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Reporticle : 171 Version : 1 Rédaction : 07/04/2016 Publication : 12/04/2016

Introduction

Les textes sont issus du catalogue « Sarcophages. Sous les étoiles de Nout », Editions Racine, Bruxelles, 2015 publié à l’occasion de l’exposition éponyme – Musée royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, 2015-2016.

La préhistoire et l’Ancien Empire. Premiers cercueils. - Dirk Huyge

Interview de Luc Delvaux, Commissaire de l'exposition.

Depuis les temps les plus anciens, les hommes ont enterré leurs semblables, sans que ce phénomène soit nécessairement lié à des questions de religion ou de croyance dans l’Au-delà. L’Égypte ne fait pas exception. Les plus anciennes inhumations humaines retrouvées dans le pays du Nil, qui plus est par une expédition archéologique belge, datent d’il y a environ 70.000 et 40.000 ans. La trouvaille la plus ancienne concerne le squelette de Taramsa, un enfant anatomiquement moderne (Homo sapiens), découvert en 1994 dans les environs de Dendera. Le squelette de Nazlet Khater, un jeune homme adulte cette fois, est une découverte plus ancienne (1980) et il est plus jeune d’environ 30.000 ans. Il provient de la région d’Assiout. Les deux inhumations se présentaient sous forme de simples fosses. Quelques outils en silex retrouvés dans les environs immédiats des squelettes pourraient avoir été des offrandes funéraires, mais outre ces éléments, il semble qu’on n’ait pas accordé une attention particulière aux défunts à cette époque.

Ce type d’inhumation « paléolithique » rudimentaire, où les défunts étaient posés assis ou couchés dans une fosse creusée à même le sol, pourvus ou non d’objets utilitaires destinés à l’éternité, va rester la norme pendant des dizaines de milliers d’années, jusqu’au néolithique (environ du 9e au 5e millénaire av. J.-C). Ce n’est que durant l’époque prédynastique, à partir d’environ 4500 av. J.-C. qui aboutit à l’époque historique (la période dynastique ou pharaonique) vers 3100 av. J.-C., que les Égyptiens vont entourer leurs morts de soins constants et investir substantiellement dans l’aménagement d’une demeure confortable pour l’Au-delà.

Interview de Isabella Rosati, Restauratrice aux MrAH

Bien que les formes « classiques » de momification, comprenant l’éviscération et la conservation des organes à part, ne fassent leur apparition qu’à l’Ancien Empire, à partir d’environ 2700 av. J.-C., et initialement exclusivement dans les milieux royaux, des essais avaient déjà été entrepris à l’époque prédynastique dans le but d’empêcher la désintégration du corps après la mort. Les mesures prises concernaient l’emballage du corps (ou de certaines parties du corps séparément) dans des peaux d’animaux, des nattes de roseau ou des étoffes de lin (parfois imprégnées de résine) afin de le protéger de son environnement. Dès environ 3500 av. J.-C., à la période dite de « Nagada II », peut-être même un peu avant, certaines tombes disposent de caveaux aux parois bordées de planches de bois. Il se peut que cette nouveauté ait amené les anciens Égyptiens à munir leurs morts d’un cercueil ou d’un sarcophage individuel. Une autre « invention » funéraire prédynastique, dont l’usage perdurera pendant des milliers d’années et culmine sur le plan qualitatif avec le célèbre exemplaire en or massif du pharaon Toutankhamon, est celle du masque funéraire. Les plus anciens exemples, remontant à environ 3600 av. J.-C., sont en terre cuite et furent retrouvés sur le site de Hiérakonpolis. Bien qu’ils n’aient pas été découverts in situ mais dans des tombes perturbées, il y a peu de doutes quant au fait qu’ils aient couvert à l’origine le visage d’un défunt.

Fig. 1 – Masque funéraire en céramique de la tombe 16 du cimetière HK6 à Hiérakonpolis, Epoque prédynastique (période NagadaII ; vers 3600 av. J.–C.), Hauteur 25cm (d’après Adams 2002, fig, 4b–c).
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Fig. 1 – Masque funéraire en céramique de la tombe 16 du cimetière HK6 à Hiérakonpolis.

Les dizaines de milliers de tombes prédynastiques découvertes en Égypte attestent d’une grande diversité de formes et de contenus, étroitement liée à un phénomène de stratification sociale croissante et à l’existence d’un fossé de plus en plus profond entre riches et pauvres. Les cimetières de la classe populaire sont parfois séparés de ceux de l’élite, comme dans les grands centres de pouvoir prédynastiques tels qu’Abydos, Hiérakonpolis et Nagada. Il arrive cependant que de simples fosses ovales ou rectangulaires avoisinent des tombes riches dont les murs sont enduits de limon et équipés d’une couverture en bois. Les vrais tombes de l’élite vont d’ailleurs devenir de plus en plus fréquemment en briques crues : il s’agit de constructions souterraines. Un des plus anciens exemples est la célèbre « Tombe 100 » à Hiérakonpolis qui date d’environ 3500 av. J.-C. et est décorée par ailleurs d’élégantes peintures murales figurant des bateaux, des animaux et des figures humaines. L’architecture de ces tombes prédynastiques, parfois munies de compartiments séparés pour les offrandes funéraires, préfigure déjà les somptueux mastabas qu’édifiera, près d’un millénaire plus tard, l’élite égyptienne à l’ombre des pyramides royales.

Fig. 2 – Inhumation en cercueil de terre cuite dans la tombe H92 du cimetière d’El Mahasna, Epoque prédynastique (période Nagada III ; vers 3200 – 3100 av.J.–C.) (d’après Ayrton & Loat 1911, pl VII, 38).
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Fig. 2 – Inhumation en cercueil de terre cuite dans la tombe H92 du cimetière d’El Mahasna.

Quant aux récipients ou conteneurs destinés au corps du défunt, à l’époque prédynastique les enfants étaient souvent inhumés dans de grandes poteries, les adultes parfois seulement. C’est ce qu’on appelle les pot-burials. Les premiers vrais cercueils conçus à la mesure d’un corps d’adulte (bien qu’il soit encore placé au début en position fœtale ou les genoux repliés) n’apparaissent qu’à la fin du 4e millénaire av. J.-C. durant la période dite « Nagada III » (vers 3200-3000 av. J.-C.). Les versions les moins coûteuses en sont peut-être de simples coffres rectangulaires en argile séchée et des paniers de même type avec couvercle en vannerie, les basket coffins ; les cercueils ovales ou rectangulaires en terre cuite, comme l’exemplaire de la nécropole prédynastique d’El Mahasna reproduit ici, sont beaucoup moins fréquents. Mais, les contenants en bois, même si on ne faisait usage que de bois indigènes tels que l’acacia ou le sycomore, n’étaient accessibles qu’à une minorité, le matériau étant tout simplement trop rare et trop coûteux.

Fig. 3 – Cercueil en bois en forme de maison de roseaux de la tombe 532 du cimetière de Tarkhan, Epoque protodynastique ou début de l’Ancien Empire (2e ou 3e dynastie ; vers 2800 – 2700 av. J.-C.), Conservé au Musée du Caire (d’après Petrie, Wainwright & Gardiner 1013, pl. XXVIII)
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Fig. 3 – Cercueil en bois en forme de maison de roseaux de la tombe 532 du cimetière de Tarkhan.

Les grandes nécropoles qui apparaissent au début de l’époque historique, à l’époque protodynastique (1e et 2e dynasties av. J.-C. ; vers 3100-2700 av. J.-C.) dans la périphérie des zones urbanisées, témoignent d’une énorme diversité dans les coutumes d’inhumation. Le meilleur exemple en est le cimetière de Tarkhan, un site archéologique situé dans le Fayoum, en Égypte, à environ 60 kilomètres au sud du Caire. Plus de 2000 tombes y ont été dégagées en 1911-1913 par des archéologues britanniques. La majorité d’entre elles datent de la fin du prédynastique (la période Nagada III) jusqu’à la fin de la 1e dynastie (vers 3100-2925 av. J.-C.). Les fosses ovales ou rectangulaires sont parfois munies d’un simple cercueil en roseau, en vannerie ou en bois. Dans des tombes plus riches quelque peu postérieures (2e ou 3e dynastie ; vers 2925-2625 av. J.-C.), on rencontre également d’ingénieux cercueils en bois, dont les parois présentent des panneaux et qui disposent d’un couvercle voûté. Leur apparence reflète la manière dont les maisons en roseaux des vivants étaient construites et se réfère en même temps au sanctuaire per nou, la chapelle divine mythique et modèle de la Basse Égypte. De beaux exemples de tels cercueils, qui existaient aussi bien en version courte que longue (pour des inhumations respectivement en position fœtale ou étendue) sont conservés dans plusieurs musées. Les exemplaires de Tarkhan que les Musées royaux d’Art et d’Histoire ont acquis suite aux fouilles et qui sont présentés dans l’exposition Sarcophagi sont cependant d’un type nettement plus simple.

