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Art funéraire - - - Thomas Vermeulen La mort des humbles en Égypte ancienne Présentation des pratiques funéraires de la population égyptienne du Nouvel Empire
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Reporticle : 187 Version : 1 Rédaction : 01/06/2016 Publication : 10/11/2016

Introduction

« Parachève ta demeure de la nécropole. Rends parfaite ta place de l’occident » (1)

Ce passage célèbre de l’enseignement d’Hordjedef résume en quelques mots l’idéal de tout Égyptien : assurer son existence dans l’au-delà par la construction et l’équipement d’une demeure d’éternité. La mort et surtout la renaissance occupent une place importante dans la culture pharaonique. Tout au long de leur histoire, les Égyptiens ne vont cesser de développer leur vision de l’au-delà. Au Nouvel Empire (ca. 1550-1070 av. J.-C.), la littérature funéraire est riche de recommandations diverses portant sur la survie et la renaissance du défunt. Elle décrit les épreuves et les dangers à affronter lors du parcours dans le monde des morts et fournit de nombreuses formules de protection. On y trouve également diverses instructions sur la composition du mobilier funéraire et sur les rituels funéraires à pratiquer. La mort est perçue comme un voyage périlleux qu’il est nécessaire de préparer de son vivant avec minutie.

Selon les croyances, la survie de l’être dépend de la sauvegarde de l’intégrité physique du corps et du bon déroulement des rituels funéraires, destinés à favoriser l’éveil du mort. Il est également nécessaire d’entourer le défunt de divers objets qui pourvoiront à ses besoins et assureront sa protection dans l’au-delà. Enfin, il est important de commémorer régulièrement le mort en lui fournissant des offrandes alimentaires. Dès lors, la tombe est un élément crucial pour la survie du défunt puisqu’elle concentre, en un lieu unique, l’ensemble des actions qu’il est nécessaire d’accomplir.

Cependant, la réalisation de la tombe idéale constitue un investissement économique considérable que seule une minorité de la population égyptienne a la possibilité de s’offrir. Cette élite de la société, qui se compose du roi, de la famille royale et des hauts dignitaires du pays, est à la tête des institutions civiles, religieuses et militaires du pays (2). Ils exercent une mainmise sur les ressources et les moyens de production du pays qui leur permet d’user d’importants moyens pour la construction de leur tombe. La majorité de la population ne possède pas (ou très peu) de pouvoir politique et dispose donc de moyens beaucoup plus limités. Par conséquent, les assemblages funéraires de la population n’ont généralement pas la possibilité de répondre à l’ensemble des recommandations exprimées dans la littérature funéraire. Dans le cadre de ce reporticle, nous allons présenter les adaptations des pratiques funéraires auxquelles ont dû se résoudre la population égyptienne. Elles seront abordées autour de trois points : les types de tombe, le traitement et la protection du corps et enfin, le mobilier de la tombe. Nous tenterons d’analyser ce qu’impliquent les choix opérés par les différents groupes sociaux au niveau des pratiques funéraires et sur leur perception de l’au-delà. Nous avons choisi de limiter le cadre de cette présentation au Nouvel Empire, une période particulièrement florissante de la civilisation égyptienne qui a livré d’abondantes sources textuelles et archéologiques sur la société.

Les types de tombes

Fig. 1 – Plan d’une tombe–type Nouvel Empire de Deir el–Médineh, composée d’une chapelle de culte avec sa cour à pylône et de deux chambres souterraines, d’après Mc Dowell (Andrea G.), Village Life in Ancient Egypt. Laundry Lists and Love Songs, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 14, fig. 4.
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Fig. 1 – Plan d’une tombe–type Nouvel Empire de Deir el–Médineh.

La demeure d’éternité idéale se compose de deux parties distinctes. La première est une substructure constituée d’une ou plusieurs chambres souterraines auxquelles on accède par un puits ou une descenderie. On y entreposait la dépouille du défunt en compagnie de son mobilier funéraire. Après les funérailles, cette partie de la tombe était scellée afin de la rendre inaccessible aux vivants. La seconde partie est une superstructure qui sert de lieu de culte (fig. 01). Celle-ci adopte des formes et des dimensions différentes en fonction de l’époque, du statut du défunt, ou encore de ses goûts artistiques. On peut toutefois distinguer deux grands types de chapelles funéraires : celles qui sont entièrement construites (en briques crues ou en blocs de pierre calcaire) et celles qui sont creusées à flanc de colline. Plusieurs éléments architecturaux liés directement au culte du défunt prennent généralement place à l’intérieur de cette chapelle : une stèle « fausse porte » qui permet au défunt de passer du monde des morts à celui des vivants, une stèle funéraire, une statue de culte et une table d’offrandes. Les parois de la chapelle sont généralement décorées de scènes symboliques qui reproduisent un au-delà idéal pour le défunt. En effet, le caractère performatif des représentations et des textes permettent au défunt de vivre une destinée posthume parfaite, telle qu’elle est représentée. De même, les scènes d’offrandes et de culte du défunt peuvent se substituer au culte véritable et garantir l’indispensable approvisionnement d’offrandes funéraires en cas d’abandon du culte par la famille ou les prêtres funéraires. Les thèmes employés sont nombreux et varient, à nouveau, en fonction des époques et des choix opérés. Le plus souvent, le défunt est représenté, en compagnie de sa famille, dans des scènes de la vie quotidienne et professionnelle. On trouve aussi régulièrement des représentations des funérailles et du banquet funéraire, des représentations de divinités et du monde des morts (3).

