Introduction
La céramique est un élément essentiel des études archéologiques, notamment pour les cultures sans écritures, comme celles de l’Amérique du Sud à l’époque préhispanique. Ce vestige mobilier aux divers usages (utilitaire, cérémoniel, funéraire, etc.) permet d’approcher et de reconstituer de multiples aspects des cultures dont il est issu. De plus, c’est un objet de petite dimension, qui peut par conséquent voyager. Ainsi certaines formes, techniques ou savoir-faire ont circulés à courtes ou longues distances à diverses périodes au travers de l’histoire précolombienne. C’est la raison pour laquelle l’étude de la production du vase à anse-goulot en étrier est particulièrement intéressante car elle permet d’aborder les phénomènes de liens, de contacts et de transmissions au sein du continent américain. Ce récipient emblématique des cultures précolombiennes, principalement de celles de l’Amérique du Sud, est un élément essentiel de la culture matérielle de ces civilisations.
La majorité des études céramiques se focalisent sur la chronologie, la typologie ou l’iconographie mais la technologie n’est que rarement abordée. Pourtant cette perspective d’analyse est cruciale pour l’étude d’une forme telle que le vase à anse-goulot en étrier. Ce récipient a été produit durant trois à quatre millénaires parmi une cinquantaine de cultures préhispaniques. Il n’a par conséquent pas été fabriqué de la même manière au sein des différentes cultures et époques. Il est donc primordial d’identifier les différents lieux et époques de sa production ainsi que les liens et contacts éventuels qui ont pu exister entre ces différentes cultures. Ceci afin d’étudier les phénomènes de transmission et/ou de réinvention que ce soit au niveau de la forme elle-même et/ou de son savoir-faire technique.
La côte Nord péruvienne a connu une très longue et importante production de la forme céramique du vase à anse-goulot en étrier. Elle permet donc un cadre d’étude large et complexe. Parmi d’autres régions par contre, la production de ce récipient était plus faible et seuls quelques exemplaires sont parfois connus. Les informations disponibles sont alors généralement plus rares et disparates. Néanmoins, avec une méthode systématique basée sur une littérature la plus exhaustive possible et un recoupement des sources, il est possible d’identifier différents centres et époques où ce vase est apparu.
La technologie céramique est étudiée au travers de la notion de « chaîne opératoire ». Elle regroupe l’ensemble des étapes de la fabrication d’une poterie depuis l’extraction de la pâte jusqu’au produit fini (1). Bien que la notion de « chaîne opératoire » ait été définie dès les années 1960 dans les travaux d’André Leroi-Gourhan concernant le matériel lithique (Leroi-Gourhan : 1964), elle n’a cependant été appliquée au matériel céramique que bien plus récemment (pour un résumé des recherches dans ce domaine voir Livingstone Smith 2001, 2010).
J’ai pour ma part choisi de concentrer mes recherches concernant le vase à anse-goulot en étrier, sur l’étape de la construction même de la forme : le façonnage. Il est important de noter que les études menées sur le façonnage s’orientent principalement sur deux axes : les études de macrotraces et les études de la structure interne de la pâte (Livingstone Smith 2001 : 144). J’oriente mes recherches concernant la technologie du vase à anse-goulot en étrier principalement sur l’étude des macrotraces de la surface interne. Mon étude est basée sur des vases majoritairement complets permettant d’appréhender leurs processus de fabrication dans leur ensemble.
Certaines formes céramiques (bol, plat,…) sont assez simples et leurs processus de fabrication assez aisés à reconstituer. Toutefois, d’autres sont beaucoup plus complexes tel que le vase à anse-goulot en étrier. Cette forme céramique est dite « fermée », la seule ouverture est celle du goulot, généralement fort étroit. Ce type de récipient rend l’étude des processus de construction difficile puisqu’il n’y a pas d’accès sur la surface interne du récipient. Par ailleurs, cette difficulté d’accès est également un grand avantage puisque les récipients de formes fermées renferment généralement des macrotraces très révélatrices en termes d’étude des processus de façonnage (Livingstone Smith 2001 : 142, 144, Roux 2010 : 7-8, Wauters 2008 : 285-286).
En effet, lorsque la forme est fermée le potier n’a plus accès à cet espace pour le retravailler et effacer les traces de son travail. L’étude de la surface interne des récipients permet donc généralement de reconstituer les procédés selon lesquels le vase a été construit, les choix techniques opérés par les potiers et parfois même les étapes séquentielles de la construction du récipient. C’est la raison pour laquelle je travaille avec la technique du scanner médical. Cette méthode révolutionnaire dans le domaine de l’analyse céramique permet de pénétrer à l’intérieur du récipient, sans aucunement l’endommager, et d’observer les traces de fabrication restées marquées dans l’argile de manière remarquablement précise. Par conséquent, l’objectif de cet article est de présenter la technique du scanner médical et son apport à l’étude de la céramique archéologique, d’aborder cette forme si originale de récipient qu’est le vase à anse-goulot en étrier et enfin de détailler l’analyse et l’étude des techniques de fabrication d’un vase à anse-goulot en étrier en particulier.