Des nécropoles étendues comme celle de Tarkhan restèrent en usage pendant longtemps. Elles contiennent aussi, outre des tombes de périodes postérieures (du Moyen Empire à l’époque ptolémaïque et romaine) des inhumations de l’Ancien Empire (3e à 8e dynastie ; vers 2625-2160 av. J.-C.) et de la Première Période Intermédiaire (9e à 10e dynastie ; vers 2160-2040 av. J.-C.). Tandis que les rois et l’élite de cette époque se faisaient enterrer dans de somptueux tombeaux, pyramides, mastabas et hypogées et s’offraient parfois un sarcophage en pierre dont le poids se compte en tonnes en guise de cercueil extérieur, les usages funéraires des petites gens évoluèrent peu. La plupart des tombes se réduisent à une fosse ou un simple puits creusés dans le sol, dont le fond était parfois prolongé latéralement par un caveau. Qui en avait les moyens, se faisait fabriquer un cercueil rectangulaire en bois, dont les planches étaient assemblées par des menuisiers chevronnés qui, grâce à des tenons en bois et d’astucieux systèmes d’assemblage pour les angles, réalisaient une pièce solide et résistante. Exceptionnellement, il était muni sur la paroi latérale d’inscriptions hiéroglyphiques, de courtes formules d’offrandes ou d’une décoration peinte, telle qu’une paire d’yeux d’Horus (yeux oudjat) qui devaient permettre au défunt, désormais le plus souvent étendu sur le flanc, de regarder vers l’extérieur et de prendre contact avec le monde des vivants. En ce qui concerne leur construction et leur forme, ces cercueils ne se différencient pas de manière significative de ceux qui seront caractéristiques du Moyen Empire (11e à 14e dynastie ; vers 2160-1633 av. J.-C.). En ce qui concerne l’opulence de leur décoration par contre, on peut difficilement s’imaginer plus grand contraste.

Le Moyen Empire. L’expansion des décors. - Luc Delvaux

Fig. 4 – Hiéroglyphe du vautour, détail du cercueil de Ma, Inv.E.5037.
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Fig. 4 – Hiéroglyphe du vautour, détail du cercueil de Ma, Inv.E.5037.

Les cercueils quadrangulaires du Moyen Empire sont généralement constitués d’un assemblage de pièces de bois d’assez piètre qualité, souvent du sycomore, réunies par des chevilles, des cordes végétales ou des liens de cuir. Les imperfections de l’assemblage peuvent être comblées par des réfections en stuc peint, ou masquées par de minces placages de bois de meilleure qualité. En général, quatre barres transversales servant de pieds permettent d’améliorer la cohésion de l’ensemble. Les couvercles sont généralement plats, mais ils peuvent aussi être voûtés et munis d’une plaque verticale rectangulaire à chaque extrémité. L’ensemble du cercueil adopte alors la forme d’un sanctuaire archaïque à toit bombé, que les anciens Egyptiens appelaient le Per-Nou. Les classes sociales supérieures avaient accès à des bois de luxe, souvent importés, comme le cèdre qui avait en outre l’avantage de bien résister aux assauts des termites. Quant aux sarcophages en pierre, ils sont réservés aux sphères supérieures de l’élite dirigeante, et aux membres de la cour royale.

Fig. 5 – Une des premières photographies d’une « frise d’objets » et des « Textes des Sarcophages ». Cercueil de Horhotep, Musée du Caire CGC 28023 (d’après Maspero 1885).
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Fig. 5 – Une des premières photographies d’une « frise d’objets » et des « Textes des Sarcophages ».

A la fin de l’Ancien Empire, sous la 6e dynastie (vers 2460-2200 avant notre ère), apparaît sur les cercueils un nouveau type de décor qui restera en usage durant tout le Moyen Empire. Dès cette époque, des formules d’offrandes courent en haut des longs côtés des cercueils, ainsi qu’au centre de leur couvercle, et une paire d’yeux est peinte à l’extrémité d’une des faces. Au Moyen Empire, ce schéma fondamental revêt une importance cruciale pour la survie du défunt. En effet, dans son cercueil, celui-ci est couché sur le côté gauche, son visage à hauteur de la paire d’yeux, afin qu’il puisse assister aux rituels funéraires et à l’apport des offrandes dans la chapelle de sa tombe. Mais la tête du défunt doit aussi être orientée vers l’Est, afin qu’il puisse assister, chaque matin, au lever du soleil, comme l’exprime clairement un petit texte inscrit au-dessus des yeux sur le cercueil de Sebekâa, au Musée de Berlin : « Ouvert est le visage de ce Sebekâa, afin qu’il puisse voir le Maître de l’Horizon quand il navigue au ciel… » (1). Quant aux inscriptions des longs côtés, elles se répartissent de manière standardisée, même si de nombreuses variantes sont possibles. A l’Est, du côté où, selon l’orientation traditionnelle, se trouve la chapelle de culte, la formule s’adresse à Osiris, dieu des morts, pour lui demander des offrandes alimentaires pour le défunt ; à l’ouest, conventionnellement associé à l’Au-delà, c’est à Anubis, le dieu embaumeur, qu’est demandé un « bel enterrement ». A la tête et aux pieds sont invoquées Isis et Nephthys, les sœurs d’Osiris qui, en rassemblant les membres épars du dieu assassiné, ont permis sa renaissance.

Fig. 6 – Cercueil, Inv. E. 3035.
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Fig. 6 – Cercueil, Inv. E. 3035.

Au cours du Moyen Empire, ce schéma fondamental va sans cesse s’enrichir. D’abord, aux lignes d’inscriptions des côtés s’ajoutent des colonnes de textes, en nombre croissant au fil du temps, qui qualifient le défunt de « bienheureux » (imakhou) auprès d’une série de divinités associées au mythe osirien : Isis, Nephthys, Neith et Selkis, les gardiennes des vases canopes dans lesquels sont conservés les viscères du mort, ainsi que les quatre fils d’Horus qui leur sont associés, Chou et Tefnout, personnifications de l’air et de l’humidité, leurs enfants Geb et Nout, représentant la terre et le ciel, ou encore la Grande et la Petite Ennéade, des assemblées de neuf dieux primordiaux. Ainsi, dans son cercueil, le défunt est protégé par un catalogue de divinités bienveillantes qui lui garantiront l’accès à l’Au-delà. Il est probable que la répartition de ces inscriptions reflète les phases des rituels mortuaires qui se jouaient autour des cercueils, et que les textes, qui commencent fréquemment par les mots « Paroles dites par… », rappellent les paroles prononcées, au jour de l’enterrement, par les prêtres funéraires. Autre évolution, sous la paire d’yeux du côté Est apparaît rapidement un motif en forme de « fausse porte », lieu de passage magique entre le monde des vivants et l’Au-delà qui permet au défunt de regarder au dehors, et aux offrandes de lui parvenir à l’intérieur de son cercueil. Ce motif de la fausse-porte se démultiplie au cours du temps et finit, à la fin de la 12e dynastie, par envahir tous les espaces délimités par les petites colonnes d’inscriptions.

Mais l’innovation la plus importante du Moyen Empire est l’apparition de décors à l’intérieur des cercueils, signe de l’importance magique croissante de ces surfaces internes, lisibles et utilisables par le défunt. Dès la fin de la Première Période Intermédiaire (vers 2200-2050 avant notre ère), de longs textes religieux, écrits en colonnes de hiéroglyphes semi-cursifs, font leur apparition sur les parois interne. Dérivés des « Textes des Pyramides » qui couvraient les parois des tombes des rois de la fin de l’Ancien Empire, divisés comme eux en « chapitres », ils constituent un nouveau corpus de textes funéraires, conventionnellement appelé par les égyptologues « Textes des Sarcophages ». Grâce à ce recueil, les mécanismes de la survie et de l’assimilation aux dieux qui, à l’Ancien Empire, étaient l’apanage du roi, tendent à se répandre. Cette « démocratisation » de l’accès à l’Au-delà doit cependant être relativisée ; en effet, même au sein de l’élite dirigeante, le nombre de cercueils qui portent des chapitres de ces Textes des Sarcophages reste très minoritaire (2). Ces textes adoptent la forme d’incantations à prononcer en faveur des défunts qu’ils protègent contre les dangers de l’autre monde, et auxquels ils promettent de s’identifier aux dieux. Ils sont rarement accompagnés d’illustrations, excepté un groupe de chapitres qui décrit la topographie de l’Au-delà, et qui sont rassemblés sous l’appellation de « Livre des Deux Chemins ». Afin que le défunt ait une vision concrète de cette géographie, une carte en est dessinée sur le fond de certains cercueils, principalement ceux d’El-Bercha en Moyenne Egypte. L’intérieur du couvercle peut aussi s’orner de représentations astronomiques montrant les étoiles et les constellations, au sein desquelles la déesse Nout, qui avale le soleil le soir et le remet au monde chaque matin, soulève le ciel. Ainsi, progressivement, le cercueil devient une sorte de microcosme de l’univers au centre duquel repose, entre le ciel et le monde inférieur, le défunt qui a sous les yeux le recueil religieux indispensable à sa survie.

