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FRANCAIS - ENGLISH
- - - Sylvain Dupuis Article importé (29/06/2012 - 11:25:20) Discours prononcé en 1919 par Sylvain Dupuis (Bulletin de la classe des Beaux-Arts, 1919, 5e série, tome I, pp. 187-200.).
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Reporticle : 28 Version : 1 Rédaction : 03/04/1919 Publication : 29/06/2012

Portrait de César Franck

En cette fin d’année 2012, l’opéra royal de Wallonie « créera » un opéra de César Franck, Stradella. A cette occasion, Koregos publiera trois portraits du compositeur liégeois. Le premier ici proposé a été dressé par un (presque) contemporain de celui qui avait acquis le statut de maître de l’école française dès 1880. Sylvain Dupuis, compositeur et chef d’orchestre, détaille ici les origines et le début de carrière de l’auteur des Béatitudes.

Portrait photographique de César Franck, photographe anonyme
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Photo de César Franck

Au sortir de la première guerre mondiale, à l’heure où le nationalisme triomphant fait partie intégrante du langage usuel, Sylvain Dupuis s’attarde sur le caractère wallon et liégeois d’un compositeur qui passa l’essentiel de son existence à Paris. On trouvera en annexe, la longue biographie du maître que Norbert Dufourcq publia cinquante ans plus tard dans la Biographie nationale (tome 33, supplément tome V, 1965, pp. 322-335).

« César Franck », in bulletin de la classe des Beaux-Arts, 1919, 5e série, tome I, pp. 187-200.

Lorsqu'en 1883, j'assistai pour la première fois à un concert du Conservatoire de Paris, je fus, par un hasard singulier, placé au fauteuil joignant celui de César Franck, et l’ami qui m'accompagnait, chef d'orchestre à l'Opéra, ayant salué le maître, me présenta il lui.

Quelle joie je ressentis à ce moment où ses traits me frappèrent !... Je n'oublierai jamais son grand front, ses yeux bons, au regard plein de finesse, sa bouche expressive; je n'oublierai pas son accueil simple et cordial; je n'oublierai pas non plus les entrevues que j’eus avec lui dans la suite.

Ma modeste causerie n'aura d'autre prétention que de rappeler quelques-uns de mes souvenirs personnels et de réunir des documents épars, documents qui, j'espère, fixeront certaines choses soulevées sur la nationalité et sur les ascendants du musicien dont la Belgique s'honore aujourd'hui.

Robert Massart, Buste de Sylvain Dupuis, marbre non daté, Liège, Conservatoire royal de musique
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Buste de Sylvain Dupuis

Mon émotion est profonde en pensant au grand homme disparu, en me remémorant les heures passées près de lui, heures trop brèves, hélas ! mais qui ne m'en ont laissé qu'une impression plus forte. Je le vois assis au piano, me faisant entendre ses chœurs pour deux voix égales, encore en épreuve, et s'interrompant pour me soumettre deux versions différentes d'un même passage : « Laquelle préférez-vous ? » questionnait-il, et mon choix fait, « c'est entendu, je l'adopte ». Grave, doux et tendre, il parlait au jeune homme que j'étais alors comme à un égal en son art, et ne craignait pas de montrer la naïve satisfaction qu'il ressentait de se voir compris et aimé, lui qui n'avait pas été gâté par ses contemporains, sourds aux accents nouveaux, à la tendresse mystique qui émane de ses œuvres, pénétrante comme l'encens des autels.

Un autre jour, j'étais encore chez lui ; il me remet une partition et, caressant complaisamment la couverture : « Prenez », dit-il, « c'est ce que j'ai fait de mieux ». Et j'emportai, ornées d'un mot affectueux, Les Béatitudes, qui venaient d'être publiées.

