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Sculpture - Epoque contemporaine - Belgique - Histoire de l'art André Willequet Quelques reflexions à propos de l'espace Ce que sculpter signifie, ou la lutte avec la matière et la recherche de la forme du vide
Amateur
Expert
Reporticle : 16 Version : 1 Rédaction : 01/03/2012 Publication : 01/03/2012

Introduction

André Willequet dans son atelier, ca 1988
Photo Françoise Willequet Fermer
André Willequet dans son atelier, ca 1988
Vigie, André Willequet

« L’art est un défi au chaos. Effort constant vers l’ordre, la clarté, où l’éphémère devient permanence »

Le XXe siècle sape dans ses fondements la définition même de sculpture. Ce vocable, jusqu’à l’aube de la modernité, a nommé un domaine de l’art qui est concerné par « la production de formes en ronde-bosse ou en relief au moyen de diverses techniques : techniques de la taille, du moulage, du modelage, de la fonte, du repoussé, etc. Ce terme désigne également l’œuvre ou l’objet résultant de ces techniques »  (1).
Pablo Picasso, Naum Gabo, Antoine Pevsner, Vladimir Tatlin, Alexander Calder pulvérisent l’idée de sculpture comme volume. Ils mettent en crise ce concept et s’interrogent sur la notion de représentation, sur la figuration, la tridimensionnalité, l’intégration du volume et de l’apesanteur. Calder, entre autres, remet en cause l’intégrité de la construction en proposant plusieurs points de rupture. Désormais, il n’est plus possible d’anticiper une forme que l’on ne voit pas. Avec le mobile par exemple, l’unité perceptive éclate et la forme devient impossible à totaliser.
Imprégné de cet héritage et interpellé par les postures esthétiques parfois radicales et innovantes prises par ses aînés –Henry Moore, Constantin Brancusi ou encore Ossip Zadkine-, André Willequet oriente son travail autour de réflexions et d’interrogations qui touchent à la profondeur de l’espace, à l’implication du volume dans l’espace, à l’intervalle.
Taraudé par les notions de vide et de néant, il réalise une série d’œuvres regroupées sous l’intitulé d’ « Espaces ». Il ancre ses sculptures dans un jeu de vides et de pleins qui se répondent, qui forgent un dialogue capable d’explorer leurs limites. Michel Draguet ajoute : «Il structure le lieu pour faire de la forme un espace et de l’espace de la forme »  (2)

Les textes d’André Willequet sont illustrés par quelques sculptures qui appartiennent à la série des Espaces. Celles-ci sont confrontées à des dessins (contemporains des Espaces) qui sont publiés pour la première fois dans ce reporticle. Les dessins ne sont jamais des croquis ou des avant-projets de sculptures. Ils partagent le même univers esthétique que les réalisations tridimensionnelles. Ils témoignent des préoccupations formelles qui hantent l’artiste et qui se manifestent autant dans les deux ou les trois dimensions.

Les photographies des dessins et des sculptures ont été réalisées par Luc SCHROBILTGEN.
La photographie « 360° » de Vigie a été réalisée par Arnaud POIRIER.  

Pour un espace d’André Willequet

André Willequet, 1977
Photo Alain MolterFermer
André Willequet, 1977
André Willequet

André Willequet (Bruxelles, 3 janvier 1921- Bruxelles, 1er juillet 1998). Sculpteur belge. Etudie la sculpture à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Visuels – La Cambre- (Bruxelles) dans l’atelier d’Oscar Jespers. Second prix de Rome (1947). Enseigne la sculpture à l’Académie d’Etterbeek (Bruxelles) de 1947 à 1975. En 1948 entreprend un voyage d’étude en France et à cette occasion rencontre Ossip Zadkine, Constantin Brancusi et Henri Laurens. Fréquente (1951-1952) le Royal College of Arts à Londres et fait la connaissance d’Henry Moore. Il travaille la cire et l’argile, taille la pierre et le bois. Il se mesure aussi au métal. Homme de contact, il participe à des nombreux symposia. Il voyage et expose en Belgique mais aussi aux quatre coins du monde (en France, en Italie, en Grèce, au Mexique, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud,…). Ses sculptures figurent aussi bien dans des collections privées que publiques. Membre correspondant de la Classe des Beaux-Arts de l’Académie royale de Belgique (1985), il est élu membre de cette même classe le 24 avril 1997.

