PORTE IX. Forts et châteaux au Sultanat d’Oman. Oasis et ports sur la Route maritime de la Soie.
Avant-propos
Fig. 225 – La baie de Mutrah-la-blanche au pied d’un cercle de collines noires et la route en corniche qui mène au palais du Sultan. |
Entre 1984 et 1994, l’auteur accomplit en Oman une dizaine de missions, soit pour le compte de l’Unesco, soit pour celui du Ministère du patrimoine national et de la culture du sultanat . Cette Porte mérite un traitement spécifique, dont une histoire du pays, vue à travers ses bâtisseurs tant portugais qu’omanais. La reconnaissance des régions de tout un pays reste un fait exceptionnel dans la vie d’un consultant qui, dans ce cas, parcourut quelque 14 000 km en véhicule tout-terrain, avec chauffeur et guide enthousiastes. Suite à ces missions, l’Unesco inscrivit une série de sites culturels sur la Liste du Patrimoine mondial. De plus, l’auteur publia un ouvrage de photographie qui se veut un apport à l’histoire illustrée de cettte partie de l’Arabie, mais aussi un inventaire qui sensibilise le peuple omanais comme les visiteurs étrangers au respect des vestiges archéologiques et historiques.
Introduction
Fig. 227 – Le Wadi Beni Khalid et ses plans d’eau offrant de surprenants paysages dans un cadre de hautes montagnes. |
Depuis plus de quatre millénaires, l’Oman participe aux échanges culturels et commerciaux, d’abord entre les rives du Golfe, puis entre les mondes de l’Est et de l’Ouest, grâce à ses navigateurs intrépides, mais aussi à ses pêcheurs, artisans, marchands, savants et bâtisseurs. Si le pays recèle un riche patrimoine archéologique et architectural dont beaucoup d’édifices en terre crue, il le doit à sa situation exceptionnelle sur l’une des plus anciennes voies commerciales du monde : la Route maritime de la Soie. De nombreux sites historiques connurent des périodes de grande prospérité. Voici cinq mille ans dans le pays de Magan, le cuivre était extrait, puis envoyé au pays de Sumer ; subsistent les nécropoles bien conservées de Bat, d’al-Khutm et d’al-Ayn . Au début de notre ère, les ports du Dhofar se livraient au commerce de l’encens. Plus tard, ceux de Zafar et de Qalhat entretenaient d’étroites relations avec les rois d’Ormuz. Au XIVème siècle, les chevaux, le cuivre et les dattes quittaient Sohar pour la Chine (167). A l’intérieur de l’Oman, les châteaux et les forts, dont le bois de charpente, le précieux tek, provenait des Indes, érigés aux carrefours oasiens, témoignent de multiples influences, ici africaines, là persanes.
Depuis 629, ce patrimoine architectural porte la trace de l’Islam et des mosquées caractéristiques de cette région d’Arabie. Un héritage culturel principalement dû à l’implication millénaire de l’Oman dans la mise en œuvre et l’entretien de la Route maritime de la Soie, l’un des itinéraires tracés au départ par les marchands, empruntés par la suite par les missionnaires et les pèlerins (169).
« De mémoire d’hommes, les Routes de la Soie furent pendant longtemps cette grande artère aux centaines d’artérioles, unissant les deux mondes de l’Est et de l’Ouest. Au milieu du XXème siècle, de savantes études ont démontré le rôle fondamental des carrefours oasiens, qui plus que ce boulevard transversal, raccordaient le Nord et le Sud, rapprochant par vagues intermittentes nomades et citadins, pasteurs et agriculteurs. Il nous appartient aujourd’hui, sur terre comme sur mer, grâce à l’Unesco, de fixer un destin nouveau à ce quadrillage, en équilibrant trames et chaînes, chacun rendant un peu de richesses qui lui furent jadis données, réalisant ainsi un vieux rêve de paix. » Vadime Elisséeff (171).
