00:00:00 / 00:00:00


FRANCAIS - ENGLISH
- - - - Sacha Zdanov Ambrosius Benson et l’Angleterre Contribution à l’étude du portrait supposé de George Hastings
Amateur
Expert
Reporticle : 168 Version : 1 Rédaction : 01/03/2016 Publication : 16/03/2016

Introduction

Fig. 1 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme, huile sur panneau de chêne, 39,5 x 33,5 cm. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, inv. 3437.
Photo MRBAB, Bruxelles.Close
Fig. 1 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme, huile sur panneau de chêne, 39,5 x 33,5 cm.

Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles, conservent depuis 1898 un panneau flamand des premières décennies du XVIe siècle ((fig. 01). Attribué au peintre brugeois d’origine lombarde Ambrosius Benson, il a été abondamment décrit dans la littérature comme représentant George, baron Hastings et comte de Huntington (1). L’objectif du présent article est d’attirer l’attention sur cette identification – et son origine – qui n’a que très rarement été examinée de manière objective par les historiens et historiens de l’art. Cette contribution tentera ensuite d’aborder une question plus large : Ambrosius Benson a-t-il travaillé pour des commanditaires anglais ?

Acquisition, description et premières recherches

Fig. 2 – Jan van Eyck (?), Portrait d’homme au chaperon bleu, huile sur panneau de chêne, 19,1 x 13,2 cm. Sibiu, Musée national Brukenthal, inv. 354.
Photo Wikimedia Commons.Close
Fig. 2 – Jan van Eyck (?), Portrait d’homme au chaperon bleu, huile sur panneau de chêne, 19,1 x 13,2 cm.

Le 24 octobre 1898, un marchand d’art de la rue de Ligne à Bruxelles du nom de Buéso (2), propose aux Musées royaux de peinture et de sculpture de Belgique l’acquisition de deux tableaux. L’un est un Portement de la Croix par Pierre Breughel l’Ancien, l’autre, au prix cinq fois supérieur, est un Portrait d’homme donné à « Jean Gossaert de Mabuse ». Après plusieurs échanges portant sur la question du prix, le vendeur accepte finalement l’offre du musée le 5 novembre 1898. Le Ministère de l’Agriculture et des Travaux publics, à travers sa direction des Beaux-Arts, autorise l’acquisition plus tard dans le mois (3). Le contrat est envoyé au vendeur le 15 décembre (4) et accepté le 23. On apprendra par la suite de Buéso que le « portrait d’homme sur fond vert de Gossaert, que j’ai cédé au Musée de Bruxelles en Novembre 1898, provient de Monsieur S. Bourgeois, 23 chaussée d’Antin à Paris » (5).

Fig. 3 – Rogier van der Weyden (atelier), Portrait de Charles le Téméraire, huile sur panneau de chêne, 50,9 x 33,6 cm. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie, inv. 545.
Photo Wolfgang Guelcker, www.guelcker.de.Close
Fig. 3 – Rogier van der Weyden (atelier), Portrait de Charles le Téméraire, huile sur panneau de chêne, 50,9 x 33,6 cm.

Un homme aux cheveux bruns portant un couvre-chef noir y est représenté en buste, tourné de trois-quarts vers la droite. Vêtu d’un habit noir sur une chemise blanche, que recouvre un manteau sombre doublé de fourrure, il tient dans la main gauche une paire de gants tandis que la droite semble posée sur la partie inférieure du cadre. Cette formule à mi-corps est habituelle dans la peinture des Pays-Bas. La position des mains sur l’encadrement, traditionnelle elle aussi, opère de manière illusionniste une transition entre l’image fictive et la temporalité du spectateur, procédé auquel avaient déjà eu recours Jan van Eyck dans son portrait de l’Homme au chaperon bleu et Rogier van der Weyden pour représenter Charles le Téméraire, et que l’on retrouve encore au XVIIe siècle notamment chez Rembrandt (fig.2-4). Le modèle se détache sur un fond vert sombre, sur lequel on distingue son ombre portée comme celle de l’encadrement. Dans la partie supérieure du tableau se trouve une inscription en lettres noires, partiellement effacée.

