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Art équestre - Histoire générale - - - Daniel Roche Amazones et cavalières L'Équitation et le genre (XVIe – XIXe siècles)
Amateur
Reporticle : 133 Version : 1 Rédaction : 01/03/2015 Publication : 29/05/2015

Amazones et cavalières. L'Équitation et le genre (XVIe – XIXe siècles)

Conférence de Daniel Roche à l'ULB, le 20 février 2015.

A plus d'un titre, le mythe des amazones retrouve des éléments analogues à ceux des fables cavalières. Deux siècles après Corte et Caracciolo, d'Alembert dans l'Encyclopédie y voit trois connotations principales. L'amazone est d'abord une femme courageuse et hardie, capable de grands exploits, un équivalent d'héroïne ; c'est aussi un peuple ancien de femmes guerrières localisé aux bords de la Mer Noire, il n'y avait point d'hommes parmi elles, qui tuaient les mâles à la naissance et qui se retranchaient le sein droit pour mieux tirer à l'arc. Enfin les historiens anciens et modernes divergent sur la réalité de leur existence. En 1681, le docteur Petit, documents, textes, médailles, sculptures, vestiges architecturaux en main, prouve qu'elles ont réellement existé et en triomphant à cheval des hommes. Du XVIe au XVIIIe siècle, érudits et voyageurs s'efforcent de localiser le royaume disparu ou vivant des amazones. En Éthiopie, en Valachie, en Amérique du Sud, on repère des tribus de femmes guerrières. Elles ont combattu avec les Troyens et Achille a tué leur reine Penthésilée. En 1784, encore, l'auteur de l'article Amazone, de l'Encyclopédie méthodique, peut être le chevalier de Kéralio, redéveloppe largement tous ces arguments et conclut, ce sont des femmes guerrières qui, en contradiction avec leur sexe à qui la Nature n'avait donné que les armes de la grâce et de la beauté ont souillé leurs mains de sang et de meurtres. Il s'agit alors plus nettement de différenciation sexuelles et de la capacité des femmes à la valeur militaire. L'Encyclopédiste reconstitue encore une histoire légendaire où les femmes cavalières ont cantonné les hommes dans des tâches domestiques. Il rassemble fictions poétiques et ajouts fabuleux des historiens anciens pour rappeler que c'est en triomphant des Scythes qu'elles ont adopté leur genre de vie et l'élevage des chevaux, comme le voyait déjà Hérodote. Les femmes cavalières sont nées dans les frontières des civilisations équestres, elles domptaient les chevaux, chassaient, portaient les mêmes habits que les hommes. L'Encyclopédiste les place alors dans la lignée des combattantes valeureuses de l'histoire européenne.

Fig. 1 – Paolo Domenico Finoglia (1590-1645), Jérusalem délivrée. La Rencontre de Clorinde et Tancrède, ca. 1640-1645, huile sur toile. Conversano, Pinacothèque communale.
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Fig. 1 – Paolo Domenico Finoglia (1590-1645), Jérusalem délivrée. La Rencontre de Clorinde et Tancrède, ca. 1640-1645, Pinacothèque communale.
Fig. 2 – Frères de Limbourg (Paul, Herman et Johan) (ca. 1380-1416), Les Très Riches Heures du Duc de Berry, ca. 1412-1416, enluminure sur vélin. Chantilly, Musée Condé.
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Fig. 2 – Frères de Limbourg (Paul, Herman et Johan) (ca. 1380-1416), Les Très Riches Heures du Duc de Berry, ca. 1412-1416. Chantilly, Musée Condé.

