Introduction
Le domaine de la censure cinématographique, pourtant souvent très apprécié des scientifiques, n’a fait l’objet que de rares traitements en Belgique. Pourtant, la Commission de contrôle des films existe et censure dès 1920 nombre de films projetés sur le territoire, par le biais de l’attribution des mentions Enfants Admis (EA), Enfants Non Admis (ENA) (1). Accessibles aux Archives générales du Royaume depuis 2012, les archives de cette Commission regorgent d’informations et constituent la base potentielle de nombreuses études. Pour comprendre les motivations des censeurs et recontextualiser la manière dont le film a été traité, l’approche des archives se mêle à la recherche inhérente à la biographie de ses membres et à l’étude de la source filmique, de l’œuvre d’art en tant que telle. L’intérêt de cette approche réside évidemment dans une utilisation de sources variées, très différentes par leur nature, mais fortement complémentaires. C’est dans ce cadre que notre analyse, extraite d’un travail plus approfondi sur la censure du long-métrage d’animation en Belgique, se place (2).
Mais pour pouvoir aborder un cas spécifique et ô combien emblématique du cinéma d’animation - celui de Blanche Neige et les sept nains (David Hand, William Cottrell et. al., 1937) – et de sa confrontation à cet organe de contrôle, il convient d’abord d’introduire le fonctionnement de la Commission de contrôle des films ainsi que son contexte d’apparition dans le paysage cinématographique belge du début des années vingt. Essentielle, cette mise en place permettra de mieux déterminer l’impact réel de l’institution sur la distribution et la circulation en Belgique d’un film comme Blanche Neige, distribué chez nous pour la première fois à la fin des années trente.
Moralité et cinéma en Belgique, un combat fondateur pour la Commission
Le cinéma, arrivé en 1896 en Belgique par le biais du cinématographe Lumière, se propage rapidement dans les théâtres citadins et dans les foires populaires dans la première décennie du vingtième siècle (3). Mais cet engouement, concrétisé quelques années plus tard par la multiplication des salles dédiées exclusivement au cinéma et par l’affirmation du cinéma comme média de masse, n’est pas du goût de tous. A cause de cette capacité à toucher les foules et l’influence qu’il exerce sur l’esprit des spectateurs, et plus particulièrement sur celui des enfants, certains y voient un danger et appellent à son contrôle, à sa censure (4). Rapidement regroupés en organisations ou apparaissant dans les associations déjà existantes, ces détracteurs font pression sur les pouvoirs publics pour que l’exploitation et la distribution cinématographique soient réglementées de manière sévère en Belgique. La Ligue du cinéma moral, fondée dans les années dix par le cinéaste belge Hippolyte de Kempeneer et présidée par le curé Edmond Remes, ira jusqu’à proposer elle-même des recommandations aux autorités communales selon leur moralité (5). De son côté, la Ligue nationale contre la licence des étalages et l’immoralité, préexistante au cinéma, scande : « Pères de famille […] Fuyez les spectacles, les cinémas, quand ils représentent des scènes licencieuses ou criminelles, toujours dangereuses pour la jeunesse. Respect à l’enfance ! Guerre à l’immoralité ! » (6). Ces initiatives, aussi virulentes soient-elles, sont alors systématiquement révoquées par un recours à la Constitution Belge de la part des exploitants. Celle-ci, garantissant la liberté d’expression et stipulant que « la censure ne pourra jamais être établie » (7), donne raison aux salles de cinéma.
La proposition de loi nationale de contrôle cinématographique, poussée par ces mêmes associations, aboutira en 1920 à la fondation de la Commission de contrôle des films.
Fonctionnement et évolution de la Commission
Fondée le 1er septembre 1920 par la loi Emile Vandervelde, la Commission de contrôle des films a pour mission de visionner les films destinés à être montrés à des mineurs de moins de seize ans et de leur attribuer ou non une autorisation dans ce but. Il est donc d’abord question de contrôle plutôt que de censure, avec un but clairement affiché : la protection de l’enfance. Cette Commission dépend du Ministère de la Justice qui joue le rôle de financier mais s’occupe également de la gestion des membres. Le premier président de la Commission, Monsieur Gombault (8), est juge des enfants (9). Parmi les premiers membres, on compte de multiples professions telles que des juges, des avocats, des enseignants. A ces membres vient s’ajouter au moins « un membre de l’industrie cinématographique (ou une personne au courant de cette industrie) » (10) Pour conserver une certaine équivalence dans la sévérité des décisions, il semblerait que le président de la Commission répartisse les membres en fonction de leur profession et de leur personnalité (11).