Louis Mascré (1871-1929), buste de César Franck, plâtre sculpté, sans date, Liège, Musée d’art moderne et contemporain
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Buste de César Franck (plâtre)

Que dire aussi de l'émotion sacrée qui nous étreignit tous au mariage d'Eugène Ysaye, - dont l'un des plus beaux titres de gloire est précisément d'avoir aimé et promulgué l'œuvre de César Franck, - lorsque l'éminente pianiste Mme Bordes-Pène lui apporta, comme cadeau de noce, la fameuse sonate pour piano et violon ? Et quelle heure exquise en découvrant ces beautés, qui nous sont aujourd'hui familières, mais qui, alors, nous apparaissaient comme des fleurs rares, superbes et inconnues !

Lorsque César Franck, en 1889, me fit l'honneur de me dédier un hymne sur des paroles de Racine, les lettres qu'il m'écrivit émettaient le regret de ne pouvoir revenir dans sa ville natale pour assister au concert que j'y donnai de ses œuvres. Je ne devais plus le revoir : il mourut peu après et, dès lors, son nom grandit, s'auréola.

Aujourd'hui, il est cher à ceux que la musique émeut, à ceux que l'art pur et austère fait vibrer.

César Franck : nom prestigieux, évocateur d'une puissante individualité, faite de l'expression la plus noble; évocateur d'une âme d'élite, assoiffée d'idéalisme; évocateur aussi de la plus parfaite urbanité, de la modestie la plus exquise.

Combien on voudrait pénétrer intimement l'âme du maître, savoir quel secret atavisme le prédisposait à exprimer tant d'émotivité par le langage des sons !

Les archives nous apprennent que Nicolas-Joseph, père de César Franck était originaire de Volkerich, dépendance de Gemmenich, dernière station belge sur la ligne de Liège à Aix-la-Chapelle.

Ce nom de Franck, très répandu dans la région frontière qui faisait partie de l'ancien duché de Limbourg, est déjà signalé dans le pays dès le milieu du XVIe siècle.

Les ancêtres du musicien appartenaient à la meilleure bourgeoisie. Des Franck sont titulaires de charges tenant à la fois de l'industriel et du fonctionnaire. Les derniers descendants de cette famille si considérée cumulèrent de nombreuses fonctions : administration locale, justice, dignités ecclésiastiques. Le grand-père de César Franck, notamment, occupa les hauts emplois de procureur à la justice de Gemmenich, d'échevin de différentes cours foncières, de géomètre juré du duché de Limbourg, de notaire par la grâce de l'Impératrice Marie-Thérèse, de greffier, puis, enfin, de mayeur de Saint-Hubert à Gemmenich.

Nicolas-Joseph Franck vint habiter Liège en 1817. Le 24 avril 1820 il se mariait à Aix-la-Chapelle avec Marie-Catherine-Barbe Frings. De son mariage il eut quatre fils dont deux survécurent : César-Auguste-Jean-Guillaume, né le 10 décembre 1822, et Jean-Hubert-Joseph, né le 31 octobre 1825

Voici la copie textuelle de l'acte de naissance de César Franck :
« L'an mille huit cent vingt-deux, le douze Décembre, à midi, devant M. Frédéricq Rouveroy, bourgmestre de la Ville de Liège, officier de l'État-civil, est comparu Nicolas-Joseph Franck, âgé de vingt-neuf ans, sans profession, rue Saint-Pierre, n°13, quartier de l'Ouest, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le dix du présent mois vers les sept heures du matin, de lui déclarant et de Marie-Catherine-Barbe Frings, âgée de trente-quatre ans, son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de César-Auguste-Jean-Guillaume-Hubert. Les dites déclaration, et présentation faites en présence de Charles Verdin, âgé de trente-neuf ans, garçon de bureau, demeurant rue Devant Sainte-Croix, n° 868, quartier susdit, et Pierre-Joseph Lecharlier, âgé de quarante-sept ans, employé, rue Degré Saint-Pierre, n° 17, même quartier, et ont les père et témoin, signé avec nous le présent acte de naissance, après qu'il en a été fait lecture ».

