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Médaille & monnaie - Antiquité - Asie occidentale - Numismatique Christian Lauwers La production monétaire à Apamée sur l’Oronte, Syrie, dans l’Antiquité : un état de la question Exposé présenté lors de la réunion de la Société Royale de Numismatique de Belgique du 20 octobre 2012
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Reporticle : 52 Version : 1 Rédaction : 20/10/2012 Publication : 02/04/2013

Introduction

La Grande Colonnade d’Apamée vue depuis la Porte Nord.
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La Grande Colonnade d’Apamée vue depuis la Porte Nord.

Le site d’Apamée, en Syrie du Nord, connut une occupation humaine dès le Paléolithique. Les agglomérations successives s’accumulèrent jusqu’à former un tell qui domine les alentours. Lorsque, en 300/299 avant notre ère, Séleucos Ier, général d’Alexandre le Grand et premier roi séleucide, fonda la tétrapole syrienne, il baptisa la ville Apamée en l’honneur de son épouse, et fit construire, sur le plateau dominant la dépression du Ghab, une grande cité où il fit venir des colons grecs et macédoniens. Sous le règne des Séleucides, une acropole fut érigée au sommet du tell. Apamée fut une ville successivement grecque, romaine et byzantine.

Principaux sites archéologiques de Syrie.
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Principaux sites archéologiques de Syrie.

L’enceinte antique, longue de 7 kilomètres, entourait 260 hectares. Une inscription retraçant la carrière du préfet Quintus Aemilius Secundus mentionne le recensement en Apamène, en 6/7 de notre ère, de 117000 citoyens libres : « Idem... censum egi Apamenae civitatis millium homin(um) civium CXVII » (1). Ce chiffre englobe sans doute les habitants de la cité et ceux du territoire qui en dépendait (et dont l’étendue reste mal définie). Un nombre indéterminé d’habitants non citoyens ou non libres, esclaves et résidents non inscrits, doit être ajouté à ce chiffre. Femmes et enfants des citoyens, par contre, devaient être inclus dans les homines ; si le rédacteur de l’inscription avait voulu chiffrer les seuls citoyens mâles, il eût utilisé le mot viri (2) . A partir du Vème siècle, Apamée fut la capitale de la province de Syrie Seconde et le siège d’un archevêché. La cité a été touchée par plusieurs séismes, et mise à sac par les Parthes en 41-40 avant notre ère (3), puis par les Sassanides en 252 ou 253 de notre ère (4), enfin en 573 et 611, avant d’être prise sans combat par les Arabes en 638 suite à la bataille du Yarmouk et à la prise d’Antioche (5). A l’exception de la citadelle, occupée aujourd’hui par le village de Qal’lat el-Moudiq, Apamée n’a pas été recouverte par des habitations modernes. Cette situation favorable a permis aux missions archéologiques belges de fouiller le site de 1928 à 2010, en collaboration, depuis les années 60, avec la Direction Générale des Antiquités et Musées de Syrie. Des mosaïques provenant d’Apamée, ainsi qu’une restitution (erronée) d’une partie de la colonnade, sont visibles aujourd’hui au Musée du Cinquantenaire. La mission archéologique belge à Apamée concentre en ce moment ses activités sur la publication des résultats des fouilles. C’est l’occasion de faire le point sur les monnaies produites dans cette cité, des Séleucides aux Julio-Claudiens.

La production monétaire à Apamée

Émissions royales et quasi-municipales sous les Séleucides

Illustration de couverture de l’opuscule Fouilles d'Apamée, 1930-1932, Librairie nationale d'art et d'histoire, Bruxelles, 1932, par M. Lacoste.
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Illustration de couverture de l’opuscule Fouilles d'Apamée, 1930-1932.

Pour nous guider à travers les émissions frappées sous les rois séleucides, nous disposons de l’ouvrage récent d’Arthur Houghton et Catharine Lorber, Seleucid coins George Le Rider, dans son livre Antioche de Syrie sous les Séleucides, Corpus des monnaies d’or et d’argent I, De Séleucos I à Antiochos V, c. 300-161, avait précisé un certain nombre d’attributions antérieures données par le grand numismate E.T. Newell dans son ouvrage Western Seleucid Mints. Houghton et Lorber ont suivi Le Rider et, comme lui, ont estimé que certains arguments avancés par Newell étaient insuffisants pour donner des attributions assurées. Dans quelques cas cependant, ils ont conservé des attributions assorties d’un point d’interrogation. Les arguments permettant d’attribuer ces émissions à Apamée sont convaincants, mais pas définitifs.

