Introduction
Comme en témoigne une bibliographie assez abondante qui s’étend sur plus d’un siècle, la Madone de Béthune n’est pas une œuvre inconnue des spécialistes de Hans Memling (vers 1430-1494), même si peu ont pu la voir de leurs propres yeux (fig. 1). En effet, le panneau, qui mesure une petite soixantaine de centimètres de hauteur et qui, au début du XXème siècle, appartenait à la famille de Béthune, est demeuré jusqu’à aujourd’hui entre des mains privées. La Vierge est représentée à mi-corps, frontalement. Devant elle se trouve l’Enfant dénudé. Il est assis sur un coussin posé sur une balustrade recouverte par un tapis d’Orient et par un pan du manteau marial. La Vierge tend à son Fils une pomme, répétant le geste de l’Ève tentatrice. Elle apparaît ainsi dans l’image comme la nouvelle Ève (1). Quant à son Fils, qui avance la main droite pour saisir le fruit, il est le nouvel Adam. Autour de Marie ont pris place trois anges musiciens : celui de gauche joue de la trompette marine, ceux de droite qui de la guimbarde qui de la viole. La scène est localisée dans un intérieur dont on aperçoit deux fenêtres à croisée disposées symétriquement. À la fin du Moyen Âge, le verre demeurait cher. Aussi, seuls les compartiments supérieurs de la croisée sont vitrés. Ceux du bas sont pourvus simplement de volets en bois.
Dans les vitres ont été insérés des rondels, qui comportent des effigies de saints peintes en grisaille sur fond bleu. De gauche à droite, on peut identifier saint Jérôme, saint Christophe, saint Georges et saint André. Au cours du XVème siècle, l’usage se répand d’introduire dans l’espace privé des effigies de saints peintes sur verre. Elles accompagnent le développement de la piété personnelle dans les couches privilégiées de la société, en apportant une note sacrée aux intérieurs (2).
La Madone de Béthune peut être rapprochée d’une œuvre célèbre de Hans Memling, plus petite : le volet gauche du diptyque du bourgmestre brugeois Maerten van Nieuwenhove (Bruges, Sint-Janshospitaal) (fig. 2-3) (3). Ce volet, qui porte la date 1487, présente la même Vierge à l’Enfant et à peu près le même intérieur. Le lien manifeste entre les deux œuvres explique le fait que le panneau de Béthune a toujours été associé au nom de Memling et ce, dès sa première apparition dans la littérature scientifique. Son appréciation critique a toutefois évolué au cours du temps.
Une fortune critique changeante
C’est en 1902, à l’occasion de la fameuse exposition de Bruges consacrée aux Primitifs flamands, que la Madone de Béthune fait son entrée dans la littérature d’histoire de l’art. Dans le catalogue rédigé par l’historien d’art anglais James Weale, elle figure sous le nom de « Hans Memlinc » (4). Il est toutefois précisé dans l’introduction que « les attributions données aux tableaux sont celles indiquées par les propriétaires » et que « le rédacteur du catalogue ne prend aucune responsabilité à cet égard ». Weale considérait-il en son for intérieur la Madone de Béthune comme une œuvre autographe de Memling ? On ne peut l’affirmer, le panneau n’étant pas mentionné dans sa monographie sur l’artiste publiée en 1901 (5). En revanche, dans le catalogue critique rédigé par l’historien d’art Georges Hulin de Loo, qui ne se sentait nullement obligé, comme Weale, d’endosser les attributions souvent flatteuses des propriétaires des tableaux prêtés, la Madone de Béthune est prudemment répertoriée sous « Hans Memlinc (ou son atelier ?) » (6). L’autographie de l’œuvre est mise en doute, sans toutefois être exclue. La position de Max Friedländer, qui publia en 1903 un compte-rendu détaillé de l’exposition, est plus tranchée : le panneau est, selon lui, « une copie d’école soignée et précise de la Madone Van Nieuwenhove » (7). Il note toutefois que « trois anges ont été ajoutés de manière assez maladroite ».
L’œuvre fut photographiée durant l’exposition, sans doute pour la première fois. Le cliché, publié par la maison d’édition munichoise Bruckmann en 1903, est légendé « Memling (copie) » (fig. 4). Bien qu’il ait contribué de manière décisive à la réputation du tableau, il ne fut pas retenu par Friedländer pour l’album illustré de l’exposition de 1902 édité par le même Bruckmann. Dans cet album souvenir intitulé Meisterwerke (Chefs-d’œuvre) figure, sous la forme de grandes reproductions bistre en pleine page, une sélection des peintures exposées (8). Friedländer, à l’évidence, ne considérait pas la Madone de Béthune comme un chef-d’œuvre. Elle était toutefois devenue un document de référence dans la littérature scientifique.
