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- - - Jacqueline Leclercq-Marx Du monstre androcéphale au monstre humanisé À propos des sirènes et des centaures, et de leur famille, dans le haut Moyen Âge et à l’époque romane
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Reporticle : 107 Version : 1 Rédaction : 01/07/2002 Publication : 29/09/2014

Du monstre androcéphale au monstre humanisé. À propos des sirènes et des centaures, et de leur famille, dans le haut Moyen Âge et à l’époque romane

Seuls parmi les monstres androcéphales – sphinx, harpies et autres manticores – présents dans l’imaginaire médiéval, les sirènes et les centaures ont suscité une réflexion sur leur part proportionnelle d’humanité, dans le cadre d’un questionnement relatif à leur véritable nature et à leur éventuelle faculté de rédemption. Seuls aussi furent-ils l’objet d’une humanisation progressive dont on découvre autant d’indices dans la littérature hagiographique, didactique, épique et romanesque que dans la sculpture romane. Ce monopole qui est indépendant de leur rapport particulier à l’humain – le sphinx n’a jamais bénéficié d’un tel traitement alors qu’il partage avec eux une même nature mi-humaine, mi-animale – ne peut s’expliquer qu’à la lueur d’une histoire séculaire où se mêlent divers strates, et d’un moment particulier : celui où la culture orale teintée d’éléments « nordiques » s’intègre définitivement à la culture écrite d’origine plus spécifiquement méditerranéenne. Au cœur d’une casuistique théologique pleine de subtilité, et d’une redéfinition mythique dans laquelle l’artiste semble avoir joué un rôle précoce, sirènes et centaures humanisés donnent particulièrement bien à comprendre les mécanismes de transmission des formes et des concepts, ainsi que leur évolution au gré des influences. Ils permettent aussi d’entrevoir l’enjeu que représenta l’attribution d’une famille, d’un instinct maternel et plus généralement de sentiments à des monstres, et de comprendre à quel besoin elle a pu répondre.

Fig. 1 – Diptyque d’ivoire dit d’Aerobindus. Revers (France : Tours ?, 3e quart IXe s.). Paris, Musée du Louvre.
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Fig. 1 – Diptyque d’ivoire dit d’Aerobindus. Revers (France : Tours ?, 3e quart IXe s.). Paris, Musée du Louvre.

Centaures (1) et sirènes partagent une même nature mi-humaine mi-animale et, à ce titre notamment, ils furent souvent associés tant dans l’Antiquité qu’au Moyen Âge (2). De manière significative, ils apparaissent entre Adam et Eve et les monstres qui ont un corps d’homme et une tête d’animal, réunis en la circonstance avec les satyres dans la célèbre « échelle biologique » taillée à l’époque carolingienne au revers du diptyque d’Areobindus [fig. 1]. La disposition qu’a adoptée l’artiste donne l’impression que les sirènes et les centaures sont considérés ici comme les descendants d’Adam. Cette impression est encore renforcée quand on sait qu’à peu près au même moment, Ratramne de Corbie rattachait au genre humain les cynocéphales – sur lesquels sirènes et centaures ont précisément préséance sur la plaque d’ivoire – dans la célèbre Epistola de cynocephalis (3) adressée à saint Rimpert. C’est que les sirènes et les centaures apparaissent comme des cas-limites, leur buste et en particulier leur visage humain leur conférant un statut pour le moins ambigu (4). Comme on pouvait s’y attendre, cette ambiguïté constitutive liée à leur origine gréco-orientale, alimenta très tôt chez le chrétien une réflexion sur leur véritable nature et, partant, sur leur chance de salut. En effet, il ne suffisait pas de présenter un aspect partiellement anthropomorphe pour entrer d’office dans la catégorie des êtres quasi hominum reconnus par saint Augustin (Civ. Dei, 16, 8) comme des descendants d’Adam. Encore fallait-il que la partie humaine prédominât nettement sur la partie animale, ce qui n’était pas évident ici en l’occurrence. En outre, l’adhésion d’Augustin à une mystique de la création accueillante à toute forme d’anormalité zoologique n’était – tant s’en faut – pas partagée par tous les théologiens. Pour la majorité d’entre eux, cette faune monstrueuse dans laquelle le docteur de la Grâce s’appliquait à distinguer des cas d’espèce, constituait uniquement une réserve de pôles métaphoriques ou de symboles. En effet, les Pères, et plus particulièrement les apologistes, avaient instinctivement réalisé qu’il n’était pas sans intérêt d’utiliser, pour mieux se les concilier, le même langage et, par conséquent, les mêmes images que les païens à convertir. À ce titre, ils utilisèrent souvent les sirènes et les centaures comme symboles de vice, au sein d’allégories morales (5). N’empêche, certains Pères – et plus particulièrement saint Jérôme – apparaissent significativement partagés sur l’interprétation à donner à leur apparition dans un cadre biblique ou hagiographique donné. La conclusion du passage de la Vie de saint Paul ermite, où il est question du centaure apparu à midi (6) à Antoine, est particulièrement éclairante à ce sujet : « (...) le démon avait-il pris cette forme pour effrayer Antoine, ou bien le désert, fertile en animaux monstrueux, avait-il produit celui-là, je ne saurais le dire » (7). C’est sans doute cette croyance partagée par les juifs et les Grecs, selon laquelle les lieux désertiques étaient habités par toute une faune étrange (8), qui explique qu’en Isaïe 13, 21-22 et 34, 13-14, Thannim fut généralement rendu par Σειρ&951;νες et (s)iim par onokentauroi dans les plus anciennes traductions grecques de l’Ancien Testament (9). Très logiquement, ce parti resserra encore les liens entre les deux monstres tout en renforçant la tradition qui faisait d’eux des êtres réels. Sans doute n’est-ce guère un hasard si c’est en relation avec ce passage que Jérôme donna la seule définition « naturaliste » des sirènes après les avoir rangées au préalable dans la catégorie des démons réels et illusoires (phantasmata daemonum) : « (…) les sirènes sont appelées Thannim, nous entendons par là de grands dragons-serpents pourvus d’une crête et volant » (vel certe dracones magnos interpretabimur, qui cristati sunt et volantes) (10). Reprise à peu près littéralement par Eucher de Lyon, Isidore de Séville et le Pseudo-Walafrid Strabon (11), cette définition se retrouvera ensuite chez Papias, Barthélémy l’Anglais et Vincent de Beauvais (12), par l’intermédiaire d’Isidore (13).