Bien que déclaré sans profession dans l'acte de naissance de son fils César, Nicolas-Joseph était commis aux écritures à la banque Frésart. Ce détail, qu'il semble oiseux de signaler ici, a pourtant son importance si l'on recherche pourquoi cet homme, n'ayant dans sa famille aucune antériorité artistique, imposa la carrière musicale à ses fils César et Joseph.

Il faut se reporter à plus d'un siècle pour éclaircir ce point. En nivôse de l'an VI (27 décembre 1797), le juge d'instruction publique, établi à Liège, présenta à l'Administration centrale du département de l'Ourthe, un mémoire demandant qu'une école de musique fût fondée en cette ville : « Vous savez, disait ce mémoire, qu'il n'y a pas de département dans la République (nous étions alors annexés à la France) qui ait l'avantage de réunir autant d'artistes musiciens. La commune de Liège seule peut compter environ trois cents musiciens de profession; elle peut se vanter qu'après Rome et Naples, aucune ville n'a un meilleur orchestre, composé de musiciens distingués qui ont fait leurs études en Italie ».

Transmis au Ministre de l'Intérieur, ce rapport reçut l'approbation du Gouvernement, qui décida l'établissement de l'école réclamée. Celte décision resta sans effet.

Ce fut seulement en 1826 (nous étions alors déclarés Hollandais) que le roi Guillaume Ier des Pays-Bas eut la pensée de créer une école de musique dans quatre villes importantes du pays : Bruxelles, Liège, La Haye et Amsterdam furent les villes de son choix.

C'est à ce moment que la Députation hollandaise fut envoyée à Chérubini, qui désigna Daussoigne-Méhul, professeur d'harmonie au Conservatoire de Paris, comme l'homme le plus apte à remplir les difficiles fonctions de directeur-fondateur d'une école de musique, à laquelle une impulsion énergique et hautement artistique était nécessaire pour assurer la vitalité.

La nouvelle institution fut établie rue Sainte-Croix, dans l'immeuble Frésart et, rappelons-le, juste en face de l'habitation de la famille Franck.

Nicolas-Joseph Franck fut certainement mis au courant des pourparlers relatifs à l'achat, à la mise en train de l'institution nouvelle; il en connut les progrès rapides, en suivit le développement musical et administratif.

César Franck, Trio n°1

Les professeurs du Conservatoire lui conseillèrent-ils de leur confier ses fils ? Peut-être se conforma-t-il à un usage local du pays de Liège, où nombre d'humbles familles destinent à la musique un de leurs enfants ? Usage qui a produit, venant des milieux les plus divers, les Léonard, Marsick, Musin, Thomson, Ysaye, Gérardy et tant d'autres.

La virtuosité pure fleurissait en cette époque du romantisme : 1830 voyait s'épanouir la renommée mondiale de Paganini. Liszt suivait ses traces. Quelle perspective attrayante s'ouvrait à ce père désireux d'assurer un brillant avenir à ses enfants ! Les profits pécuniaires de ces carrières triomphales le tentèrent aussi; l'avenir prouva qu'il tira profit du talent de ses fils.

L'École Royale de Musique devint nationale en 1831, - les cours ne subirent aucune interruption du fait de la révolution; - enfin le13 novembre 1831, elle reçut le titre de Conservatoire Royal. Le développement de cet établissement, son renom grandissant dans le pays incitèrent certainement Nicolas-Joseph à maintenir de toute son énergie ses fils à l'étude de la musique. Pourtant la volonté paternelle seule ne peut engendrer le talent, ni surtout le génie : il lui faut le solide appoint des dispositions innées. Dans la famille Franck, on ne connaît pas de musiciens. La volonté implacable d'un père ne s'égare-t-elle pas ? Attendons.