Fig. 228 – La Grande mosquée de Nizwa – capitale de l’Oman intérieur – vue depuis les toits en terrasse de son fort. |
Aux routes terrestres et maritimes, il faut dorénavant ajouter les voies aériennes ; la Route de la Soie passe aujourd’hui par le ciel, faisant fi des frontières naturelles comme des distances intercontinentales. La péninsule reste une plaque tournante entre l’Est et l’Ouest ; les compagnies d’aviation toujours en développement se substituent aux équipages navals et caravaniers. Elles transportent cette nouvelle vague de nomades, les voyageurs du ciel qui d’aéroport en aéroport – les actuelles portes d’entrée de nos villes capitales –, rapprochent les enceintes historiques que le dialogue international rend désormais obsolètes. Oman, « citadelle des citadelles entre ciel et mer ».
Forts portugais et architecture militaire. Mirani et Jalali : les gardiens du Sultan.
Fig. 229 – Le palais et le fort portugais de Mascate. Arrivée des invités à la Fête nationale du 18 novembre 1990 dans les jardins du Sultan. |
C’est en 1498 que Vasco de Gama guidé selon la tradition par Ahmad ibn Majid, le grand maître omanais de la navigation, découvrit les Indes via le cap de Bonne-espérance. Huit ans plus tard, le commandant Alfonso de Albuquerque devait jeter l’ancre à Ras al-Hadd, au sud de Sour. L’histoire, celle de l’architecture entre autres, allait s’en ressentir pendant plus d’un siècle. L’importance stratégique que les marins portugais attribuaient aux ports de Socotra, d’Ormuz et de Mascate, se manifeste encore aujourd’hui. Les forts Mirani et Jalali qui gardent la baie de Mascate et le palais du Sultan, furent reconstruits vers 1586 par l’architecte milanais C.B. Cairate, pour renforcer les défenses naturelles du site dont les montagnes offraient une protection de l'intérieur. L’aspect actuel de ces forts résulte des transformations apportées par les Omanais après 1650 (172).
Fig. 230 – Gardant la baie de Mascate, le fort de Jalali – transformé en Musée de l’armement portugais – fut construit pour renforcer les défenses naturelles du site. |
L’architecture militaire du Portugal fut directement influencée par l’école de la Renaissance italienne. Antonio da Sangallo le Jeune, architecte spécialisé dans le domaine militaire qui réalisa le palais Farnèse à Rome, peut être considéré comme le créateur d’un nouveau système de défense, suscité par l’introduction de l’artillerie. Son système consistait en un arrangement de bastions et de constructions de plan polygonal. Mirani et Jalali furent en Oman les premiers forts utilisant la jeune technologie balistique, bien que leur architecture ait été avant tout dictée par le mouvement des rochers capricieux. Construits en pierres locales, ces forts se retrouvent sous d’autres formes dans l’Oman intérieur, mais alors édifiés pour la plupart en briques crues. Soulignons que le fort Jésus à Mombassa au Kenya (173) et celui d’Ormuz en Iran portent davantage la marque portugaise de la Renaissance italienne.
Le changement est perceptible dans le nouveau concept de tour, laquelle devient le point fort d’un système fondé sur la concentration d’un petit nombre de défenseurs. Autrefois, les tours se répartissaient aux angles des forts ou le long des remparts, comme en témoigne toujours la forteresse de Bahla dans l’Oman intérieur (174). La protection ne pouvait en être assurée que par la présence d’une importante garnison. Les nombreux canons en parfait état de conservation, visibles dans les forts du pays, sont frappés aux armes des souverains du Portugal et de l’Espagne. Le système de défense des Portugais s’appuyait alors sur la supériorité de leur artillerie aux mains d’un nombre limité de défenseurs, tandis que les Omanais basaient leur force sur la mobilité d’un grand nombre d’assaillants et sur l’effet de surprise. Lorsque les Portugais perdirent Ormuz en 1622, le port de Mascate prit toute son importance. Les fortifications furent consolidées en 1626 afin d’assurer la protection contre les Perses, lesquels étaient alors unis aux forces anglaises et hollandaises, mais aussi contre celles des soldats omanais dont la capitale était alors Rustaq. De cette époque datent les tours de guet érigées au sommet des pics stratégiques entourant Mascate. Les Portugais ne s’intéressant pas à l’intérieur des terres, le pays partiellement dépossédé de sa façade maritime, se replia vers la montagne.