Fig. 2 – Bestiaire (Angleterre ?, 1120/30). Oxford, Bodl. Laud. Misc. 247, fol. 147 v.
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Fig. 2 – Bestiaire (Angleterre ?, 1120/30). Oxford, Bodl. Laud. Misc. 247, fol. 147 v.

Par ailleurs, une citation d’Isaïe 13, 21-22 – approximative et variant d’une version à l’autre – figure ab initio dans le Physiologus, en tête du chapitre consacré aux sirènes et aux « onocentaures » [fig. 2], en tant que prélude à l’interprétation symbolique. Il fallut toutefois attendre la deuxième moitié du VIIe s. pour les voir mentionnés dans un bestiaire non moralisé, le Liber monstrorum (ou De monstris) (14), rédigé vraisembablement « (...) dans un lieu voisin de la Manche » (15). Si l’« hippocentaure » y apparaît proche de la bête sauvage, « avec sa tête velue » et son incapacité à parler malgré « sa partie semblable à un homme normal » (16), la sirène y est présentée dès la préface comme le «monstre » le plus remarquable de toute la série. Au contraire de ses congénères «hérissés et écailleux », elle est une simple marina puella dont la tête est celle d’un « être doué de raison » (17). Cette considération, qui peut à première vue étonner, s’explique manifestement par le fait que la sirène-poisson dont il est pour la première fois question dans ce texte, est née de la rencontre d’un nom lié à un concept d’origine grecque, et d’une forme nordique liée à une autre réalité mythique : celle de la « jeune-fille des mers » (mermaids, maighdean mara en irlandais, merrow en anglo-irlandais) dont l’existence était perçue comme une réalité dans le domaine insulaire et plus généralement germano-celtique (18). Sans doute est-il impossible de savoir avec précision à quelles sirènes songeait l’auteur de la Cosmographie dite d’Aethicus Ister, rédigée peu après 768, et farcie d’emprunts directs ou indirects à Solin, Orose, Justin et Isidore de Séville (19). En tout état de cause, il se montre significativement partagé entre la tradition qui faisait des sirènes des êtres fabuleux, et la tendance opposée qui les rangeait parmi les êtres réels. Ainsi les présentait-il comme le produit de l’imagination païenne, après avoir affirmé qu’Aethicus en avait vu lui-même « un très grand nombre », au point d’en être terrifié.

Fig. 3 – Bâle (Suisse). Cathédrale Notre-Dame. Chapiteau (v. 1200).
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Fig. 3 – Bâle (Suisse). Cathédrale Notre-Dame. Chapiteau (v. 1200).

À vrai dire, la multitude des sirènes aperçues par Aethicus annonçait en quelque sorte celles dont Benoît de Sainte-Maure allait entourer le bateau d’Ulysse dans son Roman de Troie au XIIe s. : « La en oï chanter cinc cenz (...) Plus en ocistrent d’un milier » (20) ! Elle anticipait tout autant les nombreux témoignages contemporains dans lesquels centaures et surtout sirènes étaient décrits par des témoins oculaires. D’après le Physiologus Theobaldi, c’était grâce aux descriptions de ceux qui leur avaient échappé qu’on connaissait leur morphologie : quas qui fugerunt, hi tales esse tulerunt (21) . Quant aux connaissances que Thomas de Cantimpré en a, il les tient de ceux qui déclarent les avoir vues : Hoc testati sunt illi, qui eas se vidisse professi sunt (22) ! On notera à cet égard que, dès le XIIe s., nos hybrides furent la plupart du temps localisés dans des lieux familiers (23) : la Manche (in mare Britannico) (24), aux alentours du détroit de Gibraltar (Columnas Herculis) (25), ou, en tout cas, dans les « mers d’Occident » pour les sirènes ; la Camargue pour le centaure :

Entre le Rodne e Munpellers

Dans ce dernier cas, toutefois, à la faune habituelle des marécages, l’auteur de la Vie de saint Gilles (26) a ajouté des bêtes sauvages – cerfs, daims, sangliers – mais aussi des lions, des tigres, des ours et... des éléphants ! La présence des lions, comme celle des centaures (sagittaires) d’ailleurs, s’explique aisément quand on sait que « (...) les hagiographes latins (27), familiarisés avec les bêtes du désert que côtoient les solitaires d’Égypte ou de Syrie, les transposent parfois dans leurs récits » (28). Quant à la proximité des autres animaux sauvages, on peut en rendre compte par la nécessité de renforcer l’aspect hostile du lieu de vie du saint, pour mieux faire apparaître son courage.