    2 pictures Diaporama
    Fig. 6 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme tenant une lettre, huile sur panneau, 67 x 53 cm. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie, inv. 206.
    Photo KIK-IRPA, Bruxelles.Close
    Fig. 6 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme tenant une lettre, huile sur panneau, 67 x 53 cm.

    L’œuvre figure dans la première édition du Catalogue du Musée d’Art Ancien d’Alphonse-Jules Wauters comme Portrait d’homme de l’École néerlandaise, l’attribution donnée par le vendeur n’étant pas retenue (6). Le panneau est toutefois à nouveau donné à Gossaert dans les éditions de 1906 et 1908 (7), Wauters se basant sur une comparaison avec un portrait monogrammé « I M » vendu à Paris en 1904 (8) et aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York (9) (fig.5).

    Dès 1910, Max Friedländer reconnaît dans le portrait la main d’Ambrosius Benson (10). L’attribution sera dès lors unanimement acceptée par les historiens de l’art et reprise dans le catalogue du Musée de 1922 (11). Ce portrait figurera également sous cette attribution dans le catalogue des œuvres de l’artiste établi par Georges Marlier (12) ainsi que lors de la présentation du panneau dans différentes expositions (13). On reconnaît dans cette effigie une plastique affirmée, un visage individualisé travaillé en clair-obscur aux contours traités en sfumato, caractéristiques du maître se retrouvant notamment dans le Portrait d’Homme de Berlin (14) (fig.6). Ses rapprochements s’étendent aux drapés exécutés de manière systématique et rigide, dont les plis sont soulignés par un rehaut de blanc de plomb sur les crêtes.

    Quelques éléments biographiques

    Fig. 7 – Ambrosius Benson, Triptyque de saint Antoine de Padoue, monogrammé AB, huile sur panneau, 68,5 x 49 cm (panneau central), 68,5 x 20 cm (volets). Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, inv. 4129.
    Photo MRBAB, Bruxelles.Close
    Fig. 7 – Ambrosius Benson, Triptyque de saint Antoine de Padoue, monogrammé AB, huile sur panneau, 68,5 x 49 cm (panneau central), 68,5 x 20 cm (volets).
    Fig. 8 – Ambrosius Benson, Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, daté 1527 et monogrammé AB, huile sur panneau 83,5 x 65 cm. Bruges, Groeningemuseum, inv. 2006.GRO0001.I.
    Photo Lukas Art in Flanders.Close
    Fig. 8 – Ambrosius Benson, Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, daté 1527 et monogrammé AB, huile sur panneau 83,5 x 65 cm.

    Ambrosius Benson (15), dénommé aussi Bentsoen ou Benzone, serait né vers 1495 en Lombardie, peut-être à Milan. Il s’installe à Bruges en 1518 et entre dans l’atelier de Gérard David avant d’être reçu franc-maître à la guilde des imagiers et selliers le 21 août 1519. On lit ainsi dans les registres de cette corporation : Hambrosus Benson, ende was hut Lombardie, was vrymeester, als schylder, ontfangen, op den XXI van Hoest, an° XIX, ende hop dat hen haddey gheen kynderen » (16). Il y exercera à plusieurs reprises les plus hautes fonctions. Le retable de Saint Antoine de Padoue des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique ((fig. 07) et la Sainte Famille datée 1527 du Groeningemuseum à Bruges ((fig. 08), tous deux signés du monogramme « AB », constituent les œuvres de référence de ce peintre. Toutefois, sa production telle que connue présente un caractère hautement hétérogène qui trahit la participation d’un atelier, dans lequel se sont sans doute succédé de nombreux collaborateurs. Le succès de ses compositions abondamment reprises par ses contemporains expliquerait aussi le nombre important d’œuvres associées au style du maître. L’abondance de sa production se confirme à la lecture des archives. Ainsi, entre 1522 et 1530, Benson louera jusqu’à trois étals pour vendre ses œuvres lors de la foire du cloître des Frères Mineurs, ce qui dénote l’importance du stock de tableaux devant y être écoulés. Seuls deux apprentis lui sont pourtant connus, Joachim Spaers et Jacob Vinson. Ceux-ci, orphelins de la Bogaerdenschool, ne sont renseignés qu’à la fin de sa carrière, respectivement en 1541 et 1549. Mentionnons encore ses deux fils aussi peintres, Willem et Jan, dont il sera question plus loin. Ambrosius Benson décède à Bruges et y sera inhumé le 12 janvier 1550.