Le scanner médical et son apport à l’archéologie
Le maître mot pour définir les études céramiques actuelles est : l’interdisciplinarité. Une infinité de techniques d’analyse sont empruntées aux sciences dites « exactes ». Parmi celles-ci, de nombreuses techniques issues de l’imagerie médicale ou d’autres domaines peuvent être appliquées à l’archéologie pour l’étude et l’analyse de céramiques anciennes. Toutefois, dans le cas d’études menées sur les techniques de fabrication et sur l’étape du façonnage à proprement parlé les techniques d’imagerie médicale utilisant les rayons-X se révèlent très efficaces dans le cas de formes céramiques dites « fermées ».
La radiographie à rayons-X et le scanner sont des techniques d’imagerie médicale. Les rayons-X ont été découverts en 1895 par le physicien allemand Wilhelm Röntgen. Le scanner, appelé aussi tomodensitométrie (ou CT scan, en anglais), est apparu quant à lui dans les années 1970. Ces techniques consistent à calculer l’absorption des rayons-X par la matière. Ce fut d’abord la radiographie à rayons-X qui fut appliquée à l’archéologie. Cette technique permettait de radiographier des récipients céramiques (ou autres objets archéologiques tels que des momies par exemple) et d’obtenir une image en deux dimensions de l’intérieur de la pièce. Les rayons-X passent à travers la matière et marquent les différentes épaisseurs qu’ils traversent. Sur le cliché, les parties claires correspondent aux matières épaisses et contrastent avec les parties foncées qui correspondent aux matières fines. Digby (1948) est l’un des premiers à utiliser la radiographie comme technique d’analyse céramique. Son étude très avant-gardiste porte d’ailleurs notamment sur l’analyse radiographique de vases à anse-goulot en étrier des cultures Mochica et Chimú. D’autres auteurs, tels que Heck et Feldmüller (1990), Lima et al. (2011) et Purin (1980a, b; 1983a, b; 1985), se sont également servi de la radiographie à rayons-X pour analyser cette forme particulière de récipient.
Plus récemment, c’est le scanner médical qui fut appliqué à l’étude de la céramique archéologique. Cette technique révolutionnaire, permet des résultats en trois dimensions bien plus précis (Anderson & Fell 1995; Appelbaum & Appelbaum 2005; Bouzakis et al. 2010; Ghysels 2003; Jansen et al. 2001; Robertson 1997, Wauters 2008). Elle a donc tout doucement supplanté la simple radiographie grâce à ses nombreux avantages en termes de précision dans la reconstitution des processus de fabrication.
Concrètement, l’objet déposé sur la table de scanner est balayé par les rayons-X. Les données récoltées (par la technique de la tomographie, c'est-à-dire, sous la forme de coupes millimétriques) sont ensuite numérisées. Grâce au processus de rotation du scanner autour de l’objet, le résultat offre un volume de données qui permet la trois dimension. Auparavant, la radiographie ne permettait qu’un résultat en plan, en deux dimensions.
À partir du résultat obtenu, des coupes peuvent être faites dans tout le récipient afin de voir l’ensemble de l’intérieur dans tous ses détails. Cette technique est donc la plus adéquate pour analyser des récipients de forme fermée, tels que le vase à anse-goulot en étrier. Grâce au scanner l’entièreté de la surface interne du récipient peut être observée. Les traces de fabrication restées marquées dans l’argile sur la surface interne vont alors permettre de reconstituer les processus de fabrication du vase. De plus, cette technique est non-destructive, très rapide et ne nécessite aucune préparation préalable de la pièce.
Cependant cette méthode présente également des désavantages, dont deux principaux : son coût et le problème de mobilité. Ils peuvent d’ailleurs impliquer un réel frein à l’emploi de cette méthode d’analyse. En effet, l’utilisation d’un scanner médical au sein d’un hôpital représente un coût. Le transport et l’assurance des pièces à analyser engendrent également des frais à prendre en compte. Enfin, le scanner n’étant pas mobile, il faut déplacer des pièces archéologiques, quelquefois fragiles, et ce parfois sur une relativement longue distance en fonction de l’éloignement du lieu de conservation des pièces et de l’hôpital où se déroule l’analyse. Les pièces seront donc manipulées à plusieurs reprises et la plus grande prudence sera nécessaire tout au long du processus.
Concernant l’état de l’art de la technologie du vase à anse-goulot en étrier, les recherches les plus importantes réalisées dans ce domaine sont celles de Donnan (1965 : 122-124, 1992 : 60-65, 1997 : 35, 2004 : 28-31; Donnan et McClelland, 1999) et de Purini (1980a, b; 1983a, b; 1985) qui ont concentré leur étude sur la culture Mochica ; ainsi que celles de Lumbreras (1993), qui portent elles, sur la culture Chavín. Quelques rares autres auteurs ont abordé brièvement l’étude technologique du vase à anse-goulot en étrier tels que Bankes (1980), della Santa (s.d. : 18-20), Digby (1948), Staller (1994 : 387, 2000 : 135), Tello (1938) et Villalba (1988 : 173).