Il n’en reste pas moins que, revenus des terrae incognitae, ces monstres, géographiquement plus proches, le devenaient également à d’autres niveaux. Ainsi suffisait-il, aux dires de Thomas de Cantimpré, de jeter une bouteille vide aux sirènes aux fins de les distraire : Naute autem quando vident syrenes, multum timent et tunc proiciunt ei lagenam vacuam, ut dum cum lagena ludit, intérim navis pertranseat (29). C’est que les sirènes, dont les jeux étaient calqués sur ceux des enfants, présentaient des traits psychologiques de plus en plus humains, et ce au point de se voir prêter parfois une attitude compatissante, en rupture totale avec la tradition. La Gesta sancti Servatii, écrite au XIe s., en conserve le plus ancien témoignage connu :

Quid, quod sepe fertur, semihominesque pisces semipiscesque homines syrenas tempestatem nautis precinuisse, quantumque humane habuerant forme, undis ultro enudasse mortuosque passim fluitantes viros ulnis subleuatos ad conspectum navigantium sustentasse celumque pontumque dulcis querele altisonis vocibus personuisse ? (« À quoi bon raconter, puisqu’on le fait souvent, que des poissons à moitié femmes et des femmes à moitié poissons, les sirènes, avaient prédit la tempête aux marins, combien elles avaient forme humaine ; [à quoi bon raconter] qu’elles avaient spontanément dénudé [les marins] dans les flots, qu’elles avaient porté à la vue de ceux qui naviguaient les hommes morts, ballottés de tous côtés et soutenus par les bras, et qu’elles avaient fait retentir le ciel et la mer de leurs voix doucement plaintives, qui résonnent fort ? ») (30).

Des textes postérieurs comme La Bataille Loquifer ou le Tristan de Nanteuil y font encore allusion. Dans le premier cas, Renoart est sauvé de la noyade par la sirène qu’il avait auparavant capturée et relâchée à sa demande, à la condition toutefois de lui venir en aide en cas de besoin (31). Quant au second, il met en scène une sirène qui, lors d’un naufrage, sauve un enfant en l’allaitant pendant quatorze jours :

Mais Dieu lui envoya par grâce une seraine 420

Fig. 4 – Fribourg-en-Brisgau (Bade). Cathédrale Saints-Alexandre-et-Lambert. Chapiteaux contigus (déb. XIIIe s.).
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Fig. 4 – Fribourg-en-Brisgau (Bade). Cathédrale Saints-Alexandre-et-Lambert. Chapiteaux contigus (déb. XIIIe s.).

Que la sirène soit présentée comme envoyée par Dieu et digne de Lui apparaît révélateur de préoccupations renouvelées. Préoccupations parallèles que l’on décèle aussi chez Thomas de Cantimpré lorsqu’il précise que les sirènes sont des êtres dépourvus de raison (irrationabilia) (33) . Bien que ces deux affirmations soient plus ou moins contradictoires, elles montrent en effet l’une et l’autre que l’on s’interrogeait encore sur la nature exacte de la sirène et, partant, sur sa faculté éventuelle de rachat (34) — grâce que l’auteur du Tristan de Nanteuil paraît lui avoir accordée. Peut-être le bénéfice du doute contribua-t-il à leur réhabilitation ? En outre, l’époque romane, dominée par la notion de repentir, pouvait difficilement refuser la rédemption d’êtres qui, au niveau populaire en tout cas, devaient parfois tenir autant de l’âme en peine que de l’incarnation satanique, comme le laisse supposer l’étude des légendes consacrées aux démons opprimants. Sans doute aussi leur sollicitude envers les marins et surtout les enfants, reconnue depuis peu dans la culture savante, joua-t-elle en leur faveur.

Fig. 5 – Strasbourg (Bas-Rhin). Cathédrale Notre-Dame. Bras nord du transept. Ciborium de l’autel de Saint-Laurent. Détail (v. 1170/76?).
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Fig. 5 – Strasbourg (Bas-Rhin). Cathédrale Notre-Dame. Bras nord du transept. Ciborium de l’autel de Saint-Laurent. Détail (v. 1170/76?).
Fig. 6 – Serrapio (Asturies). San Vicente. Chapiteau roman.
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Fig. 6 – Serrapio (Asturies). San Vicente. Chapiteau roman.
Fig. 7 – Iffley (Oxfordshire.). St Mary the Virgin. Portail sud. Chapiteau( XIIe s.).
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Fig. 7 – Iffley (Oxfordshire.). St Mary the Virgin. Portail sud. Chapiteau( XIIe s.).
Fig. 8 – Fuentidueña (Castille). San Miguel. Modillon roman.
Photo J.-Cl. Vinourd.Close
Fig. 8 – Fuentidueña (Castille). San Miguel. Modillon roman.