Séleucos Ier, 312-280, AE 20 mm, 7,08 g. Éléphant debout à d. BASILEWS SELEUKOU, tête de cheval cornu à g.; en bas, ancre horizontale. SC 35.
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Séleucos Ier, 312-280, AE 20 mm, 7,08 g.
Antiochos III, 223-187, Drachme, AG 18 mm, 4,02 g. Tête du roi diadémée à d. BASILEWS ANTIOCOU, éléphant debout à d. SC 1065.
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Antiochos III, 223-187, Drachme, AG 18 mm, 4,02 g.

C’est le cas pour le bronze et la drachme que voici. L’ethnique ΑΠΑΜΕΩΝ n’apparaît pas sur ces pièces. Cependant, Apamée était, dès le règne de Séleucos Ier, le quartier général de l’armée séleucide. Strabon signale que 30000 juments et 500 éléphants y étaient casernés (6). Ce corps d’éléphants a joué un rôle décisif dans la victoire de Séleucos à Ipsos en 301, ce qui expliquerait la présence d’un éléphant sur un certain nombre de monnaies séleucides. Les lieux de découverte du bronze présenté ici, en Syrie du Nord, de même que ses types « militaires » signalent peut-être une production à Apamée.

La présence d’éléphants explique sans doute que de nombreuses monnaies frappées à Apamée portent au droit la tête de Dionysos, ou au revers des attributs de ce dieu tels que le thyrse, la panthère ou le canthare. Dionysos était le conquérant légendaire de l’Inde, d’où venaient les éléphants de Séleucos Ier ; il était considéré comme le « patron » du corps d’éléphants de l’armée royale. Dionysos est présent jusqu’à l’époque romaine sur des monnaies frappées à Apamée.

Des drachmes d’Antiochos III au revers à l’éléphant furent frappées en Syrie en 212, dans plusieurs ateliers. Il s’agit de l’émission séleucide la plus abondante. Antiochos III préparait sa campagne d’Arménie de 212-211. Il serait logique qu’une partie de ce monnayage ait été frappée directement sur les lieux de cantonnement de l’armée.

Antiochos IV, 175-164, AE 18mm, 6,54 g. Tête d’Antiochos IV diadémée à d. APAMEWN TWN PROS TWI AXIWI, Zeus trônant, tenant une Nikè et un sceptre. Monogramme à l’exergue. SC 1427.
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Antiochos IV, 175-164, AE 18mm, 6,54 g.
Antiochos IV, 175-164, AE Dénomination C (15-20 mm, 3 - 5,49 g). Tête d’Antiochos IV diadémée à d. APAMEWON TWN PROS TWI AXIWI, Zeus debout à g., tenant une Nikè et un sceptre. Monogramme à l’exergue. SC 1428.
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Antiochos IV, 175-164, AE Dénomination C (15-20 mm, 3 - 5,49 g).

Avec Antiochos IV Épiphane, nous arrivons en terrain sûr. En 169/8, la ville d’Antioche commença à frapper des bronzes portant au droit la tête du roi radiée, et au revers le nom de la cité. Dix-huit autres cités suivirent avec des bronzes quasi-municipaux. Apamée frappa alors deux dénominations, portant au revers Zeus nicéphore (portant une victoire), et l’inscription ΑΠΑΜΕΩΝ ΤΩΝ ΠΡΟΣ ΤΩΙ ΑΕΙΩΙ, sous-entendu la monnaie « des Apaméens auprès de l’Axios ». L’Axios est une rivière qui se jette dans l’Oronte à proximité de la ville. Père des Olympiens, Zeus était une divinité importante dans tout le monde grec. A Apamée, les fondations de son temple, dominant l’agora, existent toujours. Quant à la victoire qu’il porte, quoi de plus normal pour une cité à vocation militaire ? On doit se poser la question de la raison de ce privilège monétaire accordé à dix-neuf cités. En 189, Antiochos III avait été battu par les Romains dans une grande bataille à Magnésie. Parmi les conditions imposées par les vainqueurs figurait une indemnité de guerre de 12000 talents (7). On sait que c’est Antiochos IV qui finit de payer cette indemnité. Certains chercheurs, dont Otto Morkholm (8), ont supposé que la puissance romaine grandissante aurait provoqué une pénurie d’argent dans les royaumes hellénistiques. Ce manque d’argent aurait pu être une des raisons qui incitèrent Antiochos IV à accorder ce privilège monétaire, le bronze servant en partie à remplacer l’argent dans la circulation locale. George Le Rider a réfuté cette hypothèse (9). D’une part, l’argent des deniers de la république romaine provenait principalement des mines espagnoles. D’autre part, Antiochos IV a frappé de grandes émissions de tétradrachmes à partir de c. 172, ce qui montre bien que sa trésorerie ne manquait pas d’argent. La question reste donc ouverte.