César Franck, entré au Conservatoire de Liège le 23 mai 1831, y fréquenta les classes de MM. Conrardy, Delaveux, Duguet, Ledent et Jalheau. En 1832, il y obtint son prix de solfège. N'est-il pas piquant de mentionner à ce propos que le premier des prix de solfège décerné dans le nouveau Conservatoire le fut au grand musicien dont la ville de Liège s'enorgueillit à juste titre ?

En consultant les archives, conservées avec soin, nous retrouvons les notes consacrées au jeune élève : Bonnes disposition - Bon travail - Zèle et application à l'étude - Donne le plus heureux espoir, - et cela continue sur ce ton laudatif jusqu'en 1835, année où le nom de César Franck disparaît des contrôles; il a obtenu le premier prix de piano.

L'ambition de Nicolas-Joseph semblait se borner à faire de son fils un virtuose, et dans cette idée, il avait déjà entrepris une tournée de concerts en Belgique; mais une plus vaste scène l'attirait : il émigra à Paris.

César Franck y poursuivit son instruction musicale au Conservatoire, où, entré le 2 octobre 1837 comme élève de piano, sous la direction de Zimmermann, il remportait, à la fin de cette année, le premier prix dans des circonstances qui méritent d'être narrées :

Après avoir remarquablement exécuté le concerto en la mineur de Hummel, morceau imposé, le jeune -Franck - il avait quinze ans et demi - se permit, à l'épreuve de lecture à vue, de transposer à la tierce inférieure, et cela sans faute, le morceau choisi. Cette témérité ne fut pas au goût du président du jury, le célèbre et irascible Cherubini, qui fut indigné d'une dérogation aussi audacieuse aux règlements. Pourtant l'enthousiasme du public fut tel qu'il entraîna le jury, son président compris, et, tandis que trois premiers prix étaient décernés aux concurrents de César Franck, lui-même se voyait conférer un premier grand prix d'honneur, formule exceptionnelle de récompense qui n'a pas été renouvelée depuis.

Le 19 juillet 1840, il obtenait le premier prix de fugue dans la classe de Leborne et, en 1841, il était proclamé lauréat de la classe d'orgue de Benoist, n'y obtenant toutefois qu'un second prix, - décision très critiquée.

Franck ne tarda pas à quitter le Conservatoire de Paris et séjourna deux ans en Belgique, son père poursuivant opiniâtrement le but de faire de son fils un virtuose.

L'orientation de César Franck était cependant parfaitement nette : déjà ses études scolastiques terminées en 1841, il s'affirme compositeur en publiant son œuvre I. : trois trios concertants pour piano, violon et violoncelle (fa dièse mineur, si bémol majeur et si mineur), portant comme dédicace : « A Sa Majesté Léopold 1er, Roi des Belge, César-Auguste Franck, de Liège ».

Ce geste révérencieux ne marque-t-il pas le lien qui unit César Franck à la Belgique, sa patrie ?

Maintenant que les années nous donnent le recul nécessaire pour juger en parfaite impartialité cette première œuvre, que dire du trio en fa dièse mineur écrit dans la forme cyclique, forme qui lui restera chère, sinon qu'il est une étape dans l'histoire de l'art musical ?

Quel début pour un jeune homme de 19 ans ! Début magistral !

En 1842, paraît un nouveau trio en si mineur, œuvre II., dédié à son ami Franz Liszt, qui, fidèle à sa bienveillance coutumière à l'égard des jeunes artistes, venait d'accueillir César Franck à Bruxelles avec l'affabilité la plus encourageante. Pendant dix ans, César Franck ne cesse d'écrire; coup sur coup, chaque année voit éclore des morceaux de violon, de violon et piano; fantaisies sur des thèmes originaux; fantaisie sur des airs populaires ou d'opéras; Ruth, églogue biblique en trois parties pour soli, chœur et orchestre; des mélodies parmi lesquelles L'Ange et L'Enfant, œuvrette naïve et touchante.