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Oasis de l’Oman intérieur. Les grands bâtisseurs de la dynastie al-Ya’aribah.
Fig. 233 – La citadelle de Rustaq en cours de restauration. Dans le cadre d’accords de coopération, une équipe d’artisans marocains s’y active essentiellement la nuit durant la saison chaude. |
Située au pied du djebel Akhdar, Rustaq devint alors pour un temps la capitale de l’Oman (175). Nasir ibn Murshid, de la tribu al-Ya’aribah, élu imam en 1624, inaugura la dynastie du même nom qui pendant plus d’un siècle, présida aux destinées du pays. En 1650, son successeur parvint à chasser les Portugais de Mascate et de al-Khasab dans le Moussandam. Stratège avisé, il déploya une intense activité dans bien d’autres domaines ; les aflaj furent réparés, les palmeraies agrandies. De plus, il fit construire les premiers forts dont l’architecture reflétait les progrès réalisés en matière d’artillerie. Ses successeurs poursuivirent son action et leur pouvoir garantit une certaine sécurité.
C’est sous la dynastie al-Ya’aribah que l’Oman se hérissa de tours, d’enceintes, d’habitations fortifiées, de forts et de châteaux, pour la plupart remarquablement préservés (176). En attestent la citadelle de Rustaq, les forts de Nizwa et de Hazm, le château fort de Jabrine et plus modestement la résidence Na’man. L’évolution de la technologie balistique entraîna la réduction des gaz toxiques et l’allègement des canons ; la configuration des tours s’en trouva modifiée. Le bâtiment plus ou moins carré, se distinguera par la présence de deux tours rondes situées aux extrémités diamétralement opposées. Le plan se reflètera aussi dans l’architecture seigneuriale du XVIIIème siècle. Certains de ces forts réalisés en pierres locales, sont bien conservés et leur histoire davantage connue ; ce type de fort sera aussi édifié en briques crues et certains restaurés comme à Birkat al-Mawz.
C’est d’une renaissance politique et économique qu’il faut à juste titre parler. De nouvelles villes furent construites comme al-Hamra et Birkat al-Mawz au pied du djebel Akhdar, tandis que des villes plus anciennes telles Barka et Qurayat sur la côte ou Ibra dans la Ash-Sharqiyah connurent une nouvelle période de développement et de prospérité. Modèle du patrimoine vernaculaire, al-Hamra est d’une facture architecturale étonnament homogène (177). Les hautes bâtisses ocres, en briques de terre crue, sont rassemblées sur les premiers escarpements du djebel Akhdar. L’aménagement du aflaj a déterminé la rigoureuse conception du schéma urbain. A l’entrée de l’oasis, il se divise en deux chenaux qui enserrent les palmeraies et les terres cultivées. La défense du quartier ancien était assurée par des maisons-tours constituant une sorte de rempart. Quelle que soit l’importance de l’établissement humain – ville, oasis ou village –, la vie quotidienne s’organisait selon des constantes : le système d’irrigation déterminait la trame parcellaire et le regroupement par quartiers correspondait aux diverses sections des tribus. Chaque quartier possédait un certain nombre d’éléments fixes : le fort, la mosquée du Vendredi, l’école coranique, le sabla (178), le souk et les habitations.
