Note de la rédaction
Ce reporticle est extrait de La Nouvelle Biographie Nationale, Bruxelles, Académie royale de Belgique, Tome 13, 2016, pp. 41 – 44.
Pol Bury. Esquisse biographique
Pol Bury est né à Haine-Saint-Pierre (Belgique) le 26 avril 1922, décédé à Paris, le 27 septembre 2005. Il est le fils de Jules Bury, qui apparaît sur l’acte de naissance de l’artiste comme marchand de vin âgé de vingt sept ans et d’Augusta Maria Modave (vingt six ans).
Pendant les dix premières années de sa vie, Pol Bury séjourne régulièrement en France, au gré des affaires de son père (reconverti en expert en construction automobile). Il fréquente l’Institut Saint-Joseph de la Louvière mais l’école, dit-il, a rapidement raison de lui. En 1938, il entre à l’Académie des Beaux-Arts de Mons où il fréquente, un bref moment, les cours de Louis Buisseret et de Léon Navez. Un an plus tard, il intègre le groupe « Rupture » fondé par Achille Chavée. Lorsque ce groupe se dissout, Chavée crée « Le Groupe Surréaliste en Hainaut » et y entraîne Bury. Au contact des œuvres d’Yves Tanguy, de René Magritte et de Raoul Ubac, il peint des tableaux d’inspiration surréaliste (Les mauvaises rencontres, 1944 ; Le ciel illustré, 1945) (FIG 1). Pendant les années de guerre, il participe à la résistance et peint peu : « la violence des dangers rendait toute activité humaine dérisoire. Rester en vie occupait les journées et les nuits ».
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En 1945-1946 il prend part à l’exposition « Surréalisme », organisée à la galerie des Editions de la Boétie (Bruxelles). Dans la foulée, Louis Cosyn met sur pied sa première exposition personnelle. Il s’oriente alors vers une peinture plus abstraite (Sans titre, 1947) (FIG 2), quitte la sphère des surréalistes et participe, en 1947 à l’exposition « La Jeune Peinture Belge » qui se tient au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Un an plus tard, le groupe se dissout. En 1949 Bury expose, entre autres, à la galerie Apollo (Bruxelles), à la salle Artes (Anvers) à l’A.P.I.A.W. (Association pour le progrès intellectuel et artistique de la Wallonie) (Liège), il rencontre Christian Dotremont et devient membre du groupe COBRA. Il rédige plusieurs articles et fournit des illustrations pour la revue du même nom. En 1950, à la galerie Maeght (Paris) il découvre l’œuvre d’Alexander Calder. Cette rencontre est décisive parce qu’elle va transformer son travail. Peu à peu il abandonne les œuvres purement bidimensionnelles. En 1952, il fonde, avec Georges Collignon, Léopold Plomteux, Jan Saverijs, Jan Burssens, Jean Milo, Géo Carrey et Jo Delahaut le groupe « Art Abstrait ». Il participe à de nombreuses expositions à Bruxelles, Liège ou Anvers.
L’année suivante, il montre pour la première fois (galerie Apollo) ses reliefs mobiles qu’il désigne sous le vocable de Plans Mobiles (Plans mobiles, 1953) (FIG 3). En 1954, il signe, avec Jo Delahaut, Karel Elno et Jean Séaux le « Manifeste du Spatialisme ». En 1955, il participe à l’exposition emblématique « Le Mouvement » organisée à la galerie Denise René (Paris). Dans le catalogue publié à cette occasion, Pol Bury côtoie Calder (« le détonateur de son destin »), Yaacov Agam, Marcel Duchamp, Robert Jacobsen, Jesùs-Raphaël Soto, Jean Tinguely et Victor Vasarely. Il expérimente différents types d’expression dont les Girouettes (Girouettes, 1955) (FIG 4) que le vent ou les spectateurs mettent en mouvement.
Fig. 7 – Pol Bury, Erectile – rétractile, 1963, Bois teinté, moteur électrique, Fédération Wallonie-Bruxelles. |
Fig. 9 – Pol Bury, 19 boules sur 12 plans formant un zigzag, 1966 Bois teinté et liège, moteur électrique, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, Bruxelles. |
Fig. 10 – Pol Bury, 19 boules sur 3 plans incurvés, 1967, Acier, moteur électrique, Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles. |
Par ailleurs, au milieu des années 1950, il fonde, avec André Balthazar, l’Académie de Montbliart qui donne naissance, quelques années plus tard, au Daily-Bûl et à ses célèbres éditions. La revue publie des textes rédigés par Pol Bury et aussi, par exemple, par Christian Dotremont, Pierre Alechinsky, Achille Chavée, Folon, Roland Topor, Marcel et Gabriel Piqueray. Il envisage aussi l’écriture comme le miroir de sa pensée. Il rédige de nombreux livres, publiés notamment chez Gallimard, Cosmos, Fata Morgana, Galilée, Plein Chant, l’Echoppe ou Denoël. Livres, tracts, pamphlets portent le sceau de l’absurde et d’un humour décalé, témoignent de sa curiosité pour la poésie et révèlent aussi son intérêt pour la politique et le statut de l’artiste. Parallèlement à cette activité scripturale, il illustre des livres d’Honoré de Balzac, d’André Balthazar, de Marcel Havrenne ou de Joseph Noiret par exemple.