Fig. 1 – Archives de la Commission de contrôle des films, Procès-verbal de la séance de visionnage de Blanche Neige et les sept nains, 7 mai 1938. |
Le processus d’attribution de la mention, activité principale de l’institution, est structuré comme suit : les distributeurs souhaitant bénéficier de la mention EA doivent faire parvenir une copie du film pour visionnage – et des bandes de lancement si elles existent – ainsi qu’un synopsis en un ou plusieurs exemplaires. Après réception du film et lecture du synopsis, la Commission procède, si elle le juge nécessaire, à une séance de visionnage. Les membres réunis, entre trois et cinq, décident par vote de la mention à attribuer au film. Chaque séance fait l’objet d’un procès-verbal (12). Lorsqu’un film est accepté, il reçoit la mention EA ainsi qu’une autorisation de projection bilingue, que les gérants de cinéma sont tenus d’avoir à disposition en cas de contrôle par les délégués cantonaux. La Commission dispose en effet, parallèlement à son activité de visionnage, d’une série de délégués cantonaux qui ont pour mission de surveiller l’application de ses décisions.
mentionnant l’identité des membres présents, les films visionnés, la mention attribuée, le vote et les éventuelles remarques des membres concernant des réserves malgré l’acceptation du film, ou tout simplement les raisons du refus, qui doivent être communiquées si le film venait à recevoir la mention ENA. Concernant les dessins animés, l’attitude de la Commission est ambiguë. A sa création, elle considère les films d’animation de court métrage comme à part et les accepte sans les visionner. Les longs métrages d’animation qui passent par la Commission, et dont Blanche Neige constitue le premier exemple, recevront dès lors un traitement très aléatoire, comme nous le démontrons dans notre travail de rechercheLes critères de sélection de la Commission, non spécifiés dans la loi de 1920, sont pour la première fois mentionnés dans une circulaire ministérielle rédigée par Emile Vandervelde et datée du 19 avril 1921. Tout en précisant clairement que, selon son fondateur, « la loi du 1er septembre 1920 n’est pas une loi de censure » (13), elle établit également la priorité des intérêts de la protection de l’enfance pour définir les critères d’attribution des mentions EA ou ENA. Faits délictueux, actes de violence, représentations pornographiques ou « de nature à provoquer chez les mineurs un éveil des sens prématuré » (14) sont les principales cibles des premiers censeurs. Le ministre rappelle également que la Commission « n’a pas à s’occuper des tendances politiques, philosophiques ou religieuses des films qui sont soumis à son contrôle » (15) mais que, pour l’ensemble des spectacles familiaux, on veillera à éliminer « tout ce qui est de nature à troubler l’imagination des enfants, à compromettre leur équilibre et leur santé morale » (16) . Très vague, cette dernière phrase va permettre à la Commission de refuser et surtout de couper dans la matière d’un très grand nombre de films.
Car si, dans la loi de 1920, il n’est pas directement fait allusion à une censure mais effectivement à un contrôle de l’accès aux projections cinématographiques pour les mineurs, l’Arrêté royal du 11 mai 1922 autorise la Commission à admettre des films moyennant coupures, afin de les rendre acceptables pour tous (17). Le refus de celles-ci entraînant l’attribution d’une mention ENA, les distributeurs tendent à obtempérer pour des raisons commerciales. Un film interdit aux moins de 16 ans signifie la perte de tout le public familial, part très importante des recettes dans le cinéma d’entre-deux guerres. Cette solution, suggérée par Emile Vandervelde dans la circulaire de 1921, va entraîner des milliers de cas de censure entre 1922 et 1992, date à laquelle la Commission, alors complètement dépassée par la multiplication des supports audiovisuels et minée par les troubles communautaires, reviendra à la simple dualité de l’admission et du refus.
Mais dans les années trente, cette censure tourne à plein régime, au grand dam des défenseurs de l’art cinématographique et de la liberté d’expression. A raison d’environ 1.000 films visionnés par an, l’organe de contrôle en refuse 39,2%, en admet 23,6% moyennant coupures, et en autorise 37,1% (18). Ce qui fait dire à Albert Guittoux, journaliste au Soir : « Il convient de rappeler la Commission à sa véritable tâche et de la détourner de sa besogne stérile et mesquine de « regratteuse de mots » et « d’éplucheuse d’images » (19).
