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Dessin - Epoque contemporaine - Europe occidentale - Histoire de l'art Eugène Warmenbol Les carnets du voyage de Jacob Jacobs En Egypte et en Méditerranée (1838-1839)
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Reporticle : 51 Version : 1 Rédaction : 01/01/2013 Publication : 20/03/2013

Avant-propos

Souvenirs d'Egypte

Le voyage entrepris en Egypte et en Méditerranée, les années 1838-1839, par Florent Mols, Jacob Jacobs et leur mécène Charles Stier d’Aertselaer m’intéresse depuis de nombreuses années. Il faisait tout naturellement l’objet d’un chapitre de ma thèse de doctorat, consacrée à « L’égyptologie et l’égyptomanie en Belgique au XIXe siècle », sous la direction du regretté Roland Tefnin, défendue en 2000 ; je lui ai également consacré un article, « L’étrangeté de cette nature orientale » dans les Mélanges publiés à la mémoire de celui-ci, en 2010.

Les deux premiers nommés sont peintres et ils seront orientalistes, le dernier est collectionneur et achètera sur place des antiquités. Ils sont Anversois, je le suis aussi, et les Anversois sont chauvins. Nos peintres débarquent en Egypte quelques mois après le célèbre David Roberts, qu’ils rencontreront sur place, ainsi que d’autres figures, comme Nestor l’Hôte, un ancien collaborateur de Jean-François Champollion. Il y avait déjà là une belle histoire à raconter.

Début juin 2011, j’apprenais que serait vendu à Bruxelles, à la salle de ventes « The Romantic Agony », un « Livre de recettes et de dépenses de Jacob Jacobs depuis l’année de son mariage jusqu’à sa mort ». Me voilà installé le 17 juin 2011 dans la salle avec la ferme intention d’acquérir ce document fondamental, que je ne voulais pas voir disparaître dans une collection « quelconque ». La lutte fut rude, mais j’ai eu l’enchère.

La richesse de cette documentation m’amena bien vite à la conclusion qu’il était désormais possible de consacrer un ouvrage à l’œuvre de Jacob Jacobs, ou du moins à cette partie qui me retient depuis des années, c.-à-d. l’œuvre orientaliste. L’Académie royale des sciences, des lettres & des beaux-arts de Belgique m’apporta son soutien en m’accordant la Subvention Merghelynck pour sa 12ème période annuelle, janvier-décembre 2011.

La notice biographique consacrée par Norbert Hostyn, ancien conservateur du Musée des Beaux-Arts d’Ostende, cependant, mentionne deux « volumineux albums de croquis, constituant en quelque sorte un journal illustré » du voyage amenant Jacob Jacobs en Orient, montrés en 1984 à l’occasion d’une exposition consacrée aux peintres de marines belges, deux documents fondamentaux que je n’espérais pas retrouver, puisque apparemment toutes les pistes pouvant mener jusqu’à eux avaient été effacées.

Or voilà que début mars 2012, j’apprenais que seraient vendus à Paris, chez Christie’s, un « carnet de voyage in-folio oblong d’un artiste à bord d’un navire comprenant environ une soixantaine d’études […] et un second carnet de voyage in-folio oblong représentant la suite du voyage de cet artiste », qui s’avère être Jacob Jacobs. Les albums refaisaient surface !

Il m’était impossible de les acheter, mais, j’espérais, avec un peu de chance, pouvoir les documenter, ne fut-ce que prendre quelques notes. Nous serons reçus chez Christie’s Paris, avenue Matignon, mon ami photographe Paul Louis et moi-même, le jeudi 22 mars 2012, alors que l’accrochage pour la vente du jeudi suivant était encore en cours. Leur accueil extrêmement chaleureux et professionnel nous permettra de faire en quelques heures la couverture photographique complète des deux carnets. La belle histoire pouvait enfin être illustrée comme il le faut. Elle sera publiée sous le titre « L’Egypte vue par Florent Mols et Jacob Jacobs (1838-1839). L’orientalisme en Belgique », en 2012, à laquelle nous renvoyons pour le cadre et le contexte.

