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Art en général - Epoque contemporaine - Belgique - Égypte - Histoire de l'art Eugène Warmenbol L’égyptomanie et l’égyptologie en Belgique Quand passion deviendrait raison
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Reporticle : 98 Version : 1 Rédaction : 01/06/2014 Publication : 08/07/2014

Introduction

Fig. 1 – La pyramide de Wespelaer. La porte donne accès à la glacière (entre 1796 et 1819). F. Cerulus, A. Cresens & R. Deneef, De piramide van Wespelaar – Tot nut, sier en plezier, M&L. Monumenten, Landschappen & Archeologie, 26/3, 2007, p. 13.
Photo R. DeneefFermer
Fig. 1 – La pyramide de Wespelaer. La porte donne accès à la glacière (entre 1796 et 1819).
Fig. 1B – "Close-up" de la pyramide de Wespelaer. F. Cerulus, A. Cresens & R. Deneef, De piramide van Wespelaar – Tot nut, sier en plezier, M&L. Monumenten, Landschappen en Archeologie, 26/3, 2007, p. 15.
Photo A. CresensFermer
Fig. 1B – "Close-up" de la pyramide de Wespelaer.
Fig.1C – Le pigeonnier en forme de pylône égyptien du jardin du château de Sint-Andries (1813-1814).
Photo Agnès Rammant-Peeters.Fermer
Fig.1C – Le pigeonnier en forme de pylône égyptien du jardin du château de Sint-Andries (1813-1814).

Déjà durant l’Antiquité, les grandes pyramides de Gizeh fascinaient les voyageurs d’Occident et d’Orient. Sous l’Empire romain, des sphinx et même des obélisques sont transportés en Italie, où, occasionnellement, un temple, ou une tombe « à l’égyptienne », se trouve érigé. La pyramide de Caius Cestius à Rome doit en être l’exemple le plus connu. Elle deviendra à son tour, durant les XVIIIe et XIXe siècles, le modèle de dizaines de pyramides d’Occident, comme celle du Parc Monceau à Paris ou, en Belgique, celle de Wespelaar (Brabant flamand). Il s’agissait d’une… glacière (fig. 01), qui abritait « une salle circulaire décorée de niches avec des urnes sépulcrales sur lesquelles sont gravés des hiéroglyphes, de même que sur la table et les chaises qui s’y trouvent, et qui sont elles-mêmes exécutées dans ce style » (égyptien). La propriété relève de la famille Artois – brasseurs célèbres – depuis 1796.

Après l’Expédition d’Égypte, menée entre 1798 et 1801, d’abord par le général Bonaparte, puis par les généraux Kléber et Menou, le néo-pharaonique devient un thème récurrent dans l’art occidental, a recurring theme in the history of taste, comme le résume si bien James Stevens Curl. Sous le régime impérial de Napoléon Bonaparte, le style dit « Retour d’Égypte » deviendra même un signe de ralliement autour de l’empereur. La célèbre Description de l’Égypte, un compte-rendu « précolonial » de la précaire conquête du général, paraît à partir de 1809. Les souscripteurs pouvaient y trouver, entre autres, un premier inventaire scientifique, illustré, du patrimoine pharaonique, principalement le patrimoine immobilier. Quelques pièces mobilières importantes, comme la « pierre de Rosette », une découverte faite durant l’Expédition, s’y trouvent également reproduites. Un des artistes attachés à la Commission des Sciences et des Arts mise à disposition de Bonaparte par le Directoire pour documenter l’Égypte est d’origine « belge » : Henri-Joseph Redouté, né à Saint-Hubert (1766-1852). Il a même écrit le récit de son voyage, qui ne nous est malheureusement parvenu que sous une forme romancée, et il ramène sans doute, comme beaucoup de ses collègues, des antiquités : on relève celles-ci, probablement, parmi la centaine d’objets illustrés par ses soins dans la Description de l’Égypte. Nous le retrouvons par ailleurs, comme beaucoup de membres de la Commission des Sciences et des Arts, membre d’une loge maçonnique manifestement créée en Égypte, au nom évocateur de « Saint-Jean d’Écosse du Grand Sphinx ». Les artistes trouveront dans la Description de l’Égypte une source d’inspiration importante, mais d’autres volumes illustrés joueront un rôle au moins aussi important, comme le Voyage dans la Basse et la Haute Égypte de Dominique Vivant Denon.

L’Égypte des livres

Nul ouvrage ne semble avoir joué un plus grand rôle « pour faire aimer l’art égyptien » au XIXe siècle que le chef-d’œuvre de Vivant Denon, qui possède aussi l’insigne avantage sur la Description de l’Égypte d’être paru le premier (en 1802). Son succès se mesure aussi au nombre d’éditions et de traductions qu’il connaît. Vivant Denon inspire bel et bien les productions de la Manufacture de Sèvres, le Bourguignon suscite sans aucun doute des commandes officielles à Paris, et même à Londres. La conquête des arts décoratifs par Pharaon a commencé…

Fig. 2 – Frédéric-Auguste Bartholdi (1834-1904), Projet pour le Phare de Suez (1869). F. Vidal, Frédéric-Auguste Bartholdi (1834-1904). Par la main, par l’esprit, Montpellier, Les Créations du Pélican, 1994, p. 45.
Photo Chr. KempfFermer
Fig. 2 – Frédéric-Auguste Bartholdi (1834-1904), Projet pour le Phare de Suez (1869).

