Note de la rédaction
Ce reporticle est extrait de la revue Art&fact, n° 16, 1997, p. 74-82. Depuis la rédaction de cet article en 1997, l’auteur a appris le décès en 2013 de Mme Gabrielle Brouns. Il ignore ce que sont devenues les œuvres renseignées ci-dessous comme faisant partie de la Collection Brouns.
Les dessins et illustrations de Joseph Rulot
Un article publié dans un numéro de la revue Art&fact avait présenté l’œuvre sculptée de Joseph Rulot (Liège, 1853 – Herstal, 1919), artiste alors tombé dans l’oubli (1). Joseph Rulot doit d’être resté longtemps méconnu par le nombre restreint de ses sculptures achevées. Heureusement, une quantité d’ébauches et de projets qui, à la faveur de la donation Brouns effectuée en 1993 au profit de plusieurs institutions dont les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (2) à Bruxelles et les Collections artistiques de l’Université de Liège, a permis de replacer l’artiste dans l’histoire de la sculpture en Belgique (3).
Cependant, Joseph Rulot est aussi un dessinateur et un illustrateur non dénué de talent. En 1996, lors du LIIe Congrès de la Fédération des Cercles d’Archéologie et d’Histoire de Belgique, nous avions évoqué pour la première fois, de manière très succincte, son œuvre dessiné (4). Le présent article vise à dresser un panorama plus complet de ce dernier. Cette production est abordée ici par thèmes.
Les paysages
Dans les années 1870-1880, Rulot réalise quelques rares paysages campagnards à la plume. Dans celui reproduit ici (5), qui date de 1885, quelques arbres et arbustes rythment les berges d’une petite rivière. Le trait est rapide, plus suggestif que descriptif. Les feuillages sont rendus par des hachures ou des zigzags croisés. Les contours des haies et arbustes sont à peine esquissés. On a affaire à une main bien maîtrisée qui tente de transmettre une atmosphère d’automne. Rulot s’est aussi essayé à l’eau-forte selon la même manière. Nous connaissons un paysage de campagne à l’aquarelle. Il ne manque pas de saveur, mais les tons sont quelque peu ternes (6).
Les dessins de sculpture
L'artiste a laissé de nombreux dessins pour sculptures. Curieusement, il existe peu d'esquisses concernant les monuments et œuvres réalisés. Il s'agit alors pour la plupart de dessins aboutis. La question est de savoir si ces dessins sont préparatoires ou s’ils témoignent d’œuvres déjà achevées ou de maquettes comme cela semble être le cas pour le dessin de l'esclave conservé à Bruxelles (7) ou, davantage, pour les deux versions du Monument à César Frank ou Les Béatitudes, conservées respectivement au Musée des Beaux-Arts de Liège et au Musée communal de Herstal (8). Toutes deux sont de dimensions considérables. Pourquoi Rulot a-t-il exécuté ces deux imposants dessins, qui plus est, en montrant le monument selon le même angle de prise de vue ? Peut-être les lui avait-on demandés pour les exposer à une occasion ou l’autre. Ces deux dessins donnent une vue du monument assez proche de celle qu’offre la maquette aujourd’hui conservée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles (9). Le dessin du Musée des Beaux-Arts de Liège a le trait plus appuyé, les contours sont davantage cernés et l’effet est plus sculptural. Les personnages sont répartis de manière ascendante autour d’un tronc ou d’une stalactite surgissant d’une terrasse rocheuse. D’emblée, on y reconnaît le goût de Rulot pour les ensembles de personnages humains, certains nus, d’autres vêtus, positionnés les uns contre les autres. La référence à certaines compositions de Jean Delville n’est certainement pas à exclure, d’autant que les deux artistes se connaissaient. En effet, Joseph Rulot expose au salon du groupe ésotérique Kumris en 1894 et à ceux de l’Art idéaliste en 1896 et 1897 à Bruxelles (10). Mais à la différence de Delville, qui bien souvent penche vers un magma de corps entrelacés, Rulot opte pour des groupes reliés entre eux par une figure plus isolée ou par un jeu de bras. Ainsi, dans l’œuvre ici analysée, se distinguent deux groupes principaux, l’un en bas à gauche, statique, et l’autre au sommet avec la violoniste, beaucoup plus animé, mais avec un personnage debout plutôt raide qui stoppe quelque peu la dynamique ascensionnelle. Une figure nue assure la jonction, tandis qu’une des femmes du groupe supérieur se penche en tendant le bras vers le bas. À gauche, une femme vêtue d’une longue tunique est assise en une attitude pensive, le bras droit servant d’appui de tête. On la retrouve disjointe dans le projet sculpté pour le Monument à Nicolas Defrecheux, réalisé l’année suivante. Tandis que le geste du bras droit porté au front est repris sans son office de support dans la personnification de la Légende, la position assise se retrouve dans le héros de Leyîz’m plorer. La comparaison avec Delville ne doit pas être poussée plus loin. Le dessin de Rulot n’a rien de l’audace et du dynamisme des œuvres du maître symboliste.
