Manneken Pis
L’un des attraits de Bruxelles est sans nul doute Manneken Pis ou le ketje, un tout petit bonhomme nu, en bronze, urinant à la vue des passants et des touristes, au coin de la rue de l’Etuve et de la rue du Chêne, à deux pas de la Grand Place au centre de la ville. « Mais il est tout petit ! » est une phrase souvent prononcée lors de la première rencontre avec ce symbole bruxellois. Autant sa renommée est grande, autant la statue est petite. En effet, ses mensurations actuelles sont d’environ 55 cm pour 17kg. Il s’agit d’une statue creuse, en bronze coulé, réalisée par la technique de la cire perdue.
La première mention d’une statue à cet emplacement remonte à 1451/1452. Un texte indique qu’il existait alors une statue en pierre appelée « ‘t Menneken Pist », littéralement le petit garçon qui pisse ». Il est encore parfois appelé le « petit Julien ». Toutefois, cette appellation n’est pas correcte puisqu’elle fait référence à une autre fontaine bruxelloise, la Juliaenkens borre, située auparavant dans l’actuelle rue du Poinçon, dans la continuité de la rue de l’Etuve. La fontaine de Manneken Pis était l’une des nombreuses qui alimentaient Bruxelles en eau potable. Cette statue en pierre est notamment connue par un tableau de Denis van Alsloot peint en 1615 et représentant une procession de l’Ommegang. C’est aussi la première attestation de Manneken Pis habillé, puisqu’il est représenté en tenue de berger. Par ailleurs, sur le dessin préparatoire à la peinture, Manneken Pis est représenté sur une colonne, tel que l’ensemble devait apparaître habituellement.
En 1619, un nouvel aménagement de la statue et de son ensemble est envisagé. C’est le 13 août de cette année-là que les autorités de la ville de Bruxelles ont chargé Jérôme du Quesnoy le Vieux de réaliser un nouveau Manneken Pis en bronze pour un montant de 50 florins du Rhin. C’est cette fontaine que nous connaissons actuellement. La colonne et le bassin sont également remplacés. Le 16 décembre 1619, la commande d’une nouvelle colonne et de deux bassins a été demandée au tailleur de pierre Daniel Raessens, pour un montant de 180 florins du Rhin.
A l’origine, la statue sur sa colonne n’était pas accolée au mur et pouvait donc être vue sous tous ses angles, ce qui explique que la sculpture est aussi bien travaillée tant de dos que de profil ou de face.
Manneken Pis n’est pas la reproduction d’un vrai petit garçon mais plutôt celle d’un être imaginaire qu’on appelle un « Amour », une représentation de Cupidon, à l’imitation des Putti pisciatori italiens. Un petit amour peut être représenté nu, tant avec que sans des ailes, et parfois urinant. Ce thème du petit enfant se soulageant est fréquent dans tous les arts européens entre le XVème et le XVIIIème siècle, notamment pour en faire des fontaines. Il s’inscrit dans le courant des fontaines anthropomorphes dont l’eau jaillit par certains orifices et imitent des faits physiologiques comme les fontaines représentant des femmes dont l’eau jaillit par leurs seins ou des êtres vivants, humains ou animaux, qui crachent.
Manneken Pis est une version non ailée du « Putto » et interprétée dans le style baroque. Le bambin joufflu au sourire malicieux a un corps gras, un torse bien musclé, ses jambes sont pliées. Il se penche légèrement en arrière tout en tournant la tête vers sa gauche.
Jusqu’en 1770, Manneken Pis était fièrement posé debout sur une colonne. A partir de cette année-là, la statue a été placée dans un monument rococo en pierre et tenue à distance du public par une grille. Cependant, il était encore possible d’accéder à la fontaine et de pouvoir bénéficier de son eau. Au XIXème siècle, lorsque Manneken Pis est devenu une fontaine ornementale, une nouvelle grille a été placée et, cette fois-ci, empêchait l’accès à l’eau, comme c’est encore le cas de nos jours.