Contexte général du vase à anse-goulot en étrier
Fig. 1 – Les différentes parties d’un vase à anse-goulot en étrier (Villacorta Ostolaza 2007 : fig. p.23). |
Tout d’abord, qu’est qu’un vase à anse-goulot en étrier ? C’est l’une des formes céramiques les plus emblématiques des cultures précolombiennes. D’un point de vue formel, ce récipient est composé de deux parties : le corps, de forme variable, et le goulot, qui prolonge une anse en forme d’étrier. Ce vase est une forme quasi fermée. La surface externe du récipient est généralement lissée et retravaillée pour recevoir le décor, s’il y en a un (2) jusqu’à l’époque coloniale. Sa présence s’étend, depuis le Sud des Etats-Unis, pour sa limite septentrionale et jusqu’au Chili, pour sa limite méridionale. Sa plus grande concentration s’observe sur la côte Nord du Pérou, mais il a également été découvert dans d’autres régions de ce pays, de même qu’en Equateur, en Colombie, au Venezuela, au Brésil, au Chili ainsi qu’au Sud des Etats-Unis, au Mexique, au Belize, au Guatemala et au Honduras.
. Dans l’état actuel de mes recherches, j’ai déjà pu repérer la présence de ce récipient parmi une cinquantaine de cultures préhispaniques, depuis le 3ème millénaire ACNLe vase à anse-goulot en étrier a connu une infinité de déclinaisons formelles. En effet, la chambre a été façonnée sous toutes sortes de formes : ronde, carénée, représentant un motif en ronde-bosse, avec un décor ajouté en haut ou bas-relief. L’anse-goulot en étrier a elle aussi connu une grande variété : petite, grande, trapue, allongée, triangulaire, de section annulaire ou angulaire, avec ou sans décor ajouté.
Même s’il ressort aujourd’hui assez clairement l’idée d’une transmission pour le développement de ce récipient, il a néanmoins toujours été en quelque sorte « réinventé » ensuite au sein de chaque culture. En effet, une fois la forme « adoptée » (par contacts directs ou indirects), elle a aussi été le plus souvent « adaptée ». Le vase à anse-goulot en étrier a donc fonctionné comme une sorte de caméléon au sein des différentes cultures précolombiennes qui l’ont produit. En effet, lorsqu’il présente un décor, celui-ci correspond généralement très précisément aux critères stylistiques et iconographiques de la culture en question. C’est ainsi qu’il y a des vases à anse-goulot en étrier présentant des motifs d’êtres à crocs pour la culture Cupisnique et Chavín, des décors plus naturalistes et réalistes pour ceux de la culture Mochica du Pérou, des motifs en lignes rouges sur des exemplaires aussi anciens que ceux de la culture Machalilla d’Equateur ou encore des motifs géométriques en chevrons sur les vases de la culture Chupícuaro du Mexique. Toutefois, des vases dits « hybrides » ont également été produits comme par exemple des vases Moche-Recuay (Makowski et al. 2000) ou encore des copies de vases comme des vases mochicas copiant le style Huari (Castillo Butters 2000). Malgré cette infinité de possibilités formelles et de décors le vase à anse-goulot en étrier peut pourtant être identifié au premier coup d’œil. Son goulot qui prolonge une anse en forme d’étrier en fait un élément unique, original et rapidement identifiable. D’ailleurs cette forme semble être restée hermétique au continent américain (3).
Enfin l’épineuse question de l’utilité et du symbolisme de cette forme si originale reste encore en grande partie mystérieuse. Cette problématique complexe implique de la replacer dans le contexte culturel propre à chaque culture donnée. Il est à mon sens évident que cette forme de récipient n’a pas connu la même utilité et fonction symbolique sur une région aussi vaste qu’un continent et sur une durée aussi longue de presque 4000 ans d’histoire. La culture Mochica, présentée dans le cadre de cet article, est heureusement l’une des mieux étudiées parmi les recherches actuelles. Malgré l’absence d’écriture elle est l’une des mieux documentées. Dans le cas de cette culture, selon la plupart des interprétations et sur base de l’iconographie, l’association de cette forme à des contextes cérémoniels et de prestige semble indubitable.
Étude d’un vase à anse-goulot en étrier mochica
Parmi les dizaines de milliers de vases à anse-goulot en étrier précolombiens qui ont été découverts, j’ai choisi d’en présenter un en détails. L’intérêt de ce vase est qu’il a été scanné et étudié du point de vue de ses techniques de fabrication. Dans le cadre de mes recherches techniques, une trentaine de vases à anse-goulot en étrier appartenant aux collections Amérique des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles ont pu être scannés (4). A cela, peut être rajouté seize radiographies à rayons-X réalisées dans les années 1980 et 1990 par Sergio Purini pour ses propres recherches (5). L’ensemble de ces données collectées permet de reconstituer les techniques de façonnage de ce récipient si original et de les comparer entre elles. L’un de ces vases, appartenant à la culture péruvienne Mochica est détaillé dans cet article afin de présenter le déroulement de l’analyse technique d’un vase depuis son transport entre le musée et l’hôpital à sa reconstitution 3D et enfin son étude sur base des images récoltées.