Il reste que les sources du XVIIIe siècle resteront assez longtemps en usage, comme L’Antiquité expliquée et représentée en figures de Dom Bernard de Montfaucon. Ainsi le Projet de monument commémoratif à élever à l’entrée du canal de l’isthme de Suez » de Faustin Glavany, un Turc chrétien, est manifestement inspiré par les planches de l’Entwurf einer historischen Architektur de l’architecte viennois Johan Bernhard Fischer von Erlach, paru à Vienne en 1721. Les inscriptions du modèle, empruntées à leur tour à l’étrange Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna (de 1499 !), sont remplacées par celles de l’abbé Félicien Daury, un égyptologue amateur belge (1839-1893). Ses textes comprennent des créations en « copte-hiéroglyphique » et en « ancien assyrien cunéiforme », qui toutes chantent les louanges du sultan Abdul Aziz et du vice-roi Ismaïl, patrons putatifs d’un monument qui doit consacrer « le souvenir de la construction du canal de Suez, [qui] favorise l’union plus intime de tous les membres de la famille humaine ». Rappelons ici que la Statue de la Liberté de Frédéric-Auguste Bartholdi (quand la sculpture se fait architecture…), finalement érigée à New York sur un socle « à la romaine », est une version revue et corrigée d’un Phare apportant lumière et Lumières sur base « à l’égyptienne » destiné à l’entrée du canal de Suez (fig. 02). Le jeune Frédéric-Auguste Bartholdi avait accompagné Jean-Léon Gérôme en Égypte en 1855-1856, à l’occasion du premier voyage de ce dernier sur les rives du Nil.

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    La Description de l’Égypte

    Fig. 3 – Chaise de la Salle à manger du château Moeland (Saint-Nicolas), aux armes d’Amédée de Schoutheete de Tervarent et de son épouse Emma de Munck (1877). Document communiqué par Philippe de Schoutheete de Tervarent, arrière-petit-fils d’Amédée. Le siège faisait partie d’une série de douze, proposé en vente en 1982, par la Galerie Laloux-Dessain, à l’occasion de la Foire des Antiquaires de Bruxelles.
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    Fig. 3 – Chaise de la Salle à manger du château Moeland (Saint-Nicolas), aux armes d’Amédée de Schoutheete de Tervarent et de son épouse Emma de Munck (1877).
    Fig. 3B – Détail du plafond de la « salle égyptienne » du Château Moeland, reproduisant le Zodiaque de Denderah. E. Warmenbol & P. Maclot, Tafelen met Isis en Osiris. De egyptiserende eetzaal van kasteel Moeland te Sint-Niklaas, M&L. Monumenten en Landschappen, 10/6, 1991, p. 56.
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    Fig. 3B – Détail du plafond de la « salle égyptienne » du Château Moeland, reproduisant le Zodiaque de Denderah.
    Fig. 3C – Poignée de porte de la « salle égyptienne » du Château Moeland. E. Warmenbol & P. Maclot, Tafelen met Isis en Osiris. De egyptiserende eetzaal van kasteel Moeland te Sint-Niklaas, M&L. Monumenten en Landschappen, 10/6, 1991, p. 55.
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    Fig. 3C – Poignée de porte de la « salle égyptienne » du Château Moeland.

    La grande œuvre semble bien avoir eu un impact artistique majeur, mais souvent tardif, sauf à Paris et dans le monde de Napoléon, de Malmaison à Sainte-Hélène. Une de ses mises en œuvre les plus spectaculaires, en province, ainsi, ne date pas d’avant 1877. Il s’agit de la décoration de la Salle à manger du château Mœland à Saint-Nicolas, en Flandre. Le commanditaire en est Amédée de Schoutheete de Tervarent (1835-1891), président de l’Académie d’Archéologie de Belgique en 1878. La Description de l’Égypte va servir de source unique pour les grands panneaux de stuc peint ornant la salle octogonale, ainsi que pour son extraordinaire plafond reproduisant, en couleur, le fameux zodiaque de Denderah. Le mobilier de la Salle à manger était également égyptisant (fig. 03). Peut-être qu’Amédée de Schoutheete s’était fait conseiller par Louis Delgeur (1819-1888), que nous retrouverons plus loin, non seulement l’un des « trois ou tout au plus quatre [Belges] qui se sont occupés d’hiéroglyphes », mais aussi le bibliothécaire bibliophile de l’Académie à l’époque. Le caractère assez exceptionnel de l’utilisation de la Description de l’Égypte en province ne devrait pas surprendre, puisque, sans doute, l’abbé Félicien Daury avait raison lorsqu’il notait que, à l’époque, quand il s’agissait d’égyptologie, « presque toujours les publications ne peuvent être acquises que par ceux qui n’ont pas la volonté de s’en servir. Ce sont d’immenses in-folio qui orneront une bibliothèque de luxe, mais qui ne pourront pas trouver place dans celle de l’étudiant ».

    Fig. 4 – Une des parois de la Salle à manger du château Bunneghem-Sloor, à Temse (1877).
    Photo Philippe Gossaert (Egypte forum Pr kmt)Fermer
    Fig. 4 – Une des parois de la Salle à manger du château Bunneghem-Sloor, à Temse (1877).