Ce type de construction nécessite non seulement d’importants moyens économiques mais aussi une influence sociale suffisamment importante pour recruter de la main-d’œuvre spécialisée (carriers, sculpteurs, dessinateurs) rare et très sollicitée. Outre sa fonction funéraire, disposer d’un tombeau inscrit durablement dans le paysage de la nécropole participe également au prestige de son commanditaire et de sa famille. Par conséquent, la tombe doit également correspondre aux prétentions sociales des individus.

Pourtant, relativement peu d’individus parviennent à concrétiser pleinement ce projet. Nombreux sont ceux qui décèdent avant la fin des travaux, laissant la tombe inachevée. Beaucoup d’autres ne disposent pas de chapelle funéraire et se limitent à la construction de la substructure. Dans certains cas, le culte du mort peut avoir lieu dans une chapelle voisine, appartenant à un membre plus important de la famille, ou à un patron. Dans d’autres cas, des structures légères sont construites à proximité du puits d’accès de la chambre funéraire et accueillent une stèle funéraire, une table d’offrande, ou encore une statue de culte.

Fig. 2 – Plan du secteur A du cimetière nord de Dra Abou el–Naga (Thèbes), d’après POLZ (Daniel), Der beginn des Neuen Reiches: Zur Vorgeschichte einer Zeitenwende, DAIK 31, Berlin, Walter de Gruyter, 2007, p. 233, fig. 57.
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Fig. 2 – Plan du secteur A du cimetière nord de Dra Abou el–Naga (Thèbes).

Les fouilles menées par l’Institut archéologique allemand dans la partie nord du cimetière de Dra Abou el-Naga à Thèbes (Louxor) ont permis de mettre en avant un exemple de ce type d’agencement. Daté du tout début du Nouvel Empire, ce cimetière se compose de plusieurs chapelles en briques crues enfermées dans une petite cour à laquelle on accède par un petit pylône (fig. 02). Au milieu de la cour, dans l’axe de la chapelle, prend place le puits conduisant aux appartements funéraires. Tout autour des chapelles se répartissent plusieurs tombes secondaires pour lesquelles aucune trace de superstructure n’a été détectée. Cependant, dans le cas de la chapelle K 91.3, des vestiges de structures miniatures (en rouge sur la fig. 2) sont accolés au pylône d’accès de la cour et devaient probablement servir de lieu de culte pour une ou plusieurs tombes secondaires environnantes (4). Il est difficile de connaître avec précision le statut social des occupants de ces tombes largement détruites et pillées. Certaines d’entre elles ont toutefois échappé à la destruction et donnent de précieuses indications sur les pratiques funéraires de la population thébaine au tout début du Nouvel Empire. Si dans certains cas, les tombes n’ont révélé les traces que d’un seul enterrement, dans d’autres cas, elles pouvaient contenir entre 20 et 25 sépultures. Les vestiges de mobilier funéraire révèlent également une grande disparité de richesse parmi ces défunts. En effet, certains individus étaient enterrés dans des cercueils anthropoïdes peints de bonne qualité, en compagnie de beaux récipients en pierre ou de vases canopes dont les bouchons prennent la forme d’une tête humaine. D’autres individus beaucoup plus pauvres devaient partager le même cercueil de qualité inférieure et ne disposaient que de quelques récipients en céramique comme équipement funéraire. Enfin, le traitement funéraire des enfants était encore plus sommaire puisqu’ils étaient simplement enterrés dans une natte ou un linceul de lin. L’ensemble des éléments architecturaux et matériels découverts laisse donc envisager que le cimetière de Dra Abou el-Naga ait pu accueillir une grande diversité de groupes sociaux (5). Autour de la tombe d’un personnage important disposant d’une chapelle funéraire venaient vraisemblablement se joindre celles de sa famille et de relations plus pauvres appartenant à son réseau de clients. De cette façon, les relations sociales développées au cours de l’existence autour d’un chef de famille perduraient par-delà la mort.

Certains individus n’appartenant pas à l’élite mais travaillant étroitement avec celle-ci, ou les institutions de l’état, ont la possibilité dans certains cas de construire leurs propres monuments funéraires. C’est notamment le cas des habitants du village de Deir el-Médineh à Thèbes qui a abrité les artisans chargés du creusement et de la décoration des tombes royales au Nouvel Empire. En raison de l’importance de son travail, cette main-d’œuvre spécialisée bénéficie de la protection du pouvoir royal et de nombreux privilèges sont accordés. Ainsi, ces artisans jouissent de conditions salariales très avantageuses qu’ils complètent davantage par la vente privée d’objets funéraires fabriqués en dehors de leur travail. Grâce à leur fonction officielle, ils ont accès aux outils, aux matériaux de construction et aux pigments de couleurs conservés dans les magasins d’état pour leur propre usage. Même si certains artisans avaient la capacité de travailler eux-mêmes à la construction de leur tombe, on constate qu’elle a pu nécessiter l’intervention d’autres membres de la communauté, suivant un arrangement ou par détournement de main-d’œuvre par les personnages influents de l’équipe. Il n’est donc guère étonnant que les membres les plus influents de cette communauté disposent de petites tombes dont les parois des chambres souterraines sont richement décorées (6).

Fig. 3 – Plan des superstructures des tombes de Paser et de Raia (en rouge), d’après MARTIN (Geoffrey T.), The Hidden Tombs of Memphis. New Discoveries from the Time of Tutankhamun and Ramesses the Great, Londres, Thames and Hudson, 1991, p. 120, fig. 179.
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Fig. 3 – Plan des superstructures des tombes de Paser et de Raia (en rouge).