Antiochos IV, émission posthume, AE Dénomination B (17-22 mm, 5,49 - 8,49 g). Tête de Dionysos couronnée de lierre à d. BASILEWS ANTIOCOU, thyrse. BXR = Ère Séleucide 162 = 151/0 BC à d. Monogramme à g. SC 1883. Antiochos IV, émission posthume, AE Dénomination B (17-22 mm, 5,49 - 8,49 g). Tête diadémée d’Antiochos IV couronné de lierre à d. BASILEWS ANTIOCOU, thyrse. BXR = Ère Séleucide 162 = 151/0 BC à d. Monogramme à g. SC 1884.
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Antiochos IV, émission posthume, AE Dénomination B (17-22 mm, 5,49 - 8,49 g).

En 152, Alexandre Balas, soutenu par les rois d’Égypte, de Pergame et de Cappadoce et reconnu par les Romains comme un fils d’Antiochos IV et à ce titre roi légitime, débarqua en Phénicie et entreprit de faire la guerre au roi en place, Démétrios Ier. Le royaume séleucide se trouva divisé en deux États ennemis jusqu’à la victoire finale d’Alexandre en 150. En 151/50, alors que le conflit était en cours, Antioche et Apamée frappèrent des monnaies à l’effigie d’Antiochos IV. Les bronzes émis alors à Apamée portent au droit la tête de Dionysos et celle du roi défunt, et au revers un thyrse, attribut de Dionysos. Ces monnaies sont datées, de même que la plupart des monnaies émises ensuite dans la cité.

Cette émission est suivie, en 150/49, par une émission qui semble purement municipale, sans mention de roi, portant comme seule légende l’ethnique ΑΠΑΜΕΩΝ. Le phalangiste debout, tout armé, du revers fait probablement à nouveau allusion à la vocation militaire de la cité. Quant à la Tychè tourelée du droit, il s’agit d’une des principales divinités d’Apamée, sans doute à l’imitation de la Tychè d’Antioche. Cette même Tychè se retrouvera sur les monnaies de la fin du Ier siècle avant notre ère, ainsi que sur le tétradrachme émis sous le règne de Claude. Une inscription retrouvée en fouille (10) démontre l’existence d’un temple dédié à cette déesse (il ne s’agissait pas nécessairement du bâtiment que l’on appelle aujourd’hui le Tychéion, l’inscription ayant été déplacée et réemployée, peut-être dès le IIème siècle de notre ère, lors de la reconstruction de la ville après le tremblement de terre de 115, ou bien sous Théodose Ier, après la destruction des temples païens). Il est probable qu’à l’instar d’Antioche, Apamée possédait dans ce temple une statue de Tychè, statue qui put servir de modèle aux graveurs de coins.

Apamée, AE 16 mm, 4,21 g. Buste tourelé, voilé et drapé de Tychè à d. APAMEWN, phalangiste debout à g. tenant un bouclier et une lance. GXR = Ère Séleucide 163 = 150/49 à g. Hoover Handbook 1426. BMC Galatia 1 p. 233.
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Apamée, AE 16 mm, 4,21 g.