On voit comment la fable des amazones conjugue les dimensions habituelles de la querelle des sexes, vertus féminines et courage masculin, avec une argumentation politique. L'humanisme voit dans la Renaissance du mythe une confluence de curiosité entre l'histoire ancienne et les découvertes des Nouveaux Mondes, où l'on aurait découvert des femmes guerrières. L'amazone s'impose aux défenseurs du beau sexe comme un modèle de capacité où le présent peut être justifié par le passé. Leurs adversaires insistent sur l'image de l'excès du dérèglement, à l'opposé des bienséances curiales. Dans la civilisation de la Renaissance et le monde classique, amazones modernes et antiques illustrent l'inversion des rôles et le danger des travestissements. Dans les romans italiens, les cavalières que présentent Boïardo, l'Arioste, le Tasse, sont souvent des ennemis des hommes à l'instar de Clorinde et dans d'innombrables fictions elles combattent à cheval comme des héroïnes contemporaines dans des combats réels. Au milieu du XVIIe siècle, poésie et peinture, divertissement de Cour, Mémoires, à l'instar de ceux de Madame de la Guette, le romanesque des troubles, redonnent vie et force à ses illustrations des capacités cavalières féminines ; Sylvie Steinberg en a superbement montré les enjeux à l’œuvre dans la culture moderne, le premier relève du partage des pouvoirs sociaux, familiaux, politiques, le second de la liberté équestre féminine et de leur accès à l'art confronté à la morale de retenue attribué aux femmes. Monter à cheval comme un homme c'est usurper deux pouvoirs, franchir une frontière sexuelle et confronter la liberté et la licence. Se travestir en Amazone, se présenter comme une cavalière consommée permet, à certaines au plus haut niveau de la société, de s'élever au rang des cavalières fabuleuses et de revendiquer un rôle que leur statut social et leur sexe dénient. C'est le manifeste que propose aux amateurs le peintre Deruet dans son Combat des amazones, où les cavalières en fuite par leur tenue, leur assiette, voire le sexe de leur monture, incarnent le nouveau féminisme du XVIIe siècle, chevaleresque et salvateur. C'est un modèle de pouvoir féminin qui concilie valeurs viriles et vertus des dames. Il survit à l'époque baroque dans le prolongement de la légende héroïque qui veut qu'une femme peut restaurer l'ordre ancien si un dessein supérieur l'y pousse.

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    Les exploits des héroïnes cavalières sont ainsi le versant féminin d'une culture nobiliaire directement en prise avec la réalité de l'art équestre et son rapport aux usages divers des chevaux comme modèle de pouvoir valorisé par sa charge d'imaginaire. Quand Brantome évoque Catherine de Médicis, à cheval au siège du Havre, il la compare spontanément à une dame guerrière de roman : « [Je vis] comment elle-même en personne mena l'armée, étant montée ordinaire à cheval comme seconde belle reine Marfise et s'exposant aux arquebusades et canonnades comme un de ses capitaines ». Des guerres religieuses à la Fronde, les amazones modernes ont joué de ces rapprochements pour la défense des femmes. Elles peuvent ainsi témoigner d'une éducation cavalière plus virile qu'on ne l'imagine. Parfois nécessité fait loi et certaines sont capables de galoper pour fuir, ainsi Marguerite de Navarre, cacher leur identité en s'habillant en homme. L'habit peut faire la cavalière, mais cela ne suffit pas car il lui faut, comme un homme, témoigner de sa maîtrise. Le rapport du vêtement et de l'équitation des Dames et un trait majeur dans une histoire sur laquelle règne l'obscurité et l’ambiguïté d'une approche qui conçoit relation comme une histoire sexualisée depuis l'aube des temps et que l'on peut retrouver dans toutes les formes d'expression du culte associé du cheval et des femmes. Elle reste toutefois socialement et culturellement l'histoire des moyens matériels et des façons de penser une appropriation, changement d'images et de pratiques d'une catégorie sexuelle à une autre.