Texte de Philippe Roberts-Jones

La question est de savoir si l’homme peut vivre un espace indéfini. Celui qui, romantique, fixe une étoile, échangeant avec elle la mélancolie des distances, se situe dans les limites d’un sentiment ; celui qui, pragmatique, programme la prochaine étape, disséquant de multiples données, se construit un réseau de références.
L’espace comme ouverture, l’espace comme clôture, définir un espace, être un espace. Que nous est-il donné, si ce n’est de voir, de sentir, de goûter, d’entendre ou de saisir ? L’espace des sens est-il le même pour chacun d’entre eux ? Des espaces au pluriel, autant que d’individus, autant que d’instants. De la coquille d’un escargot à la tour de Babel, chacun architecture l’extérieur en fonction du projet de son propre miroir.
Venir et voir, puis aller pour construire, ce double mouvement de la réflexion et de l’offre. Bâtir un espace, se protéger de l’absent, le faire sien, des filets pour puiser le vide, des arcs pour cibler le soleil. Meubler un lieu ouvert et clos, avec la ligne qui limite et conduit, le volume qui insère, la durée qui supporte.
Lorsque deux voûtes s’épaulent sur la rose des vents, lorsque le boîtier d’un cœur s’entrouvre au battement d’un pas, lorsque trois vigies se dressent sur l’aire d’un parcours, lorsque la courbe des pluies débusque le secret des villes, peut-être que Pandore s’apprivoise même. La conquête d’un espace n’est-elle pas le retour à une forme de sagesse, intuitive, et cependant mûrie de longs cheminements, l’espace mouvant de soi-même à soi-même apparu ?

L’espace

Cathédrale, 1998, bronze (1/1), 25x44x44cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Cathédrale, 1998
Cathédrale, 1998, bronze (1/1), 25x44x44cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Cathédrale, 1998

« La sculpture est un volume dans l’espace ».
L’école définissait ainsi l’art des formes. Au cours des ans, cette définition m’est apparue de plus en plus précaire. Aujourd’hui, mon travail aboutit à la proposition inverse et je dis : « l’espace est volume ».
Cette grande affaire de l’espace…J’en éprouve une sorte de vertige, semblable à l’émotion que j’avais, enfant, lorsque je m’arrêtais devant la cabine à haute tension proche de la maison.
J’écoutais intensément ce qui se passait derrière la porte de fer, défendue par une tête de mort. Il sortait de là un bruit sourd, profond, un bourdonnement continu qui faisait vibrer le sol et montait en moi comme un envoûtement. Cette force la plus mystérieuse du monde, je l’écoutais pendant de longues minutes. Je sentais que je participais à quelque chose de grandiose.
L’espace ! Il ne doit rien aux conquêtes de nos fusées et satellites. Cette ouverture vers l’infini, le vertige qu’il engendre n’est pas d’ordre matériel. Mon espace à moi peut être de mesures très petites, mais je le veux, je le ressens comme illimité.
Mystérieuses sont les relations entre format et proportion. Ces facteurs n’appartiennent pas à la même famille ; ils ne sont même pas cousins : l’Egypte nous montre la grandeur dans des sculptures qui tiennent tout entières dans le creux de la main. Cette grandeur est pure affaire de vision, qui est une qualité spirituelle indifférente aux dimensions physiques.
Certes, la loi des rapports entre les formes, la proportion est toujours présente et active. Pourtant comment parler de proportion entre parties qui ne ressemblent à rien, qui sont faites de vide ?
Là est le cœur de ma recherche.
Le vide n’est pas le vide : il est fureur de vibrations, d’échos, de tensions qu’une structure rend perceptibles et vivants. Il est un théâtre illimité où tout un monde inconnu s’anime. Poétique nouvelle aux évocations infinies, aux perspectives innombrables.
Structurer le vide. Créer des formes dont les relations mutuelles se mettent à vibrer comme un son… Dès que s’impose une forme, l’espace gagne son identité.
D’anonyme, voici qu’il prend visage et expression…
André Willequet, mars 1987

Au cours de mon travail –au cours des années- je me suis rendu compte que les formes qui, au départ, s’appuyaient sur le modèle de la nature, prenaient petit à petit une autonomie propre. Que les formes, qui, au départ, signifiaient un bras, un torse, etc, acquéraient sans autre référence un sens en elles-mêmes.

