conventions familiales et sociales, acquiert une importance particulière ; le cœur (xin) et le qing (les sentiments) s’y opposent au li ("???", la raison). Une interprétation simplificatrice pourrait faire du père de Du Liniang une incarnation d'un confucianisme orthodoxe et étroit, mais il apparaît aussi comme un homme plus habitué à gérer les affaires publiques, celles de la guerre et de l’état, que celles de la famille. Cette pièce est donc autant l’histoire d’une passion contrariée que la tragédie d’un père.

Le spectacle complet, celui dont rêvent tous les metteurs en scène du monde, la Chine l’a donc réalisé. Associant une écriture raffinée, des chants, des instruments et des mélodies avec une gestuelle tout à la fois très expressive et extrêmement stylisée et codifiée, le Kunqu propose une langue symbolique qui n’entend pas représenter la réalité, ni l’ « imiter ». Allusif, il suggère autant qu’il montre, « effleure autant qu’il développe ». Point n’est besoin ici d’accrocher de vrais faux nuages au cintre des théâtres ou de faire monter de vrais chevaux sur la scène, « il suffit aux comédiens chinois de quelques pas réglés à ravir, de la bascule de l’un et de l’oscillation de l’autre » (4) pour donner à voir une rivière, une barque et le geste du batelier qui aide une jeune fille à monter à bord. L’enjeu n’est pas ici de « mimésis » ; il ne s’agit pas de reproduire une réalité, mais de la convoquer pour faire affleurer le vent, la brume, les arbres qui bruissent, la servante qui joue à la maitresse ou le bouffon qui s’entortille dans des circonvolutions serviles. Efficacités remarquables d’une tradition qui séduira les occidentaux et, notamment B. Brecht, et plaisirs d’un genre qui donne à voir ce qu’on ne voit pas, et à vivre ce qui n’a pas été vécu, ce qui l’a été trop mal ou si délicieusement qu’il importe de pouvoir, encore et encore, en réanimer l’évocation.

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    Le Guqin, l’instrument de lettres, accompagnant la récitation de poèmes Tang

    Le Guqin est un des instruments musicaux les plus anciens en Chine. Le nom (Gu : ancien, Qin : cithare) qui lui a été donné au début du 20e siècle permet de ne pas le confondre avec les instruments occidentaux comme le Gangqin (piano) ou le Xiaotiqin (violon). Son origine remonte à la haute antiquité ; on sait qu'il était déjà très populaire avant la Dynastie des Qin (221-206 av. notre ère). Dès la fin des Han, le Qin a déjà sa forme de base. Les Qins des dynasties suivantes varient par leurs stylisations physiques de ce modèle de base, ainsi que par leurs timbres.

    "Le Guqin et sa musique" ont été inscrits par l'UNESCO en 2008 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (originellement proclamé en 2003).

    Dès l’époque de Confucius, le Qin a été considéré comme l’instrument emblématique de la classe intellectuelle : Confucius lui-même y eut recours à la période des Printemps et Automnes (770-476 av. notre ère), Xi Kang lors des Trois Royaumes (220-265), Su Shi lors de la dynastie des Song (960-1279). Considéré comme « le père de la musique chinoise » ou « l'instrument des sages », le Qin se distingue par la grâce et la facilité avec laquelle il permet ces mélodies raffinées qui naissent entre les doigts des intellectuels depuis des siècles et des siècles. Doté des Jiude (“Neuf vertus”: léger, antique, clair, pur, doux, rond, profond, frais, harmonieux, fragrant) du son, le Qin n’est pas seulement un instrument musical avec une tessiture de plus de quatre octaves. Il est l'emblème de la culture chinoise et incarne véritablement la quête spirituelle des intellectuels de l'Empire du Milieu.