Le décor intérieur des cercueils s’enrichit également de ce que l’on appelle les « frises d’objets ». Il s’agit d’un véritable catalogue illustré de tous les objets qui sont nécessaires au mort dans son voyage vers l’Au-delà : vêtements, bijoux, outils et armes, amulettes, et même insignes royaux, ces derniers promettant au défunt de renaître comme Osiris, souverain du monde inférieur. Au sein de ces listes figurées, de plus en plus développées au fil du Moyen Empire, certains objets sont positionnés en fonction du défunt : les chevets sont représentés du côté de la tête, les sandales à proximité des pieds, les miroirs et les bijoux près du haut du corps, ou les armes à côté des bras.

De très nombreux cercueils du Moyen Empire sont conservés et on a pu les répartir en plusieurs styles régionaux. Ainsi, les cercueils provenant des nécropoles de Memphis, Beni Hassan, Meir ou El-Bercha montrent des décors intérieurs très développés, comprenant des Textes des Sarcophages, des frises d’objets, et même, près de la tête du défunt, une fausse-porte, une table d’offrandes, voire même des images de greniers qui lui permettront de s’alimenter éternellement. A l’inverse, à Assiout, Thèbes ou Gebelein, ces décors sont concentrés sur les faces externes des cercueils, incluant même des représentations des défunts prenant part au repas funéraire. A Assiout, les traditionnelles formules d’offrandes des longs côtés se répartissent sur deux lignes au lieu d’une, et les colonnes y vont aussi souvent par paires. En outre, on y rencontre des images des quatre fils d’Horus, protecteurs des viscères, accroupis dans les angles des petits côtés ; il s’agit là des plus anciennes représentations de divinités attestées sur des cercueils égyptiens (3).

C’est au Moyen Empire, à la 11e dynastie, qu’apparaissent les premiers cercueils de forme humaine. Manifestement, les plus anciens cercueils anthropomorphes ou momiformes sont en quelque sorte des prolongements, sur l’ensemble du corps, du masque en cartonnage qui pérennise le visage du défunt. Ils sont d’ailleurs peints en blanc, comme des momies enveloppées de bandelettes de lin, et leur apparence doit affirmer l’assimilation du défunt à Osiris. De tels cercueils sont de plus en plus utilisés au cours de la 12e dynastie, mais ils sont toujours placés à l’intérieur de cercueils quadrangulaires dont ils ne s’émancipent pas. Ils visent à montrer le défunt sous l’apparence du sah, le mort transfiguré ayant eu accès à l’Au-delà, avec ses attributs essentiels que sont la perruque divine et le grand collier qui couvre tout le haut du torse.

Ainsi, si le cercueil rectangulaire devient progressivement, par le développement de sa décoration intérieure, une image de l’univers, le cercueil momiforme représente le défunt ayant accédé à l’immortalité.

Le Nouvel Empire. Terre cuite, bois et pierre. - Luc Delvaux

Fig. 7 – Partie supérieure d’un couvercle de cercueil, Inv. E.6754, détail du visage.
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Fig. 7 – Partie supérieure d’un couvercle de cercueil, Inv. E.6754, détail du visage.

Par rapport aux centaines de cercueils que nous connaissons pour le Moyen Empire, une période pourtant brève au regard de la durée de l’histoire égyptienne, ceux du Nouvel Empire sont relativement rares, voire presque inexistants à certaines époques, comme la première partie de la 20e dynastie. L’explication de ce phénomène réside probablement dans l’origine géographique des cercueils. En effet, pour le Moyen Empire, ceux-ci ont été mis au jour dans de nombreuses nécropoles, réparties dans toute l’Egypte, chaque province s’affirmant comme un centre autonome de production, avec ses spécificités locales. En revanche, la grande majorité des cercueils du Nouvel Empire que nous connaissons provient de la nécropole thébaine qui, à la fin de cette époque et à la Troisième Période Intermédiaire, semble avoir fait l’objet d’une vaste entreprise de recyclage de matériaux (bois, métaux précieux, etc.) afin de satisfaire la demande en cercueils pendant une ère de grave crise économique. Le destin des quelques sarcophages de pierre monumentaux connus pour le Nouvel Empire illustre parfaitement ce phénomène. Produits à Thèbes à destination des pharaons ou des plus hauts dignitaires de l’Etat, à la fin de la 18e dynastie et au début de l’époque ramesside, ils ont été, plus tard, réutilisés dans toute l’Egypte, jusque dans le Delta du Nil.

Fig. 8 – Le cercueil en terre cuite de Men, Inv. E.4348, lors de sa découverte (d’après Petrie 1906, pl. XV).
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Fig. 8 – Le cercueil en terre cuite de Men, Inv. E.4348, lors de sa découverte (d’après Petrie 1906, pl. XV).

Si, pendant la première partie de la Deuxième Période Intermédiaire, les types de cercueils traditionnels du Moyen Empire restent en usage, c’est à la fin de cette époque, dans la région thébaine, que les cercueils vont connaître une évolution cruciale. En effet, les rois thébains de la 17e dynastie, indépendants des rois Hyksôs qui règnent au Nord, se font enterrer dans des cercueils de forme humaine dont tout le corps est entouré d’un motif d’ailes qui se replient autour du couvercle, comme pour protéger le défunt. Ce nouveau type de cercueil, conventionnellement appelé « richi » (d’après le terme arabe signifiant « emplumé ») a probablement une double signification. D’une part, il montre le défunt en train de renaître comme Osiris, bénéficiant de l’action des déesses ailées Isis et Nephthys, et, d’autre part, il représente le ba du mort, la composante de sa personnalité posthume qui est capable de voyager du monde des morts à celui des vivants, et qui est traditionnellement conçu comme un oiseau à tête humaine. Si, à l’origine, les cercueils « richi » sont l’apanage des rois, ils se répandent rapidement au sein de la classe dirigeante qui s’en approprie toutes les caractéristiques, y compris les attributs royaux comme le némès, l’habituelle coiffe en tissu plissé des pharaons. Progressivement, on voit apparaître sur la surface de ces cercueils des bandes longitudinales et transversales d’inscriptions qui évoquent la structure des bandelettes de la momie. Des yeux oudjat sont toujours peints sur les côtés des cercueils, une survivance du Moyen Empire devenue purement symbolique puisque le défunt, à partir de cette époque, est couché sur le dos et plus sur son côté gauche. En revanche, contrairement à l’usage du Moyen Empire, les cercueils momiformes s’émancipent totalement des cuves rectangulaires dans lesquelles, autrefois, ils étaient systématiquement placés. Dorénavant, si les cercueils quadrangulaires ne disparaissent pas, ils deviennent marginaux et, au Nouvel Empire, ils ne sont plus employés que dans le cas de sépultures luxueuses qui font appel à une structure complexe de cercueils emboîtés les uns dans les autres, un usage qui reste réservé aux plus hauts dignitaires de l’Etat et aux proches de la famille royale.

Fig. 9 – Masque de momie, Inv E.6884.
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Fig. 9 – Masque de momie, Inv E.6884.