Cet instinct maternel, véritablement contre-nature – la sirène étant par essence un être stérile et hostile à l’amour – s’était en fait exprimé déjà bien plus tôt dans la sculpture romane. Au portail de la cathédrale de Trani, et sur un chapiteau de l’église de Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), deux sirènes serrent un siréneau dans leurs bras. D’autres ont été représentées en train d’allaiter aux cathédrales de Bâle, de Fribourg-en-Brisgau et de Strasbourg, à la collégiale de Saint-Ursanne, à l’ancienne abbatiale de Sant Cugat del Vallès (Catalogne) et à l’église San Vicente de Serrapio (Asturies) [fig. 3-6]. L’une d’elles apparaissait sur la mosaïque de pavement romane, aujourd’hui disparue, de la chapelle Sainte-Osmane dans la basilique Saint-Denis (35). Très significativement, il n’existe aucune allusion à des sirènes-oiseaux maternelles : seules les sirènes-poissons apparaissent chargées de siréneaux. Seules aussi elles sont décrites en train d’allaiter chez Thomas de Cantimpré : Apparent autem cum fetibus, quos in brachiis portant. Mammis enim fetus lactant, quas in pectore magnas habent (36), et chez Albert le Grand (37). Cette exclusivité suggère une influence de la légende de Mélusine, fée maternelle par excellence, ayant en commun avec elles la souveraineté sur les eaux, même si Mélusine et les sirènes appartiennent à des sphères mythiques totalement différentes, du moins à l’origine. L’apparition tardive du thème de la sirène allaitante va dans le sens de cette hypothèse, comme d’ailleurs l’attribution fréquente à Mélusine d’un appendice caudal et/ou d’ailes, manifestement empruntés aux « sirènes » au sens strict. Un syncrétisme précis entre une ondine germanique – qui serait cette fois un avatar de déesse-mère (38) – et nos sirènes classiques pourrait aussi expliquer l’évocation des sirènes maternelles chez deux auteurs ayant vécu longtemps dans la région du Rhin, où elles sont par ailleurs représentées plus souvent qu’ailleurs. On ne peut exclure non plus une contamination avec les « jeunes filles des mers » nordiques, souvent présentées comme pourvoyeuses de bienfaits, fécondes dans leur union avec un être humain et mères attentionnées même après leur retour dans les flots (39). Par contre, il semble qu’il faille exclure l’hypothèse d’une confusion – souvent attestée – entre sirènes et lamies dont Jérémie (Thren., 4, 3) avait déclaré : Sed et lamiae nudaverunt mammam, lactaverunt catulos suos ; tant Thomas de Cantimpré qu’Albert le Grand ont consacré une notice distincte aux lamies allaitantes (40). De même, on ne peut suivre Friedrich Panzer qui considère les sirènes chargées de nourrissons comme ultimes avatars des sirènes psychagogues antiques tenant dans leurs bras les âmes humaines figurées sous forme d’enfants (41). Cette hypothèse, qui paraît pourtant étayée par l’attitude d’une des sirènes de Fribourg-en-Brisgau – elle pose un doigt sur la bouche comme pour imposer le silence – est bien trop recherchée. En effet, les artistes du XIIe et du début du XIIIe s. n’étaient pas en mesure de transposer l’antique caractère funéraire de la sirène-oiseau (42) à la sirène-poisson, que les clercs décrivaient en outre en train d’allaiter ses petits le plus naturellement du monde. À ces explications particulières s’en ajoute sans doute une autre, de type plus général. En effet, l’apparition de sirènes chargées de nourrissons doit vraisemblablement s’interpréter aussi comme une des conséquences de l’humanisation dont elles furent – don l’a vu – progressivement l’objet, et qui s’exprime encore d’autres façons dans l’art. Ainsi, maintes sirènes sont figurées parées de bijoux, ou d’une ceinture aux allures de jupe. Dans l’ancienne abbatiale Saint-Martin à Plaimpied (Cher) [fig. 11] et dans l’église Saint-Celse à Milan, on en voit même portant une blouse aux larges manches comme en portaient les dames de l’époque. Parfois aussi ce parti se traduit concrètement par l’adjonction de jambee – elles en ont à Fribourg-en-Brisgau et à Saint-Ursanne, en plus de leur(s) queue(s). Le siréneau de la collégiale précitée est même doté d’une queue de poisson et d’une jambe humaine ! Cette humanisation est également perceptible dans la multiplication de leurs compagnons masculins, aussi bien poissons qu’oiseaux [fig. 10]. Parallèlement, on observe un même dédoublement au niveau des centaures : un certain nombre de centauresses, dont certaines allaitantes, ont été sculptées dans la pierre à l’époque romane. À l’instar des sirènes chargées de petits, dont le prototype n’est pas à rechercher dans l’Antiquité, les centauresses maternelles apparaissent bel et bien comme une (re)création médiévale. Ni l’existence de quelques reliefs et intailles gréco-romains ornés de centauresses lactantes, ni même le souvenir de la fresque de Zeuxis, immortalisée par Lucien (Zeuxis, 3-7) et Philostrate (Imag., II, 3) (43) ne peuvent expliquer leur présence dans la sculpture romane. Il est toutefois probable que les groupes de San Miguel de Fuentidueña (Castille) et surtout de la Liebfrauenkirche d’Halberstadt (Basse-Saxe) [fig. 8-9] — très antiquisants — ont été influencés par le souvenir d’œuvres romaines, au contraire de celui de St Mary the Virgin d’Iffley (Oxfordshire) [fig. 7]. Le premier dérive manifestement d’un centaure chevauché par Éros (44), le second par une allégorie de la Terre-Mère — transmise sans doute par l’intermédiaire de miniatures ou d’ivoires carolingiens et ottoniens (45). Curieusement, les petits centaures saxon et castillan sont entièrement anthropomorphes, comme l’étaient parfois les personnifications du signe zodiacal du Sagittarius dans l’art carolingien (46).