Cette même année 150/49, Apamée frappa deux dénominations de bronze portant au droit la tête d’Alexandre I Balas et au revers Zeus debout, la date et l’ethnique ΑΠΑΜΕΩΝ. Beaucoup de ces bronzes ont été contremarqués. C’est le cas de la plupart des exemplaires que j’ai pu trouver. Oliver Hoover a consacré une étude de coins à ces monnaies (11) et s’est interrogé sur les raisons de ce monnayage et de cette contremarque. Trois autres cités de Syrie du Nord ont frappé des bronzes quasi-municipaux à la même époque, Antioche, Séleucie de Piérie et Cyrrhus. Pour Hoover, ces cités ont voulu, au moment de l’accession au pouvoir du nouveau roi, rappeler à celui-ci les privilèges que son père supposé, Antiochos IV, leur avait accordés, afin de continuer à en jouir sous son règne. La date de ces monnayages correspondrait à une visite effectuée par Alexandre en Syrie du Nord. La contremarque consiste en une branche de palmier et devait se trouver sur un poinçon rectangulaire. Hoover a remarqué que dans la plupart des cas cette contremarque est apposée soit sur le casque que tient Zeus, soit sur l’ethnique ΑΠΑΜΕΩΝ. En 145, Alexandre Balas fut battu par Démétrios II et tué. L’armée de Démétrios étant composée de mercenaires, ce roi tenta de désarmer et disperser l’armée royale casernée à Apamée, ce qui provoqua la révolte de la cité et de l’armée royale dirigée par Tryphon. La contremarque aurait été appliquée aux monnaies quasi-municipales d’Apamée comme symbole de la victoire de Démétrios et de l’abolissement des libertés et statuts traditionnels de la cité. Cela expliquerait que cette contremarque soit précisément appliquée sur le casque ou sur l’ethnique.

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    Antiochos VI, 144-142/1, Tétradrachme, AG c. 30 mm, 16,74 g. Tête diadémée d’Antiochos VI à d. BASILEWS ANTIOCOU EPIFANOS DIONUSOS, les Dioscures à cheval tenant des lances et chargeant à g. Dans le champ d., TRU. A g., thyrse. YXR = Ère Séleucide 169 = 144/3. Monogramme à d. SC 2010.
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    Antiochos VI, 144-142/1, Tétradrachme, AG c. 30 mm, 16,74 g.

    En 144, les rebelles conduits par Tryphon prirent le contrôle du quartier général d’Apamée. Tryphon fit roi, sous le nom d’Antiochos VI, un fils d’Alexandre Balas. De mi-144 à mi-143, Apamée fut le principal atelier monétaire de ce jeune roi. Travaillant avec le personnel qui avait fui la tyrannie et la féroce répression de Démétrios à Antioche, Apamée produisit des tétradrachmes, drachmes et hémidrachmes en argent, ainsi que probablement des bronzes, portant au droit la tête radiée du roi. Le revers des tétradrachmes porte une représentation des Dioscures et un thyrse, les drachmes Apollon, les hémidrachmes une panthère et les bronzes un canthare. Le thyrse, la panthère et le canthare sont des attributs de Dionysos. Le jeune roi prit comme épithètes ΕΠΙΦΑΝΟΣ ΔΙΟΝΥΣΟΣ, épiphane qui l’identifiait à son grand-père supposé, Antiochos IV, et Dionysos, qui l’identifiait à la divinité tutélaire de l’armée casernée à Apamée. En 143, après s’être emparé d’Antioche, Tryphon y transfèra sa cour et son atelier monétaire, avant de se débarrasser d’Antiochos VI. Arthur Houghton a fait l’étude de coins de ces monnaies dans son article « The revolt of Tryphon and the accession of Antiochus VI at Apamea » (12). Les tétradrachmes sont signés par Tryphon lui-même, dans le champ droit : ΤΡΥ.

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      Alexandre II Zabinas, 128-122, AE serratus, 18 mm, 5,81 g. Tête du jeune Dionysos couronnée de lierre à d. BASILEWS ALEXANDROU, Tychè ailée debout à g., coiffée d’un calathos, tenant un gouvernail et une corne d’abondance. SC 2242.
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      Alexandre II Zabinas, 128-122, AE serratus, 18 mm, 5,81 g.

      En 128, un usurpateur, Alexandre II Zabinas (l’ « acheté ») s’empara d’Antioche et de la plus grande partie de la Syrie du Nord. Apamée a soutenu cet usurpateur dans sa révolte contre Démétrios II (revenu au pouvoir en 129). Les types de deux dénominations de bronze suggèrent une attribution à Apamée : la tête de Dionysos et une tête d’éléphant. Des magistrats monétaires venus d’Antioche auraient pu en superviser la frappe. Faute d’arguments définitifs, cette attribution reste purement hypothétique.

