Introduction
En 1885, lorsqu’elle sculpte la Femme accroupie (1), Camille Claudel (1864-1943) est déjà l’élève d’Auguste Rodin (1840-1917). Le maître a lui-même réalisé une Femme accroupie , dite aussi Luxure, entre 1881 et 1882, dans le cadre de ses études pour La Porte de l’Enfer (2) . C’est donc peut-être Rodin qui suggère, voire commande le thème de la femme accroupie à la jeune artiste. Le traitement que choisit celle-ci diffère cependant de celui de son maître. Dans l’œuvre de ce dernier, les muscles sont mis en valeur et la figure, se tordant avec expression, joue entre repli et ouverture ; Claudel opte pour une femme plus ronde, dans une position tout à fait fermée, et donne en outre à son plâtre une patine qui oscille entre le vert et l’orangé. Sa relation à son maître et amant Auguste Rodin a longtemps été la grille de lecture principale des œuvres de Camille Claudel (3). Notre étude opte pour un abord complémentaire, proposant de voir la marque d’un postimpressionnisme dans l’œuvre de la sculptrice. Pour appuyer cette hypothèse, au-delà du japonisme, qui imprègne son travail, nous pointerons chez elle une influence d’Edgar Degas (1834-1917), soutenant que celle-ci prend racine dès le début des années 1880, à l’aube de la carrière parisienne de Claudel.
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Une influence d’Edgar Degas sur l’œuvre de Camille Claudel
Des affinités par le japonisme
Les Expositions universelles, en 1862 à Londres, et en 1867, 1878, 1889 et 1900 (4) à Paris, jouent un rôle considérable dans la découverte de l’art japonais en Europe. De 1865 à 1914, une véritable vague d’enthousiasme pour ces estampes, albums, soies, céramiques, etc. envahit les milieux cultivés, si bien que l’on parle alors de japonisme (5).
« Le japonisme, c’est l’influence des arts du Japon, à partir du milieu du XIXe siècle et dans l’ensemble du monde occidental, sur les artistes, au-delà de toute hiérarchie, peintres, architectes, sculpteurs, designers, ornementalistes, manufacturiers, artisans, […]. Le japonisme est moins un mouvement artistique qu’un phénomène esthétique qui bouleverse la création artistique en profondeur, pendant plusieurs décennies, par l’intégration de références multiples à ce Japon si riche et si fascinant. » (6)
L’influence des arts nippons sur les artistes impressionnistes et postimpressionnistes qui « vo[ient] en ces estampes colorées (…) une préfiguration de leur art » (7) a fait l’objet de nombreuses études (8). Nous rappellerons ici quelques éléments de cet engouement, dont le point d’orgue, à Paris, se situe dans les années 1880-1890, avant d’en noter la réception dans l’œuvre de Degas et dans celui de Claudel.
En tant que traducteur pour l’Exposition universelle de 1878, Tadamasa Hayashi (1853-1906) (9) arrive à Paris, où il décide de rester pour ouvrir un magasin spécialisé dans l’art japonais, en 1884 (10). Apprécié des impressionnistes et intellectuels avant-gardistes, il discute avec eux de son pays natal, de sa culture et de son art (11). Hayashi est l’un des premiers à croire au renouvellement que proposent les impressionnistes ; il en collectionne les œuvres, notamment celles d’Edgar Degas (12). Le marchand Siegfried Bing (1838-1905) promeut aussi l’art japonais, il ouvre une boutique spécialisée en 1875 et publie la revue Le Japon artistique quelques années plus tard (13). Les boutiques spécialisées ne sont pas le seul relais du japonisme ; les Cent vues célèbres d’Edo d’Utagawa Hiroshige (14) (1797-1858), de même que les Trente-six vues du Mont Fuji ( et les Cent vues du Mont Fuji de Katsushika Hokusai (1760-1849) circulent en Europe sous la forme d’albums à partir des années 1860 (15). Dix ans plus tard, des grands magasins tels que Le Bon Marché, Le Printemps ou Le Louvre commercialisent des estampes japonaises (16). La Manga ( d’Hokusai, une série d’albums publiés entre 1814 et 1878, circule de mains en mains dans les cercles artistiques parisiens (17) et devient source d’inspiration pour les arts occidentaux (18). Certains éditeurs font aussi du japonisme leur matière principale, citons Edmond de Goncourt (1822-1896), « chef de file du mouvement japonisant », et ses ouvrages La Maison d’un artiste (1881), Outamaro (1891) et Hokousaï (1896) (19).