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    Fig. 13 – Vivar de Fuentidueña (Castille). Église. Portail ouest. Chapiteau (XIIe s.).
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    Fig. 13 – Vivar de Fuentidueña (Castille). Église. Portail ouest. Chapiteau (XIIes.).

    Peut-on conclure de tout ce qui précède que, dans la sculpture romane, l’humanité des monstres est exactement proportionnelle à l’étendue de leur partie anthropomorphe ? Pas nécessairement. Si l’on se réfère aux sirènes-oiseaux particulièrement inquiétantes de Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne), Notre-Dame-en-Vaux à Châlons-sur-Marne [fig. 12] et Saint-Remi à Reims d’une part, et de l’église de Vivar de Fuentidueña (Castille) [fig. 13] d’autre part, ce serait plutôt le contraire ! En effet, leur caractère satanique est souligné par des membres humains superfétatoires et totalement incongrus : un avant-bras dans les trois premiers exemples, une jambe dans le dernier cas. Il n’en reste pas moins que sirènes mâles et centauresses, et encore davantage sirènes et centauresses maternelles et habillées à la mode du temps, montrent combien les esprits étaient prompts à accorder aux monstres traditionnellement les plus effrayants, des sentiments, une apparence et même un comportement qui les rapprochaient des hommes (47). Sans doute cette humanisation s’exprimant de manières si variées, n’avait-elle pas grand-chose à voir avec les discours théologiques au sein desquels – depuis saint Augustin – on s’interrogeait sur la nature exacte des créatures situées à la limite de l’animalité et de l’humain, et susceptibles ou non d’être sauvées, selon qu’on en faisait des descendants de Caïn ou de Cham, ou des incarnations de Satan. On y verrait plutôt le signe d’une formidable osmose avec les cultures du Nord – l’assimilation d’éléments germaniques ne s’étant pas uniquement faite dans le sens du dénigrement et de la diabolisation (48) – et surtout un moyen efficace de se protéger contre l’inquiétante étrangeté de l’autre et de l’ailleurs.