Page tirée de K. VOLL, Memling. Des Meisters Gemälde in 197 Abbildungen (Klassiker der Kunst in Gesamtausgaben, 14) |
Ainsi, en 1909, Karl Voll écrit dans sa monographie sur Memling : « la Madone de Béthune dérive de celle de Maerten van Nieuwenhove, d’après laquelle elle semble avoir été copiée » (9). Il reproduit les deux (10). Et même si la Madone de Béthune figure dans la section « Tableaux douteux ou non authentiques, copies », elle apparaît en pleine page (fig. 5), dans le même format que la Madone Van Nieuwenhove. Le cliché Bruckmann sera également inséré en 1926 dans une livraison de la série Die Kunst dem Volke (L’art pour le peuple), une publication illustrée à grand tirage (20.000 exemplaires). L’auteur du texte accompagnant cette livraison entièrement consacrée à Memling, un certain Walter Rothes, ne semble pas avoir douté un seul instant de l’autographie de la Madone de Béthune (11). Il la reproduit aux côtés de la Madone Portinari de Berlin, de la Madone Liechtenstein et de celle de la National Gallery de Londres, trois œuvres-clés de l’artiste (fig. 6, 7). Cet enthousiasme contraste avec le jugement formulé par Friedländer en 1928 dans le sixième tome de son Altniederländische Malerei. L’opinion de l’auteur avait évolué dans un sens négatif. Si, en 1903, il voyait encore dans la Madone de Béthune une copie « soignée et précise », il parle désormais d’une « imitation faible » (12).
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En 1939, la Madone de Béthune fut présentée à l’exposition Memling à Bruges. Dans le catalogue, elle est qualifiée de « copie » sans plus de précision (13). Elle ne fut pas jugée digne d’être reproduite. Le catalogue, pourtant, est abondamment illustré. La Madone de Béthune était suspendue à proximité immédiate du diptyque Van Nieuwenhove, de sorte que le public était invité à se forger par soi-même une opinion (14) (fig. 8). La Madone de Béthune disparaît ensuite de l’horizon des chercheurs. Si l’on excepte la réédition entièrement illustrée de l’Altniederländische Malerei de Friedländer, publiée en anglais en 1971 (15), l’œuvre ne sera reproduite dans aucune des monographies sur Memling postérieures à la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’agisse de celles de Giorgio Faggin (16), de Barbara Lane (17) ou de Dirk de Vos (18). Faggin, en 1969, et de Vos, en 1994, signalent toutefois le tableau dans la notice relative à la Madone Van Nieuwenhove. Pour le premier, il s’agit d’ « une copie d’atelier » (19), pour le second d’ « une copie peinte vraisemblablement encore au XVème siècle » (20). De manière prévisible, la Madone de Béthune ne figura pas dans la grande exposition Memling présentée en 1994 à Bruges.
Signe de cet oubli collectif, l’œuvre n’est même pas mentionnée dans la double notice relative au diptyque Van Nieuwenhove insérée dans le catalogue de l’exposition Prayers and Portraits (Prières et portraits), présentée à Washington en 2006 (21). Pourtant, les auteurs de cette notice font état d’une découverte qui prend tout son sens grâce justement à la Madone de Béthune. Sous la baie ornée du blason et de la devise du commanditaire de la Madone Van Nieuwenhove, ils ont en effet mis en évidence une structure cruciforme, qu’ils interprètent correctement comme une fenêtre à croisée gothique de format rectangulaire (22) (fig. 9, 10). Or, le même motif se retrouve au même endroit dans la Madone de Béthune, laquelle pourrait donc reproduire un état premier du fameux diptyque brugeois, un état antérieur aux ultimes modifications apportées par Memling et notamment à l’adjonction du fameux miroir circulaire, reflétant Maerten van Nieuwenhove et la Vierge Marie.
Dans ce contexte d’oubli, deux exceptions doivent être relevées. En 1962-1963, André de Mirimonde publie une étude des tableaux de Memling sous l’angle musicologique (23). Il relève l’intérêt de la Madone de Béthune, dans laquelle il croit pouvoir reconnaître une œuvre de l’ « école » de Memling. En 2009, Roger Marijnissen reproduit, dans un ouvrage consacré principalement à l’étude radiographique de la peinture flamande, deux photographies aux rayons X du panneau. Tout en y voyant une œuvre « d’après Memling », il souligne la remarquable qualité d’exécution des brocarts de la robe et du coussin (24). L’ancienneté du tableau lui semble assurée. Enfin, on ne saurait passer sous silence, même si elle est demeurée inédite, l’étude approfondie de l’œuvre entreprise à Louvain-la-Neuve par Hélène Verougstraete et Roger Van Schoute à la demande du propriétaire. Dans le rapport remis le 7 décembre 2002, les deux auteurs concluent : « Le tableau a probablement été produit dans l’atelier de Memling », tout en envisageant même que l’artiste allemand « soit personnellement intervenu dans l’un ou l’autre détail » (25).