    Depuis la dynastie des Tang, le Qin a son propre système de notation, le Jianzi Fa ("le système avec des mots chinois abrégés"), qui est composé de radicaux des caractères chinois, de chiffres, ainsi que de mots abrégés pour noter les positions des cordes, des touches, préciser les manières de pincer les cordes de la main gauche ou de la main droite et noter la hauteur des sons. Le Jianzi Fa est une méthode de notation rigoureuse et scientifique. Aujourd’hui, environ 150 pièces anciennes du Qin sont conservées en notation Jianzi Fa ; elles forment un trésor inestimable de la musique traditionnelle chinoise. Le Qinxue ("les études du Qin") représente la richesse et la profondeur de cette tradition ; il est aussi une manifestation de la philosophie, de l’histoire et la littérature de Chine. Aucun instrument musical traditionnel n'est comparable au Qin sur le plan de l’expressivité de la culture chinoise.

    L'ode au vent automnal a été écrite par Li Po (701-762), un des plus grands poètes de la dynastie Tang. Dans ce poème, le poète s’identifie avec une femme qui attend son amant dans la solitude d’une nuit d’automne. Avec des images telles que le vent d’automne, la lune claire, les oiseaux noirs dans la nuit froide et les feuilles qui se dispersent, nous nous trouvons dans le genre du poème de la tristesse d’automne. L’aria languissant accompagné par le Guqin et l’air trépidant du vent d’automne nous ramène à notre condition invariablement existentielle face au chaos universel. Le sentiment d'une impuissance totale est accentué par la lune suspendue dans le ciel noir et inutilement illuminée. Progressivement accentué, ce sentiment d'impuissance s'évapore finalement dans l’atmosphère et crée alors une antithèse entre une catharsis croissante et sublime chez les auditeurs, la disparition du leitmotiv triste du poème et la sonorité du Qin.

    Les trois refrains de la mélodie de séparation, aussi appelés "trois variations sur le passage du col Yang Guan" Yang Guan est la passe en forme de ville située sur la route de la soie dans la région du désert à l’ouest de la Chine, il ne s’agit donc pas d’un col entre les montagnes. Elle est située au sud (direction du Yang) de la passe-ville Yu Men Guan (Passe de la porte du jade), et constituaient, à elles deux, les passes importantes à la frontière de l’ouest sous la dynastie Han) sur la grande muraille dans la province de Gansu), constituent la pièce la plus connue écrite pour le Qin. Elle est basée sur un poème de Wang Wei (692-761). Célèbre poète de la dynastie des Tang, peintre, musicien et politicien, Wang Wei a pris comme nom d’artiste Vimalakirti, "???", la figure centrale dans le "sutra de l'enseignement de Vimalakirti", un des textes les plus profonds du Bouddhisme Mahayana. Dans sa recherche de la vérité à la fois religieuse et artistique, le poète a su transformer ses propres méditations en sutras bouddhistes de forme musicale, picturale, calligraphique et poétique. Le poème décrit une scène d'adieux à la frontière de l’ouest du pays. Il célèbre l'amitié pure et profonde de deux amis par un dernier verre pris dans une taverne avant une séparation qu'ils savent être définitive. Les deux voix (une voix normale et celle d'un falsetto) dialoguent puis s’éloignent dans les trois refrains. Leur intensité variable nous offre un sutra chanté de grande tristesse vis-à-vis de la vacuité de la vie.

    L'opéra de Pékin, l’aboutissement d’une longue tradition

    Fig. 5
    Photo C. RützClose
    Fig 5.

    L'opéra de Pékin est un genre de l’opéra chinois à part entière, il est né à la cour impériale sous la dynastie des Qing quand les "Quatre grandes troupes de l'Anhui " sont montées à Pékin, la capitale chinoise en 1790, pour fêter l’anniversaire de l’Empereur Qianlong. En 1828, plusieurs troupes du Hubei arrivent également à Pékin et se mélangent aux troupes de l'Anhui. Cette collaboration contribua petit à petit à la création les mélodies de l'opéra de Pékin jusqu’à son plein essor au milieu du XIXe siècle. Inspirés des chants des opéras de la province de Anhui et de Hubei, des mélodies régionales et des arias du Kunqu, cet opéra entreprend d'unifier la littérature, la musique, le chant, le maquillage et les masques. L’opéra de Pékin est l’opéra chinois le plus populaire, le plus scénique et le plus spectaculaire ; c'est aujourd'hui "l’opéra national" de Chine. L’opéra de Pékin a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2010.