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        Émissions sous Tigrane II d’Arménie

        Apamée, AE 22 mm, 8,63 g. Tête de Zeus laurée à d. APAMEWN THS IERAS KAI ASULOU, éléphant debout à d. BMS = ES 242 = 71/0. Monogramme à l’exergue. Hoover Handbook 1419. BMC Galatia 5 p. 234.
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        Apamée, AE 22 mm, 8,63 g.

        Lassée des conflits dynastiques entre prétendants séleucides, la plus grande partie de la Syrie se donna à Tigrane II, roi d’Arménie, en 83 avant notre ère. Apamée reçut de ce roi en 77/76 le privilège de frapper monnaie (13). Trois dénominations de bronze, datées d’après l’Ère séleucide de 77/6 à 70/69, furent alors émises. Deux des divinités principales de la cité, Zeus et Dionysos, auxquelles s’ajoute Déméter, figurent au droit de ces monnaies, un éléphant, un épi et une grappe de raisins au revers. Apamée est qualifiée, dans la légende de ces monnaies, de ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ, sacrée et inviolable. Ces émissions sous Tigrane présentent des particularités sur lesquelles je vais revenir.

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          Émissions sous la République Romaine

          En 69, Tigrane fut battu par Lucullus, et le monnayage d’Apamée s’interrompit. Pompée, passant par Apamée en 63, démantela la citadelle. Il est probable que l’interruption du monnayage et la destruction de la citadelle aient été une façon de punir la ville pour ses bonnes relations avec Tigrane.

          Apamée recommença à frapper monnaie en l’an 7 d’une nouvelle ère, qu’Henri Seyrig a identifiée comme une ère pompéienne, commençant à « la date que Pompée regardait comme le terme juridique de la souveraineté des Séleucides, éteinte avec le pouvoir de Tigrane » (14), l’an 7, c’est-à-dire 58/57.

          Apamée, AE 17 mm, 5,73 g. Buste voilé et tourelé de Tychè à d. APAMEWN THS IERAS KAI ASILOU, Nikè avançant à g., tenant une couronne et une palme. VI = Ère pompéienne 16 = 49/8. Hoover Handbook 1429.
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          Apamée, AE 17 mm, 5,73 g.
          Apamée, AE 16 mm, 6,57 g. Buste de Déméter drapé et couronné d’épis à d. APAMEWN THS IERAS KAI AUTONOMOU, trois épis. EOS = Ère Séleucide 275 = 38/37. RPC I 4355.
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          Apamée, AE 16 mm, 6,57 g.
          Apamée, AE 20 mm, 7,43 g. Buste d’Athéna portant un casque corinthien à d. APAMEWN THS IERAS KAI AUTONOMOU, Nikè avançant à g., portant une couronne et une palme. EOS = ES 275 = 38/37. RPC I 4337.
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          Apamée, AE 20 mm, 7,43 g.
          Structure du monnayage de 44/3 BC à 41-54 AD. Tableau extrait de A.M. Burnett, M. Amandry et P.P. Ripollès, Roman Provincial Coinage, Volume I, Londres, 1992, p. 632.
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          Structure du monnayage de 44/3 BC à 41-54 AD.

          La cité reprit les types Zeus/éléphant et Déméter/épi et y ajouta les types Athéna/Nike, Tyché/Athéna et Tyché/Nike, types qu’elle continua ensuite à frapper jusque sous le principat d’Auguste. Les émissions ne sont pas régulières, et l’on ne connaît aujourd’hui de monnaies datées d’après l’ère pompéienne que pour les années 58/7, 57/6, 49/8, 44/3 et 43/2. En 41/40, les Parthes envahirent la Syrie. Le gouverneur romain dut fuir et Antioche fut prise, ce qui contraignit Apamée à capituler, après une longue résistance. Les légions romaines reprirent la Syrie, et, entre 41 et 39, Apamée reçut de Marc Antoine un nouveau statut juridique, probablement en récompense pour la fidélité qu’elle avait manifestée à Rome en résistant aux Parthes, l’autonomie. Ce nouveau statut fut indiqué sur les monnaies, sous forme de la légende ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΥΤΟΝΟΜΟΥ. Une nouvelle ère fut inaugurée à cette occasion, et des monnaies furent datées des années 2 et 3. Apamée retourna ensuite à l’Ère séleucide. Cette autonomie fut mentionnée sur les monnaies jusqu’en 30/29, date où ce statut fut retiré à Apamée lors du passage d’Octave en Syrie après la bataille d’Actium.

