Mes souvenirs de l’atelier de Portaels
A cette place même il a siégé, présidé la même Classe des Beaux-Arts quand j'étais encore un enfant. Il avait la voix grave, un langage toujours châtié. Il avait beaucoup vu, beaucoup retenu et dans le monde bru-xellois il avait la réputation d'un charmant causeur.
J'ai eu l'agrément de lire de ses lettres et de contempler ses carnets de voyages, dans cet atelier privé qu'il occupait à l'Académie, rue du Midi, dans l'ancienne Chapelle des Bogards, convertie aujourd'hui en bibliothèque.
Plusieurs de mes collègues ici présents furent avant moi de ses élèves. Mon ami Paul Artôt et moi avons recueilli ses derniers conseils en 1893.
Gustave Van Zype, mon vieil ami et très honoré collègue, a dépeint Jean Portaels mieux que je ne le pourrais par l'écrit, la parole et je ne viens ajouter que des miettes personnelles au bien qu'il en a dit.
Portaels est le Maître, le chef d'une Ecole de Bruxelles. Disciple lui-même de Navez qui implanta chez nous les enseignements de David. Cette tradition, cette filiation fut si forte qu'elle passa pour être tyrannique et comme nous sommes des Belges avant tout et que la Belgique a toujours fourmillé d'artistes sur son très petit territoire, une magnifique levée de boucliers créa comme une autre gerbe de talents. La société libre des Beaux-Arts dont le grand Louis Dubois fut l'animateur. Ces forces, ces antagonismes, sur le moment créent une atmosphère de combat et il se dit de part et d'autre, des boutades provocantes, des railleries qui ont cent ans et traînent encore dans les vieux fonds de réserve. On est toujours le « fauve» aujourd'hui, les pompiers demain.
Portaels était Prix de Rome. Il était fils de bourgeois aisés de Vilvorde. J'ai vu encore hier le petit monument élevé devant la gare à sa mémoire.
Alfred Bastien (Bruxelles, 16 septembre 1873 – Bruxelles, 7 juin 1955). Elève de Jean Delvin à l’Académie des Beaux-Arts de Gand, rencontre Jean-François Portaels et suit son enseignement à l’Académie de Bruxelles. A l’instigation de son maître, se rend à Paris, fréquente le Louvre et s’intéresse au travail de Gustave Courbet et d’Eugène Delacroix. En 1897, il obtient le prix Godecharle. Il voyage beaucoup et visite notamment la France, l’Espagne, l’Angleterre, l’Afrique du Nord, le Congo Belge, l’Italie, l’Egypte, les Indes, la Chine et le Japon. Son périple à travers le monde le conduit également aux Etats-Unis et le mène jusqu’au Canada. Mobilisé en août 1914, il s’embarque ensuite pour l’Angleterre, revient en France en 1915 et s’engage dans l’armée où il peint d’abord des canons pour les camoufler. Il est ensuite affecté à la Compagnie des Sapeurs Pontonniers du Génie. Blessé à plusieurs reprises, il est soigné à La Panne. Lorsqu’il se retrouve à Nieuport, il fait partie de la Section Artistique protégée par la reine Elisabeth. Il exerce la fonction de professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles de 1927 à 1945. Est élu membre de la classe des Beaux-Arts de l’Académie royale de Belgique le 5 juillet 1945.
Les dessins esquissés sur le front lui permettent de réaliser le Panorama de l’Yser. Il est aussi l’auteur du Panorama du Congo, présenté lors de l’exposition universelle de Gand (1913) avec lequel il remporte un franc succès et des Batailles de 1914 sur la Meuse de Liège à Verdun (1936). Peintre, aquarelliste et portraitiste, il s’exprime dans une matière généreuse et ses tonalités sont multiples. Son langage passe par l’émotion et la sensibilité que l’on retrouve aussi bien dans les scènes orientalisantes que dans les études de la forêt de Soignes. Toute son œuvre s’articule autour de nature et tradition. Son expression plastique reste imperméable à la modernité et demeure fidèle aux règles académiques. Le texte qu’il écrit à propos de l’atelier de Portaels met en exergue son goût pour l’art du passé et sa défiance par rapport à la volonté de redéfinir les notions de peinture, de représentation, de figuration et d’objectivité picturale.