Théo Van Rysselberghe, « Quelques maîtres de la musique vocale », Affiche pour un concert franckiste à Liège - 16 juin 1900, Ixelles, Musée communal
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Affiche pour un concert liégeois "franckiste"

La période de 1852 à 1858 semble marquer un arrêt dans cette production féconde, puis de 1858 à 1874, voici des messes, offertoires, morceaux sur des textes latins; pièces diverses pour orgue et pour harmonium ; enfin Rédemption, poème symphonique en trois parties, pour soprano-solo, chœur et orchestre, écrit sur un poème d'Édouard Blau.

La troisième époque, selon la subdivision préconisée par Vincent d'Indy dans son substantiel et remarquable livre consacré à César Franck, commence en 1876. Le maître a 54 ans, et, malgré le travail fastidieux de professeur de musique dans les lycées ou dans les maisons particulières, où des élèves amateurs lui prennent les plus belle heures de la journée, malgré ce travail auquel il est astreint pour subvenir aux besoins matériels de sa famille, la faculté créatrice ne fait que grandir.

Sa maitrise est parfaite. En pleine possession de sa personnalité, qui ne cessera de s'affirmer jusqu'à sa mort (8 novembre 1890), il ne produit que des chefs-d'œuvre, de sublimes chefs-d' œuvre. Ce sont :
Les Éolides, poème symphonique pour orchestre, d'après Leconte de Lisle, d'une grâce, d'une élégance, d'une finesse, d'un charme exquis.
Trois pièces pour grand orgue.
Quintette en fa mineur, pour piano, deux violons, alto et violoncelle, bien près d'égaler en célébrité le fameux quintette de Schumann.
Les Béatitudes, oratorio pour soli, chœur et orchestre, où César Franck, laissant parler son âme d'ardent chrétien, chante, en des phrases d'une sublimité inégalée, la tendresse et la bonté de son Dieu.
Rébecca, scène biblique.
Le Chasseur maudit, poème pour orchestre, d'après Burger, belle page d'un coloris violent, qui se distingue des autres œuvres de César Franck par l'âpreté de son inspiration. Pourtant cette légende du Nord s'apparente à un autre poème : Les Djinns, pour piano et orchestre. Les mauvais esprits, les feux follets et les esprits de l'air devaient inspirer ce Wallon, sensible à la superstition que suscitent les légendes des nuttons de l'Amblève et des bois.
Nocturne et Le Vase brisé, mélodies.
Prélude, choral et fugue, pour piano, d'une expression grandiose, faisant pendant à cette autre œuvre :Prélude, aria et finale, peu comprise aujourd'hui, mais qui, j'en suis convaincu, ne tardera pas à tenter les pianistes musiciens autant que virtuoses, Les opéras de César Franck, Hulda et Ghisèle, semblent avoir été moins favorables à l'inspiration du musicien liégeois. Ce cadre, l'obligeant à limiter sa fantaisie, a-t-il nui à sa puissance créatrice ?
Variations symphoniques, pour piano et orchestre.
Danse lente, pour piano.
Sonate, pour piano et violon.
Psyché, poème symphonique pour orchestre et chœur, d'une religieuse tendresse, d'une polyphonie suave et pure.
La Procession, mélodie; tableau devrait-on dire, tant est puissante, en quelques lignes musicales, l'évocation de cette cérémonie religieuse qui avait dû frapper César Franck dans ses années d'enfance.
Les Cloches du soir, mélodie délicieusement mélancolique, de cette mélancolie engendrée par la nature même du pays mosan, pays de collines grises, de couleurs amorties où rarement éclate la note gaie.
Psaume, Hymne, sur des paroles de Racine.
Six duos, pour chœur à voix égales.
Le premier Sourire de Mai, pour trois voix de femme, et d'autres morceaux de moindre importance.
Symphonie en ré mineur, pour orchestre, monument sonore de la plus grande beauté.
Quatuor en ré majeur, pour deux violons, alto et violoncelle, autre merveille.
L'Organiste, cinquante-neuf pièces pour harmonium (versets pour le magnificat).
Trois chorals, pour grand orgue.