    Identification à George, Baron Hastings, et histoire antérieure

    Le portrait est envoyé à Londres en janvier 1927 pour l’Exhibition of Flemish and Belgian Art 1300-1900 à la Royal Academy of Arts (17). Ce prêt sera d’une certaine importance pour son identification future. En effet, une année plus tard, Léo van Puyvelde, alors conservateur des Musées royaux, reçoit une lettre d’une certaine Claire Stuart Wortley, disant : « Il y a à South-Kensington-Museum-Library une vieille photographie (18) d’un tableau exposé en 1866, dit Portrait de George, Baron Hastings et 1er Earl of Huntington, qui ressemble exactement au Portrait d’Homme par Ambrosius Benson, N° 569 au Musée Royal de Bruxelles ». Il s’agit d’un tableau prêté « à l’Anglo-Flemish Exhibition à Londres en Janvier 1927. C’est là que j’ai vu votre Benson ». La semaine suivante, madame Stuart Wortley envoie aux musées de nouveaux renseignements glanés durant la semaine (19). Elle a ainsi appris qu’un certain marchand Lausre aurait vu le tableau lors de la vente de la collection de Reginald Cholmondeley (Condover Hall, Shropshire) du 6 mars 1897. Cette vente aurait été faite par la maison Christie, Manson & Woods aujourd’hui plus connue sous le nom de Christie’s. Elle précise que « si votre tableau provient de la vente Cholmondeley, il doit porter au verso le numéro 670 et une petite lettre ‘r’ (pas une majuscule) marqués à l’encre par patron découpé. En plus, la date et le numéro du ‘lot’ en craie blanche ; je crois que cela ferait March 6.97. N°47 » (20). Van Puyvelde, qui s’est rendu à Londres, a pu voir la photographie de la bibliothèque du South Kensington Museum, l’actuel Victoria & Albert Museum. Il s’agit bien du portrait par Benson. Attribué à Clouet, il y est intitulé George, 3e baron Hastings et 1er comte de Huntington (21). En outre, un examen du tableau de Bruxelles montre que l’inscription 670r de la vente Christie est bien présente au revers du portrait (22). Il s’agissait du lot n° 47 attribué à « J. de Mabuse » (23). C’est donc bien la même œuvre. Rapidement, une note interne aux musées modifie le cartel du tableau qui se lit désormais : « Ambrosius Benson (Ec. fl.). Portrait de George, 3e Baron de Hastings et 1er comte de Huntington » (24). L’indentification proposée est dès lors communément admise et abondamment reprise dans la littérature.

    Restauration

    Fig. 9 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme, cf. fig. 1. Photographie avant traitement à l’Institut royal du Patrimoine artistique.
    Photo KIK-IRPA, Bruxelles.Close
    Fig. 9 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme, cf. fig. 1. Photographie avant traitement à l’Institut royal du Patrimoine artistique.