Présentation

Il était impossible d’inclure, dans le livre publié aux Editions Racine, tous les croquis produits par Jacob Jacobs au cours de son voyage qui le mène à Constantinople d’abord, à Alexandrie ensuite, à Athènes aussi, à Corfou enfin, la suite de son périple de 1838-1839 se trouvant probablement dans d’autres carnets, qui restent à découvrir.

Une mise en ligne des croquis de Jacob Jacobs me semblait la meilleure façon de partager les impressions, parfois à l’état brut, parfois largement retravaillées, de « mon » peintre. La qualité de son travail s’étale ici au grand jour, son crayon et son pinceau soutenant un talent indéniable. Jacob Jacobs vient de fêter son vingt-sixième anniversaire lorsque l’Hélène quitte la rade d’Anvers.

Les annotations de l’artiste sont en italique, nos commentaires non.

Carnet 1

Carnet 2

Conclusion

Il est, bien entendu, bien prématuré de proposer des « conclusions ». Il ne s’agissait pour nous que d’attirer l’attention sur le travail de Jacob Jacobs et de détailler quelque peu le contexte dans lequel son œuvre orientaliste est née. Ses carnets constituent en effet une des sources de ses tableaux orientalistes exposés dans le cadre des salons anversois et bruxellois. D’autres chercheurs seront mieux à même d’évaluer l’importance à lui accorder.

Nous pensons devoir souligner, d’ores et déjà, l’originalité des couleurs et des compositions de Jacobs, dont l’œuvre orientaliste a eu un impact qui ne doit être sous-estimé : « le brillant coloris qui distinguait ses œuvres nous fit un moment douter de la réalité de ses impressions, lit-on dans la presse de l’époque, mais ce doute s’effaça bientôt devant l’affirmation d’autres talents, qui également dirigèrent leurs pas vers ces contrées lointaines » (ANONYME, Nécrologie : Jacob Jacobs, Le Précurseur, 44e année, 13 décembre 1879).

« Jacob Jacobs nous a rapporté de son voyage en Orient plusieurs souvenirs, lit-on ailleurs. Ces toiles offrent toutes les qualités que nous avons déjà constatées dans cet artiste. Mais nous n’osons exprimer notre avis sur l’étrangeté de cette nature orientale, et nous ne pouvons la juger par conséquent » (ANONYME, Une visite à l’exposition d’Anvers, La Renaissance. Chronique des Arts et de la Littérature, II, 1841, p. 77).

Il est bien, avec Florent Mols, le premier, en Belgique, à produire des œuvres du genre, et il est sans doute l’un des meilleurs.

Les premiers tableaux orientalistes de Jean-François Portaels ne seront montrés qu’en 1847, à Anvers d’ailleurs (dans les « salons » de l’Académie). Ils y seront certes bien reçus : « trois magnifiques tableaux peints pendant son séjour en Egypte ð…ð. L’un est le portrait peint d’après nature, de Méhémet Ali, vice-roi d’Egypte, le second, une fantaisie puisée dans deux versets d’un cantique de Salomon. Enfin le troisième, une étude de femme couchée » (ANONYME, Journal du Commerce, 26e année, 29 juin 1847).

Nous avons accordé beaucoup de place aux magnifiques carnets de voyage de Jacobs, parce qu’ils nous révèlent son expérience de l’Egypte et de l’Orient « à chaud ». Bien évidemment, s’astreindre à noter quotidiennement ce qui se déroule sous les yeux permet non seulement de mieux voir (comme le soulignait Théophile Gautier) sur place, mais aussi de mieux se remémorer, par la suite, à l’atelier. Jacob Jacobs avait bonne mémoire, puisqu’il continuera à retravailler ses dessins et ses esquisses jusqu’à la fin de sa vie, ou du moins vend-t-il encore en 1876 un tableau représentant « Le Bosphore devant Constantinople » et en 1877 un autre figurant « L’île de Philae en Nubie ». Il peut certes s’agir de tableaux exécutés des années plus tôt.