    Une autre Salle à manger, au château Bunneghem-Sloor à Temse, dans la région donc, en a manifestement été inspiré, puisqu’également aménagée en 1877. Tout comme celle de Saint-Nicolas, elle a failli disparaître dans le cadre de projets immobiliers douteux, mais à date bien plus récente. Il est clair qu’ici les tableaux et les hiéroglyphes du temple du jardin zoologique d’Anvers (voir plus loin) ont aussi servi de modèles (fig. 4 et fig. 5). Il est tout aussi clair qu’ils ont été fort librement interprétés par leur créateur, le peintre Auguste Sloor (1831-1912), qui les reproduit en ordre dispersé. La salle du château Bunneghem-Sloor a la forme d’un ovale allongé (un cartouche ?). Même les plus petits détails, comme les poignées de fenêtre en formes de scarabées, sont réalisés dans le style égyptien.

    Mentionnons encore une découverte récente, la Salle de musique de la Maison Nagels à Saint-Trond, édifice vraisemblablement construit par l’architecte Edmond Serrure (1832-1911) pour le notaire catholique Louis Nagels (aucune référence maçonnique, donc !). Nous ne connaissons pas le nom du stucateur (fig. 06), ni celui de l’auteur des magnifiques vitraux. L’un représente manifestement Sarah Bernhardt dans le rôle de Cléopâtre, d’après le tableau de Georges Clairin, réalisé en 1893 et largement diffusé sous forme de (photo)gravures, une autre figure un acteur mâle dans un rôle qui ne peut pas être celui de Marc Antoine, toujours en uniforme romain (fig. 07). Nous ne connaissons pas les raisons du choix du style égyptien pour cette Salle de Musique, mais Louis Nagels était le successeur de Constant Delgeur, l’oncle de son épouse, mais aussi l’oncle de… Louis Delgeur (décédé en 1888, toutefois). Sa fille, Madeleine Nagels aurait étudié « l’égyptologie » à Liège aux alentours de 1905, c’est-à-dire à une époque où Jean Capart y enseignait dans le cadre du cursus d’Histoire de l’Art et Archéologie.

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      Égyptomanie publique et privée

      Après le retour de l’armée d’Égypte, l’égyptomanie envahit bientôt les rues, à la faveur de commandes impériales, dont Paris sera la principale bénéficiaire. Quelques fontaines en témoignent encore aujourd’hui, dont la Fontaine du Fellah, rue de Sèvres, et la Fontaine de la Victoire, place du Châtelet, dont les sphinx sont une addition plus récente. Nos régions en conservent quelques-unes également, comme par exemple celles du Zandberg et de la Groentenmarkt à Gand. La première a la forme d’un obélisque couronné d’un globe sur lequel se perche l’aigle impérial ; elle date de 1810 et fut dessinée par Pierre de Broe, alors architecte de la Ville. La seconde se présente comme un môle de pylône ; elle date de 1812 et fut réalisée par Jean-Baptiste van de Cappelle, d’après un projet du même de Broe. Un autre obélisque figure sur la Grote Markt de Ronse (Renaix), l’aigle bicéphale qui le couronne appartenant aux armoiries de la Ville. Le projet de l’architecte gantois Buels date de 1813, mais n’est réalisé qu’en 1817-1819.

      Les départements récemment acquis suivent donc le mouvement, plus particulièrement à l’occasion des « Joyeuses Entrées » de Napoléon Bonaparte. Les préfectures d’Anvers (l’Hôtel de Ville) et de Bruxelles (une aile latérale du futur Palais royal) s’habillent ainsi « à l’égyptienne » pour la visite du nouvel Alexandre. Les œuvres d’art pharaonique, cependant, commencent à affluer, et les collections des musées de Leyde, Londres, Paris et Turin sont commencées, toutes sur bases de collections privées amassées à des fins spéculatives par les consuls-généraux de l’époque, tel Giovanni d’Anastasi, qui représentait la Suède-Norvège, dont la dernière collection passera en vente publique à Paris 1857, où nous retrouvons Antoine Schayes, conservateur du Musée royal d’Artilerie, d’Armures et d’Antiquités, parmi les acheteurs. Quant à Stephanos Tsitsinias alias Étienne Zizinia (1794-1868), qui représentait la Belgique à Alexandrie dès 1839, il était collectionneur, certes, mais nous ne savons pas ce qu’est devenu sa collection, au moins en partie restée en Égypte.

      La pyramide de Waterloo

      Fig. 7C – Georges Clairin, Portrait de Sarah Bernhardt (1893). Il s’agit évidemment du modèle du vitrail la représentant à Saint-Trond. Le tableau avait largement circulé sous forme de gravures. Il est actuellement au Museo Nacional de Bellas Artes de La Havane, Cuba.
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      Fig. 7C – Georges Clairin, Portrait de Sarah Bernhardt (1893). Il s’agit évidemment du modèle du vitrail la représentant à Saint-Trond.