De manière générale, et en dépit des voies discordantes qui viennent d’être signalées, on peut affirmer que la ‘fortune critique’ de la Madone de Béthune s’est détériorée de manière à peu près continue en un siècle. Présentée à l’exposition des Primitifs flamands à Bruges en 1902 comme un authentique Memling, une attribution que même le très critique Hulin de Loo ne récusait pas entièrement, reproduite sept ans plus tard en pleine page dans la monographie de Voll, l’œuvre, dégradée au rang d’une faible imitation par Friedländer en 1926, cesse d’intéresser les historiens d’art après la Seconde Guerre mondiale. On peut voir, dans cette évolution, un effet de la ‘religion moderne de l’authenticité’ (26), un credo qui va conditionner de manière croissante le travail des historiens d’art. Elle trouvera l’une de ses expressions les plus abouties dans les volumes du fameux Corpus des Primitifs flamands, lesquels accordent une très large place aux examens de laboratoire. Le désir de ne plus imputer à Memling que les seules œuvres autographes, de façon à mettre en évidence sa ‘vraie’ personnalité artistique, devait inévitablement entraîner la dévalorisation de peintures produites dans son entourage immédiat, peut-être même dans son atelier, à ses côtés, par une main autre que celle du maître lui-même.
La détérioration progressive de la fortune critique de la Madone de Béthune, amorcée dans la seconde moitié du XXème siècle, allait se poursuivre au début du siècle suivant. En 2008, une reproduction du panneau fut insérée dans le volume consacré par l’Institut royal du Patrimoine artistique au restaurateur-faussaire belge Joseph Van der Veken (1872-1964) (fig. 11). Sur la base d’une « photographie conservée dans les Archives Van der Veken (Anvers) » et de « documents détenus par le propriétaire actuel » du panneau, Jean-Luc Pypaert concluait : « Van der Veken est intervenu sur l’œuvre à titre conservatoire au début de la Seconde Guerre mondiale » (27). Certes, l’auteur fait uniquement état d’une « restauration », sans remettre en cause l’authenticité du panneau. Toutefois, la réputation sulfureuse de Joseph Van der Veken et sa pratique intensive de la falsification et de l’hyperrestauration ont jeté depuis 2004 le discrédit sur toutes les œuvres passées entre ses mains. Reproduite aux côtés de nombreux faux partiels ou même intégraux, la Madone de Béthune leur fut tout naturellement assimilée par le lecteur rapide. Et effectivement, lorsque le propriétaire actuel de l’œuvre désira la faire mettre en vente, il se vit répondre qu’elle était fausse de notoriété publique…
Une boucle se refermait. Dans le catalogue officiel de l’exposition de Bruges en 1902, on apprend que le « panneau avait longtemps servi de couvercle à un bac à farine chez un meunier aux environs de Courtrai » (28). Un tableau attribué à Memling avait donc été considéré comme un vulgaire couvercle dont la valeur se limitait au bois dont il était fait. En 2008, on semblait en être revenu à cette évaluation initiale de l’œuvre. De nouveaux examens s’imposaient…
La Madone de Béthune au laboratoire
Les analyses et examens menés à bien en 2002 par Hélène Verougstraete (29) ont réuni : une observation à l’œil nu et au microscope sous différents éclairages, une radiographie, une réflectographie dans l'infrarouge, une analyse des pigments par le procédé PIXE (30) ainsi qu’une vérification de la datation dendrochronologique. Dans le cadre de la présente étude, réalisée avec la collaboration des Ateliers Conservart à Bruxelles, il a été procédé en octobre 2012 à une seconde campagne de radiographie et de réflectographie infrarouge, afin d’obtenir une couverture photographique de qualité de toute la surface de l’œuvre (31).
Le panneau
Le panneau (61,7 cm x 51,4 cm) se compose de deux planches de chêne provenant de la région baltique. Le rapport dendrochronologique propose un terminus post quem de 1483 pour la création de l’œuvre (32). Les deux planches sont coupées sur quartier et collées selon un assemblage à joint vif renforcé par trois tourillons. Les trois cavités correspondantes renferment encore chacune les extrémités des tourillons ; seules les parties centrales sont manquantes (fig. 12).
La perte du cadre original permet l'observation d'un bord non peint le long des limites supérieure et inférieure. Quant aux montants, comme le souligne Hélène Verougstraete, il est probable qu'ils aient été quelque peu rabotés. Les infimes restes de barbe présents, les deux languettes bâtardes présentes au revers en partie supérieure et inférieure ainsi que les traces de ces languettes le long des bords latéraux confirment l'insertion du panneau dans un cadre à rainure avant la pose de la préparation. Ceci correspond à une pratique courante de mise en œuvre d'une peinture dans les Pays-Bas méridionaux au XVème siècle.