C’est à cette période que Snow White and the Seven Dwarves, Blanche Neige et les sept nains chez nous, premier long-métrage d’animation des studios américains de Walt Disney, passe devant les écrans de la Commission de contrôle des films.
Blanche Neige et les sept nains
Création d’un chef d’œuvre
« Dans l’histoire du septième art, Blanche Neige et les sept nains constitue une étape essentielle. » (20) A sa sortie en salle, Blanche Neige est en effet – à défaut d’être le premier long métrage d’animation – le premier long métrage animé sonore entièrement en couleurs. Il est aussi le premier long métrage d’animation réalisé par Walt Disney (1901-1966) et ses studios.
Co-créateur de Mickey Mouse (21) et maître dans l’art du court métrage en dessin animé, il fut également l’un des premiers à prendre conscience de l’avenir du cinéma sonore et de son importance dans l’animation. En témoigne le célèbre court métrage Steamboat Willie (Ub Iwerks, Walt Disney, 1928) et les premières Silly Symphonies (studios Disney, 1929-1939), qui introduisent son synchrone puis couleurs dans le cinéma d’animation. Cette technique d’animation fit la renommée des courts métrages de Disney tout en maintenant l’entreprise sur la corde raide, à cause de coûts de production très élevés (22). L’avènement du dessin animé en couleurs, avec Flowers and Trees (Burton Gillett, 1932) fit encore croître ceux-ci (23). Les années trente virent la célébrité du studio augmenter grâce à ces courtes symphonies animées, telles The Skeleton Dance, (Walt Disney, 1929) ou The Turtle and the Hare (Wilfred Jackson, 1934). Elles virent également l’apparition de nouvelles figures récurrentes, Donald Duck dans Orphan’s Benefit (Burton Gillett, 1934) et Pluto dans Playful Pluto (Burton Gillett, 1934) rejoignant Mickey, déjà présent dans Steamboat Willie.
Loin de se contenter de ces succès, Walt Disney commença dès 1934 à réfléchir au développement d’un dessin animé long métrage. A la fois pour pouvoir développer des scénarios plus complexes, mais aussi pour des raisons purement financières, les longs métrages amenant des revenus plus signifiants. L’entreprise, d’envergure inédite, était à l’époque jugée impossible par de nombreux spécialistes (24). Le studio, déjà très important et comptant plusieurs centaines d’animateurs (25), relève le défi grâce à l’expérience qu’il a acquise au cours des années précédentes. Le processus de création fut un des plus laborieux et des plus risqués de l’histoire d’Hollywood, les studios Disney dépendant de la réussite commerciale du film pour survivre. Pourtant, les écueils techniques, notamment la difficulté d’animer des personnages humains, étaient nombreux. Mais Walt Disney, très impliqué dans le projet et le suivant dans ses moindres détails, réussit à mener à bien ce pari contre toute attente. Avec un budget total de 1.488.422,74 $ (26), le studio qui avait dû emprunter la plupart de ses fonds ne pouvait pas se permettre un échec. La première du film a lieu à Los Angeles le 21 décembre 1937 (27), puis à New York où il bat les records de longévité au box-office. S’en suit une sortie nationale en février 1938, qui annonce un succès international. La réussite fut celle que nous connaissons, et à l’aube de 1938 Walt Disney pouvait admirer les résultats du travail qu’il avait mené à bien. En 1939, il reçoit un Oscar tout spécialement créé pour lui : une statuette, accompagnée de sept autres petites (28).
Un film censuré
Si le succès est international, l’arrivée en Belgique ne se passe pas sans encombres, car la première grosse production d’animation long métrage des studios Disney est aussi le premier long métrage d’animation censuré par la Commission que nous ayons pu identifier. Distribué au niveau national et international par la RKO Radio Pictures, c’est la division belge de la compagnie, RKO Radio Films S.A.B., siégeant au 62 Rue St Lazare à Bruxelles (29), qui fait parvenir le film et son synopsis à la Commission. Une séance de visionnage est organisée, ce qui est particulier pour un film d’animation. C’est vraisemblablement le statut de long métrage qui va amener au visionnage de l’œuvre.