    À l’occasion du prêt à l’exposition de Paris en 1952-1953 (25), l’œuvre a fait l’objet d’un examen et d’une intervention à l’Institut royal du Patrimoine artistique en juin 1952 (26) ((fig. 09). Une photographie prise en lumière rasante, après dévernissage, révèle des fentes dans le panneau (fig. 10). Le portrait a été restauré par Albert Philippot, qui procèda à l’enlèvement du parquetage et au fixage du panneau sur masonite doublé de chêne (fig. 11). L’inscription de la vente Cholmondeley « 670r » disparut lors de cette intervention. On enleva également à cette occasion une ajoute (languette de bois) de deux centimètres qui avait été posée au-dessus du bord supérieur du panneau à une époque indéterminée (fig. 12). Enfin, des retouches très localisées ont été réalisées. Un nouvel encadrement fut commandé en juillet de la même année à Gabriel Van Thienen (27).

      3 pictures Diaporama

      Un portrait de femme, pendant du tableau de Bruxelles

      Fig. 13 – Ambrosius Benson, Portrait de femme, huile sur panneau, 40 x 32,4 cm. Saint Louis (Missouri), Saint Louis Art Museum, inv. 154:2003.
      Close
      Fig. 13 – Ambrosius Benson, Portrait de femme, huile sur panneau, 40 x 32,4 cm.

      Un portrait de femme, jusqu’alors inconnu, apparaît lors de la vente Christie’s du 11 décembre 1992 (28) (fig. 13). Le modèle, les mains jointes, est présenté à mi-corps devant un fond vert foncé. Il est vêtu d’une robe noire aux manches de satin rouge au-dessus d’un tissu blanc. Un ruban bleu et blanc tient lieu de ceinture, à laquelle est attachée, par un anneau de métal, un chapelet composé de perles rouges et dorées (fig. 14), que l’on retrouve chez une des filles de Joris van de Velde sur un volet de diptyque peint par Adriaen Isenbrant en 1521 (29) (fig. 15). Ce que certains ont pris pour une étole, correspond en réalité aux manches retournées doublées de fourrure de la robe, comme on le voit clairement dans le portrait de femme peint par Jan Mostaert et conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam (fig. 16). La dame porte une coiffe blanche maintenue par quelques épingles (fig. 17). L’œuvre proviendrait d’une ancienne famille anglaise, à Westonpark dans le Shropshire. La maison de vente indique, sans toutefois préciser son hypothèse, qu’il pourrait s’agir d’un pendant au portrait des Musées royaux (30) (fig. 18). Il pourrait donc représenter Anne Stafford, épouse de George Hastings.

        5 pictures Diaporama

        Le musée bruxellois, qui pense dans un premier temps acquérir l’œuvre, entreprend des recherches complémentaires sur le portrait qu’il conserve et sur son association au panneau proposé par la maison de vente. C’est ainsi que Françoise Roberts-Jones propose pour la première fois, dans une fiche d’inventaire établie en 1992, la transcription partielle de l’inscription figurant en noire dans la partie supérieure du portrait. Elle y lirait, pour la partie droite, « …ASTIN… » ce qui renforcerait l’identification proposée en 1928. Étonnement, l’inscription à gauche de la coiffe de l’homme n’est pas mentionnée. L’auteur souligne également la même provenance anglaise du portrait de femme, et note que les dimensions des deux œuvres sont très proches. Le portrait de femme sera proposée chez Sotheby’s à New York lors des ventes de peintures anciennes en janvier 1997 (31) et sera finalement acquise plus tard par le Saint Louis Art Museum (32).

        Quelle identification ?

        Fig. 19 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme, cf. fig. 1. Inscription de gauche.
        Close
        Fig. 19 – Ambrosius Benson, Portrait d’homme, cf. fig. 1. Inscription de gauche.