    Notes

    NuméroNote
    1On utilisera ici le terme générique de « centaure », tout en sachant que la plupart des encyclopédies médiévales distinguent entre « hippocentaures » et « onocentaures ». Cf. Isidore, Etym., 11, 3, 37: hippocentaure; 11, 3, 39: onocentaure ; Raban Maur, Univ., 7, 7: centaure, onocentaure, hippocentaure ; Thomas de CantimprÉ, Nat. rer., 4, 82 (De onocentauro) : onocentaure, avec comme alternative l’homme à tête d’âne et l’homme à arrière-train de cheval ! ; Vincent de Beauvais, Spec. nat., 31, 121 : hippocentaure, monocentaure et onocentaure. Seuls parmi les auteurs cités, Isidore de Séville et, après lui, Raban Maur paraissent distinguer entre l’existence actuelle de l’onocentaure (... esse dicatur), et l’existence fabuleuse ou révolue de l’hippocentaure (... fuisse putatur), comme l’avait déjà remarqué J. BAYET, « Le symbolisme du cerf et du centaure à la Porte rouge de Notre-Dame de Paris », Revue archéologique, t. 43, janv.-mars 1954, p. 36, à propos de Raban Maur. Utilisé comme traduction de l’hébreu (s) iim dans les plus anciennes versions grecques et latines de la Bible, et repris comme tel dans une citation du Livre d’Isaïe placée en tête d’un chapitre du Physiologus, le terme oνoκντoρoι / onocentaurus aura très logiquement la préférence des auteurs médiévaux, sans que l’élément asin fasse l’objet d’un commentaire particulier.
    2Leur association est déjà attestée dans l’Alexandra de Lycophron, et chez d’autres auteurs d’époque hellénistique cités par W. H. Roscher, dans l’Ausführliches Lexicon der griechischen und römischen Mythologie, Leipzig, t. III, 1, 1890/94, col. 1044-1045. Les liens qui les unissent au Moyen Âge sont fréquemment évoqués et illustrés dans J. Leclercq-Marx, La Sirène dans la pensée et dans l’art de l’Antiquité et du Moyen Âge. Du mythe païen au symbole chrétien, Bruxelles, 1998 (Publ. Classe des Beaux-Arts, coll. in-4°, 3e série, 2). Sur leur appartenance commune à la catégorie des Meerwunder, au XIIe s. dans le domaine germanique, voir aussi Cl. Lecouteux, «Le Meerwunder : contribution à l’étude d’un concept ambigu », Études germaniques, t. 32, 1977, p. 1-11.
    3Citée et trad. d’après l’éd. de F. dümmler, dans Cl. Lecouteux, Les Monstres dans la pensée médiévale européenne, Paris, 1995 (3e éd.), p. 189-194.
    4La place mal définie qu’occupe l’« onocentaure » dans le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré (éd. H. Boese, Berlin / New York, 1973) en dit aussi long sur cette ambiguïté que sur la difficulté de l’insérer dans une catégorie précise. Ainsi est-il d’abord évoqué dans le prologue du livre III (p. 97), consacré aux hommes monstrueux, avant d’être l’objet d’un long développement dans la partie réservée aux quadrupèdes (p. 154-155) ! Sur les hommes et les animaux monstrueux du Moyen Âge, en général, voir surtout J. B. Friedman, The Monstruous Races in Médiéval Art and Thought, Syracuse U. P., 2001 (particulièrement le chap. 9 : The Human Status of the Monstruous Races, p. 178- 196) ; Cl. Lecouteux, Les Monstres, op. cit. ; J. Voisenet, Bestiaire chrétien. L’imagerie animale des auteurs du haut Moyen Âge (Ve-XIe siècles), Toulouse, 1994 ; id., Hommes et bêtes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du Ve au XIIe s., Turnhout, 2000. Consulter aussi Animals and the Symbolic in Medieval Art and Literature, éd. L. A. J. R. HOUWEN, Groningue, 1997 (Mediaevalia Groningana, 20) et, plus particulièrement, J. Longen, « Do Centaurs Have Souls ? Centaurs as seen by the Middle Dutch Poet Jacob van Maerlant », p. 139-154, dont l’étude, au titre suggestif, déborde toutefois un peu de notre cadre chronologique.
    5Sur l’utilisation métaphorique et symbolique du centaure et de la sirène, cf. J. Voisenet, Hommes et bêtes, op. cit., p. 23-24. Par ailleurs, tout un chapitre est consacré aux sirènes dans la littérature patristique, et plus particulièrement à leur interprétation morale (avec bibliographie substantielle), dans J. Leclercq-Marx, La Sirène, op. cit., p. 41-67 (« Des origines juives aux conceptions chrétiennes des six premiers siècles. Du démon du désert au symbole de la tentation »).
    6L’apparition du centaure alors que « le soleil est au milieu de sa course » (Et jam media dies coquente desuper sole fervebat) apparente celui-ci aux « démons de midi », catégorie à laquelle appartient aussi la sirène (ibid., p. 23-24).
    7hier., Vita sancti Pauli erem., 7 (trad. P. de Labriolle, Paris, 1907, p. 21, d’après P. L., 23, col. 17-28).
    8Cette croyance perdurera au Moyen Âge, comme en témoigne entre autres le début du Liber monstrorum, éd. H. Van Thiel, dans F. Pfister, Kleine Schriften zum Alexanderroman, Meisenheim am Glan, 1976 (Beiträge zur klassischen Philologie, 61), p. 380 (... per deserta). À noter que, souvent, le mot desertum n’est pas pris dans son sens premier. Voir notamment J. Le Goff, « Le désert-forêt dans l’Occident médiéval », dans L’Imaginaire médiéval, Paris, 1985, p. 59-75. Bel exemple dans Guillaume de Berneville, Vie de saint Gilles, v. 1230 (v. infra, passim).
    9Sur les choix terminologiques des traducteurs grecs puis latins de l’Ancien Testament en ce qui concerne ces termes, et plus particulièrement Thannim, et sur les commentaires que ces choix ont suscités dans l’exégèse biblique, voir J. Leclercq-Marx, La Sirène, op. cit., p. 41-47.