Deux autres dessins, plus petits, le second mis au carreau, peut-être en vue de la réalisation des deux précédentes compositions, sont conservés dans la collection Brouns (11).
Il n’existe pas, à notre connaissance, de dessins d’ensemble particulièrement détaillés pour le Monument à Nicolas Defrecheux. Un dessin à la plume, perdu, signé et daté 1895, du premier projet a été publié dans divers journaux de l’époque à la suite du concours. Il s’agit d’une esquisse rapide. Il existe aussi un dessin de la Légende, une des figures du monument que Jules Brouns a sculpté dans la pierre (Liège, parc de la Boverie) (12). En dehors de cela, la collection Brouns conserve encore quelques croquis sommaires au crayon noir ou à la sanguine, très libres, très gestuels et cherchant à cerner les lignes générales de l’œuvre ou la forme générale d’un corps sur les bouts de papier sans cachet particulier (13).
Les portraits
Les portraits réalisés par Rulot sont rares. Son seul modèle masculin semble avoir été le praticien Joseph-Gabriel Hamelet (14) dont il tire plusieurs portraits à la plume. L’un d’eux, datant de 1891, a été lithographié en réduction et fut offert par Rulot à quelques connaissances avec une dédicace en guise de souvenir. Deux exemplaires de cette lithographie sont conservés au Musée des Beaux-Arts de Liège (15). L’œuvre montre Hamelet de profil. On y retrouve le jeu de traits croisés du paysage. Aucun contour du visage n’est souligné ; ce sont les hachures qui suggèrent les formes et qui détachent la tête du fond par endroits. Un autre portrait figure Hamelet de face (16). Exécuté à la plume, il apparaît comme une étude des jeux d’ombres et de lumières à la manière rembranesque, bien que le trait en soit différent. Le Musée des Beaux-Arts de Liège conserve également un portrait de femme en profil gauche réalisé au fusain (17) avec un travail à l’estompe, les traits soulignant principalement la chevelure et le vêtement. C’est un dessin un peu pathétique.
Les dessins d’illustrations
Parmi les dessins d'illustrations, outre celui représentant le mausolée de Velbruck par Dewandre publié dans l'ouvrage collectif sur Liège en 1881 (18), et qui n’est qu’une épure, on trouve essentiellement des dessins au crayon que l'on peut classer en deux catégories. Les premiers illustrent principalement des œuvres littéraires ; les seconds, d’allure plus légère voire Art nouveau, sont davantage des allégories, des images pour partitions ou des vignettes publicitaires. La première catégorie de dessins regroupe des œuvres de caractère sombre. L’importance donnée aux zones noires et gris foncé est particulièrement significative. Les contours sont habituellement nettement soulignés.
HildhyllIa et Sangahall
Rulot est amené à collaborer à l'illustration des deux pièces dramatiques que Jules Sauvenière (19) édite dans les années 1890 : Hildhyllia (1891, manuscrit datant de 1888) (20) et Sangahall (1897) (21). Ces deux drames lyriques symbolistes sont nettement influencés par la mythologie scandinave et par le wagnérisme ambiant du dernier quart du XIXe siècle.