    Au Moyen Age, les historiens reconnaissent l'aspect général de la pratique, les dames de la noblesse vont à cheval, et d'autres aussi. Aucune ne peut échapper aux nécessités de la mobilité qui pèse sur leur vie, celle des cours errantes, celle des noblesses rurales. La guerre, la chasse, les fêtes, les entrées, les voyages, des chevauchées diverses mettent les femmes en selle et pas seulement comme des figurants de l'ordre social. Sur cette unanimité, de nombreuses questions sont à résoudre, valables encore pour les siècles postérieurs. La première est dictée par la répartition des rôles féminins et masculins et le confinement spatial des femmes. La mobilité féminine est certainement moins générale, sauf au plus haut niveau de la société et dans la vie ordinaire pour les circonstances d'exception qui obligent à se déplacer. La révolution des voitures après le XVIe siècle est un outil d'ouverture. La seconde est imposée par l'organisation matérielle de ces mouvements plus ou moins habituels. Dès la Renaissance, les grandes dames ont déjà les moyens de leurs déplacements, des chevaux et des véhicules variés : litières, chariot branlant, carrosses, des montures spécifiques montées viriliter, à califourchon, en croupe, en trousse, de côté et en amazone avec selle et vêtement ad hoc. Certains chevaux comme les haquenées leur sont réservées, mais Gilles de Gouberville montre qu'elles servent aussi aux cavaliers, certains chevaux ambleurs leur sont affectés. Les comptes des écuries dans les grandes familles permettent de retrouver tous ces usages et de relever la présence des harnachements spécifiques que confirme l'iconographie. Il y a des selles avec étriers pour chevaucher affectées aux chevaux de Madame de Bourbon à la fin du XIVe siècle, et aux haquenées de Madame de Gamache en 1401. On peut admettre l'existence d'une équitation pour les dames à multiples visages et le fait que ces différentes façons ne sont pas réservées au grand monde, la société rurale, les pays éleveurs bien entendu, en donnent des exemples, car on peut préférer longtemps, chevaux, mulets, ânes, aux voitures rares et coûteuses, accessibles à la notabilité d'abord.

    Dans la Normandie du XVIIIe siècle et du XIXe siècle, les inventaires des écuries paysannes notent la présence de selles de femme, latérales ou adaptées des équipements masculins. C'est un lieu commun de l'histoire des costumes provinciaux de montrer des paysannes allant à la foire, montées à la planchette, c'est-à-dire assises de côté, sans la corne des selles dites d'amazone. C'est un petit meuble confortable capitonné, désigné aussi sous le terme de Sambuc, ce n'est parfois qu'une couverture diversement sanglée, ou un vrai siège de cuir ou de toile, comme un bât matelassé avec un dossier. Les chevaux accoutumés à cette forme de monte étaient souvent des bidets d'allure, au pied sûr. Les recueils régionaux du XIXe siècle font voir une variété analogue de façons de monter, en croupe, à califourchon, en selle, de côté avec une même diversité d'équipements souvent très décorés. Ainsi, en Pays d'Auge, en Cotentin, pas de noces sans chevaux, pas de fermières de quelques qualités dans sa monture, et elles mettent pour la circonstance des tabliers de cavalières. Quand le prince de Joinville séjourne vers 1824-1829 au château d'Eu, il voit peu de voitures, mais dans les cortèges qui accueillent sa famille, un escadron de cauchoises à cheval caracolant autour de la berline de la duchesse. L'équitation des femmes ne s'est jamais réduite à un modèle unique et dans un seul milieu, mais elle a eu sa place à tous les niveaux des sociétés traditionnelles, selon les coutumes, les usages, les mises en scène, inséparables de la civilisation du cheval et des circonstances. Ce n'était pas un geste confidentiel, mais plutôt sans doute une pratique banale dont on ne parlait guère tellement elle était évidente. L'écart qui s'établit avec la pratique masculine, fondé sur la pédagogie, l'extraordinaire inversion actuelle de la relation des femmes et des chevaux dont on mesure l'importance, pour la pratique et pour le style d'équitation comme pour l'approche de l'animal, incitent à revenir sur l'histoire d'une identification avec la monte en amazone.