        C’est une dizaine d’année plus tard, lorsque l’œuvre est proposée par le marchand d’art Jean-Luc Baroni (33), que les premiers doutes sont émis quant à l’identité des modèles. S’agit-il réellement de George Hastings et de son épouse, Anne Stafford ? Reprenons dès lors de manière critique les différents éléments appuyant l’identification de ce couple. Réexaminons, d’abord, la problématique des inscriptions figurant dans la partie supérieure du portrait d’homme (fig.19-20). Alors que la partie gauche n’est jamais mentionnée dans la littérature, celle de droite est souvent signalée comme « …ASTIN… » (34). Cette lecture a été avancée après l’identification du modèle au baron Hastings et a donc essentiellement servi à appuyer celle-ci. Or, lorsqu’on examine attentivement ces inscriptions, elles se révèlent particulièrement peu lisibles et leur sens n’a pu être retrouvé. On y lit vaguement « HVVSTIIN » pour la partie droite et « IOELROET » pour la partie gauche. Quoi qu’il en soit, la lecture initiale se révèle incorrecte. En outre, il apparaît impossible à ce stade de préciser si l’inscription est originale.

          2 pictures Diaporama

          En partant de l’hypothèse que les pendants représentent effectivement George Hastings et Anne Stafford, une nouvelle question doit être posée. Ces représentations correspondent-elles à l’âge supposé des modèles. Marlier semble incertain sur la datation du portrait d’homme. Il suggère une date de 1522, mais avance également une possible exécution en 1529, lorsque le 8 décembre de cette année George Hasting reçoit le comté de Huntington (35). Or, comme le propose Borchert, le style de l’œuvre indiquerait plutôt une exécution dans les années 1530-1535 (36) comme le révèle la comparaison avec la seule œuvre signée et datée du maître, conservée au Groeningemuseum à Bruges (37) (fig.8). Dans cette hypothèse, Anne Stafford, née vers 1483, aurait eu entre 47 et 52 ans lorsque Benson peignit son portrait. Bien qu’il soit assez difficile de se baser sur une physionomie pour établir l’âge d’un modèle, on pourrait toutefois ici reconnaître une personne plus jeune. George Hastings, quant à lui, né en 1486-1487 (38), aurait entre 44 et 48 ans. Toutefois, on conviendra que ce type d’argument, pris indépendamment, est difficile à soutenir.

          Fig. 22 – Joos van Cleve, Portrait d’Henry VIII, vers 1530-1535, huile sur panneau, 72,4 x 58,6 cm. The Royal Collection, Hampton Court Palace, inv. 403368.
          Photo The Royal Collection.Close
          Fig. 22 – Joos van Cleve, Portrait d’Henry VIII, vers 1530-1535, huile sur panneau, 72,4 x 58,6 cm.

          Enfin, un troisième élément à prendre en considération est intimement lié au rôle social du portrait : laisser paraître l’image que le modèle souhaite donner de lui-même. Cette image est ancrée dans des typologies connues révélant la position sociale du commanditaire. Or, les vêtements choisis par les modèles ici peints par Benson ne correspondent pas au caractère ostentatoire généralement présents dans les portraits de la noblesse anglaise de l’époque. Ce goût, que l’on trouve en premier lieu dans les portraits du souverain anglais (fig.21-22), apparaît aussi dans l’habillement de la noblesse, comme dans ce portrait de Charles Brandon, duc de Suffolk, exécuté vers 1530 (fig. 23) ou encore dans le portrait de John Bourchier, baron Berners (fig.28). Notons, par ailleurs, que le type de coiffe portée par l’épouse, composée d’un foulard blanc recouvert d’une dentelle blanche, ne se rencontre pas en Angleterre dans les années 1530, qui préfère des coiffes plus élaborée suivant une mode venue de France comme nous le montrent les portraits peints par Holbein et Horenbout (fig. 24).

            2 pictures Diaporama
            Fig. 25 – Ambrosius Benson, Portrait de femme, huile sur panneau, 40 x 32,4 cm. Saint Louis (Missouri), Saint Louis Art Museum, inv. 154:2003.
            Close
            Fig. 25 – Ambrosius Benson, Portrait de femme, huile sur panneau, 40 x 32,4 cm.