Dans Hildhyllia, Rulot est associé à Auguste Donnay et à Jean-Jacques Portaels. Pour Sangahall, c'est avec Donnay, Armand Rassenfosse et Émile Berchmans qu'il collabore. La part réservée au sculpteur dans l’illustration de ces ouvrages présuppose un minimum de considération pour son travail dans le chef de ses confrères peintres. Et l’on peut dire qu’il ne dépare pas par rapport à eux du moins en ce qui concerne la qualité technique. Les dessins de Rulot pour Sangahall sont exposés en 1896 au Salon de l’Art idéaliste à Bruxelles (22). Dans Hildhyllia, une lithographie à l’encre, très épurée, signée Donnay, sert de frontispice. L’illustration proprement dite du drame se répartit comme suit :
Hildhyllia venant de descendre de sa monture Siffada, d’après un dessin aquarellé signé en bas à droite : J. Portaels ;
Hildhyllia en conversation avec Minvane, d’après un dessin au crayon signé et daté en bas à droite : Jh Rulot 91 ;
Roscrana s’élançant dans la mêlée, d’après un dessin au crayon signé et daté en bas à droite : Jh Rulot 91 ;
Le fantôme de Roscrana reforgeant le glaive de Ryno, d’après un dessin au crayon signé et daté en bas à gauche : AUG. DONNAY / octobre 1891 ;
Les Sirènes fatales, d’après un dessin au crayon signé et daté en bas à gauche : AUG. DONNAY 1891 ;
Ryno se débarrassant du druide de Cromla, d’après un dessin au crayon de Rulot non signé et non daté ;
Ryno donnant un baiser à Hildhyllia sur la plage, d’après un dessin au crayon signé et daté en bas à droite : AUG. DONNAY 1891 ;
Hildhyllia se mourant, d’après un dessin au crayon, signé et daté en bas à gauche : AUG. DONNAY / 1891 ;
Ryno rampant vers le corps sans vie d’Hildhyllia, d’après un dessin au crayon signé en bas vers la gauche : J Rulot ;
Le Morven devant le corps de Ryno, d’après un dessin au crayon signé et daté sur le côté gauche : AUG. DONNAY 1891.
3 pictures | Diaporama |
On compte donc six illustrations par Donnay (dont le frontispice), quatre par Rulot et une par Portaels. Si ce n’était la reproduction du dessin de Portaels, réalisé selon une technique tout autre et dont le style à un côté franchement romantique et orientalisant, l’ensemble de l’illustration de l’ouvrage est relativement uniforme, les différences entre les dessins de Donnay et ceux de Rulot n’étant guère significatives. Tant les dessins de Rulot que ceux de Donnay placent les protagonistes dans une atmosphère pesante et lugubre. Cependant, Donnay se distingue par la théâtralité qu’il donne à ses compositions, où les figures apparaissent plus présentes, et par une meilleure maîtrise des contrastes entre ombres et lumières. Ses Sirènes fatales sont saisissantes. Chez Rulot, les êtres ont tendance à se confondre avec le fond. La tonalité générale est le noir. À la différence de Donnay, le sculpteur répugne à l’emploi de zones parfaitement blanches, leur préférant des gris très clairs. Mis à part pour Hildhyllia en conversation avec Minvane, qui apparaît un peu mièvre avec ses deux femmes au corps élancé et sans beaucoup d’expression, on décèle chez Rulot une espèce de force contenue, une tendance à l’audace contrainte de retenue, comme si l’artiste, malgré une volonté manifeste, ne parvenait pas à se dégager de son apprentissage académique. À regarder Roscrana s’élançant dans la mêlée, le gonfanon en main, on est saisi par une sorte d’effet d’implosion, comme si le dessin se repliait sur lui-même. Et pourtant l’image ne manque pas de qualités. En quelques coups de crayon esquissant des têtes sans visage et des armes, l’auteur livre une masse informe dans laquelle ne peuvent se reconnaître les parties en présence et de laquelle transpire l’intense férocité du combat. Par ailleurs, la silhouette de Roscrana trahit son désespoir.
La collection Brouns possède un autre dessin reprenant la même scène (23). Ici, les corps sont mieux délimités et se distinguent nettement des cavaliers. Roscrana tient le gonfanon à deux mains et est beaucoup moins surélevée. Ce dessin a un côté davantage romantique, il est moins novateur. L’illustration de Sangahall se répartit comme suit :
Le frontispice, d’après un dessin au crayon signé en bas à droite : J. Rulot ;
Les trois fileuses franchissant l’enceinte du Burg, d’après un dessin au crayon signé et daté en bas à droite : AUG. DONNAY ;
Élisiff se laissant glisser au pied d’Halwart, d’après un dessin au crayon signé en bas à gauche : J. Rulot ;
Élisiff recouverte du voile des fileuses, d’après un dessin au crayon non signé ;
Les larls se réunissant, d’après un dessin au crayon non signé ;
Les jeunes filles dans la forêt, d’après un dessin au crayon signé en bas au milieu : AUG. DONNAY ;
La rencontre des jeunes filles et d’Halwart, d’après un dessin au crayon signé en bas à droite : J. Rulot ;
Les jeunes filles soutenant les chaînes d’Halwart, d’après un dessin au crayon signé en bas à droite : Em. Berchmans ;
Les dragons sur les flots, d’après un dessin au crayon signé en bas à droite : AUG. DONNAY ;
Halwart et Élisiff regardant les fleurs tomber, d’après un dessin au crayon signé en haut à droite : Em. Berchmans ;
Halwart étendu mort sur la plage, d’après un dessin au crayon non signé.