Le revers est parfaitement plan, d'un travail soigné. Il ne présente aucune trace d'outil. La marque visible au centre et peinte à l'aide d'une couleur foncée devait être masquée à l'origine par la couche de couleur qui recouvre la surface (fig. 13). Cette marque n'est pas frappée au fer et l'absence de relief permet d'écarter l'hypothèse d'un tracé à la gouge. Il est probable qu’il s’agisse d’une marque de propriété (33). Si, dans son rapport de 2002, Hélène Verougstraete affirme que le revers du Diptyque Van Nieuwenhove est recouvert d’un noir analogue à celui du panneau de Béthune, d'autres informations publiées en 2006 viennent infirmer ce rapprochement. Il semblerait que la peinture originale du revers du panneau de l'Hôpital Saint-Jean soit constituée d'une marbrure rouge et noire, dont certains restes subsistent sous la couleur noire actuelle (34). Tant le panneau du maître allemand que la Madone de Béthune apparaissent conformes ici à la tradition de la peinture flamande du XVème siècle : les artistes, conscients de la sensibilité du bois aux variations climatiques, avaient l’habitude de poser une couche de peinture sur le revers.
Le revers de la Madone de Béthune était-il aussi recouvert d'un décor marbré ? Les restes de peinture visibles aujourd’hui ne permettent pas de répondre à cette question. Les quelques îlots de préparation sont recouverts d'une couleur noire qui s’observe également sur le fil du bois en d'autres endroits. Serait-elle de ce fait postérieure ? Aucune autre couche de couleur n'a été décelée sous cette peinture noire. Par contre, quelques restes de brun ont été repérés sur la couche noire, mais en quantité trop infime que pour pouvoir en déduire la nature et l'apparence d’une éventuelle couche brune.
La préparation et le dessin sous-jacent
La préparation blanche, qui forme une barbe le long des deux bords non peints, présente un réseau de craquelures d'âge fin et serré, habituellement dénommé ‘faïençage’. L'épaisseur de la préparation couvre complètement le fil du bois. Une observation en lumière rasante met en évidence de larges coups de brosse sous la couche picturale. Difficilement visibles sous rayons X, ils pourraient correspondre à une couche d'impression de faible poids atomique posée en un geste large. Le dessin sous-jacent (35) se compose d'un dessin incisé visible en lumière tangentielle et d'un dessin tracé au pinceau dont certaines parties sont discernables à l’œil nu par transparence accrue de la couche picturale (fig. 14, 15). Les lignes incisées se rencontrent principalement dans les éléments d'architecture et la trompette marine. Elles ont permis à l’artiste de mettre en place la structure générale de l'arrière-plan de la composition. Cette technique de dessin se rencontre également au niveau du pli du tapis. Un tracé situé de part et d'autre du coussin semble correspondre à la limite inférieure du panneau brugeois, tandis qu’un second tracé, continu, situé juste au-dessous, vient mettre en place la pliure du tapis. Les lignes des plombs des vitraux ainsi que des médaillons au centre de ceux-ci ont également été incisées, comme l’indiquent les lignes sombres visibles sous rayons X (36), traduisant une absence de densité atomique, doublée par endroits d'une accumulation de matière de forte densité, le long du tracé en creux (fig. 16, 17).
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Les traits réalisés à l'encre, qui viennent renforcer en tant que tracé secondaire certains traits incisés, notamment dans les baies vitrées sur la droite de la composition, mettent en place les personnages et les détails. Les ombres sont indiquées par des hachures posées de la droite vers la gauche. Plusieurs reprises de forme sont perceptibles, y compris dans la Vierge à l'Enfant. Le volume général de son manteau était initialement plus ample (fig. 18). Le bord venait frôler l'extrémité de la trompette marine et dissimulait davantage la main de l'ange jouant de la guimbarde. En réduisant légèrement la largeur du manteau, le peintre a souhaité offrir plus d’espace aux anges, leur donner davantage de présence. Ce souci explique également la modification de la longueur du manche de la viole. En effet, il était initialement plus court (fig. 19). Quant à la trompette marine, si le contour peint des côtés de l'instrument suit le contour tracé, le peintre a hésité quant à sa longueur définitive (fig. 20). Le pourtour des baies montre également de légères différences entre le tracé initial et la réalisation peinte. D'autres modifications sont visibles, notamment dans la position et la longueur des doigts, dans le contour des bras et des jambes de l'Enfant (fig. 21) ou encore dans la courbe du pied gauche. Notons aussi les changements au niveau de l'encolure de l'ange à la viole, la position de ses arcades sourcilières ou encore la courbe du cou de l'ange jouant de la trompette marine.
