La sonate en si mineur de Franz Liszt
Lorsqu’il publie sa Sonate (Sonate en si mineur S 178), Franz Liszt vit à Weimar. Il a transformé la petite ville allemande en lieu musical majeur où se rencontrent les compositeurs français - que Liszt a fréquentés pendant sa carrière parisienne (Hector Berlioz, Camille Saint-Saëns) - et la jeune école allemande (Richard Wagner, Hans von Bülow, Joachim Raff). Paradoxalement, c’est de cette ville de province qu’il renforce son image de compositeur international, en achevant notamment ses principales pièces symphoniques : Orphée (1853-54), Prométhée (1850-55), Mazeppa (1851-54), Hungaria (1854), Faust Symphonie (1854), Dante Symphonie (1855-56).
1854
Lorsqu’en 1854 Liszt achève sa Sonate en si mineur, l’Europe ne parle que de la guerre de Crimée. Les enjeux de ce conflit dépassent de loin la seule Crimée puisque c’est une partie de l’avenir des Balkans (via notamment la navigation sur le Danube) qui se joue en Mer noire.
A l’Opéra de Paris – qui donne le ton (lyrique) au reste du monde - on ne parle que de Charles Gounod et de sa première œuvre lyrique d’importance : La nonne sanglante. On y retrouve les ingrédients du Grand opéra romantique : un univers gothique où les spectres offrent des scènes de « satanisme » qui firent le succès de Robert le Diable de Giacomo Meyerbeer (1831). En 1859, le genre culminera avec le Faust de ce même Gounod.
La figure de Faust fut majeure dans la formulation du romantisme allemand. Goethe (qui termina ses jours à Weimar) donna au personnage une actualité particulière en ce début de XIXe siècle oscillant entre triomphe de la raison et du progrès et fascination pour l’occulte et le satanisme.
Composer à Weimar, une Sonate aux forts accents modaux, aux nombreuses réminiscences hongroises et aux allusions méphistophéliques est particulièrement dans l’air du temps.
L’œuvre est achevée en 1853 et sera créée à Berlin par Hans Van Bülow en janvier 1857. Elle est dédicacée à Robert Schuman, en écho à la dédicace de la Fantaisie opus 17 de 1836. La Sonate est d’un seul tenant mais comporte trois parties bien distinctes : Lento assai, allegro energico et grandioso (pp. 1-16 de la partition ici jointe) - Andante sostenuto (pp. 17-22) et Allegro energico (pp. 22-36). Elle suit la forme Sonate avec une exposition (où sont présentés en contraste les deux thèmes principaux A et B), un développement et une réexposition.
L’analyse que propose Pascal Sigrist de la Sonate de Liszt fait apparaître le côté paradoxal de cette œuvre. Elle se veut à la fois strictement formelle (Liszt utilise à dessein le terme neutre de « Sonate en si mineur ») et programmatique (c'est-à-dire porteuse de sens extra-musical, à l’instar de la forme « poème symphonique » que Liszt a créée). Le pianiste détaille les caractéristiques sémantiques des thèmes principaux (notamment l’aspect méphistophélique du thème A) et annexes (le « thème divin », par exemple). Il met surtout en exergue le génie que déploie Liszt dans la métamorphose de ses thèmes leur faisant prendre les formes les plus diverses dans des desseins dramatiques : on entend ainsi le thème de Méphisto sous une forme tantôt diabolique, tantôt cajoleuse, on l’entend également « contaminer » les autres thèmes.