Quoi qu’il en soit, le paysage orientaliste, dans les œuvres « achevées » de Jacob Jacobs, et sans doute aussi dans celles de Florent Mols, a un côté très « littéraire », un côté descriptif qui se retrouve chez Prosper Marilhat, tant apprécié de Théophile Gautier. A l’évidence, les croquis que nous présentons ici sont d’une autre nature, témoignant d’une fraîcheur et d’une spontanéité perdue dans la plupart des tableaux à l’huile.

Jacob Jacobs est manifestement redevable aux grands paysagistes hollandais du XVIIe siècle, comme Jacob van Ruisdael (+ 1628-1682) ou Aert van der Neer (+ 1603-1677), comme il transparaît dans ses paysages de l’Escaut et de la Mer du Nord.

Comme bien d’autres après lui, l’Egypte et l’Orient l’amène bien à découvrir la lumière et la couleur, du moins une autre lumière, une autre couleur, sans peut-être aller jusqu’aux « hallucinations de cobalt, d’outremer et d’indigo » Th. GAUTIER, Voyage pittoresque en Algérie (1845), Genève/Paris, 1975, p. 160).

Avec ses paysages orientalistes, il propose quelque chose de vraiment nouveau, difficile à apprécier de nos jours après un siècle et demi de mouvements artistiques divers !

Jacob Jacobs est toutefois une nature mesurée. De sa fréquentation des grands Hollandais, il garde une affection particulière pour les scènes sous clair de lune. Pierre Loti la partageait avec notre artiste voyageur. Il ne serait pas exprimé autrement pour décrire « La grande salle du palais de Karnak, à Thèbes (Haute Egypte) ; effet de nuit », exposé par Jacob Jacobs en 1843, mais il est vrai qu’il ne l’a jamais vu. « La lune !, écrit Loti dans Karnak. Soudain les pierres du faîte, les couronnements, les formidables frises s’éclairent de rayons bien nets, et ça et là, sur les bas-reliefs circulaires des piliers, apparaissent des traînées lumineuses qui révèlent les dieux et les déesses inscrits en creux dans la pierre. […] – Coiffés tous de disques ou de grandes cornes, ils se regardent les uns les autres, tenant les bras levés, éployant leurs longs doigts, en appel de causerie. Ils sont sans nombre, ces dieux aux gesticulations éternelles ; on est obsédé d’en voir se dessiner tant et tant, qui voudraient se dire des mots secrets mais qui gardent le silence, et dont les mains ont des attitudes si agitées mais ne remuent pas » (P. LOTI, La Mort de Philae, p. 258 de notre édition Calman-Lévy (1ère édition en 1908).

Nous nous sommes réduits autant que possible dans cette contribution « à n’être qu’un œil détaché comme l’œil d’Osiris sur les cartonnages de momie » (Th. GAUTIER, L’Orient, Paris, 1882, II, p. 131). Nous espérons néanmoins avoir contribué à rendre à Jacob Jacobs, la place qu’il mérite parmi les grands paysagistes romantiques du milieu du XIXe siècle.

Bibliographie

E. Warmenbol, « L’étrangeté de cette nature orientale ». Un mécène et deux peintres belges en Egypte (1838-1839), in E. Warmenbol & V. Angenot (éds.), Thèbes aux 101 portes. Mélanges à la mémoire de Roland Tefnin, Turnhout, Brepols, 2010, p. 165-183.

E. Warmenbol, Egyptologie et égyptomanie en Belgique au XIXe siècle. Le lotus et l’oignon, Bruxelles, Le Livre Timperman, 2012, p. 173-196.

E. Warmenbol, L’Egypte vue par Florent Mols et Jacob Jacobs (1838-1839). L’orientalisme en Belgique, Bruxelles, Editions Racine, 2012.