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La couche picturale
La couche picturale est réalisée à l'aide de pigments rencontrés traditionnellement dans la peinture du XVème siècle (37). Les radiographies mettent en évidence une maîtrise remarquable dans la réalisation des passementeries et des décors brodés comme sur le coussin. Le geste est sûr et précis, le peintre pose de petits traits de droite à gauche pour figurer les lumières. Aucune recherche de forme ou de changement de composition n'est perceptible. La construction des carnations est également conforme à une réalisation du XVème siècle : une composition globalement de faible densité, mais très facilement lisible en radiographie avec quelques rehauts de lumière placés de manière parcimonieuse. Les herbages visibles au travers de la baie sur la droite présentent des coups de pinceau nettement marqués, contrastant avec la facture lisse du reste de l’œuvre. Si Roger Marijnissen (38) attribue cette différence de facture à une réfection ultérieure, il faut toutefois remarquer qu’aucune couche sous-jacente n’a été observée, ni aucun accident de surface ayant pu nécessiter l'application d'une nouvelle couche de couleur.
État de conservation et histoire matérielle
Le joint a été renforcé par quatre taquets et le revers, raboté du côté droit, a été enduit de cire afin de limiter les effets des variations climatiques. Il est probable que la pose des taquets ait coïncidé avec l'élimination de la partie centrale des tourillons, suite à l'ouverture du joint exigée par le traitement du support. La partie inférieure du panneau présente des traces d'attaques d'insectes xylophages. L’œuvre présente une couche picturale partiellement altérée par un nettoyage trop agressif et par des interventions quelque peu invasives. Les nimbes de la Vierge et de l'Enfant, ainsi que les liserés dorés du manteau de la Vierge et les glacis qui terminaient certains modelés, ne subsistent plus que par des restes infimes. Les usures et les lacunes ont été retouchées généralement de manière débordante.
Que conclure des examens de laboratoire ? L'étude technique de l’œuvre réalisée par Hélène Verougstraete en 2002 a jeté les bases d’une évaluation critique de la Madone de Béthune qui permet sa pleine réhabilitation. Nos conclusions rejoignent dans l’ensemble les siennes. Sur le plan technique, nous retiendrons tout d'abord le soin accordé au revers du panneau, signe de qualité dans le processus d'élaboration de l’œuvre. En ce qui concerne le dessin sous-jacent, l'analogie entre la Madone de Béthune et la Madone Van Nieuwenhove se limite à l'emploi simultané de deux médiums différents. Les recherches de forme et les hésitations présentes dans le dessin de la Madone de Béthune témoignent d'une reprise libre de la composition de Memling, dans un style différent de celui du maître brugeois. Si il ne constitue pas un calque de la composition memlingienne, le dessin présente toutefois des faiblesses manifestes, notamment dans les doigts.
Bien que le peintre manifeste une certaine dextérité dans l'exécution des motifs décoratifs, il montre beaucoup moins d'habileté à peindre les mains, une des parties anatomiques, il est vrai, les plus difficiles à réaliser. C'est la comparaison de tels détails dans la Madone Van Nieuwenhove et la Madone de Béthune qui met en évidence la distance qui sépare les deux œuvres. Si la première témoigne d'une maîtrise exceptionnelle dans le rendu de l'anatomie, la seconde est marquée par une raideur et une certaine ‘application’ dans l'exécution, qui s’accompagnent d'une simplification des modelés. Prenons toutefois garde à ne pas imputer à un peintre anonyme proche de Memling les effets de la main un peu lourde d’un restaurateur moderne qui a eu raison de nombreux détails de la composition... Enfin, s’il est vite devenu évident que Hans Memling n'a pu intervenir au stade de l'exécution peinte, la comparaison des clichés infrarouges a également ôté les derniers doutes quant à son éventuelle intervention au niveau du dessin sous-jacent.
Les sources d’une œuvre
L’auteur de la Madone de Béthune connaissait de première main la production de Memling. Si la Madone van Nieuwenhove constitue sa source principale, ce n’est toutefois pas la seule. Ainsi que l’avait observé André de Mirimonde dès 1963 (39), pour deux des trois anges, l’anonyme brugeois a eu recours à un autre modèle : le retable de Nájera, l’une des entreprises les plus ambitieuses de Memling à la fin des années 1480. Celui-ci réalisa, pour le maître-autel de l’abbatiale bénédictine de cette petite ville de la Rioja, non moins de dix panneaux. Seuls trois, qui constituaient initialement le couronnement de l’ensemble et qui représentent Dieu le Père sous les traits du Fils, entouré d’anges musiciens, nous sont parvenus. Depuis la fin du XIXème siècle, ils sont conservés au Musée des Beaux-Arts d’Anvers.