    10Hier., In Es., 13, 21-22, éd. M. Adriaen, C. C. S. L., 73, 1963, p. 166.
    11Eucher, Instr. 2, 9 ; Isid., Etym., 12, 4, 29 ; Ps. Walafr., Gloss. in Es., 13, 22.
    12Papias, Elementarium doctrinae rudimentum ; Barthélémy l’Anglais, De genuinis rerum caelestium, terrestrium et inferarum proprietatibus, 18, 95 ; Vincent de Beauvais, Speculum naturale, 17, 129.
    13Isid., Etym., 12, 4, 29, éd. W. M. Lindsay, Oxford, 1911, II. À noter qu’en Etym., 11, 3, 30-32, Isidore présente les sirènes comme des femmes-oiseaux et accompagne sa description d’une interprétation de type à la fois historique (évhémériste) et allégorique, dans la tradition des Apista (« Histoires incroyables ») compilées à basse-époque : « (...) en réalité, les sirènes étaient des courtisanes... » (secundum veritatem autem meretrices fuerunt). Et si elles sont représentées avec « des ailes et des griffes », c’est parce que « l’amour vole et blesse » (Alas autem habuisse et ungulas, quia amor et volat et vulnerat) ! Parallèlement, l’origine de la croyance aux centaures à laquelle il est fait allusion après leur description (Etym., 11, 3, 37) est expliquée rationnellement à la suite de LUCRECE, Nat. rer., 4, 738-743 : le centaure est le fruit d’une illusion d’optique née de la vision des cavaliers thessaliens en quelque sorte « soudés » à leur monture (Centauris autem species... id est hominem equo mixtum, quos quidam fuisse équites Thessalorum dicunt, sed pro eo quod discurrentes in bello velut unum corpus equorum et hominum viderentur, inde centauros fictos adseruerunt).
    14Éd. H. Van Thiel, op. cit., p. 380.
    15Fr. Brunhölzl, Histoire de la littérature au Moyen Âge (trad. H. RochAis, compl. bibliogr. J.-P Bouhot), Turnhout, 1990, t. I, 1, p. 148. Notice entière et bibliographie, p. 148-150 et p. 274.
    16Liber monstrorum, 8, 72-75, op. cit., p. 382: Hippocentauri equorum et hominum commixtam naturam habent et more ferarum sunt capite setoso, sed ex parte aliqua humanae normae simillimo, quo possunt incipere loqui, sed insueta labia humanae loquutioni nullam vocem in verba distingunt. Cette incapacité à parler, ou du moins à s’exprimer clairement, avait déjà été prêtée au centaure dans Hier., Vita sancti Pauli erem., 1, op. cit., p. 22: « (...) et mâchonnant ses mots plutôt que les articulant » (... et frangens potius verba quam proloquens...). Elle le sera encore chez Thomas de Cantimpré, Nat. rer., 4, 82, 6-7, op. cit., p. 155: (...) et quasi incipiunt loqui, dum vocem promunt, sed insueta labra vocem humanam formare non possunt. Très significativement, ce même auteur s’intéresse à la nature du chant des sirènes pour conclure qu’il se rapproche davantage du chant des oiseaux que du langage humain : Cantus vero non articulatus credendus est, ut per sillabas et vocabula distinguatur, sed utique indistinctus articulis sicut cantus avium (Nat. rer., 6, 46, 21-23 ; ibid., p. 246). Manifestement, la capacité à parler apparaît comme un critère majeur dans l’appréciation du degré d’humanité de nos hybrides. Même constat à propos des cynocéphales (Augustin, Civ. Dei, 16, 8, 1 ; Ratramme de Corbie, Epist. de cynocephalis). Passage également cité et commenté dans un même sens par D. William, Deformed Discourse. The Function of the Monster in Medieval Thought and Literature, Exeter, 1996, p. 183. Sur ces voix inarticulées – y compris celle du centaure – dans les Vies de saints, cf. aussi V. Valcarcel, « Portenta vocum o voces horridae en la hagiografía latina », Helmantica, 35, 1984, p. 407-424.
    17Liber monstrorum, 1, 21-22, op. cit., p. 381. Le chapitre consacré aux sirènes se trouve un peu plus loin, en 7, 68-71, ibid., p. 382.
    18Cette rencontre est au centre du chap. III de J. Leclercq-Marx, La Sirène, op. cit., 69-91 («Du VIIe au Xe s. Concepts anciens, formes nouvelles »).
    19AETHICUS ISTER., Cosmog., 66 et 21 (éd. P. PRINZ, dans M. G. H. Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelaters, XIV, 1993, p. 109, 5 et p. 172, 15). Sur cette oeuvre complexe dont la paternité reste problématique, voir la mise au point de Fr. BRUNHÖLZL, dans son Histoire de la littérature, op. cit., n. 16, I, 1, p. 67-69 et p. 251-252.
    20BENOÎT DE SAINTE-MAURE, Roman de Troie, v. 28859 et v. 28866 (éd. L. CONSTANS, Paris, 1908, IV, p. 310).
    21Physiologus Theobaldi, v. 6, éd. P. T. Eden, Leyde, 1972, p. 60
    22THOMAS DE CANTIMPRÉ, Nat. rer., 6, 46, 7, op. cit., p. 246.
    23Contrairement aux autres hommes monstrueux, presque toujours localisés aux Indes ou sur les confins de la terre. Voir, en dernier lieu, Cl. Lecouteux, Les Monstres, op. cit., n. 3, après R. Wittkower, « Marvels of the East : A Study in the History of Monsters », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, t. 5, 1942, p. 159-197 et j. Le Goff, « L’Occident médiéval et l’Océan indien : un horizon onirique », dans Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident : 18 essais, Paris, 1977, p. 280-298.
    24GERVAIS DE TILBURY, Otia imperialia, 3, 64, éd. G. von LEIBNITZ, Scriptores rerum brunsvicensium, Hannovre, 1707, t. I, p. 981; trad. A. DUCHESNE, Paris, 1992, p. 77 (La Roue à livres).
    25GEOFFROY DE MONMOUTH, Hist. reg. Brit., 1, 17, éd. J. HAMMER, Cambridge (Mass.), 1951, p. 57; WACE, Roman de Brut., v. 728.