Notre connaissance détaillée du fonctionnement quotidien de Deir el-Médineh et des conditions de vie de ses habitants est un cas exceptionnel dans la documentation de l’Égypte ancienne. Il est évident que tous les travailleurs spécialisés de l’Égypte ne bénéficiaient pas de conditions de vie identiques. Cependant, il est clair que certains individus n’appartenant pas à l’élite ont la capacité de bâtir une tombe grâce à la combinaison de moyens divers à leur disposition : patrimoine personnel, relation de patronage, utilisation du réseau professionnel à des fins privées, corruption... À Saqqara, la mission de Leyden met au jour depuis plusieurs décennies, de nombreuses tombes datées entre la fin de la XVIIIe dynastie et la période ramesside. À proximité immédiate des fastueuses tombes de hauts personnages de l’état bien connus comme celle du général Horemheb ou celle du trésorier Maya, se dressent plusieurs petites chapelles appartenant à des individus occupant une ou plusieurs fonctions mineures dans les institutions égyptiennes. Parmi ces dernières, citons en exemple la tombe du « chef des musiciens du temple de Ptah » Raia (fig. 03). La chapelle funéraire est si petite qu’elle ne permet qu’à une seule personne de s’y tenir debout. Elle témoigne des moyens assez limités de son commanditaire. Comme à Dra Abou el-Naga, les chambres funéraires sont accessibles via un puits creusé dans l’axe de la porte de la chapelle. Une particularité tout à faite intéressante de la tombe de Raia est qu’elle est adossée contre le mur de cour d’une tombe contemporaine, appartenant au « contremaître des maçons » Paser. Ce dernier est issu d’une famille memphite bien connue occupant des fonctions diverses dans les institutions. Il est dès lors possible que Raia ait un lien de parenté ou de clientélisme avec Paser et que la construction de la tombe de Raia ait été réalisée avec le soutien de Paser (7).

Fig. 4 – Schéma de la tombe C37 avec localisation des différentes inhumations, d’ après CARNARVON (Georges, Earl of) et CARTER (Howard), Five years' explorations at Thebes: a record of work done 1907–1911, Londres, Oxford University Press, 1912, pl. 55.
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Fig. 4 – Schéma de la tombe C37 avec localisation des différentes inhumations.

Néanmoins pour la majorité des Égyptiens de condition modeste, disposer d’une simple chambre souterraine, même sans chapelle funéraire, est déjà une chose impossible. Dès lors, certains individus choisissent de se faire inhumer dans les ruines de structures abandonnées. À Saqqara par exemple, les temples de pyramide de l’Ancien Empire, abandonnés et en grande partie ensablés au Nouvel Empire, ont servi de lieu d’inhumation pour des centaines d’individus pauvres. Ces lieux empreints de sacralité étaient certainement perçus comme de puissantes protections par ceux qui n’avaient pas l’opportunité d’investir dans des funérailles élaborées. Les tombes font aussi régulièrement l’objet de spoliations ou de récupération en Égypte ancienne. Elles peuvent alors accueillir une quantité importante de sépultures pauvres jusqu’à la saturation complète de l’espace disponible. Un tel exemple de tombe collective particulièrement bien conservée a été découvert à Thèbes par H. Carter et Lord Carnarvon. Il s’agit d’une grande tombe à portique construite à la fin du Moyen Empire par un haut dignitaire dont l’identité ne nous est pas parvenue. Pillée et abandonnée après un certain temps, elle fut réutilisée au début du Nouvel Empire pour l’enterrement d’un peu plus d’une soixantaine d’individus d’âge et sexe confondus. Les cercueils ont été disposés de manière anarchique dans les différentes pièces de la tombe, certains posés les uns au-dessus des autres (fig. 04) (8). Il est difficile de déterminer si la réoccupation d’anciens monuments ou de tombes s’organise en accord avec les autorités ou simplement de manière opportuniste. On dispose de deux témoignages attestant d’une intervention royale dans la régulation des espaces funéraires. Le premier est la stèle du roi Neferhotep (XIIIe dynastie) découverte dans le cimetière nord d’Abydos et qui redéfinit la limite entre l’espace sacré et inviolable consacré à la royauté et un espace dans lequel la construction de tombes privées est autorisée (9). On sait également qu’à la fin de la XVIIIe dynastie, l’administration d’Horemheb procède à la réattribution des anciennes tombes de la nécropole de Deir el-Médineh aux familles du village (10). Néanmoins, ces deux exemples relèvent de situations qui rencontrent les intérêts du pouvoir royal. Il est possible que l’état soit plus permissif sur la réoccupation de sites qui ne présentent plus d’intérêt à ses yeux.

Toutefois, la plupart des individus sont enterrés dans de simples fosses, dans les plaines désertiques bordant les établissements urbains et ruraux. Ce type d’inhumation est loin de présenter des conditions de conservation idéales puisqu’il met directement en contact le corps et le mobilier funéraire avec le sol. Les matières organiques sont généralement très abîmées par l’humidité qui s’infiltre dans le sol lors des rares précipitations que connait l’Égypte. Parfois, les fosses disposent de quelques aménagements : une cavité peut être aménagée dans le sol pour isoler le corps du poids de la terre de remblai, ou un coffrage de briques est construit tout autour du corps. Leur présence est généralement signalée en surface à l’aide d’un amas de pierre ou d’une grande pierre dressée. Certaines tombes disposent de petites stèles funéraires de piètre qualité. Quoiqu’il en soit, ce type de tombe a une durée de vie relativement courte et disparaît rapidement sous l’effet de l’érosion. Leur faible élaboration en fait également une cible facile pour les pilleurs de tombes qui ne sont guère découragés par la pauvreté de leur contenu. La fouille récente du cimetière des tombes sud à Amarna a permis de souligner la violence avec laquelle sont commis ces actes de profannation. Probablement intéressés par les très rares objets en métal ou en pierres précieuses, les pilleurs n’hésitent pas à extraire les cadavres de leur tombe pour les démembrer afin de faciliter le vol. Une analyse archéologique minutieuse du cimetière a en outre permis de constater que ces actions ont eu lieu alors que le cimetière était toujours en activité (11). Pour la majorité des Égyptiens, la mort n’est donc pas (ou très peu) préparée. Bien que certains individus laissent très certainement des instructions à leur famille, l’organisation des funérailles repose donc pleinement sur les proches et se déroulent très rapidement après le décès.