Une autre particularité de la fontaine de Manneken Pis est celle d’être régulièrement habillée. En effet, depuis 1615 au moins, nous savons, grâce à la peinture de Denis van Alsloot, que la sculpture est vêtue de temps à autre. Si l’habillage de sculptures religieuses est connu, celui de statue païenne l’est beaucoup moins. Cependant, Manneken Pis possède une réelle garde-robe constituée de près de 1000 costumes différents. Ces costumes sont proposés à une commission qui accepte ou non le projet et une remise officielle se déroule par la suite. Manneken Pis est vêtu par un habilleur, dédié à cette fonction et nommé par la ville de Bruxelles. Avec le temps ou à cause de leur utilisation, certains costumes s’abîment et il est parfois nécessaires de les restaurer.
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Symbole de la ville de Bruxelles et de ses habitants depuis longtemps, la statue a été volée ou dégradée à plusieurs reprises au cours des siècles. Lors du dernier vol en 1965, la statue originale a été mise à l’abri et restaurée. La dernière restauration de la fontaine remonte à 2003. Depuis 1975, afin de protéger la statue, le monument de la fontaine et la grille, l’ensemble a été classé monument historique par Arrêté royal.
La statue aujourd’hui en place n’est donc qu’une copie de l’originale. Elle n’est évidemment pas la seule copie, plus ou moins similaire, et dans des matériaux qui peuvent être différents. Plusieurs villes ou propriétaires privés belges et étrangers possèdent des copies de Manneken Pis.
Par ailleurs, à Bruxelles il existe également une version féminine, Jeanneke Pis, ainsi qu’une version du meilleur ami de l’homme, un chien appelé le Zinneke.
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Jérôme du Quesnoy le Vieux (ca 1570 – 1650)
Jérôme du Quesnoy le Vieux (ou l’Ancien) n’a pas laissé beaucoup de traces de sa vie et de son œuvre. Le travail de ses fils, François du Quesnoy et Jérôme du Quesnoy le Jeune, fait de l’ombre à celui de leur père.
Dans l’état actuel des connaissances, nous ne savons toujours pas quel a été son parcours et sa formation, ni le moment de son arrivée à Bruxelles. Grâce aux archives conservées, plusieurs traces de ce sculpteur ont été découvertes tant sur sa vie privée que sur ses œuvres.
Jérôme du Quesnoy le Vieux serait né vers 1570 et mort à la fin de l’année 1650.
Sa région d’origine a souvent été identifiée comme étant Le Quesnoy, dans le nord de la France, à la limite avec le Hainaut belge, au sud de Mons. Il serait en fait originaire de Béthune, une centaine de kilomètres plus à l’ouest du Quesnoy (dans le registre d’accession à la bourgeoisie de Bruxelles, il est écrit : Jeronimus du Quesnoy sonne wylen Charles geboren van Béthune). De sa vie privée, il est admis que lorsqu’il arrive à Bruxelles, Jérôme du Quesnoy le Vieux était déjà marié. A ce moment-là, sa femme était déjà enceinte du premier de leurs cinq enfants (trois garçons et deux filles). Lors d’une seconde union, il aura encore un fils.
Jérôme du Quesnoy le Vieux serait arrivé à Bruxelles entre le 27 novembre 1594 et le 27 novembre 1595 et possédait déjà sa maîtrise de sculpteur. Aucune indication ne laisse apparaître si sa formation a été réalisée dans un atelier familial ou non, à Béthune ou ailleurs. Bien qu’incertaines, les raisons de son départ vers Bruxelles pourraient être d’ordre économique. Son travail est souvent perçu comme peu innovant mais il est néanmoins relativement riche artistiquement. Ses productions s’apparentent cependant aux modèles rencontrés dans la seconde moitié du XVIème siècle dans le Nord de la France.