Cette révélation fut progressive et nullement brutale. Elle m’apprit que les frontières entre la figuration et la non figuration étaient, sinon inexistantes, du moins impossibles à définir. Affaire de degrés, de dosages… Elle m’apprit en outre et surtout que le champ de l’expression, de la poésie, s’ouvrait sans fin, apportant des ressources illimités.

Nous vivons entourés de signes que notre inattention laisse se perdre. Nous parlons de hasards alors que le monde est peuplé d’indices, de sollicitations, de murmures pleins de sens. Il faut s’astreindre à la vigilance, reconnaître ces signes qui existent tant en nous-mêmes que dans les choses. A l’univers entier nous sommes liés par une chaîne sans fin de miroirs, d’allusions, de correspondances.

Quelque part je suis falaise, je suis arbre, je suis chat.

Labyrinthe, 1987, bronze (1/1), 6x34x28cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Labyrinthe, 1987
Espace marin, 1982, bronze (1/1), 16x70x30cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Espace marin, 1982

Aussi mes sculptures n’appartiennent-elles que peu aux choses rationnelles. J’avoue que leur motivation profonde m’échappe à moi-même. Sans doute sont-elles empreintes de tous mes clairs soucis d’artisan : proportion, couleur, matière, construction. Mais cela n’est que vêtement, enveloppe. Elles sont nées, ces sculptures, d’une région hors du temps. Elles sont comme la condensation visible d’êtres, de souvenirs, immatériels. Ces formes sont celles du rêve attentif. Et les plus calmes en apparence sont aussi celles où mon effort d’emprise fut le plus difficile.

L’homme et toute la création semblent mus par des forces terribles, invincibles, qui sont celles de la VIE, la volonté d’enfantement. Les hommes procréent, inventent, les artistes sculptent et les pommiers produisent des pommes. Hors de là, nul chemin. Le chaos règne.

Il faut un jour, après avoir beaucoup travaillé, s’accepter soi-même. Cette acceptation –qui est la reconnaissance de ses limites- est un acte de courage.

Se connaître –se reconnaître ; tendre par le travail, à s’approcher de plus en plus de sa propre ressemblance, voilà qui donne à la vie son sens véritable. Devenir qui on est.

Les aspects de la matière sont innombrables. J’en demeure ébloui. Ce matin en me promenant sur la plage je suis continuellement intéressé, fasciné par les milles dessins tracés par les vagues sur le sable.

Le vent aussi, invente volutes, stries, moirures qui sont d’une diversité surprenante. Le plaisir qu’en prend l’œil est renouvelé à chaque instant et là où la tempête a sévi, les remous, les amas de sable, de cailloux restent les témoins visuels, les FORMES EXPRIMEES des lois de l’eau, du vent. Il s’agit bien de formes, et spécifiques, qui ne ressemblent nullement à celles que crée le feu par exemple, qui dévore ce qui le nourrit. Le plastic réagit en s’effondrant hideusement, perdant forme et couleur tandis que le bois se réduit peu à peu en superbes structures qui, noblement, révèlent leur arrangement initial.

Dans mon travail, il m’est difficile de distinguer si c’est l’amour des arbres qui m’a guidé dans ce choix ou si c’est l’urgence des formes qui s’est fixée sur l’arbre, seul porteur de certaines expressions. Je n’ai fait mes premières sculptures taillées dans le bois que tardivement, après la trentaine. Je me méfiais de ce matériau trop sensible, vulnérable sans fin aux conditions d’humidité ou de sécheresse. Aujourd’hui, j’ai compris que ses qualités sont liées à cette vulnérabilité, que ni pierre, ni métal ne possèdent.

De tous les matériaux le bois est le seul dont le mouvement organique croît vers le haut. Ainsi, il appartient autant au ciel qu’à la terre. Dans son aventure verticale, l’arbre nous montre combien est riche son histoire. Et combien il nous ressemble. De la petite semence au géant à la couronne puissante, que de luttes, de blessures, de triomphes !