Le traitement et la protection du corps

De nombreux textes funéraires insistent sur l’importance de sauvegarder l’intégrité physique du mort. Selon les croyances égyptiennes, le corps continue d’abriter après la mort deux composants spirituels de l’être : le ka et le ba. Il est donc primordial d’empêcher la décomposition grâce au processus de momification et de conserver la momie dans un espace bien sécurisé. Particulièrement bien développée au Nouvel Empire, la momification est un procédé ritualisé particulièrement long et complexe, pratiqué par des prêtres embaumeurs. Le traitement d’une durée idéale de soixante-dix jours consiste à assécher le corps à l’aide d’onguents, de résines, d’huiles, de natron, et à prélever les principaux organes pour les conserver à part, dans les vases canopes. Le corps est ensuite enveloppé d’une abondante couche de bandelettes de lin fin qui donne à la momie son aspect caractéristique (12).

Ce traitement extrêmement coûteux n’est pratiqué que pour les membres de la famille royale et quelques hauts dignitaires. Pour la majorité de la population, le traitement est beaucoup plus sommaire et ne permet souvent guère la conservation des tissus musculaires. Il est toutefois difficile de décrire en détail les différentes alternatives de traitements existants. D’une part, on ne dispose que de très peu de sources qui documentent les procédés de momification et elles sont toutes postérieures au Nouvel Empire. D’autre part, les corps des individus modestes sont généralement trop dégradés en raison d’un traitement trop superficiel et des mauvaises conditions d’inhumation évoquées ci-dessus. Toutefois, les corps découverts dans les tombes du cimetière est de Deir el-Médineh ont bénéficié d’excellentes conditions de conservation. Datés du début du Nouvel Empire, ils donnent un aperçu du traitement appliqué pour une partie de la population de statut modeste. L’analyse des momies n’a révélé aucune trace d’éviscération et de traitement interne des corps à l’aide de baumes ou de natron. Des traces de divers corps gras et de natron attestent toutefois d’une préparation externe qui a permis de conserver partiellement l’épiderme mais guère de tissus musculaires. Les couches de bandelettes et les linceuls couvrant les corps ne proviennent pas de textiles neufs mais sont faits à partir de vieux draps et linges. Parfois, des vêtements complets sont pliés et insérés entre deux couches de bandelettes pour donner à l’ensemble l’image d’une momie bien rembourrée. L’ensemble est conçu de manière assez maladroite, ce qui montre que le travail n’a pas été réalisé par des embaumeurs professionnels mais probablement par des proches des défunts (13). Notons que plusieurs ostraca d’époque ramesside provenant de Deir el-Médineh indiquent comme motif d’absence du chantier de la tombe royale le fait que les ouvriers doivent s’occuper de la préparation du corps d’un membre décédé de leur famille (14). Il est probable que cette gestion familiale de la préparation du mort soit la norme dans la plupart des foyers égyptiens. Quoi qu’il en soit, le temps nécessaire pour ce type de traitement est sans aucun doute beaucoup plus court que les soixante-dix jours recommandés et les funérailles suivent de près le décès. Il est probable que des traitements encore plus sommaires étaient pratiqués pour lesquels le soin de la conservation du corps était confié à l’environnement sec de la tombe dans laquelle le défunt allait reposer.

Fig. 5 – Cercueils blancs (début XVIIIe dynastie) provenant du cimetière est de Deir el–Médineh, d’après ANDREU (Guillemette) (éd.), Les artistes de pharaon : Deir el–Médineh et la Vallée des Rois, Turnhout, Brepols, 2002, p. 67, fig. 32.
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Fig. 5 – Cercueils blancs provenant du cimetière est de Deir el–Médineh.

Le corps momifié doit idéalement être conservé dans un cercueil. Toutefois, la fonction du cercueil dépasse la simple protection physique du corps. Il revêt d’importantes fonctions religieuses et agit de manière active dans la protection et la renaissance du défunt. La variation au fil des millénaires de sa forme (d’abord quadrangulaire puis anthropoïde), de sa décoration et des textes religieux recouvrant ses surfaces extérieures et intérieures reflète l’évolution des croyances funéraires. Le Nouvel Empire marque ainsi la généralisation du cercueil anthropoïde. Il représente le défunt sous un aspect momiforme, à l’état transfiguré auquel aspire tout Égyptien. Le cercueil devient donc une image du mort et le caractère performatif de l’art égyptien garantit de fait la renaissance du défunt (15).

Fig. 6 – Cercueil blanc d’une femme anonyme (début XVIIIe dynastie). New–York, Metropolitan Museum of Art.
Photo New–York, Metropolitan Museum of Art.Close
Fig. 6 – Cercueil blanc d’une femme anonyme, New–York, Metropolitan Museum of Art.