Il faut savoir qu’à cette époque, les différents artisans devaient tous être inscrits dans la corporation de leur métier. L’objectif principal de ce type d’association était l’acquisition d’un savoir-faire transmis par des professionnels expérimentés. Les sculpteurs, à Bruxelles, étaient affiliés dans celle des Quatre Couronnés. Cette corporation regroupait non seulement les sculpteurs mais aussi les maçons, les tailleurs de pierre et les couvreurs. Après l’avoir intégrée, pour accéder à la maîtrise, les sculpteurs devaient présenter une épreuve après trois années de formation. Cette réalisation venait rejoindre et enrichir les autres modèles appartenant à la guilde. La formation des sculpteurs reposait, entre autres, sur la production de copies. Par ailleurs, chaque atelier avait également son propre fond de modèles et de copies.
Son atelier est attesté depuis 1608, dans le quartier de la Putterie à Bruxelles, à l’emplacement de l’actuelle Gare Centrale et ses environs directs. Bien que relativement petit, il semble avoir eu une activité régulière de 1596 à 1630. Dans cet atelier, il a notamment formé ses deux fils, François et Jérôme du Quesnoy le Jeune. Ce dernier semble d’ailleurs avoir repris l’atelier par la suite. En plus d’avoir formé ses fils et d’autres apprentis, Jérôme du Quesnoy le Vieux a collaboré avec des artistes confirmés, notamment pour des travaux d’aménagement du palais et du parc du Coudenberg de Bruxelles, aujourd’hui disparu. Les tâches de l’atelier étaient multiples : la livraison de matériaux, des restaurations, des décorations en papier mâché, des motifs ornementaux moulés et produits en série, des grandes sculptures en bois et en pierre ou encore des autels et des retables. Tout ce travail nécessite la collaboration de plusieurs corps de métiers tels que les tailleurs de pierres, les artisans du bois,…
Seules six œuvres de Jérôme du Quesnoy le Vieux, dont Manneken Pis, sont conservées. Toutefois, l’étude des archives a permis d’établir une trentaine de commandes, provenant principalement des Archiducs Albert et Isabelle, de plusieurs églises bruxelloises et du magistrat de la ville de Bruxelles. Il semblerait donc que le sculpteur ait surtout œuvré dans le mobilier d’église.
C’est en 1619, le 13 août plus précisément, que le sculpteur Jérôme du Quesnoy le Vieux a été chargé par les autorités de la ville de Bruxelles de réaliser une nouvelle statue en bronze de Manneken Pis, pour le prix de 50 florins. Cette œuvre faisait partie d’un nouvel aménagement puisque l’ancien ensemble (statue, colonne et bassin) allait devoir être remplacé. La sculpture antérieure à celle de Manneken Pis en bronze est inconnue. Cependant, vu l’appellation de la fontaine, il pourrait déjà s’agir d’une copie, dont la ressemblance avec l’exemplaire antérieur est difficile à déterminer. Pour attester que la pratique des copies était très courante à l’époque, en 1630, Jacques Vanden Broeck fait une copie, sans que celle-ci ne soit destinée à être une fontaine. Cela montre que des doubles très ressemblants à Manneken Pis, datés et signés, ont été réalisés dès le XVIIème siècle.
Bibliographie et références
Couvreur M., Deknop A. et Symons Th., Manneken Pis dans tous ses états, Bruxelles, 2005.
Deligne Chl., Bruxelles et sa rivière. Genèse d’un territoire urbain (XIIème-XVIIIème siècle), Turnhout, 2003.
Jacobs R. et alii, Manneken Pis, Bruxelles, 2017.
Patigny G., « Une vie archivée, Jérôme du Quesnoy le Vieux, sculpteur bruxellois sous les archiducs Albert et Isabelle », dans Annales d’Histoire de l’Art et d’Archéologie, XXXVII, 2015, pp. 167-175.
Patigny G., « Réception et perception de l’œuvre sculpté des du Quesnoy : invention, copie et pratiques d’atelier », dans « Copia e invención » modelos, réplicas, series y citas en la escultura europea, pp. 175-181.