Au début de la 18e dynastie, parallèlement aux cercueils « emplumés », apparaissent des cercueils complètement peints en blanc, comme des momies, avec bandes d’inscriptions entrecroisées limitant des panneaux où sont peintes des scènes du rituel funéraire ou des apports d’offrandes. Ces lignes et colonnes d’inscriptions contiennent des discours prononcés par des divinités protectrices qui, à partir du règne de Thoutmosis Ier, sont même représentés sur les cuves : les quatre fils d’Horus, Anubis, Thot, Isis et Nephthys. Dès cette époque, Nout, déesse du ciel qui plane au-dessus du défunt, occupe une position centrale sur le couvercle, sous la forme d’une déesse vautour ailée au début du Nouvel Empire puis, à partir du règne d’Amenhotep III, sous celle d’une déesse à tête humaine agenouillée et toujours pourvue d’ailes. Les cercueils momiformes devenus autonomes, leur forme générale connaît également une importante évolution : la cuve s’approfondit, ses parois deviennent verticales, aptes à recevoir des décors de plus en plus riches, le fond devient plane et le couvercle a tendance à s’aplatir.

Les derniers dignitaires à utiliser des cercueils « richi » sont des contemporains de Thoutmosis III, mais ces décors à plumes resteront la norme pour les pharaons, comme le montrent les magnifiques cercueils emboités de Toutânkhamon, à la fin de la 18e dynastie. C’est également sous Thoutmosis III que des cercueils totalement peints en noir, couleur du limon fertile et symbole de renaissance, aux inscriptions et scènes peintes en jaune ou plaquées de feuilles d’or, remplacent les cercueils blancs. Ils restent en usage jusqu’au début de la 19e dynastie où ils sont progressivement remplacés par des cercueils à fond jaune. Ceux-ci semblent faire leur apparition à Deir el-Medineh, le village des ouvriers chargés de la décoration des tombes dans la nécropole thébaine. Sur un fond de stuc peint en jaune, les scènes se détachent en rouge, bleu pâle et bleu foncé. Il est souvent malaisé d’imaginer aujourd’hui l’aspect rutilant de tels cercueils ; en effet, leur décor était enduit d’un vernis clair, qui s’est assombri avec le temps, et a transformé les rouges en bruns et les bleus en verts ternes. Les fonds jaunes évoquent probablement la radiance solaire qui permet la renaissance du défunt, mais aussi l’or, la chair des dieux auxquels le mort est assimilé. Par ailleurs, le décor de ces cercueils s’enrichit d’images du défunt en adoration devant des divinités et d’autres scènes inspirées de la peinture des tombes dont ils deviennent progressivement des substituts. C’est également à cette époque qu’apparaissent les premières « planches de momies », des sortes de couvercles très aplatis, placés à l’intérieur des cercueils, en contact direct avec la momie du défunt. Les exemples les plus anciens de ces « planches » sont réalisés en deux parties, un masque en bois ou en cartonnage qui couvre la tête et le haut du torse, et une partie inférieure ornée de motifs ajourés, souvent en cartonnages dorés. Par la suite, elles seront fabriquées d’un seul tenant et couvertes d’un décor peint, préalablement moulé dans le stuc, une technique novatrice qui connaîtra une importante postérité à la Troisième Période Intermédiaire.

A l’extrême fin de la 18e dynastie et au début de l’époque ramesside se produit une étonnante innovation, beaucoup plus éphémère. Les couvercles des cercueils, les planches de momies et quelques exceptionnels sarcophages en pierre montrent alors le défunt non plus comme un sah, un mort divinisé, enveloppé de bandelettes et portant la coiffure tripartite des dieux, mais en tenue des vivants, vêtu de longues et luxueuses tuniques de lin plissé, et coiffé de riches perruques raffinées à multiples couches de mèches. La fin de la 20e dynastie voit cependant un retour à la norme classique ; ces derniers cercueils du Nouvel Empire montrent le défunt en tant qu’entité divine, momifié, portant la perruque tripartite et la barbe osirienne qui affirme son identification au dieu des morts.

Tant les sarcophages en pierre que les cercueils en bois du Nouvel Empire sont l’apanage des dignitaires, membres du clergé ou de l’administration de l’Etat, qui constituent naturellement une très faible proportion de la population égyptienne. Mais, dans plusieurs sites provinciaux, ont été mis au jour des cercueils en terre cuite, de facture très peu classique mais dont les décors s’inspirent des cercueils réservés à l’élite dirigeante. A l’évidence, ce matériau trivial, produit localement, permettait à une population peu aisée d’avoir accès, elle aussi, au royaume d’Osiris.

Sarcophages en terre cuite - Isabelle Therasse

Si les cercueils et sarcophages égyptiens en bois ou en pierre continuent à susciter l’intérêt et l’engouement du public et des scientifiques, leurs homologues en terre cuite apparaissent quelque peu délaissés par l’égyptologie. La plupart ont été entreposés dans des magasins après leur découverte, lorsqu’ils n’ont pas été tout à fait négligés et abandonnés sur le site. Bien peu d’entre eux sont exposés, ils sont souvent à peine signalés dans les rapports de fouilles, parfois décrits, rarement photographiés. Leur étude s’avère dès lors complexe et fragmentaire. Les articles les concernant sont rares, les datations compliquées par le manque d’informations sur le mobilier funéraire qui les accompagnait et sur leur contexte archéologique.

Contrairement au bois et à la pierre qui sont associés en Égypte ancienne à une certaine aisance sociale, l’argile est disponible partout et en quantité le long des berges du Nil et par conséquent utilisable à moindre frais. Cette accessibilité en a fait un matériau abordable qui a dès lors contribué à associer les cercueils en terre cuite, de facture souvent grossière ou maladroite, le plus fréquemment non décorés et sans inscription, à des tombes de seconde zone au mobilier funéraire pauvre, ayant dès lors entraîné un désintérêt des archéologues. On a longtemps pensé aussi que cette production, qui semblait atypique en Égypte mais qu’on retrouve également en Palestine et en Jordanie avec des similitudes frappantes, était d’origine étrangère (Philistins) et ne reflétait donc pas une coutume à proprement parler égyptienne mais se révélait au contraire être l’exception plutôt que la règle. On sait entretemps qu’il s’agit d’un type d’inhumation égyptien introduit au Proche-Orient par le biais de l’immigration ou dans des régions sous influence égyptienne, comme ce fut également le cas en Nubie.

Dès le 4e millénaire av. J.-C., lorsque le cercueil fait son apparition dans les tombes à fosse du prédynastique, la terre cuite est, avec le bois et le roseau, un des matériaux auxquels on a recours. Ces premiers cercueils sont alors de petite taille (max. 120 cm) puisqu’ils accueillent les corps des défunts couchés sur le côté, en position fœtale, sans qu’il soit encore question de momification. Le sarcophage en terre cuite va évoluer ensuite au cours des siècles et jalonner, presque sans interruption, l’archéologie funéraire de l’Égypte ancienne depuis la fin de la préhistoire jusqu’à l’époque romaine, soit pendant plus de trois mille ans.

Différentes tentatives de typologie ou de classement ont vu le jour entretemps (4). Elles s’attachent à décrire et à étudier les cercueils en terre cuite en fonction de leur taille, de leur qualité d’exécution, de leur forme, de leur décor ou de la technique utilisée. Ils peuvent ainsi être ovales, rectangulaires, cylindriques ou anthropomorphes ; de petite ou de grande taille ; à couvercle ou à plastron (petit couvercle en terre cuite couvrant la tête et le buste et fermant l’ouverture par laquelle on insère le corps dans la cuve) ; à décoration peinte, appliquée ou modelée ; de style naturaliste ou grotesque. Cette diversité résulte de multiples facteurs. Certains types sont clairement liés à une époque, comme ceux composés de deux jarres cylindriques accolées qui ne se rencontrent qu’à la période ptolémaïque et romaine. D’autres sont plutôt présents dans une région spécifique. C’est le cas des sarcophages à plastron qui se rencontrent en majorité sur des sites du Delta mais sont, par contre, absents en Haute Égypte. Au Nouvel Empire, le cercueil en terre cuite devient anthropomorphe, parfois peint de bandelettes de texte, imitant en cela les modèles contemporains en bois. Comme eux, ils peuvent alors mesurer jusqu’à deux mètres, le défunt étant désormais étendu sur le dos et non plus en position foetale. Certains types ont été introduits à l’étranger, adoptés parfois par les populations indigènes et adaptés : au Proche-Orient par le biais de l’immigration d’Égyptiens ou par la présence de mercenaires dans les garnisons égyptiennes en Philistie (5) ; en Nubie pendant les périodes de domination égyptienne.