            On pourrait donc avancer que les deux portraits de Benson ne relèvent pas du milieu courtois insulaire. Ils se rapprochent, au contraire, des portraits de la bourgeoisie flamande des Pays-Bas, telles les nombreuses œuvres d’Adriaen Isenbrant, Joos van Cleve, ou le Maître de 1540 (fig. 25). Pour reprendre les mots de Jean-Luc Baroni, ce que l’on voit dans ces deux portraits d’Ambrosius Benson, c’est « un couple brugeois de la riche oligarchie des marchands de laine et des banquiers de la ville » (39). Aucun élément objectif ne venant confirmer l’inscription apposée au dos de la photographie de 1866, conservée à Londres, il faudrait donc rejeter l’identité traditionnellement proposée pour ce portrait de couple.

              7 pictures Diaporama

              Benson, portraitiste pour l’Angleterre ?

              Fig. 26 – Maître des Portraits Brandon, Portrait de John Bourchier, 1er baron Berners, huile sur panneau, 49,5 x 39,4 cm. Londres, National Portrait Gallery, inv. 4953.
              Photo National Portrait Gallery, Londres.Close
              Fig. 26 – Maître des Portraits Brandon, Portrait de John Bourchier, 1er baron Berners, huile sur panneau, 49,5 x 39,4 cm.

              Ceci nous amène à notre seconde question : Ambrosius Benson a-t-il travaillé pour des commanditaires anglais comme certains le prétendent ? Till-Holger Borchert affirme ainsi, dans le catalogue de la récente exposition Faces then à Bozar, que « Benson (…) semble avoir régulièrement reçu des commandes de portraits de clients anglais et de marchands actifs dans le commerce avec Londres » (40). L’auteur renvoie uniquement au remarquable ouvrage de Tarnya Cooper sur les portraits de l’élite urbaine anglaise des XVIe et XVIIe siècles (41). Sur quels fondements repose cette affirmation ? Cooper ne mentionne dans son ouvrage qu’un seul portrait qu’elle pense être de Benson, celui de John Bourchier, deuxième baron Berners, tenant un fruit (c. 1521-1526) (fig. 26). Or, l’œuvre est en réalité un produit composite : alors que la position des mains est reprise à un Portrait d’homme attribué par Friedländer à Adriaen Isenbrant (42) (fig. 27), le modèle vient du Portrait de John Bourchier en prière, sans doute volet d’un diptyque de dévotion (fig. 28). Ce panneau, ainsi que sa copie « au fruit », il est vrai autrefois attribué à Benson , est aujourd’hui donné avec raison au Maître des Portraits Brandon , peintre formé chez Gérard David et actif en Angleterre durant le premier tiers du XVIe siècle (43). Ces deux portraits de John Bourchier ne font donc pas partie de la production de Benson.

                2 pictures Diaporama
                Fig. 29 – Ambrosius Benson, Portrait de femme, huile sur panneau, 66,2 x 52,5 cm. Collection privée anglaise (signalé en 1974).
                Photo XV, IRPA.Close
                Fig. 29 – Ambrosius Benson, Portrait de femme, huile sur panneau, 66,2 x 52,5 cm.

                Un autre portrait associé au peintre, cité par Friedländer dans une collection privée anglaise, est celui dit de Catherine Parr, dernière épouse d’Henry VIII (44) (fig. 29). Marlier était déjà assez prudent envers cette identification. Si elle est mentionnée comme telle dans son catalogue (45), il cite l’œuvre comme Portrait de jeune Femme à mi-corps dans son chapitre intitulé « Ambrosius Benson portraitiste », ne reprenant donc pas à son compte cette identification (46). Bien qu’apparaissant sur les gravures de ce tableau qu’en feront William C. Edwards et Henry T. Ryall, cette identification ne semble pas avoir convaincu les historiens de l’art, à juste titre, lorsque l’on compare ce tableau au portrait de la reine, exécuté en Angleterre par Maître John vers 1545 (47) (fig.30).