Dans ce contexte, Edgar Degas collectionne l’art japonais (20) ; il possède par exemple un des trois exemplaires connus d’Intérieur d’une maison de bain ( de Torii Kiyonaga (1752-1815) (21). Cette estampe lui est offerte par Hayashi, au nom de la ressemblance que le Japonais y voit avec les nus de Degas (22). Ce dernier, en échange d’un album de Shunga, des estampes érotiques de Hishikawa Moronobu (1618-1694) (23), cède des dessins et des pastels au marchand (24). Degas trouve dans les estampes japonaises « une alternative tonifiante aux poses conventionnelles si chères aux peintres de salon » (25). À partir des années 1860, il intègre des références au japonisme dans ses œuvres (26) ; aux ukiyo-e (27), scènes de plaisirs quotidiens, il emprunte l’habitude du point de vue en surplomb, la rapidité du trait expressif, les couleurs vives, la simplicité et le goût pour les sujets ordinaires comme la femme dans son intimité (28). Le Tub (1886) ( , ou encore Femme assise sur le bord d'une baignoire et s'épongeant le cou (ca. 1880-1895) ( , par exemple, illustrent ces caractéristiques qui deviennent, chez Degas, récurrentes (29) : elles imprègnent toutes les œuvres de sa série des femmes au bain. Cette série est constituée des estampes, pastels et dessins que Degas réalise dès 1876 et qui dépeignent avec réalisme des scènes quotidiennes de femmes à leur toilette. Les œuvres sont proches des estampes japonaises circulant alors, comme celles de Kitagawa Utamaro (1753-1806), « peintre des jolies femmes » (30). Outre le thème japonisant, il est intéressant de noter que le traitement du cou chez Degas, surtout dans ses estampes, rapproche ses figures des représentations japonaises, dont les épaules forment un angle presque droit avec la nuque (figs. 5 et 8).
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Lorsque Camille Claudel s’installe avec sa famille à Paris, en 1881 (31), la mode du japonisme bat donc son plein, à la suite de l’Exposition universelle de 1878. La sculptrice est amenée personnellement au contact de l’art japonais : elle visite l’exposition d’art japonais à la Galerie Georges Petit en 1883 (32), elle est en contact avec Hayashi (33), il est probable qu’elle fréquente la boutique de Bing (34), elle est proche de Georges Hugo (1868-1925), collectionneur d’estampes japonaises (35), et son maître et amant Rodin se passionne lui-même pour l’art japonais, qu’il collectionne (36). Deux photographies de Claudel parée d’un kimono témoignent d’un goût pour le Japon et sa culture (37). Son œuvre aussi revêtit l’habit japonais, en plusieurs aspects : les couleurs, le surplomb, les sujets quotidiens. Ainsi par exemple, La Vague (1897-1903) ( cite directement La Grande Vague d’Hokusai et Les Causeuses (1897) , tout comme les pastels de Degas, par la couleur, le point de vue et le sujet, une conversation intime, rappellent les estampes japonaises qui croquent les femmes dans leur quotidien (38).
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Des affinités techniques
Fig. 12 – Edgar DEGAS (1834-1917), Femme, nue, se coiffant. Paris, Musée d’Orsay, conservé au Musée du Louvre. |
Lorsque Le thème des femmes dans leur quotidien, chez Degas, est lié à sa pratique de l’estampe. Degas réalise ses premières estampes à partir de 1856, et dès les années 1860, inspiré du réalisme et du naturalisme (39), s’adonne aux scènes de genre, considérant qu’un portrait passe par l’environnement du portraituré. Dans les années 1870, il produit ses premiers monotypes et en 1876, il entame sa série de femmes au bain. Les femmes au bain provoquent immédiatement le scandale ; le réalisme des scènes appellerait l’indécence, signifierait le voyeurisme, les figures ne seraient pas nues mais déshabillées (40). L’artiste poursuit néanmoins dans cette thématique et offre plusieurs monotypes de femmes au bain à ses proches (41). D’autres œuvres de la série sont exposées, dès le salon impressionniste d’avril 1877 (42). Dans cette série, la technique du monotype permet à Degas de combiner à la fluidité et à la découpe dans la matière une mise en exergue des formes (43) ; son approche de l’image y est sculpturale. Si Camille Claudel a pu trouver l’occasion d’en observer des exemples lors des salons ou via l’entourage du peintre, l’on peut imaginer que, le cas échéant, la série d’estampes de Degas ait fait écho chez elle.