          Le tableau qui suit, extrait du Roman Provincial Coinage (15), montre que, de 41 à 17 avant notre ère, des monnaies furent frappées chaque année à Apamée. Elles sont toutes datées, ce qui ne peut que faciliter une éventuelle étude de coins. L’argent qui circulait alors à Apamée était probablement constitué en grande partie des tétradrachmes à l’effigie de Philippe Philadelphe frappés de 57 à 16 à Antioche, la capitale de la province, par les proconsuls romains. Sous Auguste, d’Espagne et de Gaule jusqu’en Asie, en Syrie et en Égypte, de très nombreuses cités émirent des monnaies de bronze à usage local. Pour expliquer ces émissions, je citerai Johan van Heesch : « Il n’y a pas de dirigisme dans la vie économique de l’empire romain à ce moment. Et surtout, la monnaie en bronze n’entrait pas dans les préoccupations de l’État dont l’attitude était plutôt pragmatique. La frappe d’un numéraire en bronze était trop coûteuse comparée à celle de l’or ou de l’argent. » (16). Le droit de frapper monnaie, laissé par Auguste aux cités de la partie grecque de l’Empire comme aux tribus gauloises ou celtibères, permettait à l’État romain de réaliser des économies. Lorsqu’Apamée cessa de frapper régulièrement des émissions de bronze, ce furent les bronzes au revers SC frappés à Antioche, que l’on y trouve régulièrement en fouille, qui alimentèrent la ville en petit numéraire.

          Émissions sous les Julio-Claudiens

          Apamée, AE 18 mm, 4,71 g. Buste voilé et tourelé de Tychè à d. [APAMEWN THS] IERAS KAI AUTONOMOU, Athéna debout à g., tenant une Nikè et une lance, un bouclier à ses pieds. BPS = ES 282 = 31/30. RPC I 4364.
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          Apamée, AE 18 mm, 4,71 g.

          Des monnaies civiques furent encore frappées jusqu’en 5/4 avant notre ère, tel ce bronze émis entre Actium et la visite d’Auguste en Syrie, portant encore la légende ΑΥΤΟΝΟΜΟΥ, et cette monnaie portant au droit la tête de Dionysos et au revers un thyrse, émise en 9/8 avant notre ère. Les monnaies émises à Apamée à l’effigie d’empereurs sont rares. Une émission porte au droit la tête d’Auguste, au revers une Victoire ou la tête de Tychè. Tous les exemplaires connus portent la date ΗΚ, 28, qu’Henry Seyrig interprète comme une date de l’ère d’Actium, ce qui donne 4/3 avant notre ère.

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            Tibère, 14-37 AD, AE 22 mm, 9,85 g. Tête nue à d. APAMEWN THS IERAS KAI ASULOU, Nikè debout à g. tenant une couronne et une palme. VKT = ES 326 = 14/15. RPC I 4374.
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            Tibère, 14-37 AD, AE 22 mm, 9,85 g.

            En 14/15 de notre ère, au début du règne de Tibère, deux bronzes datés d’après l’Ère séleucide furent émis. Enfin, sous le règne de Claude, un tétradrachme, dont on ne connaît qu’un seul exemplaire, et deux bronzes furent frappés à Apamée. Ces dernières monnaies sont particulières à plusieurs égards. La légende ΚΛΑΥΔΙΕΩΝ ΑΠΑΜΕΩΝ montre que la cité a reçu le nom de l'empereur comme épithète. Les lettres ΕΛ dans le champ gauche du revers sont probablement l’abréviation d’ΕΛΕΥΘΕΡΙΑΣ, libre, ce qui indique qu’Apamée a reçu un nouveau statut.