L’observation et l’analyse des cercueils en terre cuite disponibles a permis de se faire une idée précise de la technique utilisée. Les modèles rectangulaires, composés d’une cuve et d’un couvercle, sont réalisés au colombin ou à partir de plaques d’argile assemblées à la barbotine. Les types cylindriques ont également recours à la technique du colombin mais montrent parfois dans la partie inférieure, les traces d’un travail au tour. La décoration est modelée avant cuisson, à même le sarcophage ou à part et rapportée par la suite, ou encore peinte avant ou après cuisson. Après séchage, le plastron est ensuite découpé avant de mettre le tout dans le four. Il est difficile de déterminer les lieux de production. Plusieurs trouvailles de fours dans différentes régions d’Égypte, pourraient cependant, vu leur taille, avoir servi à la cuisson de sarcophages.

S’il est clair que les cercueils en terre cuite ont été plutôt l’apanage des classes sociales modestes, les études les concernant ont permis de nuancer le propos. Si à Tell el-Yahoudiyeh, dans le Delta, certains ont été simplement déposés dans une fosse peu profonde, parfois recouverte d’une structure en briques surmontée d’un tumulus en basalte, à Ein Tirghi, dans l’oasis de Dakhla, des puits avaient été creusés dans la roche, se prolongeant parfois par une ou même plusieurs salles. A Qaou el-Kebir (Delta), plusieurs cercueils en terre cuite renfermaient des corps momifiés. Des bijoux, des scarabées, des objets en bronze ou en ivoire... font parfois partie des mobiliers funéraires. Enfin, certains cercueils en terre cuite ont renfermé des cartonnages peints épousant le corps du défunt ou ont été décorés de motifs très similaires à ceux de la production en bois de la même époque. Il faut donc plutôt considérer ce type d’inhumation comme une alternative aux matériaux plus coûteux réservés à l’élite, permettant au sein d’une catégorie de population moins aisée de disposer, dans la mesure de ses moyens, d’une structure funéraire, d’un cercueil, éventuellement d’une momie et d’un mobilier funéraire.

La Troisième Période Intermédiaire. Les cercueils jaunes.- Luc Delvaux

Fig. 10 – Cercueil, Inv. E.5883.
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Fig. 10 – Cercueil, Inv. E.5883.

Des centaines de cercueils de la 21e dynastie (vers 1070-945 av. J.-Chr.) sont connus, et ils viennent presque tous de la région thébaine, précisément de la « Deuxième Cachette de Deir el-Bahari » et d’autres tombes collectives contemporaines qui abritaient les membres du clergé d’Amon de Karnak et leurs familles. A cette époque, si les prêtres d’Amon reconnaissent en principe l’autorité du pharaon qui réside à Tanis, dans le Delta, ils gouvernent la Haute Egypte en toute indépendance, s’appropriant même de temps à autre la dignité royale. Une mutation profonde de la production artistique se produit alors à Thèbes. Les chapelles funéraires peintes disparaissent complètement, de même que les reliefs des temples ou la statuaire de pierre. Les sources de ce phénomène sont encore mal connues, mais il est possible que la majorité des artistes thébains aient été transférés par le pouvoir dans le nord du pays afin de contribuer à l’érection de Tanis, la nouvelle capitale. Toute l’activité artisanale thébaine se concentre dès lors sur la fabrication de papyrus illustrés, de stèles en bois peint, et surtout de cercueils dont les décors, innovants et de plus en plus foisonnants, reprennent les thématiques des peintures de tombes et des reliefs de temples. Ainsi, les cercueils de la 21e dynastie deviennent des substituts des chapelles funéraires, et concentrent sur leurs parois l’essentiel du savoir théologique des prêtres d’Amon de Karnak.

Fig. 11 – Cercueil, Inv. E.5883.
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Fig. 11 – Cercueil, Inv. E.5883.

Généralement, les défunts bénéficient alors de deux cercueils emboîtés l’un dans l’autre, ainsi que d’une planche de momie posée directement sur le corps. Ces cercueils sont le plus souvent fabriqués à l’aide de pièces de bois réutilisées, provenant d’éléments de mobilier funéraire mis au rebut ou récupérés dans les tombes du Nouvel Empire, et solidarisées par des jeux complexes de chevilles, puis stuquées et peintes afin de dissimuler les raccords. Les cercueils à fond jaune, qui avaient fait leur apparition à Thèbes au début de la 19e dynastie, deviennent la norme. Sur l’extérieur, les scènes, peintes en rouge et bleu, sont couvertes d’une épaisse couche de vernis, tandis qu’à l’intérieur, les images multicolores se détachent sur un fond de couleur rouge brique. Les décors des couvercles et des planches de momies comportent de nombreux motifs en relief, images de divinités, scarabées, disques solaires, moulés dans le stuc puis peints, probablement afin d’imiter des ornements incrustés. Enfin, certains éléments sont sculptés séparément, puis rapportés, comme les mains, toujours fermées pour les hommes et ouvertes pour les femmes.

Fig. 12 – Cercueil, Inv. E.5879.
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Fig. 12 – Cercueil, Inv. E.5879.

Au fil de la 21e dynastie, les décors des cercueils deviennent de plus en plus riches et complexes, toute leur surface se couvrant de multiples images, comme si les décorateurs étaient animés par une sorte d’ « horror vacui ». Sur les couvercles, le défunt est représenté comme un être divinisé, portant la perruque tripartite des dieux, le visage rayonnant au-dessus d’un vaste collier à multiples rangs de perles, qui couvre le haut du torse et duquel émergent, de manière totalement irréelle, les mains qui tiennent divers emblèmes divins, comme le mekes, sorte de papyrus enroulé qui est censé contenir l’acte de reconnaissance officielle d’Osiris comme héritier de Geb. Cette divinisation est encore renforcée par la présence, à partir de la fin de la 21e dynastie, de deux rubans rouges qui se croisent sur la poitrine, et que l’on retrouve sur les momies contemporaines. Cet ornement, porté également par des divinités momiformes, comme Osiris, Min ou Ptah, attribue au défunt les potentialités de renaissance de ces derniers. Les scènes des couvercles sont en général organisées autour du thème de la renaissance solaire du défunt ; elles associent des représentations du scarabée de Khepri, le soleil levant, avec des images de disques solaires ailés ou de Nout, la déesse du ciel qui remet l’astre au monde chaque matin. Mais on y voit aussi le défunt faisant offrande à diverses divinités de l’Au-delà. Les propriétaires des cercueils deviennent dès lors des acteurs du fonctionnement rituel des décors, comme si les membres du clergé d’Amon continuaient, dans l’Au-delà, à pratiquer les actes du culte journalier.

Fig. 13 – Cercueil, Inv. E.5879.
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Fig. 13 – Cercueil, Inv. E.5879.

Les cuves des cercueils se couvrent de scènes inspirées des vignettes du Livre des Morts, qui décrivent le cheminement du défunt vers l’Au-delà et les modalités de sa survie dans le monde des morts. On y voit notamment la vache Hathor, gardienne de la nécropole, émergeant de la montagne thébaine, la scène de la pesée du cœur dans la salle du jugement, en présence du tribunal d’Osiris, ou le défunt rafraîchi à l’ombre d’un arbre habité par la déesse Nout. D’autres scènes, qui montrent le mort doté d’attributs royaux, sont inspirées de recueils funéraires qui, au Nouvel Empire, étaient l’apanage des pharaons et décoraient les tombes de la Vallée des Rois, comme l’Am-Douat, le « Livre de ce qu’il y a dans l’Au-delà ». Cette assimilation du défunt à un roi mort reflète certainement le statut quasiment royal des grands prêtres d’Amon de cette période. Enfin, d’autres scènes reflètent la richesse du bagage théologique que possèdent ces prêtres, et sont de contenu purement mythologique, comme celles montrant la navigation de la barque solaire, ou la séparation de Geb, la terre, et Nout, le ciel, à l’aube de la création. Le bord supérieur des cuves est souvent décoré de longues frises d’uraeus ou de plumes de Maât, déesse de la vérité et de l’équilibre des cycles, comme si le cercueil était lui-même une évocation de la salle du jugement dans laquelle comparaît le mort. Les images peintes à l’intérieur des cuves, plus monumentales, en couvrent la totalité des surfaces. Le fond est décoré, sur toute sa longueur, d’un grand pilier djed ailé, symbole de la capacité du mort de se redresser comme Osiris pour renaître, ou d’une image de la déesse de l’Occident, protectrice des nécropoles. A l’emplacement de la tête, un grand oiseau ba au visage de face semble s’être posé pour réintégrer le corps du défunt. Enfin les faces internes latérales montrent des défilés d’étranges divinités aux têtes monstrueuses, gardiens de l’Au-delà qui accompagnent le soleil dans sa course nocturne ou aspects du dieu Rê lui-même.