Par ailleurs, Camille Claudel s’intéresse à la couleur très tôt, le plâtre de la Femme accroupie (fig.1) en témoigne par les tons jaunes, oranges et verts de sa patine. Son usage de la couleur s’affirme avec le temps, lorsqu’elle emploie du marbre et de l’onyx coloré par exemple, dans La Vague (1897-1903) (fig.9) ou Les Causeuses (1897) (fig.11). Ce goût pour la couleur, héritage, sans doute, de ses premiers enseignements chez Paul Dubois (1829-1905) et Alfred Boucher (1850-1934) (44) et de son intérêt pour le japonisme, ouvre peut-être la sculptrice aux recherches chromatiques que développe Degas parallèlement à son travail sculptural (45).
La rencontre des deux artistes
L’œuvre d’Edgar Degas et celle de Camille Claudel présentent des affinités, dans leur intérêt commun pour le japonisme, mais aussi dans la façon de travailler la matière et la couleur, les estampes de Degas rejoignant la sculpture de Claudel et la patine de Claudel rejoignant les pastels du premier. La parenté entre les deux œuvres pourrait relever d’une influence directe. Si la rencontre en personne des deux artistes n’est attestée dans aucune source, elle est néanmoins probable : plusieurs réseaux de relations ont pu amener Claudel et Degas à se rencontrer. Notons le salon d’Henry Lerolle (1848-1929), la Galerie Georges Petit ou encore le marchand Tadamasa Hayashi.
En 1881, Degas reçoit Henri Lerolle dans son atelier. Deux ans plus tard, Lerolle achète Avant la course (1882) au marchand Paul Durand-Ruel (1831-1922), signant son amitié pour Degas (46). Lerolle (47), qui acquiert également des œuvres de Camille Claudel (48), organise régulièrement des soirées au cours desquelles se retrouvent ses amis peintres et musiciens (49). Degas est l’un des invités de ce salon, de même que Paul Claudel ; celui-ci pourrait y avoir emmené sa sœur (50). Par ailleurs, Hayashi fréquente Degas, a pour celui-ci une grande estime (51) et possède plusieurs de ses œuvres ; il a donc également pu le faire connaître, en personne ou par son travail, à Camille Claudel. Enfin, deux pastels de Degas sont exposés à la Galerie Georges Petit en 1884 (52) lors de l’exposition Le sport dans l’art (53). Camille Claudel a visité l’exposition d’art japonais au même endroit en 1883 (54), il est possible qu’elle y retourne et y voie l’œuvre de Degas.
Les relations sociales parisiennes ont donc pu amener les deux artistes à se rencontrer. Si la rencontre réelle demeure de l’ordre de l’hypothèse, une lettre de Robert Godet (1866-1950) affirme que Claudel a eu connaissance de l’œuvre de Degas. Dans sa lettre en effet, Godet impute à la sculptrice une « dévotion inébranlable à monsieur Degas » (55). « Dévotion » cependant non datée ; la temporalité de cette admiration n’est pas connue. En d’autres termes, l’influence de Degas sur Claudel est vraisemblable mais le moment à partir duquel l’œuvre de la sculptrice en témoignerait n’est pas clairement déterminé. Si, comme nous l’avançons, la Femme accroupie (fig.1) de 1885 porte cette influence, alors celle-ci remonte au moins à la première moitié de la décennie 1880.