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La construction faisait appel aux matériaux locaux prélevés sur le site ou à proximité (179). La brique crue était utilisée essentiellement dans les régions de plaine où la bonne pierre est rare, tandis que celle-ci dominait dans la montagne ou dans certaines villes côtières comme Mascate. Parmi d’autres matériaux, citons la brique cuite, présente à Sohar, le palmier utilisé sous toutes ses formes – l’architecture du barasti le long de la côte (180) – et la chaux, base de la fabrication des enduits et des mortiers.
Palais et châteaux fortifiés : Nizwa, Hazm, Jabrine.
Fig. 238 – L’énorme tour du fort de Nizwa (40 m de haut sur 50 m de diamètre) et ses toitures terrasses. |
L’introduction de grands et lourds canons nécessita la construction de tours circulaires suffisamment spacieuses pour abriter plusieurs de ceux-ci capables de tirer d’un point élevé et dans toutes les directions. L’énorme tour de Nizwa en est un exemple significatif, haute de 40 m et large de 50 m. Elle fut dressée vers 1650 par le sultan ibn Saïf al-Ya’Aribah, vainqueur des Portugais, pour contrôler l’oasis, carrefour entre la vallée de Sumail et les routes d’accès à l’intérieur de l’Oman. L’accès à la plate-forme supérieure, se fait par une étroite cage d’escalier zigzagant à l’intérieur du massif de terre de remplissage, garantissant de la sorte une solidité à toute épreuve. A chaque tournant, se trouve une porte que l’on pouvait défendre depuis la plate-forme en cas d’attaque. Sur la plate-forme même, le mur d’enceinte s’élève encore d’une dizaine de mètres pour ménager un chemin de ronde à l’abri des créneaux. L’alimentation en eau était assurée par un puits creusé dans le massif au-dessus de l’aflaj.
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Fig. 241 – Près de Nizwa, l’eau du très ancien aflaj Dariz, issue de la nappe phréatique du piémont, débouche à l’air libre, là où l’homme s’est établi. |
Inscrits en 2006 sur la Liste du Patrimoine mondial, ils représentent les quelque 3000 systèmes d’irrigation encore en activité en Oman. La construction la plus ancienne pourrait remonter aux environs de 500 apr. J.-C., mais des preuves archéologiques récentes suggèrent que les systèmes d’irrigation existaient dans la région dès 2500 av. J.-C. Ce système conduit par gravité l’eau des sources souterraines sur des kilomètres pour alimenter l’agriculture et les peuplements permanents. La gestion et le partage équitable et efficace de l’eau dans les villages et les villes sont toujours sous-tendus par des notions de dépendance mutuelle et de collectivité, et guidés par des observations astronomiques. De nombreuses tours de guet construites pour défendre les systèmes d’adduction d’eau, sont intégrées au site. Elles reflètent la dépendance des communautés aux aflaj. Menacé par la baisse du niveau des eaux souterraines, l’aflaj représente une forme d’occupation des sols exceptionnellement bien conservée.
Au nord-ouest de Mascate, la chaîne de montagnes s’écarte du littoral. Se forme alors la plaine de la Batinah, qui s’étend en arc de cercle sur trois cents kilomètres jusqu’à la frontière avec les Emirats (181). Irrigué par un ingénieux système mixte de puits et de canaux souterrains ou à l’air libre, un cordon continu de palmeraies, de jardins, de champs de luzerne et d’arbres fruitiers s’étire sur toute sa longueur. Les hommes se sont regroupés en larges oasis dans les sites où l’eau et les terres arables sont présentes. La concentration de la population sur chaque site dépend de la capacité à capter la nappe phréatique (182). Ces oasis vivent principalement de l’agriculture, de l’élevage de chèvres et de moutons. Le palmier dattier prime sur les autres cultures, la datte ayant été pendant longtemps le principal produit d’exportation du pays. Les plantes tinctoriales telles que l’indigo, le safran et la garance, ont disparu dans les années 1970.