Les derniers cercueils à fond jaune sont attestés sous le règne du roi Osorkon Ier, de la 22e dynastie libyenne (vers 924-890 av. J.-Chr.). Probablement suite à la réaffirmation de la mainmise royale sur la région thébaine, les cercueils de la 22e dynastie connaissent une très importante mutation. La couleur jaune des fonds est abandonnée au profit de coloris clairs ou d’une absence de peinture qui laisse le bois naturel apparent. Désormais, seules les figures des vignettes sont vernies, peut-être afin d’éviter le phénomène de jaunissement que les Egyptiens avaient pu constater sur les cercueils de l’époque précédente. Un nouveau type de décor apparaît, sans doute élaboré dans le nord du pays et importé à Thèbes, qui révèle, de la part des concepteurs des cercueils, une volonté de simplification générale des formes et des scènes. Ainsi, les mains, autrefois plaquées sur les torses, ne sont plus représentées ; même les contours des coudes, qui faisaient saillie sur les côtés des cercueils de la 21e dynastie, ne sont plus indiqués. Quant au décor lui-même, il se réorganise de manière rigoureusement symétrique, des profusions de divinités ailées se faisant face de part et d’autre de l’axe vertical du couvercle. La symbolique de la renaissance solaire est omniprésente et s’exprime par les multiples représentations et superpositions de disques et de faucons ailés, ainsi que par les scarabées de Khepri peints sur le sommet des têtes. Mais, sans doute sous l’influence du pouvoir libyen, des divinités memphites font également leur apparition, comme le dieu funéraire à tête de faucon Sokar dans sa barque de procession. La déesse Nout est souvent représentée dans le fond des cuves, étendant les bras comme pour embrasser le défunt, ainsi assimilé au disque solaire. Quant aux textes, ils sont très peu variés et ils se limitent le plus souvent à de banales formules d’offrandes précisant l’identité des défunts.

Les cartonnages intérieurs, qui remplacent alors les planches de momies, constituent la plus importante innovation de la 22e dynastie, et elle connaît une extraordinaire popularité aux 9e et 8e siècles avant J.-Chr. Ces sortes de gaines à momies, placées à l’intérieur d’emboîtements doubles ou triples de cercueils en bois, sont constituées de couches de lin mêlées à du plâtre et à une gomme servant de liant. Leur forme était obtenue en moulant ce mélange sur une âme de limon et de paille, en forme de momie. Une fois l’enveloppe séchée, ce noyau était extrait, à travers une ouverture ménagée à l’arrière. Ensuite, la surface était stuquée, le visage, souvent en bois, étant rapporté. La momie était ensuite insérée, soit par l’arrière soit par les pieds, et l’ouverture du cartonnage était alors fermée, par laçage de l’ouverture du dos ou par le placement d’une plaque de bois sous les pieds. Enfin, l’ensemble était peint de coloris rutilants, sur un fond blanc ou gris clair, ce dernier ton étant peut-être inspiré des cercueils en argent utilisés par les pharaons contemporains, comme l’ont révélé leurs tombes, mises au jour à Tanis. Les décors des cartonnages combinent les symboliques osirienne et solaire, superposant des faucons ailés et le reliquaire d’Abydos, une sorte de châsse sacrée censée contenir la tête d’Osiris, récupérée après le démembrement du dieu par son frère Seth. Le dos porte généralement un grand pilier djed.

Vers la fin de la Troisième Période Intermédiaire, on se met à aménager un petit piédestal sous les pieds des cercueils intérieurs, ainsi qu’un pilier dorsal quadrangulaire qui court sur toute la hauteur du dos. Il est probable que ces éléments évoquent le redressement du cercueil intérieur devant la tombe au jour des funérailles, afin que la momie puisse bénéficier du rite de l’ « Ouverture de la Bouche » grâce auquel les prêtres redonnent vie aux sens du défunt, indispensables à sa vie dans l’Au-delà.

La Basse Époque. Classicisme et innovations. - Isabelle Therasse

Fig. 14 – Cercueil intérieur, Inv. E.5889b.
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Fig. 14 – Cercueil intérieur, Inv. E.5889b.

La Basse Époque est d’abord marquée par un retour aux sources. Les pharaons de la 25e et surtout de la 26e dynastie ont un désir de légitimer leur pouvoir en se replongeant dans les périodes glorieuses du passé, principalement l’Ancien Empire et le Nouvel Empire. Cet archaïsme va cependant de pair avec l’apparition de nouvelles tendances qui formeront au cours de la Basse Époque un harmonieux mélange d’influences anciennes et de créativité.

Le cercueil intérieur anthropomorphe à piédestal et à pilier dorsal, apparu à la fin de la 3e Période Intermédiaire perdure durant la Basse Époque. Les ouchebtis vont peu à peu s’en inspirer et présenter les mêmes caractéristiques. Ce type de cercueil remplace le cartonnage qui passe de mode. Bien que déposé couché dans la tombe, il était clairement destiné à être dressé, probablement lors de la récitation des rites funéraires au jour de l’enterrement. Il se rapproche en cela de la conception de la statue funéraire et réaffirme le désir de concevoir le cercueil comme une enveloppe physique destinée au défunt dans l’au-delà. Comme les cartonnages du passé, ce cercueil intérieur est emboîté dans un ou deux autres exemplaires. Mais c’est la première enveloppe, celle qui contient le corps du défunt qui est la plus décorée. Le fond externe de la cuve est orné de motifs peints tels que le pilier djed, symbole de stabilité figurant la colonne vertébrale d’Osiris.

Les évolutions typologiques, iconographiques et stylistiques sont nombreuses au cours de la Basse Époque. Le visage devient plus large et plus plat, parfois disproportionné. Le collier ne se résume plus à la zone située autour du cou mais devient un véritable pectoral, couvrant la poitrine, terminé par deux têtes de faucon. Une figure de Nout ailée prend souvent place au centre, comme au Nouvel Empire. En outre, la déesse du ciel se présente à l’intérieur du couvercle du cercueil. Surplombant le défunt et étendue sur lui, elle le protège et lui assure la renaissance quotidienne, en même temps que le soleil qu’elle avale inlassablement chaque nuit et auquel elle redonne vie le lendemain. D’autres figures divines réapparaissent, comme au Nouvel Empire, entre les bandelettes de texte : Anubis, Thot, les quatre fils d’Horus, sans oublier Isis et Nephtys. Même les yeux oudjat, si caractéristiques des cercueils en bois du Moyen Empire, réaffirment leur pouvoir symbolique bien que leur présence n’ait plus la raison d’être initiale puisque le défunt est depuis longtemps couché sur le dos. La tendance progressive dans la décoration est cependant à la diminution des vignettes au profit des textes sacrés de plus en plus présents. Ces inscriptions, souvent issues du Livre des Morts, sont insérées dans des bandelettes horizontales et verticales de couleurs variées (orange, jaune et vert surtout).

Parallèlement à ces survivances dans la forme et la décoration, un nouveau type de cercueil externe fait son apparition à la 25e dynastie. Il est très clairement inspiré de modèles très anciens remontant à l’aube de l’Égypte pharaonique. De forme rectangulaire, il est surmonté d’un couvercle voûté bordé aux angles par quatre poteaux. Comme dans les exemplaires en bois retrouvés dans certaines tombes des débuts de l’histoire pharaonique, il figure le sanctuaire primitif de la Basse Égypte, per nou qui fut associé à Osiris et est donc lié à la renaissance et à l’éternité.

La 26e dynastie introduit également un nouveau type de sarcophage anthropoïde aux proportions novatrices. Très massifs, ils sont souvent en pierre (basalte, granit, schiste), un matériau qui avait été abandonné à la 3e période intermédiaire, probablement suite aux difficultés à se procurer la matière première durant cette période troublée. Ils ne sont plus l’apanage des rois comme au Nouvel Empire, mais sont désormais plus accessibles aux hauts fonctionnaires. Ces cercueils sont très larges dans la partie supérieure et vont en s’affinant vers les pieds. La partie supérieure est plus arrondie, les visages de dimensions exagérées, donnant une apparence trapue à l’ensemble. La décoration se concentre sur des colonnes et des lignes de textes, parfois une figure de Nout ailée sur le couvercle ou de la même déesse étendue à l’intérieur. Certains modèles de sarcophages en pierre sont rectangulaires mais la découpe des parois intérieures est anthropomorphe. Il arrive que le défunt ou la défunte soit représenté (e) sur le couvercle, comme c’est le cas du célèbre sarcophage de la divine adoratrice, fille de Psammétique II, Ankhnesneferibrê, aujourd’hui conservé au British Museum. Les cercueils en pierre de type saïte se rencontreront encore sporadiquement sous la domination perse avant de disparaître. Ils ne réapparaîtront qu’à la 30e dynastie.