La qualité d’exécution et les matériaux employés pour la confection du cercueil (la pierre, le bois et même la terre cuite) varient en fonction du statut social des défunts. Les plus riches disposent généralement d’un ensemble de cercueils emboités les uns dans les autres qui sont richement peints et rehaussés de feuilles d’or et de pierres incrustées. Cependant, la plupart des individus n’en disposent que d’un seul exemplaire dont la qualité esthétique est plus simple (fig. 5). Grâce à la riche documentation économique découverte à Deir el-Médineh qui détaille le coût de nombreux objets du mobilier funéraire, K. Cooney a démontré que la réalisation d’un cercueil fait l’objet d’une véritable négociation entre l’artisan et l’acheteur. Celle-ci porte sur la valeur des matériaux qui vont être employés (essence de bois, pigments de couleur, incrustations…) ainsi que sur la valeur du travail de l’artisan (qualité du travail de charpenterie, de décoration, de traitements plus spécifiques comme les dorures et incrustations…). Par conséquent, les individus désireux d’acquérir un cercueil vont réaliser des choix en fonction de leurs moyens économiques qui vont se répercuter sur la qualité esthétique du travail et sur l’élaboration de la décoration (16). Ainsi, il n’est pas rare que la décoration des cercueils de qualité inférieure soit à peine ébauchée, ou soit tout simplement incomplète (fig. 06). Dans ce dernier cas, elle peut, par exemple, se limiter au couvercle du cercueil, voire sur la seule zone du visage. Le choix d’investir prioritairement dans la décoration de ces zones n’est toutefois pas anodin. En effet, en tant que réceptacle de la momie, le cercueil occupe une position centrale lors des funérailles. La zone du visage fait plus particulièrement l’objet de rituels importants et est donc très exposée au regard du public. Il est donc important que la partie la plus visible et exposée du cercueil reçoive une décoration adéquate.

Des différences sont également perceptibles au niveau de l’élaboration des textes religieux inscrits sur les surfaces du cercueil. Beaucoup de cercueils « bas de gamme » sont réalisés à l’avance et sont personnalisés à l’achat, en ajoutant le nom du défunt aux endroits prévus dans les bandes des textes. Cette personnalisation est importante puisqu’elle permet d’attribuer au défunt la protection des divinités et le bénéfice des offrandes auxquelles les formules font référence. Pourtant, beaucoup de cercueils n’ont jamais été personnalisés. Il s’agit ici d’une indication probable que ces défunts étaient analphabètes ou n’accordaient simplement pas d’importance à la présence de textes sacrés. D’autres cercueils disposent de textes hiéroglyphiques qui répondent visuellement aux conventions religieuses mais qui ne veulent strictement rien dire. Alors que les hiéroglyphes sont bien dessinés et que des groupements de signes sont clairement identifiables, l’ensemble du texte ne forme toutefois pas de phrases cohérentes. On parle dans ce cas d’écriture pseudo-hiéroglyphique (17). De tels cercueils renvoient à des individus analphabètes qui souhaitent disposer d’un cercueil répondant au mieux aux conventions religieuses. Pour eux, il n’est pas nécessaire que les textes signifient quelque chose ou que leur nom soit indiqué sur le cercueil pour la magie soit effective. Dès lors, l’élaboration de la décoration du cercueil nous renseigne non seulement sur les capacités économiques du défunt mais aussi sur sa perception des pratiques funéraires.

Fig. 7 – « cercueil » en roseau, nécropole de Gourob (Nouvel Empire), d’après LOAT (William L. S.), Gurob, ERA 10, Londres, Bernard Quaritch, 1905, pl. 7.
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Fig. 7 – « cercueil » en roseau, nécropole de Gourob.

L’absence de personnalisation et/ou de décoration du cercueil pourrait également indiquer que l’association permanente entre le cercueil et le défunt n’ait pas été ressentie comme une nécessité par l’ensemble de la population. La fonction religieuse du cercueil pourrait avoir été considérée comme utile seulement à court terme, lors les rituels pratiqués le jour des funérailles et le temps nécessaire à ce que le défunt atteigne le terme de son voyage vers l’au-delà. Le cercueil retrouve ensuite sa fonction première de stockage de la dépouille et peut éventuellement servir à accueillir d’autres défunts. En effet, on constate régulièrement dans les tombes modestes que les cercueils contiennent plusieurs corps d’individus d’âge et de sexe différents. Cependant disposer d’un simple cercueil en bois, même non décoré, est hors de portée de la majorité de la population égyptienne. Bien qu’il existe des exemplaires meilleurs marchés en terre cuite, ils sont toutefois peu employés au Nouvel Empire (18). Certains individus n’hésitent donc pas à usurper ou recycler d’anciens cercueils. Toutefois, la plupart des Égyptiens sont enterrés dans des substituts de cercueils, constitués d’un assemblage de tiges de roseau (fig. 07). À nouveau, nous sommes bien loin des conditions idéales prescrites dans la littérature funéraire pour l’accession à l’au-delà.

En plus du cercueil, les momies peuvent également être équipées de divers accessoires funéraires dont les plus récurrents sont les masques funéraires, les scarabées de cœur et les amulettes et bijoux funéraires. Toutefois, ces objets qui visent à augmenter la protection magique du corps, ne se rencontrent que de manière exceptionnelle dans les sépultures modestes de la population égyptienne. Aussi, nous ne nous étendrons pas davantage sur ce sujet.

Le mobilier de la tombe

Il est d’usage de fournir au mort un mobilier pour la tombe dont la diversité et la spécificité varie en fonction des époques. Au Nouvel Empire, et plus particulièrement pendant la XVIIIe dynastie, on fournit au défunt tout le confort domestique de la vie ici-bas : des meubles (fauteuils, tabourets, chaises, lits, appuie-tête, coffres en bois et paniers en osier, coffres de jeux…), divers accessoires pour la toilette (miroirs, rasoirs, peignes, khôl pour les yeux, onguents et huiles, perruques, épingles à cheveux…), vêtements, parures (composées de perles et d’amulettes de diverses formes, couleurs et matériaux), bâtons de marche, divers instruments et outils généralement en rapport avec la profession du défunt (instruments de musique, d’écriture, armes, outils,…). Une grande partie du mobilier funéraire se compose de vaisselle en céramique, en pierre et en métal, contenant toutes sortes de nourritures (pains, fruits, légumes, viandes), de liquides (eau, bière, vin, lait,…) et de corps gras (onguents, résines, huiles). De cette manière, le défunt ne manque de rien pour débuter sa nouvelle vie dans l’au-delà. Au fur et à mesure que l’on avance dans le Nouvel Empire, ces objets de la vie quotidienne vont devenir moins abondants et laisser une place plus importante à un équipement conçu spécialement pour la tombe, porteur de puissantes valeurs religieuses. Aux côtés des cercueils, des vases canopes et des divers accessoires qui équipent la momie, on trouve généralement des exemplaires du Livre des Morts, des statuettes funéraires du défunt, ainsi que des chaouabtis. Ces petites statuettes, qui ont pour fonction de répondre aux différentes tâches que le défunt leur commande, vont connaître un succès grandissant à partir de la XVIIIe dynastie (19).