En ce temps-là, l'attribution de ce prix avait un prestige qu'il a malheureusement perdu. Cet honneur n'était pas galvaudé comme il l'est aujourd'hui et les jeunes artistes s'y préparaient pendant toutes leurs études. Nous savions qu'il y avait beaucoup à apprendre, le génie spontané ne courait pas les rues. Il y avait non seulement le métier de a jusque z - mais il était bon de savoir lire, écrire et de se développer un peu l'intellect... Nos Maîtres nous donnaient l'exemple d'une qualité bien galvaudée aujourd'hui: Le sentiment de l'Honneur... et le culte des maîtres, l'agrément de la politesse et des manières, les charmes de la lecture et de la conversation. Même le respect d'autrui avant d'en arriver à la période tragique, actuelle où Cinq Prix de Rome sont en prison et plusieurs artistes condamnés à mort par la Cour Martiale...
Mon grand ami Saintenoy était déjà un maître architecte et le très humble Guillaume Vogels truellait ses paysages de pluie aux étangs de Ste-Croix. On vient de découvrir qu'il avait beaucoup de talent ce peintre en bâtiment. Et ses dernières petites pochades se couvrent d'or.
Or, à ce temps-là, Portaels était déjà dans toute sa gloire. Il avait fait de beaux portraits de Princes, il avait beaucoup voyagé, fondé un atelier, rue de la Bobine, - si mes souvenirs sont exacts - son jeune disciple Édouard Agneessens était le moniteur.
Il avait d'abord dirigé l'Académie de Gand, pour venir ensuite prendre la direction magnifiquement préparée par son illustre beau-père, Jean-François Navez. Il avait formé des disciples comme Émile Wauters, Alfred Cluysenaer, le Français Cormon (qui nous laissa de son maître un si vivant portrait). Et ici je devais citer une fastidieuse litanie de grands peintres, sculpteurs, architectes que je résume par de brèves citations : Léon Frederic, Eugène Laermans, les frères Diericks, Mellery, Delahoese, Ensor, Gilsoul, Khnopff, de Lalaing; des sculpteurs comme De Groote, Vanderstappen, Dillens, Rombeaux, Rousseau et des architectes innombrables où dominent les noms déjà cités, les Horta, les Dhuicque, Bonduelle, Acker, Lambot.
Si Portaels remporta dans son enseignement tant de brillants succès, c'est qu'il avait senti dans sa Bonté qu'il fallait avant tout respecter les qualités natives de ses jeunes sujets. La source vive de ces générations du dernier tiers du XIXe siècle fût certes exceptionnellement riche et c'est merveille que de vivre dans pareille jeunesse préparée aux plus nobles aspirations...
Que peut-on sortir d'une longue génération de trente ans de guerre ? après que les instituteurs ont expliqué aux enfants la théorie du moindre effort ? du congé payé, etc ? ...
Et puis, on a tellement bêché l'Académie. On l'a ridiculisée jusque dans les meetings et les revues; les journaux sont pleins d'éloges pour la peinture de douaniers, de marchands de frites ... Les choses allèrent si loin qu'il a fallu un soir monter sur les tréteaux et défendre l'enseignement même. Ce soir mémorable de 1930, au Palais des Beaux-Arts, mon ami Jean Delville et moi avons tenu tête aux fauves... dans une joute oratoire, homérique, devant 2000 personnes.
Et ce soir-là encore, le nom de Jean Portaels fut acclamé comme le drapeau de l'École de Bruxelles, comme celui d'un Vrai Maître, dans toute l'acception du terme.
Malgré toutes les décourageantes périodes qui ont suivi le départ de notre professeur vénéré, la tradition de l'Atelier Portaels a été maintenue et bien des choses sont encore à la place où il les avait placées: les statues et les œuvres exemplaires des lauréats.
Je sais, ceux qui ne l'ont connu qu'au déclin de son âge, gardent le souvenir d'un malade un peu bougon mais je le reverrai toujours dans ma mémoire. Son entrée dans la classe imposait le silence, le respect. Il y avait naturellement comme toujours et partout, beaucoup de mauvaises études ... C'est déjà dans l'Écriture, disait-il de sa voix grave : « Beaucoup d'appelés. Peu d'élus». Il nous regardait parfois simplement dans les yeux, sans rien dire, implorant un plus grand effort. « Évitez d'être vulgaire, c'est à la base de toute œuvre d'art ».-« Vous avez déjà fini ? Vous aurez peu à dire, Monsieur. Vite fait, vite vu ». « Inscrivez sur le mur de votre chambre... « Le temps n'épargne pas ce que l'on fait sans lui... ».