      Le rêve égyptien restera avec Bonaparte jusqu’à la fin de son règne, voire jusqu’à la fin de sa vie (fig. 08). Ainsi, lors de son séjour sur l’île d’Elbe, il ira littéralement jusqu’à se baigner dans l’égyptomanie. La salle de bain de la villa di San Martino avait d’ailleurs la réputation d’être « fort jolie ». Comme nous l’apprend Louis-Étienne Saint-Denis, « elle était ornée de vues égyptiennes peintes à la fresque, on était comme dans un panorama : autour de soi, c’était les pyramides, le sphinx, des obélisques, des temples, [dont] les modèles avaient été pris dans le grand ouvrage d’Égypte ». La Description de l’Égypte, bien entendu… À Waterloo, cependant, une pyramide et non une butte, devait commémorer la victoire des… alliés. Ainsi un projet de pyramide est soumis le 21 juillet 1817 par Jean-Baptiste Vifquain, ingénieur. Il aurait été question d’une pyramide en briques, revêtue de pierres blanches, portant sur les flancs les noms des alliés victorieux. Elle aurait eu 41,5 mètres de côté à la base ; l’intérieur aurait été composé de deux cavités, l’une en forme de demi-sphère, l’autre en forme de demi-ellipsoïde. Nous sommes là dans la tradition des titanesques projets d’un Étienne-Louis Boullée, dont le Cénotaphe dans le genre égyptien date des années 1780, ou d’un Louis-Sylvestre Gasse, dont l’Élysée ou cimetière public, lui vaut le Grand Prix de Rome en 1799.

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        Si ce projet ne fut pas réalisé, la plaine de Waterloo reçut tout de même un monument égyptisant, le cénotaphe élevé en 1818 à la mémoire des officiers hanovriens. Il s’agit d’une espèce de môle de pylône, massif, portant sur chacune de ses faces des inscriptions commémoratives. Il symbolise avec d’autres, comment la fortune de Bonaparte a tourné « depuis le jour célèbre dans l’histoire, où le Nil consterné ploya sous [ses] efforts ». L’Égypte, d’abord « passion française », devient passion universelle.

        L’Égypte vue par Florent Mols et Jacob Jacobs

        Fig. 8C – Jean-Constantin Protain, Bonaparte accueilli à l’Institut d’Egypte, au Caire. Description de l’Egypte. Etat moderne, vol. I, pl. 55.
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        Fig. 8C – Jean-Constantin Protain, Bonaparte accueilli à l’Institut d’Egypte, au Caire.

        Le 16 ou le 17 décembre 1838, Charles Stier d’Aertselaer – leur mécène – et les peintres Florent Mols et Jacob Jacobs arrivent en Égypte, accostant à Alexandrie, venant de Constantinople. Ils en repartent le 27 avril 1839 et, de là, rejoignent la Grèce, séjournant quelques jours à Athènes. Contrairement à bien de leurs contemporains, artistes peintres et littérateurs, mais aussi amateurs en tout genre, aucun d’entre eux n’a publié un compte-rendu de ce voyage. Les magnifiques carnets de croquis de Jacob Jacobs (1812-1879) contiennent toutefois seize pages de dessins pris le long du Nil qui nous permettent de saisir les ambiances et couleurs de leur voyage (fig. 09). Son œuvre, celle d’un pionnier de l’orientalisme, est de très belle tenue. « Jacob Jacobs nous a rapporté de son voyage en Orient plusieurs souvenirs, lit-on dans la presse de l’époque. Ces toiles offrent toutes les qualités que nous avons déjà constatées dans cet artiste. Mais nous n’osons exprimer notre avis sur l’étrangeté de cette nature orientale, et nous ne pouvons la juger par conséquent ».

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          À l’époque du voyage de nos « premiers Belges », comme le note Eusèbe de Salle, professeur à l’École royale et spéciale des Langues orientales à Paris, en Égypte durant le même hiver, le temps de la grande aventure est en fait déjà bien révolu. On n’est jamais seul ! « Une douzaine de barques à pavillon anglais étaient réunies à Luxor ou Gourna quand nous en partîmes, note-t-il, c’était une petite capitale flottante ; on s’invitait, on faisait toilette, on se visitait sous des ombrelles, sous des parasols. Quelques almées (ou danseuses professionnelles) étaient accourues pour amuser ces Européens déjà fatigués par la chaleur et le voyage, et rassasiés d’antiquités ».

          Le Roman de la Momie

          Fig. 9C – Jacob Jacobs, Le khamsin, ou le vent chaud du désert (1859). E. Warmenbol, L’Egypte vue par Florent Mols et Jacob Jacobs. L’orientalisme en Belgique, Bruxelles, Racine, 2012, p. 66.
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          Fig. 9C – Jacob Jacobs, Le khamsin, ou le vent chaud du désert (1859).
          Fig. 10 – Léonce Legendre (1831-1893), Joseph rencontre son père Jacob à Gessen (cfr. Genèse XLVI, 29-32) (esquisse au fusain) (vers 1870 ?). Nombre de peintres d’histoire mettront en scène l’Égypte, mais la référence sera souvent la Bible, tout spécialement la Genèse et l’Exode. Avec nos remerciements à Constantin Pion, qui se fait l’archiviste des œuvres de Léonce Legendre toujours dans la famille. L’ancien directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Tournai est son arrière-grand-père.
          Photo C. Pion (FNRS, Université Libre de Bruxelles)Fermer
          Fig. 10 – Léonce Legendre (1831-1893), Joseph rencontre son père Jacob à Gessen (cfr. Genèse XLVI, 29-32) (esquisse au fusain) (vers 1870 ?).
          Fig. 10B – Adrien Guignet (1816-1854), Joseph expliquant les songes de Pharaon (1845). D. Hennebert (éd.), Egyptomanies depuis le XIXe siècle. Edouard et Cléopâtre, Bruxelles, Fondation Boghossian, 2012, p. 62.
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          Fig. 10B – Adrien Guignet (1816-1854), Joseph expliquant les songes de Pharaon (1845). D. Hennebert (éd.), Egyptomanies depuis le XIXe siècle. Edouard et Cléopâtre, Bruxelles, Fondation Boghossian, 2012, p. 62.