Fig. 3 – Blanche Neige et les sept nains, photogrammes. « La scène de terreur où les racines se changent en main, où les caïmans menacent Blanche. » |
Le film passe devant les écrans de la Commission le 7 mai 1938. Participent à la séance Messieurs Adam, échevin à Schaerbeek, Schmidt, délégué du juge des enfants, Stevens, cinéaste ainsi que Madame Goris, sous la présidence de Monsieur Attout (30). Malgré nos recherches, nous n’avons pu trouver aucune autre information sur le profil de ceux-ci. Nous pouvons néanmoins émettre l’hypothèse qu’ils étaient liés soit au milieu de la protection de la jeunesse, soit à l’industrie cinématographique. Parmi les membres de la Commission à l’époque, on trouve notamment un professeur, une régente, des cinéastes ou encore une représentante de la section cinéma du conseil national des femmes (31). Le procès-verbal mentionne par ailleurs qu’un des membres accepterait le film sans modification. Au vu de la répartition des voix, il se pourrait que la personne admettant le film sans coupures soit le « cinéaste ». Peut-être dans une volonté de défendre son art, mais peut-être également pour des raisons commerciales.
Blanche Neige et les sept nains est admis à l’unanimité, mais moyennant certaines restrictions. Les coupures demandées, car elles contiennent des « scènes de féérie pouvant impressionner fâcheusement les jeunes enfants » (32), sont les suivantes (fig. 3-46) : « 1. La scène de terreur où les racines se changent en main, où les caïmans menacent Blanche ; 2. La scène où le gardien sort et brandit un poignard, ainsi que le gros plan de celui-ci. ; 3. La fin de la transformation de la reine en Sorcière, dans l’orage ; 4. Le squelette bousculé par la sorcière ; 5. La fin de la chute de la sorcière dans un bruit d’orage ; » (33)
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Toutes ces coupures altèrent fortement l’intérêt du dessin animé, la séquence de la forêt anthropomorphisée faisant partie des plus impressionnantes représentations dont nous gratifie le film et illustrant, encore une fois, le potentiel de l’animation à « animer l’inanimé » et la nature, un thème cher à Disney (34). Sans la défendre, cette décision est néanmoins cohérente par rapport aux pratiques habituelles de la Commission et aux directives de 1921 qui enjoignent à la suppression dans les spectacles familiaux de « tout ce qui est de nature à troubler l’imagination des enfants » (35).
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Mais dans les faits, qu’en est-il réellement de ces coupures ? Car lorsque l’on analyse des articles de presse de l’époque, certaines incohérences apparaissent. Il semblerait tout d’abord que la scène de la chute de la sorcière ait été en partie conservée lors de la première bruxelloise fin mai (36), quoi qu’elle soit également qualifiée d’« impressionnante » par le journaliste (37). On peut également s’interroger sur les propos de cet autre journaliste belge qui nous exprime un regret : « […] cette image cruelle, dantesque, du squelette encore rivé à ses chaînes et tendu vers un inaccessible broc d’eau. On regrette que les auteurs aient ainsi oublié avec quelle force de semblables détails rencontrent les yeux de douze ans, toujours prêts à se refermer sur des cauchemars. » (38)
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Cette image n’était-elle pas censée avoir disparu du film, sur la volonté de la Commission ? On peut s’interroger sur l’application des décisions de la Commission par les exploitants et les distributeurs, application sur laquelle nous n’avons malheureusement que très peu de traces dans l’ensemble des archives et aucune dans ce cas précis. En tout cas, malgré ce caractère « impressionnant », la presse belge semble unanime quant à la qualité du film et à sa nature tous publics. Elle en relaye même certaines images dont la Commission n’a pas voulu, notamment la scène dans laquelle la forêt cauchemardesque s’attaque à Blanche Neige (fig. 47). Le premier journaliste que nous avons cité dira du film : « que vous soyez jeunes ou vieux, guilleret ou morose, allez voir « Blancheneige [sic] et les sept nains » » (39).
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L’exemple belge rappelle la sortie de Blanche Neige en Grande Bretagne. D’abord interdit aux moins de seize ans non accompagnés, la restriction est levée après une vague d’indignation de la part des critiques et représentants de l’industrie cinématographique qui bravent la censure en affichant le film « tous publics » (40). L’opinion publique et les représentants administratifs font pression et arrivent à faire annuler la décision. En France par contre, où est réalisée la version française du film qui sera ensuite distribuée en Belgique (41), Blanche Neige sort sans encombres le 6 mai 1938, et fait un triomphe. L’avis français (42) tranche avec celui de la Commission, qui du reste ne semble pas avoir été respecté en Belgique, tout comme ce fut le cas en Grande Bretagne.