Egypte, 1985, bronze (1/1), 10x37x34cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Egypte, 1985
Espace courbe, 1986, bronze (1/1), 16x47x32cm, courtesy Galerie Martel-Greiner, Paris
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Espace courbe, 1986

Son aventure est la nôtre, il exprime tout : année après année ses stigmates, ses saisons conquérantes et les traces des bises mauvaises. Ses ruses aussi, pour survivre ou simplement pour prendre sa place au soleil. Rempli de murmures, de souvenirs, de symboles significatifs, de grands rires parfois, il nous observe. Son immobilité n’est qu’apparente et le cœur de l’arbre est celui d’un frère. A travers nos mains il deviendra maison, navire ou sculpture. Dans ce dialogue fraternel, de la justesse de l’accord va naître le chant.

Solutions toujours mouvantes, roue sans fin où tournent les modes, les goûts et les styles. Car il n’y a pas de certitude en Art comme il n’y a pas de repos dans la recherche de l’artiste. J’envie le clair travail du jardinier : à chaque passage de sa tondeuse, il admire la netteté de son ouvrage –et cette netteté est sa joie même. Nulle distance entre le « faire » et sa « satisfaction ». Heureux jardinier, semeur d’évidences !

-Tu parlais du jeu. Ce jeu est ardu, peu rentable et pourtant tu t’obstines. Comme si tu cherchais une réponse à quelque chose. Ton travail serait-il un moyen pour te connaître toi-même ?
-Interroge le pommier : sait-il pourquoi il fait mûrir ses pommes ? Qui l’arrêterait sinon la hache du bûcheron ?

Le mot « liberté », tant débattu en art a pour moi un sens très précis : c’est exactement la latitude des mouvements qu’il est permis d’avoir à l’intérieur d’un harnais.
Sans harnais pas de liberté.

Il ne faut pas se méprendre sur la fameuse déclaration de Kandinsky « Alles ist erlaubt ». En inventant un harnais nouveau, il renouvelait le langage de l’art qui découvrait, illimitées, des plages inconnues.

Le plus petit caillou taillé est un cri de fierté, d’existence, de victoire, de survie.

Achevée, l’œuvre doit ressembler au hasard.

Mon bonheur sera, s’il s’agit d’un bois, que la sculpture terminée semble sortir tout droit de la forêt. Création et nature si intimement liées qu’inséparables.

Etre à l’écoute, constamment. Je sais combien mon imagination reste débile, lorsque l’excitation visuelle manque. C’est ainsi qu’une boursoufflure, une crevasse aussi, un nœud dans le bois, une torsion de fibres, seront à l’origine de toute une aventure sculpturale.

Je suis un solitaire. Sculpteur, je ne puis être rien d’autre. La sculpture, qui est création, est une école du silence, du recueillement de la longue patience. Elle absorbe tout : la pensée, le muscle, la sensibilité, l’œil, le temps. Nul ne commande mes choix, ne me guide ou me conforte dans mes doutes, personne ne me souffle à l’oreille la solution aux problèmes que librement je m’impose.

Quant à l’artiste, l’œuvre sortie de lui, cordon ombilical tranché, il ne souhaitera nulle explication. Il refusera de laisser enfermer sa création dans une définition, sentant d’instinct que l’opération réduirait ce qui doit rester un mystère, sans doute un présent dont les sources lui sont cachées.

Son travail sera beau, désintéressé, un cri, l’expression de forces secrètes et impérieuses dont il est le récepteur attentif, qui possède le don d’en transmettre, par les formes, le message.

Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, Académie royale de Belgique, 6e série, tome III, 5-9, 1992

Eloge du vide

Sans titre, nd., dessin à l’encre sur papier, 25x35cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Sans titre, nd, dessin à l’encre sur papier
Sans titre, nd., dessin au crayon sur papier, 28,1x38,2cm, collection privée
Photo Luc SchrobiltgenFermer
Sans titre, n.d., dessin au crayon sur papier

A noter les réflexions de Matisse dans ses propos sur l’art où il constate que l’espace entre les objets a autant d’importance que l’objet lui-même.
L’architecte comme le sculpteur investissent les trois dimensions de l’espace : le premier pour résoudre des contraintes de fonctionnement, le second pour répondre à des urgences d’expression pure. Tous deux doivent maîtriser le dialogue plein-vide. Imagine-t-on le ciel d’Egypte dévitalisé, privé de ses pyramides sur le plateau de Gizeh ? Est-il absurde, ce vide immense des cathédrales chrétiennes où l’homme qui prie occupe une place si dérisoire ?
Henri Moore donne à l’espace négatif, c’est-à-dire opposé à l’espace plein, une importance égale au volume visible ; il écrit : « le premier trou que j’ai fait dans un bloc de pierre fut une révélation ».
Personnellement, la préoccupation du vide a pris de plus en plus d’importance dans mes sculptures.
… Mais le pouvoir du vide ne s’exprime-t-il pas de la plus merveilleuse façon dans la musique, cet art qui se déroule dans le temps ? Quelqu’un n’a-t-il pas défini la musique comme un univers de silence dans lequel s’égrènent quelques sons ? La poésie, d’ailleurs, obéit aux mêmes principes car l’intervention du vide crée un espace qui permet aux mots de se dépasser et d’accéder à une résonance par- delà les résonances. Et c’est à nouveau nos écoles modernes qui, à l’instar de l’ancienne Chine, interrogent le pouvoir magique du silence. Cette fécondation du silence par la musique (comme l’appelle André Souris), les symbolistes l’ont pratiquée avec passion. Poésie aérienne de Debussy, subtile partition verbale dans les écrits de Mallarmé. Aujourd’hui encore, des compositeurs comme Lutoslawski, Messiaen ou Pierre Boulez sont à l’écoute passionnée de ce vide. Dans la pièce Et exspecto resurectionem mortuorum d’Olivier Messiaen, l’auteur avoue clairement : « il s’agit, dans l’extrait proposé, d’une mélodie –par manque- , les cessations de son donnent le contour ». Il ajoute : «  il y a dans cette pièce quelques silences aussi importants que la musique ».
Nous voici plongés dans une immatérialité gorgée de sens et de vie.
Je songe encore avec émotion à François d’Assise, dont le raffinement se confond si souvent avec son extrême simplicité : lorsqu’avec deux morceaux de bois, il fait le joueur de viole, on pense d’abord au jeu d’un enfant ; puis on se rappelle ces concerts muets du Japon, où les musiciens traçaient au-dessus de leurs instruments inertes, des gestes qu’ils n’achevaient pas, pour suggérer des harmonies plus subtiles que toutes celles qu’on peut entendre.
La litote, le non-dit, le silence, le vide apparaissent donc comme les moments privilégiés où surgit l’exceptionnel, la voix des profondeurs.
Lorsque dans un ordre, une situation convenue, surgit l’inattendu, la rupture, l’incohérence, nous tombons dans le vide. Alors émerge de lui la révélation porteuse d’un message essentiel, d’une signification majeure qui nous étonne. Et nous change. La lumière luit dans les ténèbres ; sans les ténèbres, nous ne la percevrions pas.
Le grand silence de Dieu au milieu de notre monde de fureur et de troubles, n’est-il pas un appel vers une autre réalité ? Le silence est ouverture, non pas absence. Cependant que la parole est souvent une parade, une défense pour ne pas se dévoiler. Notre époque s’enivre de bavardages ; le silence y est devenu un luxe absolu. Tout concourt à nous empêcher d’être seuls en face de nous-mêmes : télévision, radio, publicité, presse, téléphone, provocations multiples, médias – tout nous éloigne de notre centre.

Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, Académie royale de Belgique, 5e série, t.LXX, 10-12, 1988.

Illustrations

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    Notes

    NuméroNote
    1Divers auteurs, Principes d’analyse scientifique. La Sculpture. Méthode et vocabulaire, Paris, Imprimerie nationale, 1990, p. 496.
    2Michel DRAGUET (et divers auteurs), André Willequet, Snoek-Ducaju & Zoon/Ceram & ULB, Gand, Bruxelles, 2002, p.79.