    Le répertoire des pièces de l’opéra de Pékin se caractérise par le recours à quatre types de rôles principaux : Sheng (l'homme), Dan (la dame), Jing (l'homme à visage peint (5) ) et Chou (le bouffon). Chacun de ces quatre types se subdivise encore pour former l'ensemble de rôles de l'opéra chinois. L'opéra chinois mobilise un grand nombre de compétences: il requiert, en effet, quatre types d’apprentissages (Si Gong) : le chant, la récitation, le jeu et le combat acrobatique, une formation (Wu Fa) qui implique les mains, mais aussi les yeux, le corps, la tête, la marche, il impose aussi de pouvoir jouer des instruments à cordes et des percussions, et nécessite également des costumes raffinés, des masques stylisés et des décors qui tous obéissent à des codes stricts et très élaborés.

    Mei Lanfang (1894-1961) est l’artiste le plus représentatif de la période moderne de l’Opéra de Pékin, l'un des plus populaires et des plus créatifs. Il est le premier dans “Les Quatre Dans renommés” et a développé son propre style esthétique "harmonieux et mélodieux", appelé le style de Mei. "Fée céleste" est une des premières œuvres du début de sa carrière. Ce spectacle dansé s'inspire d’une histoire bouddhiste du sutra de Vimakakirchi; il raconte qu'envoyée par le Bouddha, la fée céleste s’envole dans les nuages pour féliciter l’accomplissement de Vimakakirchi, disciple laïc important du Bouddha. Elle témoigne de la discussion sur la vacuité (sunyata) entre Vimakakirti et le Bouddha de Sagesse en dispersant des fleurs qui lui permettent de tester la maturité de chaque disciple. En effet, si fleurs restent collées à leur corps, c'est la preuve que ceux-ci n’ont pas encore suffisamment compris l’essence du Bouddhisme. Mei Lanfang avait observé chez un ami, une peinture à l’encre montrant la Fée dispersant des fleurs et il avait été émerveillé par la danse élégante, la légèreté céleste et la beauté éthérée d’une Tiannu (Gandhanra, fée céleste chez le Bouddhisme). Inspiré par les superbes ondulations des longs rubans de la Fée céleste dans les peintures traditionnelles, Mei Lanfang abandonne dans cette pièce la manche aquatique, typique de l’opéra chinois, et crée la danse de la soie ; une nouveauté qui enrichit encore le jeu de l’opéra de Pékin. Dans cette pièce innovatrice de Mei Langfang, de longs rubans rouges ondulent gracieusement sous l’accompagnement des instruments à cordes et le rythme des percussions. Cette danse de la soie diversifie les mouvements corporels qui sont soutenus par de petites marches qui mettent en valeur l'élégance et la théâtralité de la jeune fille. Les différences de chant, entre celui vif et précis de l'opéra de Pékin et celui plus mélodique et lyrique du Kunqu, renforcent encore le contraste entre le caractère spectaculaire du jeu et la personnalité solennelle de la Fée.

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      Chants populaires de l’époque de Qianlong

      Le Chaqu, la "mélodie Cha" ,est le chant populaire du règne de l'empereur Qianlong, le quatrième empereur de la dynastie Qing (1736 à 1795) . C'est la mélodie principale de l’art du conte chanté mandchou ; elle est accompagnée par le tambour octogonal ou par la vielle chinoise. Apparu à Pékin au début de la Dynastie des Qing (1636-1912), il est devenu populaire dans la région de la capitale. Après que le général Agui ait apaisé la révolte de la région tibétaine de la province du Sichuan en 1776, les soldats mandchous de l’armée impériale ont utilisé "la mélodie collective" pour célébrer le triomphe. Dès lors, leurs enfants et petits-enfants ont commencé à chanter et à composer le Chaqu ; pour s'amuser, ils en inventèrent aussi les paroles et les mélodies. Le Chaqu atteint son apogée sous le règne de l’empereur Qianlong. Il est inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de la ville de Pékin en 2008.