    26GUILLAUME DE BERNEVILLE, Vie de saint Gile, v. 1229-1240, éd. G. PARIS et A. BOS, Paris, 1881, p. 38.
    27Et de langue d’oïl, comme on le constate ici.
    28J. VOISENET, Bestiaire chrétien, op. cit., p. 59), et, d’une manière générale, p. 49-60.
    29THOMAS DE CANTIMPRÉ, Nat. rer., 6, 46, 5-7, op. cit., p. 246, et, après lui, ALBERT LE GRAND, De animalibus libri XXVI, 24, 1, 5, éd. H. STADLER, Munster, II, 1929 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, 16).
    30Gesta sancti Servatii, 3, éd. F. Wilhelm, Munich, 1910, p. 125.
    31La Bataille Loquifer, v. 3965-3996 et 4185-4210, éd. M. Barnett, Oxford, 1975, p. 138-139 et p. 144-145. Ce texte, qui appartient au cycle de Guillaume d’Orange, a été rédigé à la fin du XIIe s. au plus tôt. Le passage où interviennent les sirènes a peut-être été interpolé dans le courant du XIIIe s.
    32Tristan de Nanteuil, X, v. 420-426, éd. K. V. Sinclair, Assen, 1971, p. 92.
    33Thomas de CantimprÉ, Nat. rer., 6, 46, 21, op. cit., p. 246.
    34Un peu plus tôt, Honorius Augustodunensis, De imagine mundi, 1, 12 (P. L., 172, col. 124) affirmait que certains monstres étaient classés dans l’espèce humaine et d’autres dans les espèces animales (sunt ibi quaedam monstra, quorum quaedam hominibus, quaedam bestiis ascribuntur).
    35J. FORMIGÉ, L’Abbaye royale de Saint-Denis, Paris, 1960, p. 130 Toutes les sirènes maternelles citées ont été représentées dans la deuxième moitié du XIIe s. ou au début du siècle suivant.
    36THOMAS DE CANTIMPRÉ, Nat. rer., 6, 46, 3-5, op. cit., p. 246.
    37ALBERT LE GRAND, De animalibus libri XXVI, 24, 1, 55, op. cit., p. 1546, n. 29, § 119 : Syrenas (…) monstra sunt marina superius figuram muilieris longis mammis et dependentibus fetim lactantes facie horribilis, crine longo et soluto. Ici aussi, Albert le Grand s’est servi de la compilation de Thomas de Cantimpré, et non le contraire. Voir A. CAZENAVE, « L’exotisme au temps d’Albert le Grand », dans Albert der Grosse. Seine Zeit, sein Welt, seine Wirkung, dir. A. ZIMMERMANN, Berlin, 1981, p. 148.
    38Eu égard aux liens de cette dernière avec la mer ou, du moins, l’eau. Voir R. Boyer, La grande déesse du Nord, Paris, 1995, p. 143-144 (Faits et représentations).
    39Voir, pour le domaine irlandais, Bo Almquist, « On Mermaids and Marriages », Béaloideas, Journal of the Folklore of Ireland Society, 58, 1990, p. 1-69, et id., « The Melusine Legend in Irish Folk Tradition », dans Mélusines continentales et insulaires, éd. J.-M. Boivin et Pr. MacCana, Paris, 1999, p. 263-279 (Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge, 49) en ce qui concerne l’influence de ce type de légendes sur le corpus mélusinien d’Irlande, et l’origine éventuellement celtique de la figure de Mélusine.
    40THOMAS DE CANTIMPRÉ, Nat. rer., 6 , 46, 3-5, op. cit., p. 246.
    41F. Panzer, « Der romanische Bilderfreis am Südlichen Choreingang des Freiburger Münsters und seine Deutung », Freiburger Münsterblätter, 1906, p. 24.
    42Sur les sirènes psychopompes du néopythagorisme et du néoplatonisme, et sur leurs représentations, voir J. Leclercq-Marx, La Sirène, op. cit., p. 24-30.
    43Voir Lexicon iconographicum mythologiae classicae, Kentauroi et Kentaurides, et plus particulièrement Kentaurinnen, Kentaurenfamilie, VIII, 1 (Suppl.), Zurich, 1997, p. 698-699.
    44Ibid., p. 697 (Kentauren und Eros).
    45P. ex. le fol. 6r du ms. Paris, B. N. E lat. 1141 (Saint-Denis ?, v. 870) ou le fol. 174r des Évangiles de saint Bernward d’Hildesheim, Cath. Ms. 18 (Hildesheim, déb. XIe s.). Voir aussi, à propos de cette iconographie, et de ses nombreux dérivés : J. Leclercq-Kadaner (Marx), «De la Terre-Mère à la Luxure. À propos de la migration des symboles », Cahiers de civilisation médiévale, t. 18, 1975, p. 39.
    46P. ex. sur un peigne liturgique conservé au Victoria and Albert Museum à Londres, et sur un reliquaire d’ivoire du Trésor de l’ancienne abbatiale Saint-Servais à Quedlinburg. Voir respectivement P. Williamson, The Médiéval Treasury. The Art of the Middle Ages in the Victoria and Albert Museum, Londres, 1986, p. 72-73, et la notice de M. Peter, dans Der Quedlinburger Schatz wieder vereint, dir. D. kôtzsche, Berlin, 1992, p. 52-56. Sur les autres variantes morphologiques de ce signe zodiacal, attestées dans les manuscrits astronomiques d’époque carolingienne, cf. mon article « Centaures, minotaures et sirènes dans la sculpture romane d’Auvergne. Sources d’inspiration et modes de transmission », Actes du colloque Persistance et résurgence de l’Antiquité à l’époque romane (Issoire, 18-20 novembre 2001), Revue d’Auvergne, 577, 2005, p. 133-149.
    47Cette évidence va, pour une fois, à l’encontre des conclusions de J. Voisenet, Bestiaire chrétien (op. cit.), respectivement p. 291 et p. 58 : « Satyres, sirènes et centaures poursuivent ainsi une existence bien assagie dans, la littérature chrétienne », et : « Et l’ambiguïté du centaure se dissipe en faveur de la tendance démoniaque », dans la lignée de J. Bayet, Le Symbolisme, op. cit. n. 1.
    48L’assimilation d’éléments « germaniques » par la littérature chrétienne ne se fait donc pas uniquement dans un sens négatif. Des animaux peuvent garder pour quelque temps la bienveillance que leur marquaient les peuples « barbares » (J. Voisenet, Bestiaire chrétien, op. cit., p. 169, et plus généralement, p. 167-171).