En 1957, il construit des reliefs mobiles, les Multi-Plans (Multiplans, 1957) (FIG 5), composés de lattes de bois rectangulaires fixées en haut et en bas de façon à pouvoir pivoter sous l’impulsion d’un moteur. Bury joue avec la forme, la couleur et l’espace. Avec les plans découpés qui pivotent, l’œuvre se définit comme une succession d’étapes qui se constitue dans l’addition. La composition changeante et les modifications permanentes de l’œuvre mettent la peinture en mouvement.
A la fin des années 1950, Pol Bury oriente donc ses réflexions autour de l’espace et du temps. Les Ponctuations érectiles, qui se présentent comme un enchevêtrement de fines tiges d’acier, de nylon ou de cordes de piano mouchetées à leur extrémité d’un point de peinture, se meuvent de manière imperceptible, sur un fond monochrome (Erectile, 1963 ; 434 têtes plates extra-larges, 1964 ; 919 points blancs sur fond noir, 1965 ; 3069 points blancs sur un fond ovale, 1966) (FIG 6). Les minces fils sont parfois remplacés par des bâtonnets de bois ou des clous. L’artiste s’éloigne de la sphère du langage strictement pictural. Sur un fond uni (noir, rouge, plutôt sombre), des bâtonnets, des clous ou des tiges plus ou moins raides ou flexibles terminés par une goutte de couleur, se déplacent ou tremblent de manière presque indiscernable. Ces enchevêtrements de fils, ces plaquettes ou ces bouquets d’aiguilles se meuvent très subtilement dans un désordre anarchique quasi indécelable.
C’est avec ces réalisations et un Multi-plan de 1955 qu’il figure à l’exposition « Bewogen Beweging » (Stedelijk Museum d’Amsterdam, 1961).
En 1961, il quitte la Belgique et s’installe aux environs de Paris. C’est alors que son travail se détache du mur et devient sculptural. Il affranchit son œuvre du support, passe de la tige au volume mais toujours dans la perspective d’une suite continue de mouvements ténus. Avec ce qu’il nomme les Meubles, il aborde franchement la tridimensionnalité (Erectile-rétractile, 1963 ; Colonne, 1963 ; Petit meuble, 1964) (FIG 7 et 8). En initiant un nouveau style, l’artiste fait éclater les limites spatiales définies par le cadre (les horizontales et les verticales) pour aborder de front un objet volumétrique. Boules et cylindres, qui se situent à la surface des parois, tremblent, glissent, sont pris de soubresauts, vont tomber mais ne tombent pas. Si les bruits proviennent des mouvements –qui sont toujours de l’ordre de l’inattendu-, les craquements, les grincements et les murmures tissent de nouvelles relations internes au système de l’œuvre. Chez Pol Bury, l’aventure créatrice se définit aussi comme un lieu de surprise et d’ambiguïté – entre mobile et immobile -. L’aspect formel du meuble s’estompe rapidement au bénéfice d’une configuration plus géométrique et plus abstraite. Au support angulaire, creusé pour y loger le mécanisme qui entraîne le mouvement, il adjoint des gros clous de charpentier promptement remplacés par des sphères (70 boules et leurs cylindres, 1965 ; 18 boules superposées, 1966). Après avoir expérimenté les effets lisses et rugueux du bois, il se tourne, en 1967, vers l’étude du métal, en particulier l’acier inoxydable et le cuivre. Ces matériaux, plus flexibles, lui offrent la possibilité de composer en combinant les formes concaves et convexes et d’intégrer, en jouant sur le poli des surfaces, des effets miroirs (19 boules sur trois plans courbes, 1967 ; 27 boules se reflétant dans une forme courbe, 1967) (FIG 9 et 10) (FIG 11). Il commence aussi à faire usage de l’électromagnétisme (Monument horizontal n°3 dédié à 12.000 billes, 1971) – qui réaffirme les notions de perturbations infimes et de carambolages improbables- et conçoit sa première Fontaine pour l’Iowa State University (1969). Bury montre qu’il maîtrise le mouvement et qu’il a saisi toutes les incertitudes de la perception. En laissant une place aux intervalles entre les mouvements, il enracine son travail, avec une exceptionnelle acuité, dans le concept de temps qui devient, au même titre que le son, un des matériaux de la sculpture. L’aventure perceptive s’exprime aussi à travers des jeux visuels rendus possible grâce à la brillance des matériaux (entre autres l’acier). Ce caractère fondamental combiné à un agencement de volumes (cylindre ou sphère) et de surfaces concaves ou convexes déploie des échelles de reflets qui induisent de subtils déplacements. Le jeu de la pesanteur replace la poésie au centre de l’œuvre de Bury qui sollicite pleinement l’imagination du spectateur.