Un élève se plaignit un jour de la laideur du modèle. « Allez voir Rembrandt à la bibliothèque et dites-moi s'il a peint une seule de ce que vous dites: une jolie fille? » « C'est précisément le caractère du modèle que je vous prie de découvrir, et voyez, cet homme était un grossier débardeur. (Il désignait au mur l'admirable étude grandeur nature d'Édouard Agneessens.) Voyez la noblesse de son attitude, la distinction digne de Vélasquez ! ». Pour une autre toile du grand Xavier Mellery : « Voyez un sculpteur intelligent peut faire la statue de cette figure, tant elle est équilibrée, dégagée dans l'air de l'Atelier à pouvoir tourner autour ». « Allez plus loin, toujours plus loin, ne craignez pas de gâcher un petit effet heureux. C'est l'ensemble qui importe ». Et de fait. Un homme qui a eu comme élèves Édouard Agneessens, celui qui fît à l'atelier à seize ans, l'Adolescent qui se trouve au Musée Moderne, et plus tard, ce jeune Jean Delville, qui à 17 ans a peint cette petite figure debout, demi nature d'un vieux modèle gras qui avait encore du soleil d'Italie dans la peau... Celui-là est un Maître qui fait des Maîtres. Il remonta à la tradition du XVIIe siècle.
Nous avions dans l'atelier toutes les études de composition où il excellait encore. Je sais, dans le souverain mépris des «jeunes» cela s'appelle des grandes machines de pompiers... Mais je vois qu'on y revient ! Nous avions les tableaux qui avaient remporté les prix Godecharle. Celui de José Diericks, la résurrection de Lazare. Celui de Levèque, mort si prématurément, «Job», étonnante étude d'un être décharné, comme le Christ mort d'Holbein.
Il y avait une superbe étude au crayon d'Alfred Stevens, une sorte de silène debout, le seul nu que je connaisse de Stevens. Il y avait dans les vannes de grandes photographies des Maîtres des Musées du Louvre, d'Italie, d'Espagne... Ah! je puis dire qu'on a tout fait, tout préparé pour que nous soyons dignes de nos aïeux...
Il était bon. Il avait une patience infinie pour ceux qu'il avait distingués dans la fournée annuelle des nouveaux venus.
Il m'avait pris en affection. Il savait dans quelle gêne je me débattais à devoir quitter les études pour les échelles des peintres...
De sa propre cassette il me permit de faire à vingt ans mon premier voyage à Paris. « Tâchez d'y faire quelque belle copie au Louvre, dans le goût de celle qu'Eugène Delacroix fit ici à Bruxelles, d'après le St Bavon de Rubens ». Il alla jusqu'à m'acheter une étude pour m'encourager à mieux faire... Admis dans son atelier privé, il me parla de son séjour à l'Atelier de Paul Delaroche, qui était le grand nom de son temps. Mais il n'avait pas échappé à l'emprise du grand Delacroix... « Dangereux à suivre, me disait-il, mais le seul vrai disciple vivant de Rubens ! L’inaccessible Rubens ».
Autour de nous il y avait les belles copies qu'il avait faites en sa jeunesse, le Rubens du Musée de Lille et ses études de Venise : le Giorgione, Titien, Véronèse. « Je pouvais feuilleter ses carnets ! Quel bonheur était le mien. J'allais avec lui en Espagne, au Maroc, en Égypte, nous passions en Palestine, puis en Perse, où il avait séjourné longuement, et peint le portrait du Shah, Nasser ed dîne. Il avait peint un sultan à Constantinople, il y avait des croquis de dames du harem et de farouches bédouins qui me hantent encore ». Trouvez-nous encore un Maître vivant pour ensorceler une cervelle de jeune peintre avide de voir, de risquer toutes les aventures du voyage le plus lointain ?