La culture Mochica
Le vase dont il est question est originaire de la culture Mochica. La culture « Mochica » ou « Moche » est une culture précolombienne de la côte Nord péruvienne, qui se situe de 100 à 800 de notre ère. Elle se divise en deux grandes régions : les Mochicas du Nord et les Mochicas du Sud. Chaque région possède sa séquence chronologique divisée en phases et basée sur la céramique. C’est d’ailleurs notamment sur la forme de l’anse-goulot en étrier qu’est basée cette séquence (Castillo Butters et Uceda 2008, Donnan 1976, Larco Hoyle 1948). La production céramique de cette culture est très variée mais la forme la plus emblématique est sans conteste le vase à anse-goulot en étrier. Plusieurs dizaines de milliers de récipients de ce type sont connus aujourd’hui. Il était fabriqué à l’aide de moules permettant de reproduire en série certains motifs à succès. La culture Mochica a été influencée par les cultures Cupisnique, Salinar et Gallinazo (Donnan 1965 : 117) mais a produit un style propre et particulier. Elle présente l’art le plus réaliste de toute l’Amérique andine préhispanique (Purini 2005 : 206).
Le vase à anse-goulot en étrier mochica présente les caractéristiques suivantes : l’anse-goulot en étrier est très bien proportionnée. La hauteur du goulot correspond généralement à la hauteur de l’anse en étrier, donnant un rapport de 50%-50% pour ces deux éléments. Concernant les Mochica du Sud, dans les phases anciennes (Moche I-II), l’anse en étrier est généralement plus petite et plus trapue que dans les phases plus récentes (III-IV) où elle est plus allongée et élancée. Alors qu’à la dernière phase (V) ses dimensions tendent à diminuer à nouveau (Larco Hoyle 1948). L’anse en étrier peut être de section annulaire ou angulaire, le goulot et la lèvre présentent une forme qui varie selon les phases (Donnan 1976). La forme de la chambre est très variable.
Description du vase
Fig. 2 – Vase à anse-goulot en étrier siffleur – Motif d’un perroquet anthropomorphisé. Culture Mochica (Pérou) - Phase IV. Musée du Cinquantenaire. |
Fig. 3 – Vase à anse-goulot en étrier siffleur – Motif d’un perroquet anthropomorphisé. Culture Mochica (Pérou) - Phase IV. Musée du Cinquantenaire. |
Le vase sélectionné pour cet article est un vase à anse-goulot en étrier siffleur appartenant à la phase IV de la culture Mochica (fig. 2-3). Il est conservé au Musée du Cinquantenaire de Bruxelles (A.AM.39-41). Ce vase représente un perroquet anthropomorphique réalisé en ronde-bosse (Purini 1980 : 17, pl. V). Ce motif d’être anthropo-ornithomorphe ou « démon-oiseau » (Lavallée 1970 : 97) est fréquent dans l’art mochica. Différentes espèces d’oiseaux sont représentées de manière très réaliste pour ces êtres composites que ce soit comme motif en ronde-bosse (comme c’est le cas ici) ou en décor peint. Ils représentent probablement des divinités mais pourraient également faire référence à des personnages réels portant des attributs de ces divinités oiseaux mis en scènes lors de cérémonies (Purini 1990 : 347).
Le vase est composé de trois éléments : l’anse-goulot en étrier et une chambre bipartite.
- L’anse-goulot en étrier est arrondie et de section annulaire. Le goulot est droit, bien que légèrement convergeant à la base et divergeant au sommet. Chaque bras de l’anse est respectivement accroché à l’une des deux parties de la chambre. L’un sur la tête de l’animal et l’autre sur la seconde partie de la chambre. L’anse-goulot en étrier a été peinte en couleur lie-de-vin.
- La chambre est bipartite. La partie avant prend la forme en trois dimensions d’un perroquet anthropomorphisé. Cette partie étant elle-même divisée en deux : la tête et le corps, tous deux de forme assez simple. Le bec a été adjoint à la tête, plutôt cubique. Elle renferme le système siffleur. Le corps est composé du poitrail et des ailles desquelles émergent deux bras humains en relief. Ceux-ci reposent sur les jambes croisées. Cet être composite est donc zoomorphique dans sa partie supérieure et anthropomorphique dans sa partie inférieure. Il repose sur un socle rectangulaire. La couleur, rendue par un engobe de couleur crème et l’autre de couleur lie-de-vin (caractéristique du décor mochica), donne un jeu de contraste au résultat esthétique. La partie supérieure de l’animal majoritairement rouge-brun contraste avec la partie inférieure majoritairement crème. La couleur rougeâtre est également employée pour signifier quelques éléments anatomiques tels que les plumes ou encore les yeux. Sur la tête de l’animal, divers éléments sont intéressants à relever. Tout d’abord, trois trous sont percés pour permettre à l’air de s’échapper du système siffleur. Ensuite, le bec de l’animal est représenté ouvert. Cet élément prend tout son sens dans le cas d’un vase siffleur. Puisque quand le mécanisme siffleur fonctionne l’animal semble occupé à chanter.
- La partie arrière de cette chambre bipartite est de forme cylindrique. Elle est simple et sans décor.