                Fig. 30 – Maître John, Portrait de Catherine Parr, huile sur panneau, 180,3 x 94 cm. Londres, National Portrait Gallery, inv. 4451.
                Photo National Portrait Gallery, Londres.Close
                Fig. 30 – Maître John, Portrait de Catherine Parr, huile sur panneau, 180,3 x 94 cm.

                D’autres historiens de l’art ont supposé qu’Ambrosius Benson aurait effectué un voyage en Angleterre. En raison de l’identité supposée du modèle de Bruxelles, certains chercheurs ont pensé que celui-ci y avait été peint, et que lors de ce séjour, un autre portrait aurait été exécuté par Benson. Il s’agirait d’un Portrait d’homme du Musée des Beaux-Arts de Strasbourg (48) (fig.31). Cette attribution nous semble pourtant devoir être rejetée. Tant le style plus vif du modèle, la mise en place de la composition et son fond architecturé, que la main en mouvement ou le clair-obscur fortement prononcé, distingue ce portrait de l’œuvre de Benson. L’ancienne attribution à Joos van Cleve proposée en 1890 devrait également être revue (49) et c’est plutôt à l’entourage de Jan Cornelisz. Vermeyen (1500-1559) que le tableau devrait, je pense, être associé en raison de son rapprochement avec différentes compositions de ce dernier, notamment les portraits de Carlsruhe (50), de San Francisco (51) et de Brooklyn (52) (fig.32).

                Fig. 31 – Disciple de Jan Cornelisz. Vermeyen (ici attribué à), Portrait d’homme, daté 1540, huile sur panneau, 89 x 72 cm. Strasbourg, Musée des Beaux-Arts, inv. 190.
                Photo Ministère de la culture, base Joconde.Close
                Fig. 31 – Disciple de Jan Cornelisz. Vermeyen (ici attribué à), Portrait d’homme, daté 1540, huile sur panneau, 89 x 72 cm.

                Enfin, une ultime proposition d’un séjour anglais de Benson a été émise en se basant, non plus sur une œuvre, mais sur des documents d’archives. Un certain Ambros, dont le patronyme ne nous est pas connu, est en effet mentionné dans les registres des dépenses d’Henry VIII d’Angleterre comme peintre de la reine de Navarre. On y lit : « Item the same daye to one Ambros Paynter to the quene of Navara for bringing of a Picture to the king grace to Eltham xx corons - iiij li. xiij s. iiij d. » (53). Marguerite d’Angoulême (1492-1549), sœur de François Ier était devenue reine de Navarre après avoir épousé Henri II. Elle envoie donc son peintre au palais d’Eltham, à Greenwich, le 14 juin 1532, pour apporter un tableau au souverain. En se basant sur son prénom, certains ont émis l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’Ambrosius Benson (54). Toutefois, dans l’état actuel de la recherche, aucune commande de la reine de Navarre n’est à mettre au crédit du peintre brugeois. En outre, aucun voyage de cet artiste en Angleterre – ni en France d’ailleurs – n’est renseigné dans les archives, bien que son fils Jan s’y soit installé et que son autre fils Guillaume y ait brièvement séjourné. Jan Benson et son épouse Antholina s’installeront à Londres en 1564 avec leurs sept enfants dans le Tower Ward, le quartier de la Tour, à l’est de la ville. Il reçoit une lettre de denization le 25 mars 1567, lui conférant un statut social spécifique entre celui d’étranger (stranger) et celui de citoyen (citizen) (55). Il apparaît dans les Returns of Aliens de Londres de mai 1571 comme « John Benson (…) paynter upon tables » et dans ceux de novembre de la même année comme « John Benson, of Bridges, paynter » mentionnant son origine brugeoise. Un bref séjour de son frère, Guillaume Benson, à Londres est également attesté entre 1565 et 1566 (56). Aucun lien de filiation n’existe donc entre les fils Benson et le peintre Ambros mentionné dans la comptabilité du souverain. Ce dernier s’identifie en réalité à Maître Ambroise, peintre français actif autour de 1530 (57), d’abord au service d’Antoine Duprat, alors archevêque de Sens, puis de Marguerite de Navarre. Il semble avoir fait plusieurs séjours en Angleterre puisqu’il est déjà cité dans une lettre de la reine Mary, datée du 13 juin 1530, qui le recommande à François Ier. Aucune œuvre de ce peintre n’est reconnue à ce jour.