            Claude, 41-54, Tétradrachme, AG 26 mm, 13,69 g. KLAUDIOS KAISAR SEBASTOS, tête laurée à d. KLAUDIEWN APAMEWN, Tychè assise à g., tenant des épis et un sceptre, le bras gauche posé sur un bouclier orné d’un scorpion. Dans le champ gauche, en haut, EL. ETB = 2ème année. En bas, dieu fleuve. RPC I 4377.
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            Claude, 41-54, Tétradrachme, AG 26 mm, 13,69 g.

            Enfin, ces monnaies sont datées Α et Β, c’est-à-dire de l’an 1 et de l’an 2 d’une nouvelle ère. Ce sont les dernières monnaies frappées à Apamée ; nous ne connaissons aucune référence à un an 3. A quoi correspond cette nouvelle ère, et pourquoi la ville a-t-elle pris le nom de Claudia Apamea ? Jean-Charles Balty a émis à ce sujet une hypothèse qui me semble convaincante (17). La Syrie du Nord a subi de nombreux tremblements de terre. On sait par exemple que Trajan se trouvait à Antioche lorsque cette ville subit de grandes destructions lors d’un séisme en 115, et que c’est suite à ce séisme que les Antonins financèrent la construction de la grande rue à colonnade d’Apamée. On sait par Malalas qu’un important tremblement de terre frappa Antioche à une date indéterminée du règne de Claude. L’Asie Mineure fut touchée, ainsi que la Palestine ; l’épicentre devait se situer entre ces deux régions. En 47 de notre ère, Samos honora Claude pour avoir restauré son temple de Dionysos, détruit suite à un séisme. Il s’agit probablement du même événement. On peut sans peine imaginer que Claude, suite à ce séisme, intervint financièrement dans la reconstruction de la cité dévastée. C’est sous son règne également qu’un nymphée fut construit près de la Porte Nord d’Apamée, là où aboutissait l’aqueduc construit probablement à la même époque. Ces libéralités expliqueraient qu’en 47 ou peu après, les citoyens d’Apamée auraient décidé d’adopter le nom de Claude, d’entamer une nouvelle ère et de frapper monnaie en son honneur.

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              Des frappes intermittentes

              Au début du IIIème siècle sous Séleucos Ier ( ?)

              En 212 sous Antiochos III ( ?)

              Entre 169/8 et 164 sous Antiochos IV

              En 151/50 pour Antiochos IV (émission posthume)

              En 150/49 une émission municipale

              En 150/49 pour Alexandre Balas

              En 144/43 sous Antiochos VI

              Entre 128 et 122 pour Alexandre Zabinas ( ?)

              De 77/6 à 70/69 sous Tigrane

              En 58/7, 57/6, 49/8, puis quasi sans interruption de 44/3 à 17

              En 10/9, 9/8 et 5/4

              En 4/3 pour Auguste

              En 14/15 de notre ère pour Tibère

              Deux années consécutives entre 41 et 54 (après 47 ?) pour Claude

              Cette liste récapitulative montre bien l’irrégularité de ces émissions monétaires. Les raisons de frapper monnaie me semblent présenter une grande variété. L’attribution des deux premières émissions, pour Séleucos Ier et Antiochos III est hypothétique, mais dans ces deux cas ces émissions sont liées à la guerre et à son financement. Les émissions de 19 cités sous Antiochos IV ont probablement un objectif économique, fournir ces cités en petit numéraire pour la circulation locale. La série d’émissions des années 151/149 est liée à une crise dynastique doublée d’une guerre civile. C’est à nouveau le cas en 144/3, quand Tryphon et Antiochos VI séjournent à Apamée avant de s’emparer de la capitale du royaume, Antioche. Et ce pourrait être encore une fois le cas pour l’émission hypothétique d’Alexandre Zabinas. Pour la période séleucide, il y a un glissement de l’autorité émettrice. C’est d’abord un privilège royal (Séleucos Ier, Antiochos III). Ce privilège est ensuite délégué aux cités (Antiochos IV). Enfin, il arrive que la cité prenne l’initiative de frapper monnaie (monnaies municipales de 150/49). Cette évolution me semble aller de pair avec un affaiblissement progressif du pouvoir central séleucide, ce pouvoir central étant à diverses reprises en crise, menacé par des ennemis extérieurs, les Ptolémées, les Parthes et les Romains, et disputé entre plusieurs prétendants au trône.