Le système siffleur
Les sifflets et les vases siffleurs font partie intégrante de la musique précolombienne. Ils sont arrivés au Pérou dès 1000 ACN, probablement par le Nord puisqu’ils étaient déjà fabriqués en Equateur depuis des siècles (Donnan 1992 : 23). Les sifflets peuvent prendre une infinité de formes. Les vases siffleurs sont souvent fabriqués avec des vases à goulot et anse en pont ou des vases à anse-goulot en étrier. Il existe deux types de vases siffleurs : à chambre unique ou double. Pour les deux, l’air est introduit en soufflant par le goulot pour être conduit jusque dans le système siffleur où il produira le son. Dans le cas d’un vase siffleur à double chambre, un petit passage relie les deux chambres. L’air peut être dirigé vers le système siffleur en soufflant de l’air par le goulot. La deuxième possibilité consiste à introduire un liquide dans le vase. Ce procédé fonctionne sur le même principe puisque le liquide va pousser l’air présent à l’intérieur du vase vers le système siffleur. En faisant basculer le vase, le liquide va passer d’une partie à l’autre de la chambre et faire varier l’air présent dans la partie de la chambre qui contient le siffleur. Il produira alors un son à chaque fois que l’air sera poussé dans le siffleur (Vidéo 1). Dans le cas de vases à anse-goulot en étrier siffleurs présentant une anse-goulot en étrier en position latérale verticale (6), le bras supérieur de l’anse est toujours bouché afin que l’air soit conduit directement vers la chambre du récipient pour s’engouffrer ensuite dans le système siffleur (voir plus bas).
Le système siffleur à proprement parler est constitué de deux éléments : une sphère creuse et un élément, en forme d’entonnoir (7), qui conduit l’air. Ces deux pièces présentent chacune une ouverture se faisant face. L’air arrive par le conduit et se divise sur le biseau à l’entrée de la sphère. Une partie ira dans la sphère et l’autre s’échappera directement. C’est le passage de l’air sur le biseau qui produit le sifflement. L’air engouffré dans la sphère résonnera pour ensuite s’échapper généralement par différents trous percés dans le récipient. Dans le cas du vase perroquet étudié ici, trois trous ont été percés dans la partie inférieure de la tête en plus de l’ouverture du bec afin de permettre à l’air de sortir (fig. 4.).
Déroulement de l’analyse technique
Le vase a premièrement été sélectionné dans les réserves des collections Amérique des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles et emballé pour son transport jusqu’à l’Hôpital Erasme. L’appareil utilisé est un scanner Siemens Sensation seize barrettes. La table sur laquelle le vase est déposé avance et permet au tube à rayons-X de balayer l’objet de manière continue en tournant autour. Un scanner seize barrettes permet d’acquérir 16 images (ou coupes) par rotation du tube. La rotation est extrêmement rapide. Quelques secondes ont suffi à scanner complètement le vase. Il a pu alors être retiré de la table d’examen et réemballé pour retourner au musée.
Fig. 5 – Vase à anse-goulot en étrier et bec verseur. Culture Tarasque (Michoacán, Mexique). Musée du Cinquantenaire. |
La seconde étape est le traitement des données. Elles se présentent sous la forme de centaines de coupes millimétriques. Pour ce vase perroquet 315 coupes ont été prises. Lorsque ces informations sont numérisées, elles permettent de reconstituer le vase en trois dimensions. Un logiciel d’analyse traite ensuite les images. Le vase numérique peut être vu en plein (la matière est opaque) ou en transparence (comme une radiographie en trois dimensions en quelque sorte). Jouer sur la luminosité et les contrastes optimalise la qualité de l’image. Le vase numérique peut alors être tourné et retourné dans tous les sens. D’un point de vue externe le vase se présente bien évidemment sans décor peint, seul son « relief » est visible. Cela permet parfois de mettre en évidence certains petits défauts dans la pâte passés inaperçus à l’œil nu. En transparence, la superposition de la matière permet également de repérer d’éventuelles restaurations pratiquées sur le récipient et qui auraient été volontairement dissimulées, comme c’est par exemple le cas sur l’un des vases à anse-goulot en étrier de la culture Tarasque, scanné en 2011 (fig. 5-6) (8). Tout l’intérêt de la technique du scanner est surtout de pratiquer des coupes à travers tout le récipient afin de pouvoir avoir accès à l’entièreté de sa surface interne. Lorsque le vase est coupé, une partie du vase est alors « effacée ». Cette ouverture permet l’accès à l’intérieur de la partie restante. Grâce au logiciel, il est encore possible de faire pivoter le vase même lorsqu’il a été coupé. Ainsi toute la surface interne peut être observée sous différents angles. Lors de ce travail, des images (sortes de printscreen de l’écran) peuvent être sauvegardées. Ainsi, dès qu’une vue met un élément intéressant en évidence, une image est sauvée afin de garder un compte rendu complet de l’analyse du vase sans devoir repasser par le logiciel de l’hôpital. Pour ce vase perroquet, 56 images de l’intérieur du récipient ont été sauvegardées. L’ensemble de cette étude et les images sauvegardées permettent de reconstituer très précisément les processus de fabrication du vase et par-delà d’en déduire les étapes séquentielles de sa fabrication.