S’y ajoutent les bandeaux de têtes de chapitres à la plume par Émile Berchmans et la petite vignette réalisée par Donnay avant le prélude et en tête de la première page de notes. La page de titre de l’ouvrage mentionnant la collaboration d’Armand Rassenfosse, la tendance à lui attribuer les dessins non signés semble a priori aller de soi. Cependant, il est clair que le dernier dessin ne peut être que l’œuvre de Donnay. Le rendu du personnage aurait pu le donner à Rulot, mais les mains maladroitement exécutées sont typiques du peintre. Il en est de même pour le dessin des larls. Seul finalement celui montrant Élisiff couverte du voile des fileuses pourrait être de la main de Rassenfosse, mais le doute subsiste. Il ne s’agit en tout cas pas de l’œuvre de Rulot ou de Berchmans. Peut-être Rassenfosse s’est-il contenté de réaliser la composition imprimée en relief sur la couverture de l’ouvrage. Nadine de Rassenfosse-Gilissen ne mentionne pas la participation de son arrière-grand-père à l’illustration de Sangahall (24). Jacques Parisse n’évoque pas plus celle d’Auguste Donnay, bien qu’il cite la collaboration de ce dernier à Hildhyllia (25).
En ne prenant en compte que les dessins signés ou attribués avec certitude, la collaboration entre Donnay, Rulot et Berchmans est heureuse dans la mesure où elle offre trois manières différentes d’interpréter le texte sans qu’aucune ne pâtisse de ses voisines. Par rapport à ses dessins pour Hildhyllia, Donnay confirme son sens de la mise en page et sa capacité à réaliser des compositions d’esprit divergent. L’aspect lugubre et funeste des trois fileuses franchissant l’enceinte du Burg, l’extraordinaire puissance qui émane des dragons (drakkars) avançant sur les flots mouvementés et le caractère juvénile et printanier des jeunes filles dans la forêt témoignent des vastes aptitudes de l’artiste. Les illustrations de Berchmans sont moins expressives, mais très évocatrices par les attitudes des personnages et d’une mise en page originale. Berchmans est le seul à ponctuer son dessin de détails, une broderie sur un vêtement, un bracelet enserrant le bras d’Élisiff. Quant à Rulot, il faut bien constater que son style n’a guère évolué depuis Hildhyllia. Les trois compositions sont sombres, peu lumineuses et quelque peu statiques.
Le frontispice de Sangahall que signe Rulot associe les trois principaux protagonistes du drame. À gauche, Answalda, la Reine, est drapée de noir. Sa tête est couverte d’un voile qu’elle retient sous le menton. Son visage est sombre. À droite, Halwart, curieusement nu, est assis. Il se tient la tête à deux mains. Au fond, statique, le regard levé vers le ciel est Élisiff, la vierge vêtue de blancheur. Elle est présentée de profil. Rulot a placé les personnages dans des positions qui les isolent les uns des autres. Aucun lien ne les unit. Answalda regarde le spectateur, Halwart vers la droite, Élisiff vers le haut. Cela donne l’impression d’une nature morte réunissant un relief et deux rondes bosses. Ce dessin offre un intérêt supplémentaire dans la mesure où il permet de déterminer le sujet de deux ébauches conservées aux Musées royaux des Beaux-Arts à Bruxelles. La première, Femme en prière (26) est un relief et traite le sujet exactement de la même façon qu’Élisiff si ce n’est que la composition est inversée. La seconde, présentée erronément comme un Christ (27) est une ronde bosse en terre cuite et apparaît comme l’Answalda du dessin en trois dimensions. Le dessin montrant Élisiff et Halwart figure ce dernier un peu raide et inexpressif par contraste avec la jeune femme voilée et agenouillée dont le geste de la main est plein de tendresse et dont le visage, bien qu’étant dans la pénombre, diffuse une sérénité et une affection intenses.