Il me faisait lire Taine, Michelet, Fromentin, qui fut à Bruxelles son ami et son hôte. Il me parla de ce prodigieux Henri Regnault qui revint en 1871 du Maroc, pour se faire tuer à 28 ans. Une stupide brute allemande décapitait l'École de Paris ! en mettant une balle entre les deux yeux de ce jeune homme prédestiné. J'avais eu le bonheur aussi de rencontrer dans l'Atelier de Portaels René Janssens qui, de trois ans mon aîné, avait déjà fait un voyage en Espagne. Vous savez tous quel être privilégié était ce Janssens, lettré, homme de goût et de mesure. Il reste de lui un superbe torse dans la Classe. Il me guida dans le choix de mes livres et il venait me voir travailler au Musée, où je copiais soigneusement Rubens, Jordaens et Fyt.
De cette période datent des tableaux où le clair-obscur a eu beaucoup à dire, surtout du côté de l'obscur. Nous nous ingéniions à faire la bosse jusqu'au trompe-l’œil... Mais le trompe-l'œil n'est-il pas savoureux dans un col d'hermine de Van Eyck ou dans une huître fraichement ouverte de Jan Fyt ?
Je conviens que nous n'avions pas trouvé tout de suite le sens de la mesure... Parfois un peu trop d'ombre, pour faire jaillir des chairs livides.
Mais ce que l'on pardonnait à Ribera, on ne nous le passa pas ! « Mais quelle est la mesure d'un art qu'il ne faut mesurer », dit le sage Hans Sachs, dans les Maîtres-Chanteurs.
Nous étions aussi passionnés de musique... non pas de cette danse de St-Guy qui trémousse le nouveau monde… mais nous écoutions Monteverde, l'ami de Rubens… Palestrina, Bach, Haendel, Beethoven... César Franck vivait encore et Wagner n'était pas fournisseur... de guerre... Gluck était l'inspirateur de pas mal de compositions un peu trop théâtrales. Je possède encore une tragédie à l'huile... le sacrifice d'Iphigénie, une vraie mise en scène du deuxième acte.
Une rivalité sportive existait entre l'École d'Anvers et la nôtre, elle n'existe plus qu'entre deux équipes de football. Les élèves de Verlat et de Devriendt avaient accoutumé d'enlever tous les lauriers au prix de Rome, tant en Peinture, sculpture qu'en architecture. Portaels en fut un peu mortifié.
Mons se distinguait par des graveurs, dont le plus jeune de tous est de ma promotion récente, Prix de Rome de gravure, Prix Sacré et directeur bien vivant de l'Académie de Mons : Louis Buisseret, mon jeune ami qui a fait de remarquables élèves.
Gand nous donna le glorieux triomphateur Constant Montald, élève de Théodore Canneel, ce grand fresquiste qui décora la belle église Ste-Anne à Gand, si peu visitée hélas.
Mais Portaels fît tant et si bien, secondé par ses professeurs, qu’il fît engranger à sa chère Académie toute une gerbe de Prix de Rome, de Prix Godecharle, qui furent, un soir de fête inoubliable, reçus avec un faste inusité par notre cher Bourgmestre Charles Buls, dans la grande salle gothique qui vient de vibrer des acclamations réservées aux champions de la Victoire... La salle était éclairée a giorno: il y avait Rombeaux, Rousseau, De Haen, Jean Delville, Lambot, tous Prix de Rome... Il y avait Marin, Van Neck, Noquet et votre serviteur, tous Prix Godecharle.
Portaels était mort. Mais c’était à lui que revenait l'honneur de nous avoir préparés. - Verrons-nous encore jamais refleurir en bouquet, pareille moisson d'honneurs ?...
Et quand je disposai des moyens de voyager, je me suis souvenu des conseils du mon Maître : Voyagez autant que vous pourrez. « Vous vous épargnerez la vanité pitoyable de tant de mauvais peintres rivés chez eux, travaillant derrière un comptoir à leur sempiternelle spécialité »...
Je pris la balle au bond, je partis par le monde, autour du monde… Il m'avait prédit, devant les excès de ma palette : Vous vous calmerez ! Quand vous serez à Rome, à la Sixtine devant le Jugement dernier de Michel-Ange, vous serez frappé de ce qu'on peut faire, de ce que le Titan a pu faire avec de la braise, du bleu, et de la sanguine. C'est effrayant et puissant comme Dieu.