C’est au panneau de gauche que l’auteur de la Madone de Béthune a emprunté l’ange à la trompette marine (40) (fig. 22). Le modèle a été suivi de près : les plis de l’aube, comme la position de la main droite, ont été repris à peu près tels quels. La trompette a elle aussi été reproduite fidèlement. Hans Memling prenait certainement la peine de se faire prêter des instruments authentiques, qu’il reproduisait avec le plus grand soin dans son atelier (41). En copiant un ange musicien de Memling, l’auteur de la Madone de Béthune avait l'assurance de peindre de façon optiquement convaincante un instrument réel, sans qu’il fût pour autant nécessaire de l’avoir vu de ses propres yeux, ni d’en avoir soi-même élaboré l’image perspective correcte.
L’auteur de la Madone de Béthune a adapté l’emprunt à son nouvel environnement. S’il a pris pour point de départ des dessins préparatoires à l’échelle 1/1, ce qui constitue l’hypothèse la plus vraisemblable, il a dû fortement réduire le format de la figure. En effet, le retable de Nájera, de type ibérique, présentait des dimensions colossales : plus de sept mètres de largeur. La figure centrale de Dieu le Père est d’ailleurs plus grande que nature, ce qui constitue un cas à peu près unique dans la peinture flamande du XVème siècle. En revanche, le panneau de Béthune est une œuvre de caractère privé, destinée soit à un intérieur privé, soit à une chapelle familiale.
Si le modèle utilisé a, selon toute probabilité, été réduit, il a dû aussi être contracté, pour pouvoir être inséré entre le buste de la Vierge et le montant gauche de l’encadrement. Les ailes ont été délibérément éliminées, ce qui démontre, une fois de plus, leur caractère de variante iconographique optionnelle chez les Primitifs flamands. Le visage demeure vu de face, mais il n’est plus aussi fortement rejeté vers le côté. Le peintre tenait apparemment à ce que la chevelure bouclée de l’ange fût bien visible de part et d’autre du visage. Quant à l’instrument de musique, il a été redressé, pour éviter qu’il ne soit en grande partie dissimulé par la Vierge. Dans sa nouvelle position, il souligne l’un des côtés du triangle isocèle formé par le buste marial.
L’auteur de la Madone de Béthune a également dû modifier le modelé de l’ange memlingien. On sait que, dans la peinture flamande du XVème siècle, les figures sont traditionnellement éclairées par une source de lumière fictive située à main gauche par rapport au spectateur (42) ; Les maîtres des anciens Pays-Bas ne se sont départis de cet usage que dans des œuvres de commande, destinées à des espaces où la lumière dominante provient de la droite. C’est notamment le cas dans la chapelle Vijd, à Saint-Bavon de Gand, la chapelle du déambulatoire sud dans laquelle se trouvait à l’origine l’Agneau mystique des frères Van Eyck. Dans ce polyptyque, le modelé des figures est construit en fonction d’une source lumineuse située non pas à gauche, mais à droite. Dans les trois grands panneaux d’Anvers, les seize anges musiciens entourant Dieu le Père sont également éclairés par une lumière fictive venant du côté droit. Le choix de Memling se comprend fort bien. En effet, l’abbatiale de Nájera étant orientée, la lumière du jour, dans le chœur comme dans le vaisseau central, provient le plus souvent de la droite (fig. 23). En revanche, dans le diptyque Van Nieuwenhove comme dans la Madone de Béthune, des œuvres mobiles de dimensions réduites, les figures sont éclairées par la gauche. L’auteur de cette dernière a donc été obligé d’inverser le modelé de l’ange à la trompette marine.
Pour l’ange à la viole, l’auteur de la Madone de Béthune a eu recours à la figure correspondante du panneau supérieur droit du retable de Nájera (43) (fig. 24). Il a supprimé la chape et les ailes. Le drapé de l’aube diffère assez nettement de celui du joueur de viole memlingien, même si certains plis demeurent reconnaissables, notamment dans la manche gauche. L’ange à la guimbarde procède vraisemblablement aussi de Memling. Un ange similaire se retrouve en effet sur un panneau conservé aujourd’hui au Snite Museum of Art de l’Université de Notre Dame à South Bend (Indiana) (44) (fig. 25). Attribué de manière convaincante par Dirk de Vos à un disciple de Memling, le Maître de la Madone Bache (45), il représente Marie à mi-corps, avec l’Enfant et deux anges. L’un joue de la guimbarde, l’autre présente une pomme à l’Enfant. Jean-Luc Pypaert, qui a relevé le lien avec la Madone de Béthune, signale que le panneau est passé entre les mains de Joseph Van der Veken. Celui-ci l’a fortement ‘restauré’, comme l’atteste la comparaison de deux photographies retrouvées dans ses archives. La première a été prise avant, la seconde après l’intervention. Les deux anges faisaient toutefois partie de la composition originelle. Si le joueur de guimbarde de la Madone de Béthune se retrouve quasi à l’identique dans celle de South Bend, l’ange à la viole n’est pas non plus sans offrir des points de contact avec celui qui offre une pomme à l’Enfant. Les deux peintures ne semblent toutefois pas de la même main.