L’image des jeunes filles rencontrant Halwart dans la forêt est d’une composition plus aérée. Dans la forêt suggérée par quelques arbres en arrière-plan dont les feuillages sont traités par traits croisés comme pour la paysage de 1885, et qui laissent entrevoir le temple, le Sangahall, dans le fond, Halwart passe près de cinq jeunes filles. Il a les mains enchaînées. Les demoiselles sont réparties en deux groupes selon deux axes obliques parallèles. Celui du milieu en compte deux. Elles regardent vers Halwart. L’une d’elles est vêtue d’une tunique qui n’est pas sans évoquer celle que porte la Légende du Monument à Nicolas Defrecheux. Les trois autres, en bas, se lamentent. Comme dans le frontispice, il manque de liens entre elles. On a davantage affaire à une juxtaposition de figures. Dans ce dessin, Rulot a mieux souligné les contours des protagonistes par un trait sombre relativement épais. On s’étonne que le visage d’Halwart, personnage central, reste dans l’ombre alors que ceux des jeunes filles sont éclairés. Rulot a davantage accentué les contrastes, mais son utilisation de la lumière est peu logique. La composition manque d’unité ; elle est comme morcelée, éclatée. C’est un dessin dans lequel la main du sculpteur se ressent par le souci de donner du volume et de la profondeur, mais qui pèche par son manque d’originalité dans la mise en page. Il nous semble donc que les illustrations de Rulot pour Hildhyllia étaient mieux réussies.
Signalons encore que Rulot a apporté une troisième fois son concours à Jules Sauvenière en représentant le pèlerin d’un poème mis en musique par Jean-Théodore Radoux (28). Deux dessins ne figurant pas dans ces publications peuvent être repris ici par le style. Ce sont une allégorie funèbre (29) et un crayon intitulé Leyîz’m plorer (30). Le premier adopte la même technique que pour le portrait de femme vu plus haut : travail à l’estompe et quelques traits pour souligner les feuillages et la chevelure.
Li Famille Tassin
L'ouvrage d'Alphonse Tilkin, Li famille Tassin (31), raconte la vie d'une famille lors de la Révolution belge de 1830. Le frontispice, qui sert aussi de couverture, montre la personnification de la Liberté brandissant le drapeau tricolore et s’élançant au combat en enjambant une branche. Au fond, une multitude de volontaires avec drapeaux s’avance vers la droite. À l’impression, le dessin a été détouré (32). Ce genre de scène particulièrement éculé depuis l’époque romantique, connaîtra une vingtaine d’années plus tard une résurgence en sculpture notamment avec les nombreux monuments aux morts de la Grande Guerre. Cette image s’inscrit dans les grandes envolées patriotiques telles qu’on peut les voir dans les fresques romantiques dont la plus fameuse est La Liberté guidant le Peuple de Delacroix. La mise en page et la qualité de réalisation sont cependant ici bien éloignées et différentes de celles du peintre français. On regrettera le côté masculinisé du personnage central, sans doute pour accentuer l’effet de puissance.
À l’intérieur de l’ouvrage, on trouve une illustration montrant Jâcques Tassin et ses fèyes. L’homme est assis raide à une table, la pipe à la main. Ses trois filles l’entourent. Deux sont debout derrière lui. La troisième, assise à sa gauche, repose la tête sur son épaule. Tout est encore très sombre. Seuls deux des visages féminins sont légèrement éclairés. Le cadre est serré. Il s’agit d’un dessin un peu rigide.Par contre, le dessin figurant Li prise dè Parc à Bruxelles est plus intéressant. Il évoque l’histoire de ces cinq volontaires qui voulurent ravir le drapeau orangiste qui flottait encore sur le grillage et le remplacer par les nouvelles couleurs. Ils réussirent leur manœuvre, mais les grenadiers bataves s’en aperçurent et firent feu. L’un des braves s’écroula mortellement frapper. Au centre de la composition du dessin, un volontaire est montré au moment même où il est percé par une balle. Il s’est redressé. Il est saisi dans le moment où il va s’effondrer, mais tient vaillamment le drapeau à bouts de bras. Les personnages sont un peu mieux typés notamment le principal, tenant l’étendard, que dans Roscrana s’élançant dans la mêlée. Cependant, la composition est nettement plus resserrée, contrainte par