L’époque ptolémaïque et romaine. Un monde en transition. - Luc Delvaux

Fig. 15 – Momie et cartonnages, Inv. E.3974.
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Fig. 15 – Momie et cartonnages, Inv. E.3974.

Avec la conquête de l’Egypte par Alexandre le Grand (332 av. J.-Chr.), qui ouvre la période ptolémaïque, puis lors de l’intégration du pays dans l’imperium romain (30 av. J.-Chr.), les usages funéraires connaissent de très importantes mutations. Jusqu’au milieu de l’époque ptolémaïque, au IIe siècle avant J.-Chr., la production de cercueils momiformes se poursuit, sans modifications notables, montrant, comme à la Basse Epoque, un élargissement considérable de la tête, de la perruque, et du haut du corps. Devenue souvent énorme, la tête semble même parfois rentrer dans le buste, au point que les oreilles sont ramenées au niveau des épaules. Ce changement de proportions se produit peut-être sous l’influence des sarcophages en pierre, de structure plus massive. Le petit piédestal et le pilier dorsal sont toujours présents, et, cette fois, ils font même leur apparition sur les cercueils extérieurs. Les décors, très simplifiés, se concentrent sur les couvercles. Disposés symétriquement de part et d’autre de l’axe vertical, ils montrent la permanence de motifs essentiels à la survie, comme le scarabée ailé ou la déesse Nout protégeant le défunt. Les colliers occupent une place de plus en plus importante ; envahissant parfois la surface du couvercle jusqu’à l’abdomen, ils sont comme posés sur la poitrine, plutôt qu’attachés autour du cou, leurs fermoirs reposant sur l’avant des épaules. Souvent, certains éléments du visage, comme les yeux et les sourcils, ou les hiéroglyphes des inscriptions, sont incrustés de pâte de verre colorée ou de pièces de métal, une pratique qui s’impose graduellement au cours de l’époque ptolémaïque. De nombreux cercueils momiformes sont connus pour cette période, mais leur qualité va en diminuant au fil du temps. Leur production finit par se tarir à l’époque romaine, puis avec l’émergence graduelle du christianisme et les changements profonds qui interviennent alors dans les croyances funéraires.

Fig. 16 – Momie avec masque doré, Inv.E.3975.
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Fig. 16 – Momie avec masque doré, Inv.E.3975.

Les momies de l’époque ptolémaïque sont souvent gainées dans des cartonnages à multiples couches, parfois d’un seul tenant, parfois divisés en plusieurs éléments complémentaires : masque au visage doré, collier large, pectoral ou tablier décorés de divinités et gaine pour les pieds, sous la plante desquels sont peints des ennemis captifs et piétinés, signe de la victoire de l’ordre sur le chaos, et du triomphe du défunt sur la mort. A l’époque romaine, les cartonnages momiformes sont toujours fabriqués, mais ils sont souvent élaborés au moyen de papyrus recyclés, plutôt qu’en lin, et leurs décors mélangent des motifs pharaoniques et hellénistiques. Ainsi, certains de ces cartonnages montrent les défunts en habits des vivants, vêtus à la romaine, mais portant des ornements typiquement pharaoniques, collier large, divinités protectrices, œil oudjat, etc. Les parties nues du corps sont toujours dorées, autre survivance des croyances pharaoniques selon lesquelles le mort s’assimile aux dieux, dont la chair est d’or.

Depuis l’époque saïte, les sarcophages momiformes ou rectangulaires en pierre, souvent en granit, basalte ou grauwacke, particulièrement monumentaux, connaissent un nouvel essor, qui se poursuit jusqu’au IIe siècle avant J.-Chr. De formes globalement identiques aux cercueils en bois, leurs décors mythologiques élaborés, répartis en multiples registres et exécutés en reliefs raffinés et très détaillés, constituent parfois de véritables traités de théologie, comme s’ils s’inspiraient des reliefs des grands temples contemporains.

Avec l’époque romaine, le rôle de la momie et de ses contenants connaît une très profonde mutation. En effet, si des inhumations traditionnelles sont toujours pratiquées, les corps des défunts séjournent parfois pendant de longues années parmi les vivants. Des traces d’utilisation ou de transport repérables sur certaines momies montrent qu’elles sont parfois restées dressées pendant des périodes prolongées, ou qu’elles ont été déménagées à plusieurs reprises. Les momies sont alors placées dans des cercueils rectangulaires au riche décor mythologique, parfois ajouré afin que le défunt reste visible. Elles peuvent aussi être conservées debout dans des naos en bois, dont on ouvre périodiquement les vantaux, lors des festivités en mémoire des défunts. Enfin, elles finissent généralement par être transportées vers les nécropoles, pour être placées dans des tombes collectives et familiales. Les « étiquettes de momies », retrouvées en grand nombre, sont le reflet éloquent de ces pratiques. En forme de petites stèles, fixées sur les momies, leurs inscriptions, en grec ou en démotique, permettent d’identifier les défunts et d’éviter les confusions au cours des pérégrinations de ceux-ci de l’atelier d’embaumement à la maison familiale, puis de celle-ci à la tombe. Elles portent en outre de nombreuses indications sur la généalogie des morts, la date de leur décès, ou les modalités de leur affectation à une nécropole. Dans ce contexte, les momies, destinées à rester visibles et à être admirées, bénéficient de traitements très raffinés : les bandelettes dessinent des motifs de croisillons extrêmement élaborés, et les visages se couvrent de masques en stuc doré ou en plâtre peint, de style hellénistique, ou des célèbres « portraits du Fayoum », enserrés dans les bandelettes, et qui permettent aux vivants de contempler, comme à travers une petite fenêtre, la physionomie du défunt. Les derniers cercueils momiformes accompagnent cette évolution. Dotés de pieds hypertrophiés, afin de les faire tenir debout, leur cuve se couvre de scènes d’adoration aux dieux qui, parfois, ne sont lisibles que lorsque le cercueil est dressé.

Dans le courant du IIIe siècle de notre ère, le christianisme imprègne graduellement toutes les classes de la société égyptienne et sa vision de l’Au-delà s’impose au détriment des conceptions pharaoniques de la survie. Si les premiers chrétiens d’Egypte pratiquent encore occasionnellement la momification des corps, et si cercueils et cartonnages peints connaissent encore des résurgences passagères, la production de ceux-ci s’étiole et finit par disparaître totalement.

Momies et cercueils d’animaux - Isabelle Therasse

Fig. 17 – Cercueil de chat, Inv. E.7069.
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Fig. 17 – Cercueil de chat, Inv. E.7069.

Les gravures rupestres du paléolithique jusqu’à l’époque gréco-romaine, l’art égyptien s’est nourri des éléments de la nature. Loin de n’être qu’un décor ou un souci esthétique, elle couvre les objets de la vie quotidienne et du mobilier funéraire et leur apporte une signification. Le monde animal à lui seul constitue un quart des 700 pictogrammes de l’écriture hiéroglyphique en même temps qu’il rythme l’iconographie religieuse et symbolique. Dès les premières évocations symboliques des étendards de la fin du prédynastique, l’animal est investi du divin, préfigurant les divinités de l’époque pharaonique. La plupart des dieux égyptiens sont en effet associés à un, voire à plusieurs animaux qui leur prêtent leurs traits en même temps que leurs qualités intrinsèques, bonnes ou mauvaises : Sekhmet, la déesse de la guerre, prend l’apparence féroce d’une femme à tête de lion ; le dieu solaire Rê celle du faucon qui flirte avec le soleil en atteignant jusqu’à 1500 m d’altitude ; le chacal, charognard redouté, devient le dieu de l’embaumement... L’observation de la nature a donc sans conteste alimenté l’imagerie religieuse. Très tôt, à vrai dire dès les premières dynasties et peut-être même déjà à la fin du prédynastique, certains animaux sont investis du pouvoir du dieu qu’ils représentent. On voit alors se développer les premiers cultes aux animaux, celui du taureau Apis, par exemple, qui connaîtra un succès sans pareil à l’époque ptolémaïque et romaine. Mais l’animal n’est que le vecteur de la foi, il n’a pas de valeur divine en soi, on ne peut donc pas parler de zoolâtrie.