Fig. 243 – Le fort al-Flaij et ses donjons installés aux angles diamétralement opposés. Un exemple de l’architecture fortifiée typiquement omanaise. |
Une série d’oasis grandes et petites espacées les unes des autres d’une vingtaine de kilomètres, ponctuent l’intérieur des terres, une grande plaine qui s’étend au sud-ouest des massifs du Hajjar. Proche de la très ancienne oasis de Bahla, se dresse le palais de Jabrine, témoin de multiples influences. Une pièce maîtresse de l’architecture omanaise du XVIIème siècle est sans nul doute, le palais de l’imam Bil’arub ibn Sultan al-Ya’aribah, édifié en 1675 et qui abrite aujourd’hui le tombeau de son constructeur. La disposition actuelle du monument résulte de l’adjonction, à la fin du XVIIème siècle, d’une aile entraînant ainsi la juxtaposition de deux cours. Le dispositif défensif qui comprend un noyau central et deux tours d’angle, vise avant tout à décourager l’agresseur. Les bastions se révèlent suffisamment massifs pour couvrir la campagne alentour ; les fenêtres du noyau central sont adéquatement défendues au premier niveau par une paire de meurtrières flanquant chaque ouverture. A l’intérieur, l’espace architectural évoque le style persan. La structure en arcs d’ogive, accentuée par des caissons décorés, les voûtes reliant les arcs, les sections sur trompe, la présence d’architraves caractéristiques, sont autant de rappels de l’élégante architecture safavide d’Ispahan. Destiné à être une demeure raffinée et paisible, le palais de Jabrine présente le plus bel ensemble de plafonds peints d’Oman. Ceux-ci sont constitués de poutres massives de tek brut provenant de l’Inde, mais aussi d’un bois appelé localement alaïm que l’on trouvait dans le djebel Akhdar.
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Telle salle présente des plafonds d’inspiration moghole, avec des motifs floraux et végétaux très fins, telle autre affiche sur des consoles des motifs floraux sculptés d’influence est-africaine. Des plafonds sont décorés par des sourates du Coran, d’autres présentent des motifs géométriques d’influence persane. La chambre de la Lune et du Soleil est l’une des plus caractéristiques : les murs sont agrémentés d’une suite de niches dont certaines munies de fenêtres et de volets en bois. Ce dispositif permet de doser la lumière tout en ventilant la pièce.
Au XVIIIème siècle, la tribu al-Harthi, originaire de Ash-Sharqiyah, joua un rôle déterminant. Sa région fut longtemps isolée de Mascate et du pouvoir central. L’accès direct à la mer par le port de Sour, assura à Ash-Sharqiyah une réelle autonomie dans ses échanges, avec entre autres, l’Afrique orientale (183). Parmi les cités oasis du désert : Ibra et al-Mudayrib – le village aux sept tours – qui portent encore les témoignages d’un riche passé architectural dont certains détails prouvent l’influence africaine. Les demeures de la ville basse d’Ibra , fermées par de lourdes portes sculptées, rappellent que la tribu al-Harthi appuyait aussi son pouvoir sur d’imposantes et luxueuses habitations fortifiées.
Mascate et la dynastie al-Said : un empire. L’âge d’or du Sultanat.
Fig. 248 – Mascate et son enceinte reconstruite, siège des ministères et de l’administration omanaise. |
Une guerre civile marqua la fin de la dynastie al-Ya’aribah. Ce fut le vainqueur de la bataille de Sohar, laquelle marqua l’expulsion des envahisseurs perses, qui fut élu imam en 1741. Il s’agit de Ahmad ibn Said, fondateur de la dynastie al-Said qui règne encore aujourd’hui. Pendant plus d’un siècle, le pays connaîtra une période de grande prospérité, l’âge d’or du Sultanat. En 1779, son successeur déplace la capitale de Rustaq vers Mascate, au centre du vaste empire d’Oman. Cet empire comprenait le port de Gwadar sur la côte de Mekran, les îles de Zanzibar et de Pemba sur la côte orientale de l’Afrique, des possessions territoriales autour de Mombassa au Kenya et de Dar es-Salaam en Tanzanie (ex-Tanganyika). Les anciennes familles de marchands omanais élevaient de luxueuses habitations dans la capitale ; c’était le temps où Mascate servait d’entrepôt pour tout l’océan Indien ; le désert et la mer s’y rencontraient. A cette époque, la plupart des familles possédaient à l’extérieur de la ville de grandes palmeraies sous le couvert desquelles ils construisirent des logements d’été en barasti. Elles s’y installaient pour la saison chaude et la récolte des dattes, vivant ainsi dans la fraîcheur de la palmeraie, à l’écart de la chaleur humide du bord de mer.