      Habituellement, le Chaqu n'intervient que dans la première et dernière partie d’un ensemble d' "ades", les mélodies de la vielle. Parfois, il est aussi joué indépendamment. On lui connaît trois manières différentes d'interprétation :

      • soit le soliste chante en frappant le tambour octogonal accompagné ou non par un autre musicien à la vielle à trois cordes,
      • soit le Chaqu se joue en duo avec deux chanteurs sur la scène où chacun frappe son propre tambour octogonal,
      • soit un groupe de chanteurs chantent ensemble ; c'est le Chaqu collectif.

      Le Chaqu se classe en diverses catégories suivant leur sujet principal :

      • la nature et le paysage pastoral, dont le grandiose paysage du printemps
      • l’amour
      • les odes ; ode au sapin, ode au sabre, ode à la fête de la pureté et la clarté, ode au son automnal
      • les adaptations des anciens romans ou pièces de théâtre
      • les jeux de mots
      • les félicitations

      Six ou huit mots par ligne structurent généralement le Chaqu. Deux de ses parties principales sont séparées par un long intermède, prélude à la partie suivante. Un ou plusieurs arias sont également parfois insérés entre deux parties principales. Deux de ces mélodies sont célèbres ; "cimes éclaircies après l’ondée" et "le retour de barque

      après l’orage" sont dus à Pu Xinyu (alias Puru, 1896-1963), un grand peintre et calligraphe traditionnel mandchou. Il était membre du clan Aisin Gioro du Manchu, la famille régnante de la dynastie des Qing, la dernière dynastie féodale de la Chine. Pu est le cousin de Puyi (Xuantong, le dernier empereur de Chine). Il est être un peintre aussi talentueux que le célèbre Chang Dai-chien (ou Zhang Daqian, 1899-1983).

      "Cimes éclaircies après l’ondée" est une pièce du “court Chaqu” inspirée d'un poème de Jia Dao de la dynastie des Tang (618-907) qui relate une visite ratée à un ermite. Ce poème, d'un ton paisible et léger, revisite le thème récurrent du retour à la méditation des intellectuels en Chine pour réussir son accomplissement personnel par la réunion harmonieuse du corps et l’esprit malgré la vie vaine et bruyante du monde séculier.

      "Retour de barque après l’orage", une pièce typique du “long Chaqu”, traite ce même thème de retraite de méditation dans un lieu désert d’une manière plus gaie. Il oppose la tension nerveuse avant un orage et la récompense poétique dans deux paragraphes par un effet miroir entre la vie d’un politicien toujours sous pression et celle d’un ermite toujours surpris et émerveillé. Par des tempi rapides et des

      chants variés à des tessitures différentes, ce Chaqu se déroule sans répit jusqu'à la fin. Tant ses paroles que sa théâtralité montrent bien la cohérence de la réflexion d'un intellectuel à la recherche de la vérité.

      Remerciements

      Les organisateurs de cette soirée ont voulu offrir au public, toujours plus large du Collège Belgique, l’occasionde découvrir et d’apprécier une tradition musicale encore mal connue en Europe. Cette conférence fait suite à une autre proposée il y a peu, par l’un d’entre nous, dont le contenu est maintenant publié dans la collection « L’Académie en poche » : André J.-M . « Fleuve jaune, papillons amoureux et musique classique de la Chine du XXe siècle », volume 53. Nous nous efforçons ainsi de faire savoir une tradition artistique, une mémoire, des savoirs et des savoirs faire qui sont aujourd’hui, a l’heure d’une mondialisation souvent homogénéisante, fragilises.

      Cette invitation d’artistes pékinois renommés n’aurait pu se faire sans le soutien financier et logistique d’un certain nombre de personnes auxquelles les organisateurs entendent ici rendre hommage. Ils remercient notamment Monsieur Shihai Xiang, attaché culturel de la République populaire de Chine, Monsieur Herve Hasquin, Secretaire perpétuel de l’Académie et Madame Marie-Josée Simoen, Administrateur délégué du Collège Belgique.