Un tel mobilier spécialisé ne figure que de manière exceptionnelle dans les tombes d’individus de statut modeste. En effet, ces objets sont employés dans le cadre de rituels funéraires complexes qui nécessitent à la fois d’importants moyens économiques mais aussi bonne connaissance des textes religieux. Or, la majorité de la population est analphabète et n’a donc vraisemblablement pas un accès libre aux sources de savoir. Dès lors, la majorité des individus n’a la possibilité d’appréhender en détail la complexité des pratiques funéraires basées sur la manipulation d’objets porteurs de hautes valeurs religieuse et symboliques. Toutefois, un certain nombre de tombes modestes peuvent contenir un, voire deux objets funéraires spécialement conçus pour la tombe. La plupart du temps, il s’agit d’un cercueil (décoré ou non) mais on trouve aussi occasionnellement un ou plusieurs exemplaires de chaouabtis, généralement de fabrication très grossière. En raison de leur fonction particulière, les attestations de chaouabtis parmi l’équipement de tombes parfois très simples comme des fosses ont suscité de nombreuses discussions sur l’accessibilité des statuettes à l’ensemble de la population. Selon F. Poole, il est possible que ces individus modestes aient exercé un rôle d’intermédiaire entre l’état et les communautés rurales pour l’exécution de différentes tâches (collecte des taxes, recrutement de main-d’œuvre…) (20). À nouveau, les contacts étroits entre certains individus modestes et leurs supérieurs pourraient les influencer à partager la même culture matérielle, leurs valeurs et leurs aspirations.

Fig. 8 – Schéma de la tombe de Neferkheouet avec localisation du mobilier funéraire, d’après HAYES (William C.), « The Tomb of Nefer–Khewet and His Family », In WINLOCK (Herbert E.), The Egyptian Expedition 1934–1935, BMMA 30, partie 2, 1935, fig. 1.
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Fig. 8 – Schéma de la tombe de Neferkheouet avec localisation du mobilier funéraire.

La diversité et la quantité des objets présents dans l’équipement funéraire dépendent sans surprise des moyens économiques des défunts mais aussi du type de tombe. En effet, la possibilité d’emporter un mobilier funéraire abondant avec soi est plus compliqué dans les fosses ou les structures d’inhumations collectives que dans un caveau individuel ou familial. Ces différences dans les types de tombe et les équipements funéraires ont dû engendrer des pratiques funéraires parallèles avec des perceptions quelque peu divergentes sur la fonction de la tombe. De manière générale, les individus qui disposent au minimum d’un caveau imitent plus ou moins fidèlement les pratiques funéraires de l’élite. C’est le cas, par exemple, de la tombe familiale de Neferkheouet, un fonctionnaire de rang inférieur qui a occupé la fonction de « gardien des documents de la maison de la Grande Épouse Hatchepsout », au début de la XVIIIe dynastie (fig. 08). Il est enterré avec sa femme, Rennefer, dans une des chambres de sa tombe. Dans une seconde chambre furent également découvertes les inhumations de ses enfants (fig. 8, cercueils 3 à 5) : sa fille Rouyou, son fils le scribe Amenemhat, ainsi qu’un homme nommé Bakamon / Baki, vraisemblablement scribe lui aussi, mais dont la relation avec les autres membres de la famille n’est pas connue. À une date postérieure, cinq inhumations supplémentaires beaucoup plus pauvres (fig. 8, cercueils 6 à 9) ont été introduites dans cette chambre et contiennent les corps d’une femme et de quatre enfants. Les cercueils sont très grossiers, non décorés et anonymes. Seul le cercueil n° 8 de la femme est décoré et porte un nom qui n’est pas le sien mais celui du propriétaire original du cercueil (21). Il s’agit donc d’un cercueil usurpé ou récupéré, une pratique courante en Égypte ancienne qui ne se limite pas uniquement aux individus les plus modestes comme dans ce cas-ci. Pratiquement aucun objet n’accompagne ces défunts. Les corps n’ont pas été traités et sont simplement enveloppés dans des draps de lin grossiers. En raison du contexte peu explicite, Il nous est impossible de connaître la relation exacte entre ces individus anonymes et la famille de Neferkheouet.

La qualité de ces inhumations contraste nettement avec celles de la famille de Neferkheouet. Celles-ci ont été découvertes intactes en compagnie d’un mobilier diversifié et de qualité. Chaque défunt dispose d’un cercueil décoré et inscrit à leur nom et leur titre. Chacun dispose également d’un ou plusieurs objets spécialisés supplémentaires : scarabée de cœur, exemplaire du Livre des Morts, vases canopes. À noter toutefois que ces derniers ont été retrouvés vides de tout contenu, ce qui correspond au traitement qu’ont reçu les momies, traitées au natron mais non véritablement momifiés. La tombe renfermait également la plupart des objets équipant une demeure égyptienne : coffres à linges, corbeilles contenant divers accessoires pour la toilette (miroirs, peignes, rasoirs, tubes à khôl…), coffrets à bijoux, coffres de jeux, sièges, armes et matériel de scribe. Une quantité importante de récipients en céramique dont certains contenaient encore de la nourriture et des résidus de liquides (dont du vin, un produit luxueux) s’ajoutait aux récipients en pierre et aux quelques exemplaires de vaisselle en métal. Sans verser dans le luxe ostentatoire, cette tombe familiale témoigne de la capacité de ces fonctionnaires mineurs à monopoliser des ressources importantes pour la tombe et de leur volonté d’imiter les assemblages funéraires de leurs supérieurs (22).