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« Principal entrepôt du royaume d’Ormuz, Mascate se présente comme une grande ville très animée. Il y a des vergers, des jardins, des palmeraies dont le système d’irrigation est composé de machines en bois. Le port est petit, de la forme d’un fer à cheval et abrité du vent. Le marché y est ancien et autorise le passage des chevaux comme des dattes. C’est une ville très élégante, les maisons ont belle allure, ravitaillées de l’intérieur en blé, millet, orge et dattes en attente de chargement sur les nombreux vaisseaux qui défilent dans son port », signale Alfonso de Albuquerque au début du XVIème siècle (184). En raison du climat, l’animation citadine est en grande partie nocturne. A ce sujet le Roi d’Ormuz déclare : « La coutume de notre pays est que les gens aillent par les rues et les souks du début de la nuit au lever de l’aurore » (185). Aujourd’hui, dans les grandes surfaces, on trouve du caneton danois, du steak de Nouvelle-Zélande, du gigot d’Australie, du saumon de Norvège, des œufs frais de Suède, des caramels Mackintosch, des bananes des Philippines et du chocolat Léo d’Herentals !
A l’exception de quelques demeures isolées comme les maisons Nadir et Fransa, siège des amitiés franco-omanaises, il ne subsiste que peu de choses de la ville d’antan. La Beit Nadir, restaurée dans les années 1970, possède un toit terrasse avec portique et arcades largement ouvertes vers la direction d’où souffle la brise de mer, rafraîchissante l’après-midi. Lieu idéal où logeait la famille durant la saison d’été. Mutrah, ville jumelle de Mascate, proche de l’actuel grand port Mina Qabous, permet encore de se rendre compte de ce qu’était l’un de ces ports, enserré entre le cercle des collines et la baie dominée par son fort et ses tours de guet. Au centre de la corniche, subsiste ce qu’on appelle le Shur al-Luwatya, l’un des tout derniers ensembles cohérents d’habitations traditionnelles, protégées par un cordon de maisons contiguës dont les murs en partie aveugles font office d’enceinte (186). De part et d’autre de la porte d’entrée donnant sur la baie, s’alignent de hautes maisons blanches dont les balcons de bois protègent les façades des rayons ardents du soleil.
Au pays des mille et un forts. La préservation du patrimoine : un intérêt majeur.