Il se trouva sur mon chemin un homme, un pionnier de l'automobile qui m'emmena par le monde dans une voiture-roulotte et je me suis trouvé par un beau matin calme aux confins du Désert du Sahara, avec le baron Pierre de Crawhez de sportive mémoire.
Ce jour-même j'assistai à une furieuse Fantasia, sous un soleil de Bengale, tout un escadron de goumiers arabes dans un fracas d'enfer, de cris, de galops et de coups de feu, faisait encore avoir raison à mon maître Portaels... Ces petits chevaux arabes dignes du Parthénon, les Centaures enragés, les cris de guerre rauques et les flammes, les étendards verts du Prophète... C'est gravé à tout jamais dans mes yeux, et vous m'excuserez d'en être encore obsédé...
Tous les jours je voyais vingt tableaux à faire et comme nous nous déplacions facilement, je vis presque en entier ce Nord de l'Afrique du Maroc en Égypte. J'assistai au début de la pénétration pacifique du Maroc, avec celui qui allait devenir le Maréchal Liautey. J'ai vu accrocher les premières têtes de bandits rebelles... à la porte d'Oudjda, d'où nous avons battu en retraite prudemment. J'ai entendu le tonnerre dans l'écho des montagnes bleues de ces fameux petits canons de 75 français, qui ont débuté contre les Beni-Snassèn... en 1905. Je ne me doutais pas que je retrouverais ces gens neuf ans plus tard, à Nieuport, en 1914, avec les mêmes goumiers un peu transis dans le vent glacé de la Mer du Nord, dans nos dunes blondes qui leur rappelaient, me disaient-ils, les sables mouvants d'Afrique...
Partout dans mes voyages, j'avais ces parrains qui me poussaient à aller plus loin à faire des croquis rapides et c'est vraiment encore grâce à Portaels qui avait peint le Simoun, le vent de sable, de feu et de mort que j'ai dû respirer à mon tour.
J'ai revu les mêmes gens, les mêmes fêtes, les mêmes ruines grandioses du temps des rois Maures... et même du temps des Romains, à Tlemcen, à Timgad, à Carthage dont il ne reste presque plus rien, pour ceux qui ne connaissent pas l'Histoire... Mais où j'ai revu passer les barbares de Salammbô... un soir d'inoubliable pèlerinage... Cette hantise de l'Afrique - celle des peintres, bien entendu - m'a conduit au Congo en 1910... Mon maître avait raison: « On est un tout petit garçon devant ces merveilles de la nature »...
Ayant terminé le panorama du Congo, à quarante ans je repartis pour l'Italie, la Sicile et l'Égypte où je retrouvai les Modèles de mon Maître et de son illustre disciple Wauters qui me fit à son tour la faveur de son amitié. Comme nous étions heureux certains soirs de causette amicale à Paris - d'essayer d'imiter encore sa grosse voix et ses paroles... Aime-ton encore un Maître comme nous l'avons aimé ?
Ses œuvres sont très dispersées. Le Musée Moderne ne conserve de lui qu'un admirable tableau : les trois superbes dames dans une loge du théâtre de Pesth. Elles sont parées de toutes les séductions de trois races différentes.
Au Cercle Artistique dévalisé par l'occupant, un grave portrait de femme brune aux beaux yeux d'orientale, trônait encore en 1940. Peu de jeunes artistes connaissent les immenses tableaux de Saint-Jacques-sur-Coudenberg et bientôt si l'on n'y prend garde, on ne verra plus rien de la fresque de ce fronton de l'Église royale. Y a-t-il une raison, une excuse à cette grave négligence ?
La famille Meurice, possède encore d'admirables tableaux d'Orient. Au Palais de Bruxelles se trouvent encore deux excellents portraits de la Comtesse de Flandre Mère du Roi Albert et un portrait émouvant du jeune Prince Baudouin, frère du Roi.
Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, de votre attention pour mes timides débuts en cette assemblée si impressionnante et je crois que je ne pouvais mieux faire que de saluer sa mémoire. C'est lui qui m'a conduit vers vous.
Académie royale de Belgique, Bulletin des Beaux-Arts, 1945.
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