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Enluminure - - - Roland Van der Hoeven Un revival peu connu Un manuscrit persan du XIXe siècle
Amateur
Reporticle : 39 Version : 1 Rédaction : 01/09/2012 Publication : 04/12/2012

Un curieux revival

Manuscrit du Makhzan al-asrar de Nizami.

Au début du XIXe siècle, l’Occident se passionnait pour son Moyen-âge et tentait de le recréer au travers de romans historiques chevaleresques, d’architectures « gothisantes », de peintures de troubadours et d’opéras médiévo-sataniques. Les tenants de ce revival soupçonnaient-ils que la Perse de l’époque connaissait également un regain esthétique pour la période médiévale ? C’est peu probable. Le manuscrit persan conservé au Musées royaux d’Art et d’Histoire (Inv. IS.40) est un parfait exemple de cet autre revival.
Ce manuscrit surprend en effet par le paradoxe temporel qu’il contient. Réalisé en l’an 1239 de l’Hégire, soit 1826 après Jésus-Christ, il contient le manuscrit complet d’un poème épique écrit par Nizami de Gandja durant la seconde moitié du XIIe siècle de notre ère.

Miniature du Manuscrit du Makhzan al-asrar (« Le Trésor des mystères ») de Nizami,Musées royaux d'Art et d'Histoire, Inv. IS.40.
Photo Philippe AxellClose
Miniature du manuscrit du Makhzan al-asrar de Nizami.
Exemple de masta’liq du Manuscrit du Makhzan al-asrar (« Le Trésor des mystères ») de Nizami,Musées royaux d'Art et d'Histoire, Inv. IS.40.
Photo Philippe AxellClose
Exemple de masta’liq du manuscrit du Makhzan al-asrar de Nizami.
NIZAMI DE GANDJE (ca 1140 – ca 1200)

Nizām al-Dīn Abū Muhammad Ilyas ibn Yūsuf naquit vraisemblablement à Gandja et demeura dans cette région (en large part l’Azerbaidjan actuel) toute sa vie. Cette région voyait à cette époque trois langues coexister : l’arabe à vocation religieuse et scientifique, le perse et le turc. Nizami, dont la langue maternelle n’a pu être établie, s’impose comme un auteur persan majeur du XIIe siècle. On lui doit cinq ouvrages versifiés appelés masnavi (ou encore Khamsé – le Quintette) à savoir un traité moral et didactique, le Makhzan al-asrār, et quatre romans épiques : Khosrow et Shīrīn, Layli et Madjnūn, Haft Paykar, Iskandar nāmé. Les ouvrages de Nizami furent diffusés en occident au XIXe siècle mais ils ne connurent pas l’engouement de ceux d’Omar Khayyam ou Hafîz. Un conte de l’Haft Paykar, l’histoire de la princesse Turandot, servit sans doute de source principale à la pièce éponyme de Carlo Gozzi (1762). Schiller (1804) reprit le thème au dramaturge italien et ces deux récits amenèrent régulièrement le conte chino-persan sur la scène lyrique européenne (Weber 1809, Blumenroeder en 1810, Reissiger en 1835, Hoven 1839, Conradio en 1866, Rehbaum en 1888, Weber, Busoni 1917 et enfin Puccini 1926).

Il s’agit du premier des cinq longs poèmes qui rendit son auteur célèbre dès son vivant : le Makhzan-al-asrar (« Le trésor des mystères »). C’est un écrit didactique constitué pour l’essentiel de vingt discours adressés aux détenteurs de la puissance matérielle de son temps. Ce texte, extrêmement dense aborde des thèmes mystiques dans un langage particulièrement complexe qui en rend malaisé la compréhension générale. Le Makhzan connut, du vivant de son auteur, une belle diffusion et accéda rapidement au statut de classique de la littérature persane. Sa destinée au-delà des frontières culturelles iraniennes fut plus restreinte. La langue poétique et la recherche d’un certain hermétisme littéraire ont permis de nombreuses interprétations à ce « Livre des mystères », d’aucuns rangèrent le poète parmi les mystiques religieux tandis que d’autres en firent un humaniste défendant un système social égalitaire.


La reliure de ce Makhzan-al-asrar donne l’apparence d’une laque : elle est constituée de plusieurs feuilles de papier-mâché collées l’une à l’autre puis peintes et couvertes d’un vernis brillant. La décoration est centrée sur un rossignol, posé sur la branche d’un rosier et entouré d’autres fleurs. Une telle combinaison de motifs de fleurs et d’oiseaux se rencontre souvent dans l’art iranien. Dans la poésie perse, le rossignol représente généralement l’amant et la rose la bien-aimée. Le manuscrit est constitué de papier moucheté d’or et de nombreuses illustrations à l’aquarelle reprenant les canons esthétiques qui firent la renommée de l’école persane d’enluminure. La langue perse est écrite, comme c’est la norme, en inclinaison descendante de la droite vers la gauche (le masta’liq). Il en résulte une écriture légère dont la perception «aérienne» est renforcée par les nimbes qui entourent les mots ou groupes de mots. L’enluminure brille par sa précision et l’abondance de ces détails. Les motifs floraux sont, entre autre, remarquables et permettent dans bien des cas d’identifier l’essence florale qui servit de modèle.

Ce livre est en tout point précieux ; par les matériaux employés, par l’habilité de son copiste et de son enlumineur, par l’investissement de temps que ceux-ci y ont consacré. Il présente tout de l’objet de cour et l’on ne s’étonnera pas de découvrir, dans un colophon à la fin de l’ouvrage, le rang de son commanditaire : le prince de sang royal Nasrollah Qadjar. Ce haut dignitaire est, en effet, l’un des nombreux descendants de Fath Ali Shah Qadjar (régnant de 1797 à 1834). ).

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    Robert Smirke (1752-1845), Fath ali Shah recevant Sir Harford Jones en audience, collection privée.
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    Robert Smirke, Fath ali Shah recevant Sir Harford Jones.
    Fath ali Shah(1771-1834)

    , de son vrai nom Bâbâ Khan, est le deuxième souverain de la dynastie Qadjar (1786-1925). Son règne, qui débuta en 1797, fut scandé par les guerres qu’il mena contre la Russie. Alors que l’essentiel des armées du tsar était mobilisées dans les guerres napoléoniennes, le Shah tenta d’agrandir ou de conserver ses possessions en Georgie et dans le Caucase. Les troupes iraniennes, ancrées dans la tradition militaire du XVe siècle, ne purent longtemps affronter une armée russe tournée vers la modernité. En deux traités humiliants (Golestan 1813 et Turkmanchai 1828), l’Iran perd, au profit du Tsar, toute influence en Georgie, dans le nord du Caucase, en Azerbaïdjan et en Arménie. Au côté d’une timide ouverture vers l’occident (on vit Fath ali Shah répondre sans enthousiasme aux approches pressantes de la France et de l’Angleterre), le Shah tenta, par un puissant mécénat, de faire revivre la culture traditionnelle persane.