Fig. 253 – La citadelle de Bahla, inscrite sur la Liste du Patrimoine mondial : une construction spectaculaire en briques crues dressées sur de solides assises de pierre. |
Enceintes, tours, donjons, bastions, citadelles, caravansérails, places fortes, forteresses, maisons-tours, châteaux, forts, palais, autant d’appellations pour exprimer la variété des monuments et des sites d’Oman. Construits en terrain plat ou accidenté, dans une oasis ou le long de la côte, ces témoins du passé ont autant d’importance par leur forme architecturale que par leur signification dans l’histoire des hommes. Ici, des tours circulaires, perchées sur des pitons, gardent la vallée de Sumail. Là, des bâtisses quadrangulaires, forts, châteaux ou palais, s’accrochent au sol, tels Hazm et Jabrine, les plus célèbres, mais aussi, Ibri-Ainaïm, al-Falaj, al-Masanaa et Birkat al-Mawz. Ici, le fort s’adapte au terrain, tirant le meilleur parti de la topographie, telle la citadelle longiligne de Nakhl ou celle polygonale de Bahla. Là, il couronne les pitons ou les éperons les plus abrupts comme à Hawrah Bargha. Parfois, le château se glisse parmi les palmiers dattiers et les habitations clairsemées d’une oasis fortifiée, comme à Andam ou a Ibri. Parfois aussi, il se dresse au centre d’un réseau dense de maisons à étages et de ruelles étroites, comme à Manah. Dès le début des années 1970, le ministère de l’Information, puis celui du patrimoine national et de la culture se sont engagés dans une politique ambitieuse de restauration des forts les plus représentatifs de l'histoire du pays (187). Par ailleurs, l’oasis de Bahla et son fort sont inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial, de même que les sites archéologiques de Bat, al-Ayn et al-Khutm, s’ajoutant au nombre des biens culturels et naturels de caractère exceptionnel (188). Une entreprise de longue haleine qui vise à proposer au public de tous horizons un large éventail du riche passé architectural du pays. Oman serait-il le pays des mille et un forts ? Le long des trois cents kilomètres du golfe d’Oman, au détroit d’Ormuz, dans le Dhofar, dans les oasis de l’intérieur, ils se présentent partout où la concentration d’une communauté nécessitait la défense d’un village, d’une ville ou d’un port. Qu’ils soient l’expression d’une société archaïque ou celle d’une société évoluée, chacun d’eux est l’œuvre et la fierté des communautés passées, présentes et à venir, qui méritent toute l’attention du peuple omanais comme celle des visiteurs (189). Ils restent les témoignages de l’histoire de la péninsule Arabique, comme de l’Arabie, entre sable et mer.
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Des éléments du paysage omanais font également l’objet des plus grands soins : outre les systèmes d’irrigation et les aqueducs, citons les réserves naturelles comme l’oued Sahtan et ses gravures rupestres – cavaliers, chameaux, lions, singes –, dans la montagne Verte, le site de Qurum, sa forêt de mangroves et ses marécages, proches de la capitale, la région des dunes Wahiba, le sanctuaire des oiseaux à Khor Rori. Les efforts du gouvernement portent aussi sur la protection des gazelles, des oryx blancs, des tortues de mer et de cette espèce unique au monde, le thar arabe, de la famille des ovinés. Le patrimoine culturel tout entier est remis à l’honneur ; on procède ainsi à la fidèle reconstruction des boutres dans les ateliers de Sour ; les activités artisanales comme la production de l’encens, la poterie, l’orfèvrerie et l’ébénisterie sont encouragées. Le ministère du Patrimoine national et de la Culture se charge d’acquérir et de conserver des documents anciens et des manuscrits, dont près de 30 000 se trouveraient encore dans les collections particulières.
Fig. 257 – Les arbres à encens dans le Dhofar : une culture encouragée pour la fabrication du parfum national Amouage de renommée internationale. |
D’autre part, dans les 1750 écoles du pays, les élèves apprennent dès le plus jeune âge à respecter les abeilles comme les arbres, pour encore savourer le miel et l’ombre. Dans la capitale, plusieurs musées ont été aménagés : le musée de Qurum, le musée des Arts et des Traditions, le musée d’Histoire naturelle, le musée de l’armée dans le fort de Beit al-Falaj récemment restauré. Un Centre de recherches des sciences maritimes et de la pêche a été inauguré près de Mascate. Sur la Liste du Patrimoine immatériel de l’Humanité, figure tout récemment l’événement al-Bar’ah : les musiques et danses des vallées du Dhofar. Fait rarissime, le sanctuaire de l’Oryx, inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial en 1994, en a été retiré en 2007, suite aux nouvelles exploitations pétrolières dans la Réserve naturelle.
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