le format du livre. Comme à l’habitude, les personnages occupent la totalité de l’image laissant très peu de place au décor. Les dessins restent sombres. Il y a une uniformité de tons. Dans Li feu à Cou-Fontaine, une masure est en flammes au centre du paysage. Celle-ci apparaissent bien claires et l’artiste a su rendre le côté lugubre d’une nuit illuminée alentours par le brasier. À lire le roman, les dessins, en dehors du portrait de Tassin et de ses trois filles, n’illustrent pas réellement le texte. Il s’agit d’une évocation libre. Les dessins exécutés d’une manière plus légère et plus aérée datent essentiellement des années 1899-1903. Dans un dessin destiné à illustrer le recueil Prumîs Côps d’Éles de Charles Derache (33), on peut voir une personnification du printemps assise. Quelques papillons virevoltent tandis qu’une palme végétale souligne, dans l’esprit Art nouveau, l’ensemble en une courbe à gauche. Ce dessin est une allégorie visant à suggérer l’ensemble de la publication et non plus une illustration d’un passage précis d’une histoire. Le décor apparaît plus précis dans la demoiselle en frontispice du recueil Châles de Charles Bartholomez (34). Elle est en avant-plan d’un paysage de Liège ponctué par la cathédrale Saint-Paul. Un troisième dessin sert de couverture et de frontispice au recueil théâtral Djèton d’Avri de Joseph Médard édité en 1902 (35). Il s’agit d’une jeune adolescente occupée à cueillir des fleurs dans un jardin. Le dessin est baigné d’une lumière printanière. La silhouette féminine, spécialement le visage et le bras droit, a été réalisée avec soin à l’inverse du trait peu précis et suggestif du reste de la composition. Rulot exécute encore l’illustration de la partition de la chanson Noël, sur des paroles de Célestin Demblon et une musique de Pierre Van Damme. En outre, l’artiste participe au Spa album, publié à Liège chez Ch. Gordinne, par la Protection de l’Enfance à l’occasion des Fêtes données du 3 au 6 août 1901 à Spa au profit de l’œuvre. Il s’agit d’un album d’autographes et de dessins d’artistes réputés tels qu’Émile Claus, Auguste Donnay, Jules Lagae, Jef Lambeaux, Georges Lebrun, Jenny Lorrain, Xavier Mellery, Constantin Meunier, Léon Philippet, Armand Rassenfosse, Jakob Smits ou encore Charles Van der Stappen pour ne citer que les principaux. Le dessin de Rulot représenterait sainte Cécile (36).
Dans le domaine publicitaire, on relève un dessin repris dans un album offert par la Société Clos Margueritte & Vins naturels de toutes provenances à sa clientèle en 1900 (37). Il y figure aux côtés de ceux d’artistes comme Auguste Donnay, James Ensor, Maurice Hagemans, Léon Herbo, Amédée Lynen et Ernest Marneffe. Chaque dessin est présenté avec une photo de l’artiste. L’illustration de Rulot montre un groupe de personnages tel qu’il les affectionne, c’est-à-dire très compact. Émergeant d’un groupe de sept personnages enivrés, une femme nue leur soustrait un verre du précieux vin qu’elle tient de la main gauche, le bras tendu vers le haut. L’œuvre est légendée, signée et datée par l’artiste dans le bas à droite comme suit : Grâce à la Margueritte, / la complainte finit gaiement / Jh Rulot / 1900. Notons encore une illustration pour le bijoutier-joaillier-orfèvre Octave Gryspeert qui avait son magasin boulevard de la Sauvenière à Liège. Une femme assise vue en profil gauche tient de la main gauche un collier de perles. L’encadrement est de style Art nouveau (38). Le dessin Art nouveau, et plus spécialement la célèbre ligne coup de fouet de Victor Horta, semble avoir intéressé l’artiste. En témoigne un projet de lettre D exécuté avec beaucoup de minutie (39).
En conclusion, Rulot dessinateur laisse des compositions de qualité inégale. S’il possède bien sa technique, si son dessin est précis et correct, ses mises en page ne sont pas toujours heureuses et sa manière de sculpteur se manifeste quelquefois à mauvais escient. L’artiste adapte sont style à la destination de l’illustration et a une certaine tendance à s’essayer au goût du temps. Rulot est une personnalité contenue qui freine son audace, qui rechigne à l’ampleur et qui se cherche un style bien caractérisé. C’est certes un dessinateur de talent, mais qui ne s’est pas pleinement épanoui (40).