          Lourens Alma-Tadema (1836-1912), le plus renommé des « peintres d’histoire », arrive le 2 août 1852 à Anvers. Il a seize ans et veut apprendre à peindre. Il s’inscrit dès lors à l’Académie des Beaux-Arts de la Ville, d’excellente réputation, où il suit, dès l’hiver 1852, le cours de dessin d’« antiques ». Son premier tableau se référant à l’Égypte date de 1858-1859 : The Ill Father ou Mort du premier-né, de référence biblique. Le tableau, découpé ultérieurement par l’artiste, montre quelques détails intéressants. Les parures du petit prince, en effet, comme Maarten J. Raven l’a démontré, sont empruntées aux Manners and Customs of the ancient Egyptians de James Gardner Wilkinson, publié en 1837. Ni le Voyage de Basse et Haute Égypte, ni la Description de l’Égypte ne semblent inspirer Alma-Tadema. Les Manners and Customs, qu’il possédait peut-être, lui donnent toute la « couleur locale », ou du moins, de bons dessins au trait qu’il peut colorier à sa guise. Il n’en manque pas certes, de couleur, dans son Pastimes in Egypt, 3000 years ago de 1863. Il expose ces Égyptiens de la XVIIe dynastie au Salon triennal de la Société royale d’Encouragement des Beaux-Arts en 1864, où Le temple d’Hypêtre [sic] et l’île de Philae, sur le Nil en Nubie de Jacob Jacobs est également présenté. Le tableau le rendit célèbre, après que le Salon parisien de 1864 lui eut décerné une médaille d’or, et l’eut mis en contact avec Jean-Léon Gérôme, qui devient professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris cette année-là (fig. 10).

          Nul autre que le célèbre écrivain et critique d’art Théophile Gautier, qui avait fait paraître son Roman de la Momie en 1857, lui consacrera quelques lignes : « Maintenant faisons un saut de trois mille cinq cents ans en arrière avec M. Alma Tadéma – quel nom bizarre, significatif et prédestiné !, écrit-il dans le Moniteur Universel du 4 juin, pour regarder cet étonnant tableau […]. Le plus petit détail fournirait, au besoin, les preuves, si MM Mariette, de Rougé ou Longperrier les lui demandaient, que M Alma Tadéma a fait revivre les Égyptiens de la 17ème dynastie avec [une] fidélité scrupuleuse ». Il célèbre aussi la réussite d’une école de peinture, celle de l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers, dont les représentants brillent tous par leur métier, éblouissant.

          Jean Lecomte du Nouÿ (1842-1923), un élève de Gérôme, fera encore mieux avec Les Porteurs de Mauvaises Nouvelles (1871) et Ramsès dans son harem (1885), l’un et l’autre illustrant, précisément, Le Roman de la Momie de Théophile Gautier. Un critique du premier fera remarquer que « l’Orient n’est pas que d’eunuques endormis à la porte d’un sérail ; il y a les fauves. Tel ce Pharaon… ». L’Égypte et la violence. Succès assuré. Un critique du second s’extasiera devant cette « réunion de splendides beautés qui en forment la plus charmante parure ! », ajoutant que « ces femmes nues sont adorablement belles dans leurs diverses attitudes » (fig. 11). L’Égypte et le sexe. Succès garanti.

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            L’Égypte et les Expositions Universelles

            Fig. 11C – Aglaüs Bouvenne (1829-1903), Ex-libris de Théophile Gautier. Le motif égyptien est basé sur le pectoral de Khaemouaset, fils de Ramsès II, trouvé par Auguste Mariette au Serapeum de Saqqarah. Il a été illustré, entre autres, dans E. Prisse d’Avennes, Histoire de l’art égyptien d’après les monuments, Paris, 1878, une des sources majeures de l’égyptomanie.
            Photo E. Warmenbol.Fermer
            Fig. 11C – Aglaüs Bouvenne (1829-1903), Ex-libris de Théophile Gautier.

            Cependant, l’Égypte ne devient une destination touristique qu’après 1869, l’année de l’ouverture du canal de Suez. Jusqu’alors, les amateurs ne pouvaient guère vérifier l’image, souvent déformée, qui leur était offerte de l’Égypte. À l’occasion des Expositions Universelles du XIXe siècle, toutefois, un véritable souci didactique se manifeste. Il s’agit encore d’une description de l’Égypte, mais en trois dimensions, et accessible à tous. Un grand nombre d’objets « décoratifs » sont produits dans ce contexte…

            Fig. 12 – La première photo du temple égyptien du zoo d’Anvers (E. Fierlants, 1860).
            Photo FelixArchief, Stad Antwerpen.Fermer
            Fig. 12 – La première photo du temple égyptien du zoo d’Anvers (E. Fierlants, 1860).