              Sous Tigrane, quatre changements interviennent. D’abord, pour la première fois, trois dénominations différentes sont émises. Les types utilisés alors le seront à nouveau lorsqu’Apamée reprendra son monnayage sous Pompée, en 58/7, ce qui donne à penser que les bronzes émis sous Tigrane ont circulé au moins 20 ans. Ensuite, ces monnaies ont été frappées régulièrement. Il arrive encore qu’on en découvre d’un nouveau millésime, mais on connaît des monnaies Zeus/éléphant datées de 77/6, 73/2, 71/70 et 70/69, des monnaies Déméter/épi datées de 74/3, 73/2 et 70/69, et des monnaies Dionysos/grappe de raisins datées de 75/4. Plus significatif à mon avis est le fait que ni l’effigie, ni le nom de Tigrane n’apparaissent sur ces monnaies. Cela me semble suggérer une autorité lointaine et légère. Le quatrième changement paraît confirmer cette idée : il s’agit de la légende du revers, ΑΠΑΜΕΩΝ ΤΗΣ ΙΕΡΑΣ ΚΑΙ ΑΣΥΛΟΥ. Ces deux derniers points indiquent un changement de statut de la cité, devenue sacrée et inviolable. C’est sous sa propre autorité que la cité frappe monnaie, et elle frappe régulièrement parce qu’elle doit fournir elle-même, au moins pour une part importante, les monnaies de bronze fraîches pour la circulation locale. Je vois donc ici à la fois une raison politique et une raison économique de frapper monnaie.

              Après la conquête de la Syrie par les légions romaines, les raisons politiques de frapper monnaie s’estompent. Il s’agit surtout de rappeler des privilèges anciens, dans l’espoir que les nouveaux maîtres les respecteront. Mais la revendication d’autonomie se fait dans un cadre beaucoup plus vaste que le royaume séleucide, et je pense que les citoyens d’Apamée ne se faisaient guère d’illusions sur le siège du pouvoir. Leur longue résistance lors de l’invasion parthe de 41/40 montre bien qu’ils préféraient être Romains que Parthes. Les raisons de frapper monnaie, de 58/7 à 5/4 avant notre ère, me semblent donc principalement économiques. Quand l’atelier d’Antioche ne fournissait pas assez de monnaies de bronze fraîches pour alimenter la circulation locale, l’atelier d’Apamée y suppléait. Sous le principat d’Auguste, Antioche commença à émettre de très grandes quantités de bronzes SC, et l’atelier d’Apamée cessa son activité. Les émissions pour Auguste, et au tout début du règne de Tibère, datées l’une comme l’autre d’une seule année, ainsi que l’émission pour Claude, datée de deux années, me paraissent principalement si pas uniquement motivées par la volonté de flatter ces empereurs afin de les voir confirmer les anciens privilèges de la cité ou dans le cas de Claude pour le remercier de ses bontés.

              Conclusion

              En regardant les émissions monétaires d’Apamée sur le long terme, de la fondation de la cité en 300/299 avant notre ère jusqu’aux dernières frappes sous le règne de Claude, je pense qu’on peut sans grand risque conclure que l’atelier d’Apamée fut toujours un atelier d’appoint pour celui d’Antioche. Quand pour une raison ou une autre, Antioche était provisoirement dans l’incapacité de fournir Apamée en monnaies fraîches, cette cité ouvrait un atelier et y frappait des monnaies à usage local. Dès que la situation se rétablissait à Antioche, l’approvisionnement reprenait son cours normal et l’atelier d’Apamée était fermé.

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              Notes

              NuméroNote
              1 CIL III, 6687.
              2Voir le débat sur cette inscription et le nombre d’habitants à Apamée dans Kennedy (David),  « Demography, the population of Syria and the census of Q. Aemilius Secundus », in Levant, 38, 2006.
              3Seyrig (Henri),  « Sur les ères de quelques villes de Syrie », in Syria, XXVII, 1950, p. 16.
              4Balty (Jean-Charles), « Apamée (1986) : nouvelles données sur l'armée romaine d'Orient et les raids sassanides du milieu du IIIe siècle », in Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 131ème année, 1, 1987 1987, p. 232-237.
              5Foss (Clive), « Syria in Transition, A. D. 550-750: An Archaeological Approach », in Dumbarton Oaks Papers, Vol. 51, 1997, p. 205-6.