Aux origines de l’influence, le Salon impressionniste de 1881
Jusqu’en 1881, les Claudel vivent à Nogent-sur-Seine, où Camille étudie la sculpture chez Paul Dubois et Alfred Boucher (56). Il est probable que la jeune artiste ait visité les salons parisiens durant ces années de province ; par le biais de son maître Dubois, présent aux Salons de Paris dès 1860, conservateur du Musée du Luxembourg dès 1873, et enseignant à l’École des Beaux-Arts de Paris (57), ou par son père, Louis-Prosper Claudel (1826-1913), qui en tant que conservateur des hypothèques se rend souvent à Paris (58). Or Degas représente des femmes au bain dès les années 1870 et, nous l’avons vu, en expose aux salons impressionnistes (59). Claudel a donc pu découvrir l’œuvre de Degas, notamment ses femmes au bain, avant son emménagement à Paris. L’absence de sources cependant ne permet pas de confirmer cette éventualité. En revanche, il est possible d’avancer que la jeune artiste a vu l’œuvre de Degas au Salon impressionniste de 1881.
Lorsque Camille Claudel emménage à Paris en avril 1881 (60), le Salon impressionniste se déroule au même moment (61) ; deux éléments permettent de penser qu’elle y assiste. Premièrement, la famille Claudel gagne Paris pour permettre à Camille d’y développer une carrière artistique. Si la mère de l’artiste n’est pas favorable à la vocation de sa fille, son père en revanche soutient fortement ce projet (62) ; il est dès lors probable qu’il l’exhorte à visiter le salon, voire qu’il l’y emmène. Deuxièmement, au salon de 1881 Degas expose la Petite Danseuse de quatorze ans , or, nous allons le développer, l’influence de cette pièce peut se percevoir dans le travail de Claudel. Cette influence, si l’on y accorde crédit, indiquerait que la sculptrice a connaissance du travail de son homologue au moins à partir du printemps 1881.
Un contexte favorable : la réception tumultueuse de la Petite Danseuse
« Après avoir suscité le mystère et l’attente autour de cette sculpture dont il n’a pas révélé le sujet » (63), Degas, avec la Petite Danseuse de quatorze ans (fig.13), provoque le scandale. Le choc vient notamment de la technique employée et, conjointement, de son réalisme : la cire de la sculpture rappelle la chair et les vêtements et chaussons de danse sont véritables. Outre son réalisme, l’attitude est provocante : la Petite Danseuse se tient debout, dans une position de repos de danse classique (64) mais qui laisse la possibilité de percevoir de la nonchalance, voire du défi. Aux yeux de beaucoup, la sculpture paraît alors indécente, vu l’âge de la fillette. Enfin, l’origine modeste du visage tenu pour hautain accroît le scandale ; il s’agit d’un « petit rat », une élève de l’Opéra et non une danseuse digne d’une si grande attention artistique (65).
La réception est aussi tumultueuse parmi les admirateurs de Degas, comme Joris-Karl Huysmans (1848-1907) (66), qui parle du « malaise » que peut susciter la sculpture auprès du public (67). Paul Mantz (1821-1895), dans son article du journal Le Temps, la dépeint comme « troublante (…), redoutable parce qu’elle est sans pensée (…), [elle] avance avec une bestiale effronterie son visage ou plutôt son petit museau » (68). Quelques observateurs tels le peintre Auguste Renoir (1841-1919) et le critique Charles Ephrussi (1849-1905), admirent au contraire la sculpture en tant que tentative de réalisme particulièrement novatrice (69). L’on parle manifestement beaucoup de cette sculpture dans le milieu culturel pendant l’année 1881 ; tout porte à croire que Camille Claudel, qui entame sa carrière à Paris au moment où se déroule le salon, ait eu vent de cette Petite Danseuse.
Petite Danseuse et Petite Châtelaine, une parenté formelle
En 1892, alors qu’elle séjourne avec Rodin au château de l’Islette à Azay-le-Rideau, près de Tours, Camille Claudel sculpte le portrait de Madeleine Boyer, la petite fille de la propriétaire. Pour une commande, entre 1895 et 1896, Claudel réalise une version en marbre blanc de ce portrait : La Petite Châtelaine (70). Cette version rappelle les « bustes reliquaires de la Renaissance et renoue avec le néoflorentianisme des années de formation de Claudel auprès de Paul Dubois et d’Alfred Boucher, c’est-à-dire avant la rencontre avec Rodin » indique le Musée de la Piscine de Roubaix, qui souligne que « le travail virtuose de la matière – cheveux tout à jour, corps évidé pour devenir un piège à lumière, polissage à l’os de mouton (…) ces caractéristiques essentielles sont l’expression d’une volonté farouche qu’affirme l’artiste de se singulariser par rapport à Rodin dont elle se sépare alors » (71).