    Fig. 6 – Alfred de Dreux (1810-1860), Amazone au caraco jaune, n.d., huile sur toile, 71 x 58,5 cm. Paris, Galerie Ary Jan.
    Photographie Galerie Ary Jan.Close
    Fig. 6 – Alfred de Dreux (1810-1860), Amazone au caraco jaune, n.d. Paris, Galerie Ary Jan.

    Cette position est attestée très tôt, dès le XIV-XVe siècle, mais elle reçoit ses lettres de noblesse tardivement et elles ne viennent pas des maîtres écuyers italiens et français, mais des commentateurs de la vie de Cour, ainsi Brantome. Au milieu du XVIe siècle, il se fait le témoin et l'historien d'une pratique sinon nouvelle du moins valorisée. Il est attentif à une généralisation qui associe la nouvelle façon de monter des dames de la Cour à l'arrivée des Italiens en France, au rôle de la reine Catherine de Médicis, à l’atmosphère chasseresse et galante des milieux curiaux. Il évoque quand Charles VIII découvre avec ses chevaliers les maîtres écuyers et leurs chevaux à Naples et il note comment les femmes de l'aristocratie montent au manège et sont capables de mener leur monture aux airs. Brantome ne dit pas qu'elles sont à califourchon. On est alors dans le spectacle curial réservé à quelques cavalières distinguées, la duchesse de Melfi, plus tard Diane de France qui a reçu de son beau-frère le maréchal d'Auville, un cheval dressé qu'elle monte en courbette. Vers 1540, Catherine de Médicis avait introduit la nouvelle façon de monter.

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      Trois traits sont ici à retenir. La nouvelle mode vient d'Italie, mais Brantome précise qu'elle a été lancée dans l'espace curial par Marie de Hongrie, la sœur de Charles Quint, qui l'aurait transmise à la Reine de France avec l'amour des chevaux d'Orient et d'Espagne. En second lieu, elle a majoritairement affecté la Cour, la chasse royale que les femmes sont capables de suivre avec le courage d'un homme. Ainsi un caractère de virilité régalienne politique est attribué à la Reine régente qui lui confère une part de l'aura couronnant le Roi cavalier. Enfin, la façon de monter à cheval est bien caractérisée par le passage de la planchette, monte latérale assise parallèlement au corps de la monture à l'arçon, support de la jambe. C'est une autre mobilisation délicate des aides, une mise en scène étudiée de la grâce à un moment où la pudeur commence à mobiliser clercs et moralistes, une manière de faire voir sans montrer, de mettre en valeur ce qu'il est tolérable de dévoiler. Une autre façon subtile de lier Éros et Hippos corrige une nature féminine supposée être rebelle à l'équitation à califourchon, mais c'est aussi une certaine manière de valoriser la féminité sinon la sexualité.

      Au XVIIe siècle, l'historien Varillas reprend le thème, l'amplifie, en dévoile les fantasmes ; Le beau tour de ses jambes – celles de Catherine de Médicis – lui faisait plaisir à porter des bas de soie bien tirés, desquels l'usage s'était introduit de son temps, et ce fut pour les montrer qu'elle inventa la mode de mettre une jambe sur le pommeau de la selle en allant sur des haquenées au lieu d'aller à la planchette. Cette attention que l'on retrouvait chez les chroniqueurs italiens du XVIe siècle met en évidence la coexistence des pratiques, style de monte masculin, planchette et style nouveau respectueux du décorum et des bienséances, monte à l'amazone. Les ambassadeurs vénitiens à Paris, Ronsard, Brantome, les mettent en valeur pour la Cour des Valois, qui s'attardent sur les exploits des plus hardis et mettent en valeur leur tenue vestimentaire étudiée. Cet intérêt contraste avec l'indifférence pour le sujet qu'on peut noter dans les traités des écuyers. Les maîtres s'en tiennent à l'exclusion ancienne des femmes de l'espace du manège de par leur nature et la croyance en l'efficacité néfaste des menstrues. Claudio Corte et Caracciolo restent sur ce point fidèle au galénisme médical régnant, comme à la misogynie vraisemblable du milieu des académistes en dépit de l'exception présentée par les princesses cavalières, qu'illustrent pour Corte et Caracciolo quelques dames de grandes familles : Gonzague, Carafa, Sforza, Este et Borja.