Enfin, le tapis représenté au premier plan de la Madone de Béthune (fig. 26), qui n’est pas celui que l’on aperçoit au premier plan de la Madone Van Nieuwenhove, peut également être rattaché au répertoire memlingien. Il procède d’un modèle que l’on retrouve sur le panneau central du triptyque du Mariage mystique de sainte Catherine (fig. 27) et sur la Madone de Grenade (fig. 28). On reconnaît bien les octogones renfermant des motifs végétaux et les carrés subdvisés en losanges. Les mêmes motifs se retrouvent aussi sur le tapis de l’Annonciation de l’ancienne collection Roman Vicente de Saragosse, œuvre d’un disciple de Memling que Dirk de Vos a baptisé le Maître de l’Adoration de Medina del Pomar (46) (fig. 29). Hans Memling a fréquemment inclus dans ses compositions des tapis d’Orient (47). Il se les faisait sans doute apporter dans son atelier, pour pouvoir les dessiner à son aise. Comme pour les instruments de musique, ses œuvres fournirent à ses disciples et imitateurs des modèles permettant de représenter de manière confondante ces chefs-d’œuvre d’art textile, sans les avoir vus.
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L’auteur de la Madone de Béthune aurait pu recopier le tapis représenté au premier plan de la Madone van Nieuwenhove. S’il ne l’a pas fait, c’est sans doute parce qu’il aurait été bien en peine de compléter les quelques fragments reproduits par Memling sur les deux panneaux du diptyque. Or, ayant élargi la composition de la Madone van Nieuwenhove en y ajoutant trois figures d’anges et l’ayant prolongée vers le bas, en y intégrant une portion du plan vertical de la balustrade, le peintre anonyme se devait de montrer une portion plus grande de tapis que son devancier. Tout naturellement, il a eu recours à un modèle textile dont Hans Memling avait reproduit un bon tiers sur le panneau central du Triptyque du Mariage mystique de sainte Catherine. Cette représentation plus complète le dispensait de devoir inventer, à ses risques et périls, des ornements turcs ou persans qui ne lui étaient certainement pas familiers.
Outre par le tapis, la Madone de Béthune se distingue également de celle de Maerten Van Nieuwenhove par l’ajout de deux rondels dans le fond (fig. 30). Aux saints Georges et Christophe représentés par Memling, le peintre anonyme a ajouté, sur la gauche, un saint Jérôme pénitent et, sur la droite, un saint André. Nous ne sommes pas en présence, ici, d’un groupement conventionnel, comme celui qui associe saint Jean-Baptiste à saint Jean Évangéliste, ou saint Pierre à saint Paul, ou le même saint Jean-Baptiste à saint Jérôme (en raison d’un songe apocryphe de saint Augustin), ou saint Sébastien et saint Fabien (leur fête tombe le 20 janvier), ou encore sainte Catherine et sainte Barbe. Le choix des saints reproduits sur les quatre rondels de la Madone de Béthune, pour le moins inhabituel, répond manifestement à une demande individuelle. Ceci suggère que l’œuvre n’aurait pas été réalisée par le peintre anonyme de sa propre initiative, pour le marché, mais résulterait plutôt d’une commande. Une image préexistante, la Madone de Maerten van Nieuwenhove, aurait été adaptée pour satisfaire les exigences particulières d’un nouveau client. Si saint Georges et saint Christophe devaient occuper une place particulière dans les dévotions du jeune commanditaire du diptyque, comme le suggère Falkenburg (48), saint Jérôme et saint André constituaient apparemment des figures chères aux yeux du premier propriétaire de la Madone de Béthune.
Ainsi donc, cette peinture apparaît comme un collage plutôt habile d’emprunts, destiné à satisfaire une demande individuelle. C’est une image nouvelle, réalisée à partir de fragments prélevés dans la production de Memling. La méthode utilisée, il faut le reconnaître, n’est pas sans rappeler celle de Joseph Van der Veken, même si celui-ci, en règle générale, combinait dans ses faux intégraux des emprunts à des peintres différents.