Fig. 15 – Comparaison entre Camille CLAUDEL (1864-1943), La Petite Châtelaine. Roubaix, La Piscine, et Edgar DEGAS (1834-1917), Petite Danseuse de quatorze ans. Paris, Musée d’Orsay. |
Si comme le souligne le Musée de Roubaix, la Petite Châtelaine de Claudel retourne au style néoflorentin de ses débuts, le buste poli semble aussi témoigner d’une influence de l’œuvre de Degas, en particulier à travers la Petite Danseuse. Outre le thème commun de la fillette, les deux sculptures partagent la même attitude : un menton légèrement levé, une expression du visage relativement neutre qui donne une impression de fixité, de pose. Un élément de l’anatomie de la Petite Châtelaine étonne : la musculature de son cou. Les trapèzes du buste sont particulièrement développés, la musculature semble excessive pour une jeune enfant. Cette configuration en triangle des épaules et du cou se retrouve chez la Petite Danseuse de quatorze ans (72) de la Petite Danseuse.
. Chez celle-ci en revanche, elle paraît naturelle : la danseuse, en position classique, étire son cou pour tendre et joindre ses bras derrière son dos, et l’abaissement des épaules qui en résulte souligne ses trapèzes. Enfin, Claudel ne polit pas toujours ses sculptures ; le polissage extrême du marbre blanc de la Petite Châtelaine rappelle la cire originaleCes ressemblances entre la Petite Danseuse de quatorze ans (fig.13) et la Petite Châtelaine (fig.14) permettent de proposer une influence d’Edgar Degas sur Camille Claudel. L’on pourrait imaginer que Claudel n’ait pas vu la Danseuse en 1881, lors de son exposition, mais plus tard, elle aurait par exemple visité l’atelier de Degas ; ces ressemblances dès lors ne constitueraient plus un indicateur temporel de l’influence de Degas sur Claudel. Ceci est peu probable cependant, vu la résistance du premier lorsqu’il s’agit de divulguer son travail : « dès les années 1880, Degas entoure son œuvre de secret » (73), si Claudel a vu la Petite Danseuse, c’est donc très probablement au Salon, en 1881. La parenté entre la Petite Danseuse de quatorze ans (fig.13) et la Petite Châtelaine (fig.14) indiquerait que Claudel connaissait la sculpture de Degas dès l’exposition de 1881, et qu’une influence du dernier sur la sculptrice a donc pu s’exercer dès le début des années 1880.
Conclusion
Notre étude soutient qu’une influence d’Edgar Degas se perçoit chez Camille Claudel dès le début de sa carrière : les points de rencontre entre les deux œuvres s’observent dans les premières pièces de Claudel, notamment sa Femme accroupie (1885) (fig.1). En effet, si celle-ci répond probablement à une demande d’Auguste Rodin, son traitement plastique rapproche plutôt la sculpture du travail de Degas. La ressemblance formelle entre la sculpture de Claudel et les différentes femmes au bain de Degas est frappante ; outre la posture similaire, le sujet, sans doute inspiré par le japonisme ambiant, porte chez Claudel les couleurs d’un pastel postimpressioniste tandis que Degas le traite dans la matière, à la manière d’un sculpteur. À défaut de pouvoir prouver une influence esthétique, nous avons examiné sa plausibilité historique. La rencontre des deux artistes est très probable, parce qu’ils sont contemporains et fréquentent les mêmes réseaux artistiques parisiens, mais aucune source historique ne la prouve. En revanche, un témoignage indique la « dévotion » de Claudel pour Degas. La sculptrice aurait donc connu Degas, sinon l’homme, l’œuvre du moins. Le témoignage ne précise cependant pas la temporalité de cette « dévotion », il n’indique pas quand Claudel aurait pris connaissance de l’œuvre de son homologue et en aurait été marquée. Soutenant que la Petite Danseuse de quatorze ans (fig.13) de Degas a influencé la réalisation de la Petite Châtelaine (fig.14) de Claudel, cette étude avance que la sculptrice connaissait l’œuvre du premier au moins à partir du Salon impressionniste de 1881.