Etude technique du vase
Grâce au scanner de ce vase à anse-goulot en étrier perroquet, le processus de fabrication de ce récipient complexe a pu être reconstitué. Les images du scanner ont permis d’observer qu’il a été construit à l’aide de différents éléments fabriqués séparément et assemblés ensuite (fig. 7-9). L’anse-goulot en étrier semble avoir été fabriquée sur une âme cylindrique (9) en deux parties. Un tube d’argile est destiné à l’anse et l’autre au goulot. Ce procédé est décrit par Donnan (1965 : 123) dans son étude menée sur la technologie des vases à anse-goulot en étrier mochicas. L’analyse au scanner atteste de la possibilité de ce procédé. Seul un élément n’est pas observable : la construction à l’aide de trois tubes d’argile. Ce procédé décrit par l’auteur est plausible mais n’a cependant pas été observé sur les images du scanner de ce vase (ni sur celles des huit autres vases de la culture Moche qui ont été scannés). Il apparaît clairement que seuls deux tubes ont été employés. Afin de fixer le goulot, une ouverture a dû être réalisée sur l’anse. Deux possibilités peuvent être envisagées. Soit lorsque l’anse est déjà arquée, l’artisan retire un peu d’argile pour créer un trou destiné au goulot. Soit, une incision est pratiquée sur le tube. Lorsque celui-ci est ensuite arqué pour prendre la forme d’un étrier, l’incision s’ouvre et crée un espace pour recevoir le goulot (10).
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Les images du scanner montrent également que le bras supérieur de l’anse est bouché (fig. 9). Aucun trou n’a été percé sur la tête de l’oiseau, comme cela aurait dû être le cas car les deux bras d’une anse en étrier communiquent toujours avec le corps du vase. Dans ce cas-ci, aucune ouverture ne communique avec le corps. Comme expliqué plus haut, dans le cas d’un vase siffleur, ce procédé force l’air à se diriger vers l’entrée du système siffleur situé dans le corps de l’animal. Les images obtenues de la surface interne de l’anse montrent qu’elle est irrégulière à certains endroits. On peut observer qu’il y a eu un travail anthropique au niveau du bras inférieur de l’anse. Sur ce bras, à hauteur de la fin de la courbure, il y a une irrégularité de la pâte. Grâce aux différentes vues et au jeu de la transparence, cet élément semble être de l’argile qui aurait été retirée puis bouchée (fig. 10-11). Il est donc probable que cet élément corresponde à la technique de l’incision des bras de l’anse décrit par Donnan (1965 : 123). Ces incisions servaient à permettre le passage d’un instrument dans le conduit de l’anse afin de consolider de l’intérieur l’accroche des bras de l’anse à la chambre. D’ailleurs, la fin du bras de l’anse et sa jonction à la chambre semble avoir été lissés. Un peu d’argile dépasse effectivement du bras et atteste de ce travail de consolidation (fig. 10-12). Une irrégularité de l’argile peut aussi être observée au même niveau sur la partie interne du bras de l’anse. Cet élément, en face de l’ouverture, fait penser à un coup dans l’argile. Il est probable que l’artisan en essayant de passer son instrument par l’incision ait donné un coup sur la face opposée du bras de l’anse avant de le diriger vers le bas pour arriver à la jonction à renforcer.
L’incision du bras de l’anse observée ici fait effectivement penser à cette technique de renfort interne mais la question de son utilité peut être posée. En effet, le fond du récipient est tout à fait irrégulier (fig. 8-9) et démontre donc que la chambre a été fermée par cet endroit. Le potier aurait donc pu construire le vase en laissant la base ouverte et passer par celle-ci pour renforcer de l’intérieur la jonction concernée. Les moules bivalves utilisés par les potiers mochicas présentent toujours une ouverture à la base ou au sommet permettant de retirer aisément le vase du moule et de lisser la couture interne résultante afin que les deux parties soient parfaitement solidaires (Donnan 1992 : fig. 102, 106-109, 2004 : fig. 3.4a-c). Ainsi, sur les autres vases mochicas scannés ou radiographiés de mon corpus, le plus souvent lorsque la chambre du vase a été fermée par le fond les opérations de renforts internes ont été pratiquées par cette ouverture. Dans l’autre cas, si la chambre a été fermée par le sommet, des incisions étaient pratiquées sur les épaules de l’anse afin de permettre le passage d’un instrument pouvant réaliser ces opérations, l’intérieur du récipient n’étant plus accessible puisque déjà fermé. Toutefois, quelques rares exemplaires semblent présenter les deux procédés. C’est le cas pour ce vase perroquet. Ce double procédé, en quelque sorte inutile, amène à s’interroger sur son emploi. L’artisan aurait-il « oublié » de réaliser les renforts internes avant de fermer le vase ? Le vase, de forme très complexe, a-t-il dû être plus rapidement fermé car plus facile à manipuler ? Le potier avait-il l’habitude d’employer le procédé des incisions sur d’autres vases de sa production et l’aurait-il donc d’office appliqué ? Dans tous les cas, ce travail témoigne de la complexité de la fabrication de ces vases et laisse imaginer le temps assez considérable et toute la minutie apportés par le potier à sa tâche.