      Fig. 8 – Robert Bonnart (1652 – 1733), Portait de Anne Marie de Bourbon, princesse de Conti, à cheval, n.d., estampe. Paris, Bibliothèque nationale de France.
      Photographie Museo Nacional del Prado.Close
      Fig. 8 – Robert Bonnart (1652 – 1733), Portait de Anne Marie de Bourbon, princesse de Conti, à cheval, n.d. Paris, Bibliothèque nationale de France.
      Fig. 9 – Louis-Auguste Brun (1758-1815), Portrait équestre de la reine Marie-Antoinette, 1783, 59 x 64,5 cm, huile sur toile. Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
      Photographie Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.Close
      Fig. 9 – Louis-Auguste Brun (1758-1815), Portrait équestre de la reine Marie-Antoinette. Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
      Fig. 10 – Vigilius Erichsen, Portrait équestre de Catherine II de Russie, huile sur toile, Chartres, Musée des Beaux-Arts, inventaire 58.
      Photo Giraudon, Paris.Close
      Fig. 10 – Vigilius Erichsen, Portrait équestre de Catherine II de Russie, huile sur toile, Chartres, Musée des Beaux-Arts.

      L'action novatrice des représentantes de la société de Cour s'est en tout cas imposée. La cavalière monte sur le côté une jambe remontée, placée d'abord sur le pommeau, puis sur une corne, l'autre allongée le pied reposant sur un étrier fixé à une étrivière longue. L'assiette est plus équilibrée que la monte à la planchette, mais la dissymétrie des actions, la cavalière étant assise de trois-quarts, exige un accord spécifique des aides. La représentation s'impose peu à peu dans le portrait équestre féminin dont l'un des plus célèbre au XVIIe siècle montre Christine de Suède peinte à Rome par Sébastien Bourdon. C'est une cavalière, une chasseresse, mais les commentateurs y voient une identification héroïque et politique et renvoient à tous les topos des Rois cavaliers antiques. Le tableau en tout cas exalte des capacités réservées aux cavaliers et l'aptitude aux airs relevés, car la Reine y obtient une levade de sa monture ce qui est rare dans les représentations féminines. Elle s'approprie ainsi deux points forts du modèle royale masculin, la soumission des grands chevaux, la participation au rituel des chasses régaliennes. Christine de Suède a l'âme virile et c'est la digne héritière des Amazones par ses vertus, sa prétention à la virginité, c'est la Gothica Amazon ou l'Amazonem fortissima. La coïncidence chronologique de ce portrait avec les exaltations romanesques du temps, avec le goûts des héroïnes équestres ne suffit cependant pas à prouver une conversion générale de toutes les femmes à une mode unique et l'effacement de la polyvalence. A la fin du XVIIIe siècle, on peut, au même niveau socioculturel, en trouver la preuve dans les représentations successives chez Marie-Antoinette à califourchon et en amazone. Ce que l'on voit aussi avec Catherine II au galop ou au pas. Toutefois, c'est en habit d'amazone que les dames de la Cour suivent les leçons des écuyers de Versailles où il se serait imposé à la fin du règne de Louis XV avec la nouvelle selle à double corne. L'équitation des dames peut acquérir une légitimité sociale nouvelle, mais les différentes formules de monte peuvent varier avec le temps et changer dans l'espace.