            Owen Jones et Joseph Bonomi aménagent en 1854 une Egyptian Court sous la verrière du Crystal Place de Sydenham ; Auguste Mariette, le créateur du Service des Antiquités de l’Égypte, conçoit en 1867 un temple pour le Parc Égyptien de l’exposition de Paris. Les Expositions Universelles étalent la puissance et la dominance des colonisateurs occidentaux. Les jardins botaniques et zoologiques font de même, au moyen des mêmes architectures, habitées toutefois par d’autres figurants. Dans le cadre des Expositions, des villages entiers d’« Arabes » assurent la couleur locale ; dans les jardins zoologiques, les animaux font de même, placés dans des écrins qui évoquent leurs origines. Le temple égyptien du jardin zoologique d’Anvers, érigé en 1856 par l’architecte « maison » Charles Servais (1828-1892), pour y abriter les éléphants et les girafes, en est le plus ancien survivant. Les murs sont couverts de scènes et de hiéroglyphes imaginés par Louis Delgeur (encore lui), qui racontent, en égyptien dans le texte, l’acheminement des animaux d’Afrique (fig. 12) et l’inauguration de l’édifice par la famille royale, dont le futur Léopold II. L’Égypte comme civilisation africaine : un thème d’actualité ! Le temple égyptien du jardin zoologique de Berlin, créé en 1899 par Heinrich Kayser et Karl von Grossheim, destiné à héberger les autruches, en était directement inspiré. L’argument était le même : il fallait donner à ces animaux un cadre évoquant leurs origines. L’Égypte était bien la porte de l’Afrique ; une Afrique blanche. Une belle illustration en est la Fontaine Ponthier, place Albert à Marche-en-Famenne (fig. 13)…

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              Le «Panorama du Caire» d’Émile Wauters

              L’inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869, en présence de l’impératrice Eugénie, sera un des grands évènements mondains du XIXe siècle. Nous en conservons, entre autres, le compte-rendu rédigé par l’économiste Émile de Laveleye (1822-1892), professeur d’économie politique à l’Université de Liège, l’un des vingt-six Belges présents. « On dit qu’il y a quatre mille étrangers, écrit-il. Tout cela loge et dîne aux frais du Vice-Roi [Ismaïl]. On est ici dans le palais des mille et une nuits, c’est insensé, et quels hôtes ». Et encore : « nous sommes admirablement traités ici : tous les jours, champagne, Château-Laffitte, Chartreuse, voitures à volonté ». Il fait mention, parmi d’autres Belges, des peintres Jean-François Portaels, représentant la Classe des Beaux-Arts de l’Académie royale de Belgique, et Émile Wauters, qui est un de ses élèves, ne représentant personne, mais ainsi récompensé pour ses premiers succès.

              Fig. 12C – Le revêtement du sol du temple égyptien, signé Emile Thielens (1893). E. Warmenbol, Le lotus et l’oignon. Egyptologie et égyptomanie en Belgique au XIXe siècle, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2012, Fig. 10/14.
              Photo G. Charlier.Fermer
              Fig. 12C – Le revêtement du sol du temple égyptien, signé Emile Thielens (1893).

              Émile Wauters (1846-1933) réalisera suite à un second voyage en Égypte, au printemps 1880, son extraordinaire « Panorama du Caire » (114 x 14 m), exposé une première fois à Bruxelles dès l’été 1881, et une dernière fois à partir de 1897, dans la rotonde qui deviendra, en 1978, au détriment de l’œuvre, la Grande Mosquée de Bruxelles. L’immense toile évoquait dans un éblouissement de lumière l’arrivée du Kronprinz Rudolf au Caire sur les rives du Nil (au Palais de Kasr en-Nusha) (fig. 14), invité par le vice-roi Tewfik, avec dans ses bagages non pas notre compatriote, mais un peintre autrichien, Franz Xaver von Pausinger. Comme le note Lucien Solvay, « Le Panorama du Caire » et, avant et après, les études et les tableaux ou revivent les radieux paysages du Nil suffiraient à la gloire d’un peintre, d’un peintre de la lumière, qui aurait accueilli […] ce que le mouvement des novateurs les plus déterminés avait apporté de progrès dans la sensibilité de la vision moderne ».

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                L’Égypte moderne

                Fig. 13C – La pyramide au cimetière de Robermont, près de Liège (1876).
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                Fig. 13C – La pyramide au cimetière de Robermont, près de Liège (1876).
                Fig. 14 – Émile Wauters (1846-1933), Le Panorama du Caire, détail — l’arrivée du Kronprinz Rudolf sur les bords du Nil, précédé de deux saïs ou palefreniers avant-coureurs (1880-1881). D’après Oriëntalisten en Afrikanisten in de Belgische Kunst 19de en 20ste eeuw,, Brussel, Gemeentekrediet, p. 209.
                Photo Institut royal du Patrimoine artistique.Fermer
                Fig. 14 – Émile Wauters (1846-1933), Le Panorama du Caire, détail — l’arrivée du Kronprinz Rudolf sur les bords du Nil, précédé de deux saïs ou palefreniers avant-coureurs (1880-1881).