Enfin, les images du scanner mettent en évidence que de l’argile a été rajoutée et lissée sur la surface externe du vase à plusieurs endroits, afin de consolider les différentes parties assemblées. Il y a en effet un épaississement de l’argile au bas de chaque bras de l’anse à hauteur de l’accroche sur le corps du vase et à la jonction du goulot à l’anse. Les différentes jonctions étaient donc consolidées de façon externe et interne (fig. 8-9).
Concernant le corps du vase, plusieurs éléments importants ont pu être mis en évidence grâce au scanner. Il est composé de trois éléments créés séparément et réunis ensuite. Le premier élément est composé par le corps de l’être composite (le poitrail, les bras et les jambes) et la deuxième chambre à l’arrière de l’animal. Cette double chambre a probablement été réalisée au moule. Aucune trace de couture dans l’argile attestant l’emploi d’un moule n’est cependant observable. L’absence de traces du moule n’est toutefois pas concluante pour éliminer l’hypothèse de son emploi. En réalité, les vases mochicas ayant gardé des traces de l’emploi d’un moule sont très rares. Pourtant des moules bivalves ont été découverts et la régularité des parois de la chambre de la plupart des vases à anse-goulot en étrier mochicas laissent imaginer l’emploi du moule. Les potiers mochicas effaçaient systématiquement ces traces, probablement par volonté de soin apporté à leur travail mais surtout par souci de consolidation des différentes parties assemblées. Grâce à l’observation interne du vase, on peut se rendre compte que la partie arrière de la chambre communique avec la partie avant par un petit passage arrondi situé dans la partie inférieure du récipient (fig. 8-9). A cette hauteur, une fissure est présente et passe sur les deux flancs du personnage. L’observation interne permet également de voir la communication entre le bras inférieur de l’anse et la chambre. Ce bras a été déposé sur la chambre où un trou a été percé au préalable. L’accroche de ces deux parties est très soignée. On peut deviner que l’argile a été lissée de l’intérieur de l’anse (par un instrument passé par l’incision) vers la chambre afin de consolider cette accroche (fig. 9-12).
Le deuxième élément est le système siffleur (fig. 13-17). Cet élément a été construit à part et déposé ensuite sur le corps du personnage. Il a sans doute été construit en deux étapes. La sphère a probablement été fabriquée à part et déposée ensuite sur l’entonnoir. Deux ouvertures étaient alors percées l’une en face de l’autre (14-17). L’ouverture de la sphère était réalisée en biseau car c’est sur cet élément que l’air en se divisant produit le sifflement. De plus, la sphère creuse devait être parfaitement positionnée en face de l’entonnoir pour que l’instrument fonctionne correctement. On peut imaginer toute la complexité de la construction d’un instrument de musique à vent dans de l’argile. Le sifflet a certainement été testé et peut-être ajusté avant d’être installé sur le vase. Les images internes du vase montrent qu’une ligne est présente dans l’argile sur tout le pourtour de l’entonnoir du système siffleur (fig. 13). Cet élément a donc été déposé ultérieurement sur le corps de l’animal. Il semble d’ailleurs aussi que tout l’arrière de la sphère ait été renforcé par de l’argile lissée. Cette étape devait permettre la solidité de l’accroche du système siffleur au vase. Cette partie du vase a été fabriquée avec beaucoup de minutie.
Le troisième élément est la tête aviforme. Elle peut avoir été réalisée à l’aide d’un moule bivalve puisque ses parois sont parfaitement régulières. Par la suite, elle a été déposée sur le corps de l’animal et recouvre ainsi le système siffleur. Sur les images du scanner une petite ligne dans l’argile est visible à la jonction de la tête au corps de l’animal, attestant que ces deux éléments ont été fabriqués séparément (fig. 17). Trois trous ont été percés dans la partie basse de la tête. Leur contour est très net indiquant qu’ils ont été pratiqués à l’aide d’un outil. Ces trous permettent à l’air de s’échapper du vase.
Il est intéressant de comparer ce récipient avec un autre vase à anse-goulot en étrier siffleur à double chambre radiographié dans les années 1980 pour les recherches de Sergio Purini (1980a : 43, pl. X, 1983a : 6, pl. I fig. A, pl. II fig. A). Ces deux vases mochicas de la phase IV présentent le même système de siffleur. L’exemplaire radiographié par Purini représente un personnage assis. Le système de siffleur est composé à l’identique d’une sphère positionnée sur le sommet du corps en entonnoir. Il est renfermé dans la tête du personnage. Le bras inférieur de l’anse a aussi été incisé afin de venir renforcer de l’intérieur l’attache du bras de l’anse à la chambre. Détail étonnant, le bras supérieur de l’anse semble même avoir été bouché par un peu d’argile (Purini 1983a : 6). Etape qui n’était pas réellement utile à mon sens puisque, sur les images du scanner du vase perroquet étudié dans cet article, aucun trou n’a été percé sur la tête de l’animal ne permettant pas aux deux éléments de communiquer.