      Trois discours vont alors expliciter et motiver écuyers et cavalières, celui des Traités équestres, celui des médecins et celui du monde. Après des siècles de silence, les écuyers parlent, entre 1817 et 1914, les livres destinés au public féminin et à leurs instructeurs se multiplient. En 1806, Pons d'Hostun ouvre la route à une vingtaine d'ouvrages qui déclinent peu ou prou les mêmes principes. En 1842, Aubert livre sa méthode et ses réflexions historiques ; en 1861, le livre de Madame Stirling Clarke est traduit de l'anglais dix ans après sa première édition à Londres, en 1853, Edmée de Montigny, ancien écuyer de Saumur, professeur de l’École des haras, inspecteur général des écoles de dressage, livre ses idées révélatrices d'une interrogation officielle, sinon originale ; en 1888, c'est Musany, le directeur de la France chevaline qui prend part au débat où le comte d'Aure était intervenu dans une lettre à la duchesse de Nemours. C'est tout le milieu équestre qui est mobilisé. Pour tous les auteurs, il ne s'agit pas de définir un nouvel art équestre, mais d'adapter chevaux et leçons aux conditions qu'implique la Nature féminine, telle qu'ils l'imaginent : complexion délicate, naturel plus timide, éducation équestre modeste freinent l'accession des femmes à l'art dont le succès dépend de la constitution physique, des habitudes corporelles, de la force. C'est pourquoi c'est parfois en joli cavalier, à califourchon, qu'il s'agit de commencer comme le conseillent Pons d'Hostun et Muzani. L'équitation des dames va par ailleurs exiger des chevaux sûrs, dressés aux aides spécifiques comme à la tenue vestimentaire distincte. Tous les maîtres de manège exigent sur ce point le respect des normes qui font passer de l'habillement des hommes à celui du sexe, costume élégant, simple, de bon goût, original pour fonder une identité originale, et en éliminant tout ce qui donne un air masculin, confirmer le rôle féminin, la grâce, le charme, et avec les longs plis de la robe d'amazone garantit la modestie. Le vêtement et la mode font la cavalière. La façon de monter en amazone est une technique limitante dont la fonction latente a été de façonner une image sociale de la féminité et par ailleurs d'offrir une alternative au chevauchement, symbole du pouvoir des hommes comme au danger supposé de la monte à califourchon. C'est une forme de contrôle du corps.

      Cette équitation rejoint aussi l'intérêt que les médecins portent désormais à la mise en forme physiologique des jeunes filles. Ainsi le docteur Bureau Riofrey justifie une attention pour la pratique sexuée de l'équitation comme moyen d'une transformation des pratiques de formation révélateur de l'attention bourgeoise à la perception sociale du corps et aux formes de l'excellence corporelle, santé, forme et performances. Le débat qui va durer jusqu'à la Troisième République rassemble partisan et adversaire de l'entraînement des filles dans la perspective de Centaurisation de la société. Pour les premiers, l'exercice équestre rassemble tous les avantages des pratiques passives et gymnastiques, car il n'est pas de fonction qui ne soit activée par l'équitation, avec modération, il enseigne l'équilibre, une dynamique de mouvements qui active circulation et musculation, c'est l'exercice tonique par excellence. Pour les adversaires, c'est un déplacement risqué de la frontière des habitudes sociales et une menace pour les mœurs. Dans la bonne société, à Paris, dans les villes notables, à l'étranger, l'équitation des filles et des dames devient l'un des volets de l'hygiénisme général et d'une adhésion à la sportisation à l'anglaise, avec ses vertus salubres pour la beauté, la grâce, contre l'anémie et la neurasthénie redoutées dans les beaux milieux. C'est l'un des lieux où se joue l'avenir de la race.