                Tout édifice est susceptible d’être réalisé « dans le style égyptien », tant l’Égypte pharaonique est considérée comme la patrie des premiers architectes. Le « Projet d’un pont suspendu sur l’Escaut entre Anvers et la Tête de Flandre » des ingénieurs des ponts et chaussées Jacques Arnould et Oscar Gérardot de Sermoise, soumis en décembre 1865 au département des travaux publics, et en août 1869 au Collège de la Ville d’Anvers, n’en reste pas moins étonnant par sa taille et ses détails… pharaoniques (fig. 15). Nous ne savons pas pourquoi le projet, qui concernait le centre de la Métropole, n’a pas été réalisé, mais comme celui du pont suspendu sur la Néva à Saint-Pétersbourg, le choix du style égyptien pour l’architecture comme les éléments décoratifs du pont n’a pas dû faire problème. Sphinx et colosses devaient ponctuer le passage des utilisateurs du pont sous les môles porteurs des câbles. Il n’est pas exclu que la Clifton Suspension Bridge d’Isambard Kingdom Brunel ait été le modèle du projet anversois, d’autant que les travaux de 1836-1840 à ce pont-là, avaient repris en 1861-1864, la réputation de Brunel dépassant les frontières du Royaume-Uni. On notera que la construction de ponts sera une des contributions majeures de la Belgique à l’industrialisation de l’Égypte, le pont tournant d’Embabeh, au Caire, étant le plus connu de ceux-ci. Mentionnons ici, certes quelque-peu hors propos, un petit édicule dans la tradition de l’égyptomanie napoléonienne, élevé en 1826 dans le jardin botanique de la Société royale d’Horticulture des Pays-Bas, à Bruxelles. En forme de môle de pylône, sur la façade duquel apparaît un cadran solaire, il abritait la machine à vapeur destinée à faire monter les eaux de la Senne, dérivée dans un grand étang, vers les parties supérieures du jardin (fig. 16). Il faisait peut-être partie des projets, réalisés en les simplifiant par un autre architecte, de l’architecte du roi Tilman-François Suys. Les premiers grands travaux autour de la gare du Nord en auraient eu raison dès 1841.

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                  À la recherche des origines

                  Plusieurs personnages importants de l’Expédition d’Égypte, tant militaires que civils, étaient francs-maçons : l’intérêt que les loges maçonniques portaient à l’Égypte depuis un siècle en serait un facteur constitutif. Depuis le Sethos de l’abbé Terrasson (1731), qui trouve un écho dans le Crata Repoa de Karl-Friedrich Von Köppen (1770), créateur du Rite des Architectes Africains (à Berlin, en 1767), mais aussi dans les écrits de Giuseppe Balsamo, dit Cagliostro, fondateur du Rite de la Haute Maçonnerie Égyptienne (à Lyon, en 1784), l’Égypte passe pour la terre d’origine des francs-maçons. Que Gaspard Monge et Jean-Joseph Fourier aient été enterrés sous des monuments « à l’égyptienne » au cimetière du Père Lachaise à Paris, a autant de rapport avec leur travail dans le cadre de la Commission des Sciences et des Arts de l’Expédition, qu’avec leur appartenance aux loges maçonniques, dès l’Ancien Régime…

                  Les temples maçonniques eux-mêmes seront souvent construits en style pharaonique, en France et en Belgique, mais aussi en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Et les décors maçonniques, dans tous les sens du terme, prennent volontiers des accents « à l’égyptienne », des bijoux aux tabliers. Parmi les plus belles loges égyptisantes, nous pouvons compter celles des « Amis Philanthropes » (1877-1879) et des « Vrais Amis de l’Union et du Progrès Réunis » (1910) de Bruxelles. Le désir de faire le Beau par amour pour le Beau lui-même est fort présent dans la franc-maçonnerie du XIXe siècle, pour laquelle le Beau est manifestement l’expression matérielle du Bien qu’elle poursuit avec tant d’assiduité.

                  « Dans l’hypothèse de la maçonnerie procédant du corps de métier, affirmait-on, le premier idéal des francs-maçons a dû être placé dans l’art plutôt que dans aucun autre domaine de l’intelligence ».

                  « Des hommes s’unissant dans un dessein de perfection, continuait-on, avec la volonté de comprendre l’être humain complètement, ne pouvaient donc pas être inattentifs au rôle nécessaire des beaux-arts, des belles-lettres, du beau langage, de toutes les élégances de l’esprit ».

                  Fig. 15C – Clifton Suspension Bridge, sur l’Avon, conçu par Isambard Kingdom Brunel (1836-1864).
                  Photo www.flintneill.com/clifton-suspension-bridgeFermer
                  Fig. 15C – Clifton Suspension Bridge, sur l’Avon, conçu par Isambard Kingdom Brunel (1836-1864).

                  La beauté de l’art ainsi que celle de l’architecture de l’Égypte ancienne expriment par excellence les idéaux maçonniques du XIXe siècle. Nous soulignerons en passant que certains des stucs décorant ces loges belges proviendraient du même atelier que ceux de la salle à manger « à l’égyptienne » du Château Mœland de Saint-Nicolas, mentionné plus haut. La démesure de la copie polychrome du zodiaque de Denderah qui la coiffe, mesurant neuf mètres sur neuf, ne fait que reproduire celle de la planche de la Description de l’Égypte qui lui a servi de modèle, un chef-d’œuvre de l’imprimerie qui fait 113,4 x 81 cm (fig. 17). Ne fait pas de l’égyptologie, ni de l’égyptomanie, qui veut.