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Toujours dans les années 1960, il découvre New York (1964). Sous l’influence de la culture Pop, il retourne au papier et à la bidimensionnalité. Il réalise des Cinétisations (les premières datent de 1963). Il s’empare de photographies de monuments ou d’architectures qu’il découpe et remet en place avec un léger décalage (George Washington bridge, 1966 ; La statue de la liberté, 1966). Dans la foulée, il s’adonne aussi aux Ramollissements de tableaux, d’œuvres célèbres ou de personnalités (Joan Miro ramolli, s.d. ; Ramollissements de Mao, s.d.) (FIG 12). Il les met littéralement en désordre et leur donne l’impression de fondre. Jusqu’à la fin de sa carrière, il manipule l’image (en utilisant photoshop) pour faire émerger des jeux visuels confectionnés à partir d’une « cinétisation » digitale (Ramollissements virtuels d’après Lucas Cranach, 2002) (FIG 13).
Le champ d’expression de l’artiste explore des domaines variés mais affiche néanmoins une grande cohérence. Les œuvres s’éclairent l’une l’autre, un signe iconique particulier (le miroir) trouve, par exemple, un écho dans le choix d’un matériau (acier). Les formes que prennent ses travaux mobilisent des techniques très diverses sans exclure parfois une dimension expérimentale. Il réalise, en 1968, un film de deux minutes à partir d’instantanés d’Achille Chavée (« 2340 instantanés », super 8). Avec la complicité de Clovis Prévost (1971), il prend pour thème la Tour Eiffel (« 8500 tonnes de fer », 16mm, 14 minutes) qu’il soumet à d’insolites torsions. Il enchaîne avec « Une leçon de géométrie plane » (16mm, 13 minutes). Toujours avec son acolyte Clovis Prévost, la chaîne de montage Renault leur inspire « 135 kilomètres-heure » (1972, 16 mm, 14 minutes). « 25 tonnes de colonnes » (1973, 16mm, 14 minutes) relate la fabrication d’une sculpture. Dans « L’Art illustré » (1975, 16mm, 20 minutes) Bury met en scène Roland Topor. Ce dernier interprète des saynètes qui explicitent quelques orientations de l’art contemporain. Enfin, avec Claude Gaspari, sur un scénario de Jean Tardieu, il filme « L’œuvre plastique du professeur Froeppel » (FIG 14).
A la fin des années 1960, il commence à travailler à l’échelle du monumental et installe ses sculptures aux quatre coins du monde. Cette tendance s’affirme clairement au milieu des années 1970. Avec des œuvres réalisées pour les espaces publics ou avec les forêts de colonnes, l’artiste met en scène une « sculpture en représentation ». En prenant part à d’importants projets urbanistiques, Bury répond à la vie contemporaine, change d’échelle mais reste fidèle à l’essentiel de son esthétique. Les colonnes s’articulent à partir d’une entaille qui permet à la partie supérieure de se pencher sur un fût (la partie basse) qui reste stable. Ces œuvres monumentales qui investissent les campus et les places, agissent comme des repères. Bury reste fidèle à ses codes esthétiques, les volumes élémentaires se jouent de la perception et théâtralisent la dilatation du temps (Capteurs de ciel, Bruxelles, 1982) (FIG 15 et 16). Bury est aussi sollicité pour donner à l’espace public d’une station de métro bruxelloise une identité. Avec Moving ceiling (station Bourse, 1976) (FIG 17), il réalise un plafond mouvant. Les cylindres réagissent aux moindres courants d’air (accentués volontairement par des ventilateurs).