      Enfin, une dernière finalité sociale va justifier la totalité de ces procédures. L'équitation s'impose comme un nouvel agrément, art mondain, enjeu de la sociabilité et de la mode. Il trouve ses méthodes, ses enseignants, ses manèges comme celui de Pellier. Il transmet des leçons de maintien, de séductions et de stratégies sociales à finalité matrimoniale. La reprise des demoiselles devient une école de civilité, d'élégance, de retenue, où l'on acquiert l'excellence corporelle, le maintien et la tenue gracieuse. Plaire à l'autre sexe doit motiver les femmes à cheval, ce qui réduit aux yeux des observateurs leur attention et leur apprentissage à quelques leçons. De surcroît, la nouvelle posture déséquilibrée, le vêtement long et ample, désavantagent l'amazone qui compense son handicap par la surenchère vestimentaire et l'ambition séductrice, parfois l'audace. Au cavalier, la position et le tact, voire l'énergie, à la cavalière, la grâce et l'habileté conciliables avec son sexe. Les manuels, l'enseignement, font ainsi oublier des siècles de fantasmes où chevaucher était aux yeux des hommes une traduction de la séduction, souvent de relations sexualisées peu licites et donc d'une inversion de l'autorité. La femme chevauchant entamait la puissance des mâles et la fiction romanesque y voyait, encore à l'âge classique, une connotation de provocation. La monte en amazone remet chacun à sa place et la différenciation des genres est ratifiée dans les rites mondains, la Promenade au bois de Boulogne, la fréquentation des hippodromes, les chasses à courre et les visites campagnardes. Les Traités sont là pour marquer la frontière identitaire, les femmes devant éviter de la franchir et monter, à la chasse, au manège, dans les courses comme des hommes. Ce que certains commencent à faire comme le signale pellier dès 1861, et le baron de Vaux, quarante ans plus tard.

      Fig. 11 – James Pradier (1790-1852), Amazone, 1852, fer. Paris, Cirque d'Hiver.
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      Fig. 11 – James Pradier (1790-1852), Amazone, 1852, fer. Paris, Cirque d'Hiver.

      George Sand en témoigne. Elle fait de l'équitation active et audacieuse, qu'elle a appris à la dure dès 1820 et après être sortie du couvent, elle était devenue quelque chose de plus téméraire qu'un hussard et de plus robuste qu'un paysan. Comme elle, sa fille, sera enseignée à califourchon. Toutes les deux pouvaient monter en amazone, mais leur choix amorce un mouvement de transgression, voire d'émancipation. Il se renferme d'abord dans le cirque où triomphent quelques écuyères audacieuses. Il est la raison de la défaite de l'étrange Madame Isabelle face à l'armée, dans des expériences de dressage qui se heurtent à l'identité aristocratique, guerrière et masculine, des officiers de cavalerie. Elle ne pouvait l'emporter sur les fonctions emblématiques du cheval, noblesse, pouvoir et virilité, ainsi de faire glisser la culture équestre vers la roture, le sport égalitaire, la féminisation. Pons d'Hostun et Ernest Molier montrent comment la pratique reste aux portes du monde, alors qu'elle commence à se banaliser. Après 1900, l'assimilation de la monte à califourchon avec les féministes n'est pas un compliment, mais elle souligne les revendications égalitaires croissantes comme leurs refus. Les pratiques d'équitation et le cheval sont depuis longtemps placées sur la frontière des genres, car les observateurs sociaux discernent dans l'hippomanie des filles une relation particulière avec le cheval et le signe d'une transgression. Elle est de l'ordre des sensations et des sensibilités, d'un symbolisme évident qui unit Éros et Hippos. La domination d'un animal puissant, incarnation du pouvoir et de la virilité comme du rang, l'inversion des hiérarchies jettent le troublent, mais principalement dans les consciences masculines. C'est cet imaginaire qui a certainement enfermé les cavalières dans la monte et l'habit d'amazone contrepoint de la psychologie sauvage et scabreuse admise chez les cavaliers, espace nouveau de la relation amoureuse dans la société de notables du XIXe siècles dont les maîtres écuyers s'offusquent.