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                    Anvers achète la collection Allemant

                    La Ville d’Anvers vote le 13 septembre 1879 l’acquisition d’une collection d’objets égyptiens rassemblée par l’antiquaire français Eugène Allemant (1837-après 1885). L’achat de la collection par les autorités communales anversoises est un événement dans l’histoire de l’égyptologie de notre pays, puisque jamais auparavant une collection d’antiquités égyptiennes n’avait fait l’objet d’un investissement public. « Notre génération, à l’époque de son passage sur les bancs du Collège, n’a rien appris des anciennes annales de l’Égypte », écrit Arthur Gœmaere, professeur à l’Académie, en 1878, « la génération assise aujourd’hui sur ces mêmes bancs commence à recevoir quelques notions établies sur des bases sérieuses, positives […]. Dans cet ordre d’idées, nous croyons être l’organe des hommes compétents à Anvers pour exprimer le regret que notre ville ne possède aucune collection analogue à celle que M. Allemant […] est parvenu à se former pour lui même. Bruxelles a des antiquités égyptiennes » – il s’agit des donations Gustave Hagemans et Émile de Meester de Ravestein – « mais la collection de M. Allemant a le mérite […] de former un tout assez complet, véritable noyau d’un Musée […]. Il serait digne d’Anvers de commencer un jour ou l’autre une collection d’antiquités en rapport avec le travail scientifique et artistique qui se poursuit en Orient et qui est destiné à avoir de si grandes conséquences dans le domaine de l’enseignement ».

                    Fig. 16C – "Close-up" de l’édicule du Jardin botanique (daté du 22 août 1829).
                    Photo Document communiqué par D. Diagre-Vanderpelen (assistant au Jardin botanique national de Belgique).Fermer
                    Fig. 16C - "Close-up" de l’édicule du Jardin botanique (daté du 22 août 1829).

                    « Lorsqu’une occasion se présente à une ville telle Anvers d’acquérir à des conditions favorables une collection de grande valeur », argumente le conseiller communal Arthur Van den Nest – en paraphrasant Arthur Gœmaere –, « il serait regrettable de la laisser échapper. Cette collection ne manquera pas d’être utile à l’Académie et lorsque certains peintres voudront exercer le métier d’Alma Tadema, il leur conviendra assurément de trouver au musée les modèles originaux ». La Ville finira par consentir à l’achat, dont le prétexte sera l’éducation, des artistes d’abord, des citoyens ensuite. Arthur Van den Nest était comme Arthur Gœmaere membre de la loge Les Amis du Commerce et La Persévérance Réunis, et nous nous imaginons aisément les conversations qu’ils ont pu avoir au pied des tableaux à l’égyptienne de leur atelier de la rue de Mai (fig. 18). L’égyptomanie pratiquée dans les loges anversoises se trouve ainsi mise « à l’épreuve de l’archéologie » par les francs-maçons eux-mêmes, tant il est limpide que sans les interventions multiples de ces derniers, profondément intéressés par l’Égypte, Eugène Allemant aurait dû aller chercher ailleurs son bonheur.

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                      De l’égyptomanie à l’égyptologie et retour

                      Fig. 17C – Le Grand Temple des ‘Vrais Amis de l’Union et du Progrès’, rue de Laeken à Bruxelles (1910), vue d’ensemble. J.-J. Hoebanx, Des loges dan s la cité, in A. Despy-Meyer (dir.), Bruxelles. Les Francs-maçons dans la cité, Bruxelles, Marot, 2000, p. 23, ill. 10.
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                      Fig. 17C – Le Grand Temple des ‘Vrais Amis de l’Union et du Progrès’, rue de Laeken à Bruxelles (1910), vue d’ensemble.

                      La ville de Paris possède depuis vingt ans (déjà !) une nouvelle pyramide de verre, qui forme l’entrée principale du Musée du Louvre (1989). L’architecte Ieoh Ming Pei réalise avec elle l’antithèse du modèle égyptienne. Mieux : il nie avoir été inspiré du tout par ce modèle. Lorsque l’égyptologie s’en va, toutefois, l’égyptomanie revient au galop : nous ne doutons pas un instant que les visiteurs pensent à l’Égypte en voyant cette pyramide. D’autant qu’elle forme le répondant de l’obélisque de la place de la Concorde, récemment pourvu d’un nouveau pyramidion doré : égyptologie ou égyptomanie ? L’Égypte semble être partout… L’égyptologue est constamment sollicité par l’égyptomanie. Comme ce dimanche d’été au marché aux puces de la place du Jeu de Balle à Bruxelles, où nous trouvons des carreaux en faïence polychrome Art Nouveau figurant vraisemblablement Cléopâtre, ou Sarah Bernhardt, ou les deux, rencontrés précédemment comme ornement de façade de petites maisons ouvrières, à Anvers (Marnixstraat, 45) et à Nivelles (Rue al’Gaille, 3). Nous les avons acquis, bien sûr (fig. 19), d’autant qu’ils proviennent manifestement ni de l’une, ni de l’autre, toujours debout.

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                        L’égyptologue est par ailleurs parfois confronté à de faux amis. Comme la rue du Méridien 27, à Saint-Josse-ten-Noode, que nous a fait découvrir notre éditeur Robert Timperman, un vrai ami, celui-là. La façade du bâtiment se trouve timbrée de disques ailés, dont le plus en vue (fig. 20) a comme modèle un disque assyrien illustré par Eugène Goblet d’Alviella en 1888. L’édifice semble avoir connu deux phases de construction, d’après les deux permis sollicités par son propriétaire, l’une datée des environs de 1887, l’autre des environs de 1904, le décor appartenant donc à la première phase. Le propriétaire est l’artiste-peintre Jules-Émile Six-Erambert, apparemment architecte à ses heures. Nous ne savons absolument rien de lui. Notre étude est loin d’être achevée…

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