Un document historique
Si la Madone de Béthune a traversé sans trop de dommages les cinq siècles qui nous séparent de son achèvement, ceux-ci ont toutefois laissé leur empreinte sur le tableau. Comme il a été signalé, l’encadrement d’origine a disparu. Comportait-il des inscriptions, une prière calligraphiée, une date, une signature ? On ne peut l’exclure. En revanche, il est fort peu probable que le peintre anonyme avait représenté sur le talus du cadre l’ombre portée par le coussin de l’Enfant et un pan du manteau de la Vierge, comme l’avait fait Hans Memling sur le volet gauche du diptyque Van Nieuwenhove. Aux XVème et XVIème siècles, les copistes se signalent par un souci de ‘normalisation’ : ils éliminent souvent les singularités iconographiques, les extravagances esthétiques, réduisant ainsi le degré d’originalité des peintures qu’ils prenaient en modèle (49). Dans la Madone de Béthune, le coussin du Christ ne repose pas directement sur le cadre. Il en est séparé par une partie de la balustrade recouverte d’un tapis. Le lien paradoxal créé par le maître allemand entre, d’une part, deux éléments de la représentation peinte -le coussin et le manteau de la Vierge- et, d’autre part, un objet réel, relevant du monde du spectateur -le cadre- semble ainsi avoir été délibérément rompu par le copiste (50). Dans la Madone de Béthune, le manteau marial ne dépasse pas le bord de la balustrade. Quant au coussin, s’il projette bien, sur la partie du tapis situé en contrebas, un ombre, celle-ci ne devait pas se poursuivre sur le talus. Il n’existe en tout cas, dans la peinture flamande des XVème et XVIème siècles, aucun exemple d’ombre peinte sur un panneau et prolongée sur l’encadrement.
Outre la perte du cadre, une autre altération subie par le tableau mérite d’être relevée. Si aujourd’hui, dans la Madone de Béthune, les parties génitales de l’Enfant sont parfaitement visibles, ce ne fut pas toujours le cas. De façon générale, à la fin du Moyen Âge, les peintres n’éprouvaient aucune gêne à représenter sous sa forme la plus complète l’humanité du Sauveur nouveau-né, en exhibant aux regards du spectateur son intimité virile (51). C’est avec le concile de Trente que les choses vont changer. Au XVIIème siècle, il devient à peu près impensable de montrer en peinture l’Enfant Jésus entièrement dénudé. C’est ainsi que, dans les représentations de la Vierge à l’Enfant peintes par Rubens, Van Dijck ou de Craeyer, les parties génitales de l’Enfant sont dissimulées sous un linge. On ignore à quel moment cette pruderie nouvelle a commencé à s’appliquer de manière rétrospective à l’art du passé. En général, les historiens d’art imputent de manière indiscriminée au XIXème siècle victorien les repeints de pudeur qui s’observent sur les peintures flamandes de la fin du Moyen Âge. On ne peut toutefois exclure que certains soient plus anciens.
À un moment donné de son histoire, la Madone de Béthune a subi l’un de ces repeints de pudeur. Un triangle de tissu translucide froissé dissimulait déjà les parties génitales de l’Enfant lors de l’exposition de 1902. Il apparaît sur la photo Bruckmann. Le peintre-restaurateur l’avait assez habilement intégré au linge transparent sur lequel est assis l’Enfant et dont il agrippe un pan de la main gauche. Ce surpeint se remarque encore en 1971, sur une photographie réalisée par l’Institut royal du Patrimoine artistique (52) (fig. 31) et il existait toujours en 1996. Selon nos informations, c’est alors qu’il fut supprimé. L’examen radiographique met en évidence une zone fortement lacunaire, retouchée ensuite de manière débordante (fig. 32). On s’interroge : quel était l'état de conservation de la couche picturale à cet endroit, avant l’intervention de 1996 ? L’état de conservation du surpeint justifiait-il son enlèvement ? On ne peut s’empêcher de relever un étonnant parallélisme de destin. À l’époque de l’exposition de 1902, la Madone Van Nieuwenhove présentait elle aussi un repeint de pudeur, apparemment déjà en partie gratté. On le discerne fort bien sur la photo Bruckmann (fig. 33). Il a dû être enlevé avant 1939, si l’on prête foi à la photographie publiée dans le catalogue de l’exposition Memling à Bruges (fig. 34). Au cours du XXème siècle, de nombreux repeints de pudeur ont disparu. La valorisation croissante de l’authenticité historique et la libération sexuelle ont en eu raison.
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Remerciements
Nos remerciements s'adressent à Catheline Perier-d'Ieteren pour ses précieuses indications quant au mode d'exécution du dessin sous-jacent et son appréciation dans le contexte memlingien, à Catherine Metzger et à Doug Lachance (Washington, National Gallery), pour la mise à disposition du réflectogramme de l’œuvre originale de Hans Memling. Nous ne pouvons oublier Francis Cugniez, radiologue (Gand) ainsi que Maximiliaan Martens et son équipe (UGent - GICA&S), pour leur contribution à la réalisation des documents radiographiques et infrarouges. Enfin, Chantal Kesteloot (Bruxelles, SOMA-CEGES) nous a fourni le cliché de la fig. 8, Rebeka Ceravalo (South Bend, Snite Museum of Art) le cliché de la fig.25 et Géraldine Patigny a scanné une partie des illustrations.