Adelin Salle, Buste de César Franck, bronze sculpté, sans date (avant 1950), Liège, Hôtel de ville
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Buste de César Franck (bronze)

Organiste à l'église Notre-Dame de Lorette (où il se maria le 22 février 1848, en pleine insurrection), puis à la paroisse Saint- Jean, Saint-François-au-Marais, enfin, en 1848, à Sainte-Clotilde, il émerveilla pendant plus de trente ans, par ses improvisations de génie, les musiciens qui accouraient nombreux et l'entouraient au jubé. Croyant, dans la plus haute acception du terme, son âme s'élevait dans les sphères éthérées. Son exaltation religieuse qui le faisait vivre dans le monde supra-terrestre des anges, des vierges, des âmes candides et blanches, se traduisait par des pensées musicales adorablement poétiques; sa science profonde soutenait cette inspiration et la lui faisait exprimer en accords qui ravissaient ses disciples émus.

Maitre angélique ! Père Franck ! C'est ainsi que l'appelait toute cette jeunesse ardente groupée autour de lui dans un même sentiment d'admiration pour l'artiste sublime, la nature droite, élevée, ignorante de cette prétention qui, chez tant d'autres, tient lieu de talent.

Et quelle modestie dans sa vie ! Tant de traits d'une naïveté touchante ! Pourquoi ce génie ne fut-il apprécié à cette époque que par un cénacle formé principalement de ses élèves, de ses chers disciples qui, eux, du moins, l'adoraient ? Pourquoi dut-il se contenter souvent d'exécutions partielles ou approximatives de ses œuvres ? Hélas ! il attendit vainement une gloire qui ne voulait pas lui sourire. Pourquoi cet ostracisme dont le frappait le monde officiel musical ? Doit-on rappeler à ce propos la boutade à jamais tristement célèbre de Gounod après la première exécution de la Symphonie, en 1889, au Conservatoire de Paris: « C'est l'affirmation, dit-il, de l'impuissance poussée jusqu'au dogme ». Pourquoi cette persistance à ne pas accorder au maître les honneurs mérités ?

Il avait 63 ans, lorsqu'il reçut, le 4 août 1885, le ruban de la Légion d'Honneur, et cette distinction s'adressait au professeur d'orgue comptant plus de dix années de services ! En effet, il avait été nommé au Conservatoire de Paris en 1872. Mais est-il nécessaire de faire un martyr de tout homme de génie ? Sont-ils donc tant à plaindre ceux qui souffrent pour un idéal. Non !

César Franck fut dans Paris un grand isolé; sa langue musicale n'y était pas comprise, son expression poétique ne correspondait pas à l'état d'esprit de ceux auxquels il s'adressait. Il ne chercha point à adapter sa musique au goût du jour. Jamais il ne se départit de son individualisme, l'individualisme qui est une qualité et parfois aussi un défaut des Liégeois.

Tout, dans la vie de Franck, révèle une modestie, un désir d'effacement que l'on observe chez beaucoup d'artistes wallons, lesquels témoignent, en général, d'un détachement étrange des choses de la gloire et plus encore du succès immédiat et direct.

Cette attitude leur est naturelle. L'existence calme, unie, comme repliée sur elle-même, est conforme à leurs goûts. Il semble que leur génie ne puisse se développer harmonieusement que dans la sérénité. Il faut voir dans ce trait de caractère une manifestation de cet individualisme dont je viens de parler, qui le plus souvent n'est que le culte de la liberté intérieure. Cette liberté intérieure leur paraît la plus précieuse de toutes, sans doute parce qu'ils savent que celle-là personne ne pourra jamais la leur l'enlever.