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Fig. 18 – Pol Bury, Fontaine, 1977, Acier inoxydable brossé et poli miroir, pompe hydrolique, Musée de l’Automobile, Mougins. |
Les fontaines hydrauliques – la première date de 1976- confirment Bury comme l’un des maîtres du mouvement lent. Il instaure un dialogue murmuré entre le ruissèlement de l’eau et le basculement inattendu des masses. Le poids et la fluidité de la matière aqueuse, en s’infiltrant dans les sphères ou les tubulures créent une animation visuelle et acoustique. L’eau en se déplaçant au sein d’un circuit fermé –elle se faufile, s’écoule, est ravalée et recrachée – fait frissonner ou tanguer cylindres et boules pour réinventer magistralement le mouvement (Fontaine du jardin de la Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence, 1978, Fontaine, Solomon Guggenheim Museum, New York, 1980, Les Fontaines du Palais Royal-Cour d’Orléans, Paris, 1985, Fontaine pour les jeux olympiques de Séoul, 1988, Fontaine pour La Louvière, 1992, ou encore Fontaine pour la Tohoku University of Art and Design de Yamagata au Japon, 1994, Fontaine, Bruxelles, 1995). Bury joue de la lenteur extrême, de la fascination, du déplacement infime, du tremblement presque indiscernable et situe son œuvre sculpturale aux confins d’une région très particulière où se confondent mouvement et immobilité qui proposent un itinéraire, qui relève à la fois de l’instant et d’un temps extensible à l’infini (FIG 18) .
En 1970, pendant six mois, Bury enseigne l’esthétique et la sculpture à l’Université de Berkeley (USA). Quelques années plus tard (1973), il donne des cours au Minneapolis College of Art and Design (USA). En 1983, il succède à Etienne-Martin pour diriger la classe de sculpture monumentale à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris.
Très rapidement Pol Bury trouve sa place dans les plus prestigieuses galeries européennes et américaines. Il expose chez Iris Clert, chez Maeght (Paris), chez Françoise Mayer (Bruxelles), à la Galerie Pierre (Stockholm), à la Albright Knox Art Gallery (Buffalo), à la Lefebre Gallery (New York) ou à la Moos Gallery (Toronto). Il prend part à des nombreuses expositions et son œuvre fait l’objet de rétrospectives à Hanovre, Berlin, Mexico, Caracas, Los Angeles, Montréal, Liège et Paris notamment.
Il est titulaire de plusieurs distinctions et prix parmi lesquels le Prix Sélection Marzotto (Italie, 1964), le Prix de la Critique Belge (1967), le Prix Robert Giron (Belgique, 1973), le Grand prix national de Sculpture (Paris, 1985) et il est nommé en 1973 Docteur Honoris Causa de Minneapolis College of art and Design.
Bibliographie
- AMELINE (Jean-Paul), Catalogue raisonné des Fontaines de Pol Bury, Paris, éditions Louis Carré & Cie, 2006.
- ASHTON (Dore), Pol Bury, Paris, Maeght Editeur, 1970.
- DORCHY (Henri), Pol Bury et le temps dilaté, Bruxelles, Ed. Paul Legrain, 1976.
- IONESCO (Eugène),BALTHAZAR (André), Pol Bury, Bruxelles, Cosmos, 1976.
- DESCARGUES (Pierre), Les fontaines de Pol Bury, La Louvière, Ed. Daily-Bul, 1986.
- PAHLKE (Rosemarie E), Pol Bury, Bruxelles, Martial Ceram, Crédit Communal, 1994.
- Pol Bury. Du point à la ligne, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, 25 novembre 1976 – 2 janvier 1977.
- Pol Bury. Rencontres et Connivences, La Louvière, Musée Ianchelevici, 20 avril – 16 juin 2002.
- Pol Bury, Bruxelles, galerie Patrick Derom, 22 octobre – 20 décembre 2014.
- Pol Bury. Instants donnés, Paris, Fondation Electra, 28 avril – 23 août 2015.
- Pol Bury. Time in motion, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 23 février – 4 juin 2017.
- CABANNE (Pierre), « Les lenteurs programmées de Pol Bury », in Artstudio, n°22, automne 1991, p. 94-103.
- BURY (Pol), La boule et le trou, Bruxelles, Ed. Smith, 1961.
- BURY (Pol), La boule et le cube, Bruxelles, Ed. Galerie Françoise Mayer, 1967.
- BURY (Pol), Décalcomanies, La Louvière, Ed. Daily-Bul, 1970.
- BURY (Pol), L’art à bicyclette et la révolution à cheval, Paris, Ed. Gallimard, 1972.
- BURY (Pol), Les mamelles du dérisoire, La Louvière, Ed. Daily-Bul, 1980.
- BURY (Pol), Le monochrome bariolé, Caen, Ed. L’Echoppe, 1991.
- BURY (Pol), La gravité des images, Paris, Ed. Jannink, 1996.