Fig. 9 – Reconstitution du mobilier d’une tombe du cimetière est de Deir el–Médineh. Paris, Musée du Louvre.
Photo Thomas Vermeulen.Close
Fig. 9 – Reconstitution du mobilier d’une tombe du cimetière est de Deir el–Médineh. Paris, Musée du Louvre.

En comparaison, le contenu des petites tombes contemporaines du cimetière est de Deir el-Médineh présentent une image beaucoup plus modeste (fig. 09). Le mobilier conçu spécialement pour la tombe y est peu présent. Il se limite à un cercueil (rectangulaire ou anthropoïde) de confection simple qui n’est pas systématiquement décoré et inscrit au nom du défunt. Seule la tombe d’un couple a fourni, en plus des cercueils, deux petites statuettes funéraires. Nous avons déjà évoqués plus haut que les corps des défunts n’ont reçu qu’un traitement relativement sommaire. Tout au plus, ils étaient parés des quelques bijoux portés durant leur existence. Toutefois, s’il est visiblement difficile pour ces individus d’investir des montants importants dans la possession d’objets à hautes valeurs rituelles, certaines tombes contenaient un abondant mobilier domestique. De qualité grossière, il porte des traces d’usure et est parfois endommagé, témoignant de leur longue utilisation avant l’inclusion dans la tombe. On retrouve les principales catégories de mobilier déjà évoquées pour la tombe de Neferkheouet : meubles de facture simple (tabourets, chaises, lits), divers instruments de musique et fragments d’outils de menuisier en bronze, des accessoires de toilette, des bâtons de marche, des sandales et quelques vêtements usagés. La vaisselle en céramique et en pierre est présente en quantité importante et contenait les offrandes alimentaires (diverses formes de pains, des fruits secs, parfois de la viande de volaille), de la bière, ainsi que des huiles, des onguents et des graisses desséchées dont la fonction précise n’a pu être déterminée (figs 10, 11). Certaines actions rituelles, dont le sens nous échappe, sont particulièrement bien soulignées dans ce cimetière. La moitié des tombes contenait plusieurs exemplaires de petites coupelles en céramique, remplies de graisse blanche et d’une mèche, qui ont servi de lampes. Elles n’ont été allumées que pendant un court laps de temps, probablement dans le cadre d’un rituel précis. Une graisse blanche similaire, ou dans certains cas une cire aromatisée, a également été découverte sur le front de plusieurs momies. Les tombes contenaient également de nombreuses offrandes de fertilité sous la forme de petits récipients en argile pétris à la main et de forme irrégulière. Ils étaient remplis de graines, de petits fruits, ou encore de grains d’orge. Ce même contenu se retrouvait également dans des petits sacs de toiles qui contenaient à l’occasion de la poudre de galène, des éléments de parures, des gâteaux. Enfin, deux tombes ont fourni trois mystérieux sacs remplis de terre parfumée (23). Les tombes du cimetière est de Deir el-Médineh forment donc un ensemble remarquable. Au-delà de leur conservation parfaite, elles illustrent avec une rare précision les pratiques funéraires d’un groupe social modeste dont l’identité socio-professionnelle est néanmoins inconnue. Les assemblages funéraires montrent une volonté très marquée d’imiter au mieux les pratiques funéraires de l’élite. Pendant longtemps, ils ont été considérés comme des membres de la communauté des bâtisseurs des tombes royales, en raison de la localisation des tombes dans le vallon de Deir el-Médineh. Toutefois, à l’exception de cette proximité géographique, aucune indication complémentaire ne permet d’étayer cette hypothèse. Le matériel découvert dans les tombes, et plus précisément les instruments de musique et les nombreux produits cosmétiques, permet d’envisager une autre hypothèse : celle d’individus travaillant au service de la classe supérieure dans le domaine de la musique et des soins (24).

Fig. 10 – Intérieur de la tombe n°1389 du cimetière est de Deir el–Médineh, d’après BRUYÈRE (Bernard), Rapport sur les fouilles de Deir el–Médineh (1934–1935). Deuxième partie : la Nécropole de l’Est, FIFAO 15, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1937, p. 199, fig. 114.
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Fig. 10 – Intérieur de la tombe n°1389 du cimetière est de Deir el–Médineh.
Fig. 11 – Schéma de la tombe n°1389 du cimetière est de Deir el–Médineh avec localisation de l’équipement funéraire, d’après BRUYÈRE (Bernard), Rapport sur les fouilles de Deir el–Médineh (1934–1935). Deuxième partie : la Nécropole de l’Est, FIFAO 15, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1937, p. 198, fig. 113.
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Fig. 11 – Schéma de la tombe n°1389 du cimetière est de Deir el–Médineh.