Préférant se confiner dans la cité du rêve, où ils se sentent plus chez eux, ils deviennent à la longue indifférents aux mouvements de la cité de l'action, où ils finissent par apparaître comme des étrangers. Tout absorbés par leurs rêves intérieurs, par ces rêves étranges dont parlait Taine, ils se contentent d'en poursuivre la réalisation plastique ou sonore, sans souci des consécrations officielles ou des avantages matériels qu'ils pourraient en retirer.

Comme dans toutes les productions de l'art wallon, on note, dans les compositions de Franck, une plus constante recherche de la ligne que de la couleur. Ce caractère est commun à la plupart des productions dont les auteurs ont vécu dans des pays de montagne, lesquels, par leur structure, imposent à l'esprit une discipline dont ils ne peuvent s'affranchir.

Celle influence des sites familiers, où l'auteur de Psyché passa son enfance et sa première jeunesse, devait le poursuivre toute sa vie. Ces paysages de collines, dont les sommets se profilent avec noblesse sur des ciels souvent voilés, enseignent le goût des belles lignes et des formes solidement construites. Ces paysages habituent à considérer les choses sous le rapport des contours plutôt que de la couleur, façon de voir qui dans l'œuvre du peintre se traduira par une prédominance de la forme sur le coloris, et aura comme corollaire, chez le musicien, une façon de sentir qui imprimera le même caractère à son art d'assembler les sons.

Pour Franck, l'expression du sentiment prime tout. Comme chez la plupart des créateurs wallons, les visions ne sont pour lui qu'un prétexte à donner essor aux sentiments qui s'éveillent en eux à leur contact.

Quand Constantin Meunier représente un ouvrier de la mine ou de l'usine, il nous dit en même temps sa bonté foncière, sa pitié profonde. L'émotion humaine se juxtapose chez lui, en l'exaltant, à l'élément plastique. Un dualisme semblable apparaît chez Félicien Rops. Le nu sera surtout pour lui un prétexte aux investigations psychologiques. Ce que l'on garde dans l'esprit, quand on a admiré ses planche maîtresses c'est le souci qu'il a d'aller au delà des formes que son crayon dessine, d'en extraire une matière à idées, d'atteindre jusqu'aux passions qui animent ces corps, de mettre à nu les instincts et les vices dont ils sont la proie. C'est pourquoi on peut dire que Rops fut un spiritualiste. Ce sont là autant de manifestations de l'idéalisme wallon.

L'œuvre de Franck en déborde. Tout lui sera prétexte à chanter son idéal religieux. Si la nature l'émeut, c'est surtout parce qu'elle lui apparaît sous l'angle du divin. Il l'admire, certes, parce qu'elle est belle, mais surtout parce qu'il y voit l'œuvre de Dieu. Plutôt que de s'arrêter à ses aspects changeants, il nous dira l'exaltation mystique qu'elle éveille en lui.

Fix Masseau et Pierre Félix, Hommage à César Franck, relief en creux et portraits sculptés, Conservatoire royal de musique de Liège, 1922
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Hommage à César Franck

S'il est vrai que de la connaissance approfondie du passé surgissent les découvertes nouvelles, le passé musical wallon, avec ses contrepointistes vocaux, célèbres dans toute l'Europe, dut lui donner une base, un point d'appui, voire un encouragement. Franck n'a pas ignoré Jean-Noël Hamal, musicien puissant dont l'œuvre est considérable, ni Gossec, de Vergnies (Hainaut), non moins abondant, qui est de la lignée de Stamitz et fut, pour ainsi dire, le compositeur officiel de la République. Il admirait aussi Grétry, le fondateur de l'Opéra-Comique.

Sa connaissance profonde de Bach et de Beethoven n'effleura pas sa personnalité; elle n'a fait que la vivifier. Son âme était wallonne, et il n'eut qu'à la laisser chanter. Réjouissons-nous donc de pouvoir réclamer pour un des nôtres ce grand musicien, dont la personnalité rayonnante eut une si puissante influence sur l'évolution de la musique française, et disons avec fierté que César Franck est un Belge, un Wallon, et, plus particulièrement, un Liégeois.