                  3 pictures Diaporama

                  Conclusion

                  Fig. 33 – Ambrosius Benson, Marie Madeleine, huile sur panneau de chêne, 68,7 x 51,1 cm. The Royal Collection, inv. 406108.
                  Photo Royal Collection Trust, Her Majesty Queen Elizabeth II 2014.Close
                  Fig. 33 – Ambrosius Benson, Marie Madeleine, huile sur panneau de chêne, 68,7 x 51,1 cm.

                  Si, comme je le pense, les portraits des musées de Bruxelles et de Saint Louis ne représentent pas George Hastings et son épouse, aucune preuve ne vient appuyer l’hypothèse qu’Ambrosius Benson, à la différence de ses fils, ait travaillé pour des commanditaires anglais, ou qu’il fit un séjour outre-Manche. Néanmoins, il semble que la noblesse anglaise n’ait pas été indifférente à son style. Ainsi, une Marie Madeleine est mentionnée dans l’inventaire établi, suite à la mort d’Henry VIII, le 27 janvier 1547 (58). Reconnue par Lorne Campbell, celle-ci est datée des environs de 1530 et fait toujours partie de la collection royale britannique (59) (fig. 33). Cette peinture, comme d’autres issues de cette prestigieuse collection, ne résulte probablement pas d’une commande faite directement à l’artiste, mais plutôt d’une production sérielle acquise dans les Pays-Bas ou en Angleterre par l’entremise d’un marchand (60), attestant le succès de ce type de peinture auprès du public insulaire. Ce fut probablement aussi le cas de nombreuses peintures de ce thème reprises dans les inventaires de la noblesse anglaise. On citera celle répertoriée dans la liste dressée après le décès de John Cope de Canons Ashby en 1558, ou encore la « table of Mary Magdalen » suspendue dans le parloir de Richard Fermour en 1540 (61).

                  Si de nombreux Anglais ont eu recours à des artistes flamands pour leurs commandes, comme je tenterai de le montrer dans ma thèse sur les peintures et peintres des anciens Pays-Bas en Angleterre avant la Réforme, Ambrosius Benson ne semble donc pas en faire partie dans l’état actuel des recherches.

                  Remerciements

                  Je remercie vivement Catheline Périer-D’Ieteren, Valentine Henderiks et Didier Martens, de l’Université libre de Bruxelles, pour leurs suggestions précieuses et leur relecture critique du manuscrit. Mes remerciements s’adressent également à Véronique Bücken (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique) pour l’examen du portrait d’homme du Musée d’art ancien et l’accès à son dossier, ainsi qu’au personnel de l’Infothèque et du Centre des Primitifs flamands de l’Institut royal du Patrimoine artistique pour leur aimable accueil. Cette étude prend place en marge de recherches doctorales sur les peintures et peintres flamands en Angleterre avant la Réforme, menées à l’Université Libre de Bruxelles, sous la direction de Didier Martens et de Valentine Henderiks.

                  Notes

                  NuméroNote
                  1 Encore tout récemment par Till-Holger Borchert dans T.-H. Borchert et K. Jonckheere (dir.), Portraits de la Renaissance aux Pays-Bas, cat. d’expo., Hannibal/Bozar books, 2015, n° 9, p. 104.