L’assemblage funéraire est tout autre pour les innombrables individus enterrés dans de simples fosses aménagées dans le sable du désert ou entassés dans des tombes collectives. L’investissement est ici minimal. Généralement, le corps repose simplement dans un linceul ou dans une couverture végétale, en compagnie de quelques récipients contenant des offrandes de nourriture et de quelques objets. Le plus souvent, il s’agit des quelques bijoux portés par les défunts au cours de leur existence, de quelques accessoires de toilettes. Plus rarement, on peut rencontrer un bâton de marche, un appuie-tête, un instrument de musique, un outil… Certaines tombes se démarquent également par la présence d’un cercueil ou la présence de quelques chaouabtis. La perception qu’on ces groupes sociaux de la tombe est probablement bien différente que ce que nous avons vu précédemment. Il n’y a plus de volonté ou de capacité de créer des hypogées familiaux clairement marqués dans l’espace et dans le temps. Les tombes sont généralement individuelles même si une fosse peut contenir plusieurs corps ou que des regroupements familiaux soient envisageables. Réduit au strict minimum, le mobilier funéraire ne renvoie plus à la volonté d’emporter avec soi tout le confort domestique. En d’autres mots, la tombe ne semble plus envisagée comme un espace de résidence définitif pour le défunt. Par ailleurs, la constitution de la tombe ne nécessite pas de réelle préparation ante mortem et peut très bien être organisée par les proches au moment du décès. Ces adaptations des pratiques funéraires entraînent probablement une vision plus pragmatique des croyances funéraires et des requis nécessaires à la vie dans l’au-delà.

Conclusion

En Égypte ancienne, la préparation de la mort est considérée comme une étape préalable importante pour la renaissance dans l’au-delà. La construction d’une demeure d’éternité dûment équipée permet de répondre à deux exigences importantes : la sauvegarde physique et magique de la dépouille mortelle et le devoir de culte des vivants envers les morts.

Nous avons souligné que seule l’infime fraction aisée de la société égyptienne dispose des moyens suffisants pour bâtir et équiper une tombe. La majorité des individus sont amenés à faire des choix qui semblent contraignants au regard des croyances et des pratiques funéraires élaborées de l’élite. Cependant, si le critère économique conditionne l’élaboration et la qualité des dispositions qui sont prises, la tombe constitue avant tout la réponse d’une communauté à ce que la mort signifie pour elle. Bien qu’il soit évident que tous les Égyptiens partagent l’espoir d’une destinée osirienne, rien n’indique que la vision élaborée de l’au-delà proposée par l’élite soit partagée par l’ensemble de la société. Alors que la population n’a généralement pas les moyens d’investir massivement dans des objets rituels de haute valeur et d’accéder aux textes religieux spécialisés, il est logique d’affirmer qu’il existait des pratiques funéraires parallèles. Probablement basées sur une tradition orale, il nous est impossible d’en connaître les détails. Cependant, il est probable qu’elles n’étaient pas axées sur la possession et la manipulation d’objets rituels spécialisés. En d’autres termes, les pratiques funéraires s’adaptent à la réalité sociale des individus.

Au sein de la population non-élite, nous avons également souligné à plusieurs reprises l’existence d’individus qui collaborent étroitement avec l’élite et en retirent des privilèges. La position intermédiaire qu’ils occupent dans la société leur permet d’accéder à des ressources plus importantes qu’ils vont notamment investir dans la préparation de leur tombe. Ces contacts étroits avec l’élite leur permettent dans certains cas d’accéder plus facilement à cette culture élaborée, comme l’illustre l’exemple des artisans de Deir el-Médineh. Ces individus partagent les mêmes pratiques funéraires en les adaptant en fonction de leurs moyens. Ainsi, sous la XVIIIe dynastie, les plus aisés d’entre eux possèdent de petites tombes familiales contenant l’équipement domestique d’une maisonnée égyptienne ainsi que plusieurs objets spécialement conçus pour l’usage funéraire. Leurs tombes se distinguent de celles de la majorité de la population pauvre qui sont beaucoup plus simples et ne contiennent que très peu d’objets. Dans ce type d’inhumation, l’accent est mis sur l’enfouissement du corps et le bon déroulement des rituels pratiqués le jour des funérailles, plutôt que sur la volonté de fixer durablement le mort dans le paysage de la nécropole.

Un second aspect des textes qui est également mis à mal dans la pratique est le respect dû aux morts et le caractère sacré de la tombe. Ce phénomène touche l’ensemble de la société, quel que soit le statut social du défunt. Malgré le danger que représentent les âmes en colère pour les vivants (maladie, mort, malchance...), les tombes sont presque systématiquement pillées (25). Parfois, ces pillages peuvent être violents et aboutir à la mutilation ou la destruction de la momie, voire à l’incendie de la tombe. Au bout d’un certain temps, les tombes ne sont plus entretenues, tombent en ruines et servent de carrière de pierre pour de nouvelles constructions. D’autres sont tout simplement réutilisées pour de nouveaux enterrements. Les Égyptiens sont évidemment conscients de l’inéluctable destinée de leurs monuments funéraires. La littérature nous laisse entrevoir par moments un certain scepticisme à l’égard du maintien permament de la tombe et de son approvisionnement en offrandes funéraires.

Dès lors, les impératifs funéraires pourraient se résumer à enterrer le mort, à pratiquer les rituels funéraires appropriés et à établir un culte funéraire. Un tel consensus permet à l’ensemble de la population de participer à la culture funéraire et d’espérer une renaissance dans l’autre monde (26).

Notes

NuméroNote
1 Vernus (Pascal), Sagesses de l’Égypte pharaonique, deuxième édition révisée et augmentée, Arles, Actes Sud, 2010, p. 79.
2 L’emploi du terme élite doit être compris dans son sens sociologique, c’est-à-dire qu’il renvoie à « un petit groupe dirigeant dans une société qui bénéficie d’un statut privilégié, ayant accès et disposant d’une quantité disproportionnée de ressources, souvent à la charge des individus de statut social inférieur », Grajetzki (Wolfram), « Class and society : position and possessions », in Wendrich (Willeke) (éd.), Egyptian archaeology, Chichester, Wiley-Blackwell, 2010, p. 181.