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Concernant les modifications, le matériel coupé de cette copie de Blanche Neige a vraisemblablement été détruit ou vendu à des firmes de recyclage de pellicule. Il faut en effet attendre 1961 pour que la Cinémathèque royale récupère systématiquement le matériel issu des coupures de la Commission et le conserve pour le réintégrer aux copies dont elle dispose (43).
Blanche Neige fera l’objet de nombreuses reprogrammations après-guerre, les distributions en Belgique coïncidant avec celles organisées en France. Difficile de dire si les versions alors diffusées par RKO Radio Films, puis par Discibel en 1962 (44), sont également amputées des scènes demandées par la Commission. Ayant déjà été visionné, la mention « admis moyennant coupures » est toujours attachée au film, mais dans les faits, on l’a vu, celle-ci n’est pas appliquée à la lettre. Il n’est semble-t-il pas à nouveau visionné par la Commission avant 1973, date à laquelle la nouvelle société de distribution, Elan Films, présente l’œuvre pour une réévaluation. Cette fois, le film est admis sans coupures (45). L’évolution des mentalités, ainsi que la diminution des activités de censure de la Commission et de l’impact de celles-ci ont sûrement amené à cette décision qui, au regard de la production cinématographique contemporaine, semble cohérente. De fait, en 1973, la télévision sur laquelle la Commission n’a aucun contrôle gagne de l’influence en Belgique, et le contrôle des films qui sortent en Belgique est de plus en plus parasité par des rediffusions sur antenne « non surveillées ». (46)
Conclusion
Que retenir du cas de Blanche Neige et les sept nains vis-à-vis du travail de la Commission de contrôle des films ? Tout d’abord, que cette dernière est bien – contrairement aux affirmations de ses défenseurs (47) – un organe de censure étatique, et ce principalement à travers la mention « admis moyennant coupures » qui, d’un point de vue économique, apparaît comme un moindre mal pour les distributeurs. D’un point de vue artistique, c’est une aberration, et l’exemple de Blanche Neige prouve les dommages esthétiques, voire même plastiques que cette censure peut infliger à un film.
Mais au vu de l’impact réel et peu effectif que nous avons pu observer, il nous semble juste de tempérer ce propos. Les critiques de presse ainsi que le matériel médiatique analysé tendent plutôt à démontrer que les décisions de la Commission n’ont, dans ce cas-ci, pas eu beaucoup d’influence sur la distribution du film. Les informations que nous avons pu récolter sur les nombreuses redistributions n’ont pas non plus renforcé la thèse d’une censure cinématographique effective. En 1973, le film est admis sans coupures, mais était-il encore projeté dans cette version censurée ? L’a-t-il jamais été ? Faute de sources, il a été difficile pour nous d’en savoir plus sur l’étendue de la censure exercée par la Commission dans le cas de Blanche Neige et les sept nains.
A travers cet exemple, nous avons voulu donner un aperçu de ce que fut l’histoire de la censure cinématographique en Belgique. Cette histoire de la Commission et des censures qu’elle a opérées reste méconnue et relativement peu abordée. L’ouverture récente du fonds d’archives de la Commission aux Archives générales du Royaume lève un voile sur cette institution qui a régné sur le paysage cinématographique belge pendant une grande partie du 20ème siècle. Reine de papier ou Reine de fer, notre étude (48) tend à montrer qu’elle a surtout été une institution au jugement très équivoque concernant le cinéma d’animation. Tantôt sévère, tantôt laxiste par rapport à ses propres recommandations, l’étude des cas de censure dans l’histoire de la Commission révèle une subjectivité très présente de la part des membres, influencés par leurs opinions politiques, confessionnelles et par leurs convictions individuelles. Des quelques cas du cinéma en prises de vues réelles utilisant l’animation que nous avons analysées, il en ressort une censure tout aussi active, dans certains genres plus que dans d’autres, mais partout présente. Gageons et espérons vivement que d’autres iront poursuivre le travail d’historien et d’historien de l’art ici initié.