Conclusion
L’étude technique de ce vase à anse-goulot en étrier mochica montre que les processus de fabrication sont complexes. Le vase est soigneusement construit selon un ordre d’étapes réfléchi, avec des opérations de lissages et de renforts internes et externes. Il est évidemment primordial de replacer l’analyse de ce vase parmi les vingt-deux autres vases à anse-goulot en étrier mochicas qui ont été analysés via le scanner médical et la radiographie à rayons-X dans le cadre de mes recherches. C’est l’analyse technique de l’ensemble de ces récipients qui a permis de reconstituer les différentes étapes des processus de façonnage des vases à anse-goulot en étrier de cette culture péruvienne.
Pour résumer ces processus, on peut conclure que la chambre des récipients est généralement construite à l’aide d’un moule bivalve présentant une ouverture à la base ou au sommet. En fonction de cette ouverture, les opérations de renforts internes de l’attache des bras de l’anse à la chambre seront exécutées via le fond du récipient ou par des incisions réalisées sur les épaules de l’anse. Dans certains cas plus rares, comme c’est le cas pour le vase perroquet détaillé dans cet article, les deux procédés sont employés. Ces deux processus amènent à s’interroger sur leurs emplois. Ils ont tous deux été employés dès la phase I de la culture Moche et sont présents à chaque phase (11). Correspondent-ils à une différence géographique ? Ont-ils eu plus ou moins de succès lors des différentes phases ? Le choix du processus variait-il en fonction de l’atelier ou des potiers qui les fabriquaient? Variait-il en fonction de la complexité du vase (qui nécessitait peut-être de fermer la chambre dès le départ) ?, etc. En tout cas, les résultats obtenus de l’étude technique de ces récipients montrent des processus complexes et précis.
Selon les scanners réalisés sur des vases à anse-goulot en étrier de la culture postérieure Chimú (900-1450 PCN), les incisions des bras de l’anse ne semblent plus être pratiquées, du moins sur les onze vases scannés. L’ouverture de la chambre au sommet ou à la base du vase était fermée généralement à la main, rendant ainsi visible une irrégularité de la surface interne qui contraste avec la régularité des parois du vase faites au moule. Malgré cette constance observable dans les processus de fabrication, l’analyse de chaque vase permet de mettre en évidence certains détails techniques propres à chaque récipient. Dans le cas de ce vase perroquet, tout le système siffleur a pu être observé de l’intérieur ainsi que le bras supérieur de l’anse, volontairement bouché, qui corrobore parfaitement la fonction du vase.
Il est très intéressant de comparer les techniques de fabrication des vases à anse-goulot en étrier au sein de la culture Mochica mais il est également important de les comparer avec la technologie de façonnage d’autres cultures préhispaniques. En me basant sur les quarante et un autres vases à anse-goulot en étrier scannés et radiographiés, j’ai pu observer les similitudes et divergences entre la production de ce type spécifique de récipient sur une région bien définie, qu’est la côte Nord péruvienne. J’ai pu déterminer que deux de ces cultures successives de la côte Nord du Pérou, les cultures Mochica (100-800 PCN) et Chimú (900-1450 PCN), ont partagé certains procédés techniques et pourraient donc appartenir à une « tradition technique commune ». Tandis que la culture antérieure, la culture Cupisnique (1200-200 ACN), a utilisé des procédés différents et plus simples (Wauters 2008).
Les résultats tirés de l’analyse technique serviront, replacés dans un cadre plus large, à mieux saisir les processus d’échanges et de diffusion entre les diverses parties du continent centre et sud-américain. L’étude présentée ci-dessus démontre bien tout l’intérêt des études techniques. Roux (2010 : 7) résume parfaitement cet engouement pour les études techniques en disant à ce propos que « l’étude couplée des processus techniques et des objets (formes et décors) est essentielle à leur lecture anthropologique puisque, à ne prendre en compte que les objets sans les processus techniques, on se prive d’informations sociologiques et historiques essentielles pour comprendre leur variabilité [synchronique et diachronique] ».
L’analyse future d’autres vases à anse-goulot en étrier permettra, je l’espère, de mettre en évidence de nouveaux détails de fabrication qui pourront encore préciser ceux déjà répertoriés, mais aussi d’étudier ceux d’autres cultures et régions où ce vase a été produit afin d’identifier peut-être de nouvelles traditions techniques. Il est cependant clair que le maximum d’informations sera tiré de la côte Nord du Pérou puisque c’est dans cette région qu’est présente la plus grande concentration de vases à anse-goulot en étrier. Je tiens à insister sur le fait qu’au-delà du vase à anse-goulot en étrier et de l’Amérique précolombienne, les techniques d’analyse que j’emploie sont potentiellement applicables à n’importe quel matériel céramique, toutes époques et régions du monde confondues.
Remerciements
Je remercie le professeur Peter Eeckhout, professeur à l’Université Libre de Bruxelles et promoteur de ma thèse de doctorat, pour son soutien et ses précieux conseils tout au long de mes recherches ainsi que pour la relecture de cet article. Je remercie également les Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles et plus particulièrement, Sergio Purini, conservateur des collections Amérique, pour la mise à disposition des pièces et pour le partage de sa connaissance du sujet. Enfin, je remercie l’Hôpital Erasme et plus particulièrement Jose Ordonnez et Julien Moreno du département de radiologie, pour avoir aimablement réalisé le scanner et le traitement des images du vase présenté dans cet article.
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