L’animal fait partie intégrante de la création. Comme les humains, il est destiné à se transformer en Osiris après sa mort et à revivre pour l’éternité. Dans un tel contexte, il ne faut donc pas s’étonner des efforts entrepris parfois pour momifier ou enterrer les animaux sacrés dans les règles de l’art. C’est cependant surtout à partir de la Basse Époque, et plus encore à l’époque ptolémaïque et romaine que le culte des animaux a atteint des sommets. Des millions de momies d’animaux divers ont été retrouvés en Égypte. Les plus connus sont les taureaux, les chats, les faucons, les crocodiles, les chacals, les babouins, les chiens, les ibis... Mais on trouve aussi par centaines des mangoustes, des musaraignes, des anguilles, des lézards, des poissons, des serpents, des scarabées ou des scorpions, pour ne citer qu’eux. Les recherches et les découvertes continuent à se succéder. A Saqqara nord, qui a livré plusieurs tombes de momies d’animaux dont le célèbre Serapeum récemment rouvert au public, Paul Nicholson procède depuis 2009 pour le compte de l’Egypt Exploration Society à une étude en profondeur d’un énorme complexe souterrain de 173 x 140 m dont on estime qu’il a accueilli 8 millions de momies de chiens en l’honneur du dieu Anubis ! Comme c’est le cas entre autres pour les momies de chats de Bubastis, les catacombes de chiens de Saqqara ont malheureusement été le théâtre au XIXe siècle d’un véritable commerce de momies, destinées à servir de fertilisant pour l’agriculture. Les pilleurs ont laissé derrière eux des sites désolés où les vestiges sont souvent éparpillés ou incomplets, rendant leur étude malaisée.

Une momie n’est cependant pas l’autre et il existe une grande différence de conception et de traitement entre la momie d’un chien qui accompagne son maître défunt dans la tombe en tant qu’animal de compagnie ou celle qui incarne une divinité et sera entourée des plus grands soins et soumise à un véritable culte. On distingue ainsi quatre catégories de momies d’animaux :

1. Dans les tombes royales et privées, les aliments et les boissons faisaient partie du mobilier funéraire indispensable à la vie éternelle du défunt. Les qualités performatives de l’art égyptien rendaient possible leur accumulation pour l’au-delà par la représentation peinte ou sculptée sur les parois de la chapelle funéraire, mais, par exemple, des oies rôties ou des cuisses de bœuf desséchées au natron, parfois bandelettées, ont aussi été retrouvées accompagnant le défunt pour le nourrir dans la vie éternelle.

2. Les décors de tombes témoignent également de l’importance des animaux domestiques. Les exemples sont nombreux de représentations de chiens accompagnant leur maître à la chasse, de singes cueillant les figues dans les branches hautes des sycomores, de chats prenant place sous le siège d’un défunt ou de son épouse. Il ne faut pas s’étonner dès lors que certains désirent emmener avec eux leur fidèle compagnon par-delà la mort. Autour de la tombe du pharaon Den, à la deuxième dynastie déjà, plusieurs chiens avaient été enterrés dans des tombes subsidiaires. Certaines tombes de chiens de cette époque y disposaient même d’une stèle funéraire. Le Musée du Caire possède la momie d’un chien (6) provenant de la tombe KV 50, dans la Vallée des Rois. Il a été éviscéré et recouvert de bandelettes dont quelques fragments seulement sont encore visibles.

3. La troisième catégorie de momies est commentée par différents auteurs anciens, Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile et Plutarque notamment. Il s’agit dans ce cas de véritables animaux sacrés auxquels on rend un culte de leur vivant et que l’on consulte également à titre d’oracle. Strabon décrit (7)  : « … Seulement, tandis que le boeuf Apis et le boeuf Mnévis sont rangés au nombre des dieux… ». Ce type d’animal était désigné, élevé, vénéré comme une expression du dieu qu’il représentait. Il était considéré comme l’hypostase de la divinité. A sa mort, il était momifié et enterré avec tous les honneurs dus à son rang et sa tombe devenait à son tour un lieu de culte. Si de nombreuses espèces animales ont été concernées à la Basse Époque et surtout à l’époque gréco-romaine, le culte du taureau Apis, évocation du dieu Ptah de Memphis, semble être un des plus anciens. C’est aussi celui qui se prolongea le plus longtemps puisqu’il ne fut supprimé qu’à la fin du IVe siècle après J.-C. Le mode de désignation du taureau Apis est bien connu car décrit par Hérodote (8)  : des prêtres spécifiques, les sphragistes, partaient à travers le pays en quête de l’élu, reconnaissable à certaines marques sur son pelage. Une fois désigné, le veau devenait l’objet de toutes les attentions et de la dévotion populaire. Il était ramené au temple dans une enceinte, le sekos, où il était élevé, couronné, nourri, parfumé, paré par des membres du clergé. Jusqu’à son décès, il était investi du pouvoir du dieu qu’il représentait lors de cérémonies rituelles et royales. À sa mort, naturelle, après des funérailles dignes de son statut divin, il était remplacé par un nouveau spécimen suivant la même procédure. On dispose de peu de renseignements concernant la momification des animaux sacrés mais un papyrus de l’époque ptolémaïque (IIIe-IIe siècle av. J.-C.) du Kunsthistorisches Museum de Vienne (9) décrit la méthode d’embaumement d’un taureau Apis. Elle ne diffère en rien de celle d’un haut fonctionnaire égyptien : éviscération, traitement au natron, embaumement, bandelettage ont lieu dans l’espace sacré qui leur est dédié « la Ouabet (10)  » (« la place pure »). La momie était ensuite acheminée vers la tombe, dans le cas du taureau Apis le Serapeum à Saqqara nord, où l’on pratiquait les rites d’usage lors de n’importe quelles funérailles. Il était enfin déposé dans un cercueil en bois ou un sarcophage en pierre et reposait à jamais dans les catacombes des taureaux Apis.

4. Le plus grand nombre de momies d’animaux, on les compte par millions, est du quatrième type. Il s’agit d’ex-voto. On les trouve dans de très nombreuses nécropoles, en grande quantité, et elles concernent une importante diversité d’espèces. Ces animaux n’ont aucune valeur sacrée intrinsèque ni aucun statut divin mais reflètent la piété populaire de masse. Certains temples possédaient des élevages de l’espèce associée au dieu qui y était vénéré. Ces animaux étaient élevés un temps, puis tués par les prêtres, momifiés puis proposés contre paiement aux pèlerins qui exprimaient de la sorte leur croyance en la divinité et leur présence au sein de l’ère sacrée du dieu. Ils ne sont pas vénérés de leur vivant mais ne participeront du culte de la divinité qu’une fois morts, momifiés et rituellement sacralisés. Ce type de momie apparaît au Ier millénaire av. J.-C. mais connaît un succès fulgurant à l’époque ptolémaïque et romaine. On sait peu de chose des conditions de vie de ces animaux, comme des techniques de momification qui les concernent. Mais l’étude des momies, notamment par la radiographie et la tomodensitométrie, nous apporte des renseignements précieux. La momification est très variable en fonction des cas. Mais elle est le plus souvent simplifiée. Les oiseaux, pour ne citer qu’eux, semblent avoir souvent été simplement plongés dans de la résine avant d’être bandelettés.

Une étude récente au Musée de Manchester a pu déterminer qu’un tiers seulement des quelque 800 momies analysées contenaient un animal entier, le reste n’abritant que quelques ossements ou même aucun pour une momie sur trois. Bien que ce constat soit surprenant, il ne faut pas s’étonner d’une telle pratique dans le contexte de la civilisation égyptienne, dont l’aspect performatif est une caractéristique : même une petite partie de l’animal vaut pour le tout et en a la valeur, tandis qu’une momie factice, vide de tout ossement mais qui prend la forme de l’animal, aura également l’effet désiré. Nul doute cependant que l’aspect pragmatique ait joué un rôle, puisqu’en vendant plusieurs momies à partir d’un seul animal, on augmentait le rendement et les recettes. C’est ce qui poussa probablement les prêtres à tuer les animaux alors qu’ils étaient encore jeunes. Une étude de momies de chats du British Museum (11), du Bubasteion de Saqqara et du Museum of Fine Arts de Boston a permis de déterminer que l’âge de la mort des spécimens analysés était situé entre deux et quatre mois ou entre neuf et douze mois pour ceux qui, arrivés à cet âge, n’étaient pas destinés à la reproduction. Ils étaient tués surtout par strangulation ou par un coup porté à la tête.

La grande majorité des momies votives étaient enterrées sans cercueil, simplement enserrées dans des bandelettes ou dans un linceul. Des milliers d’autres sont associées à des contenants de types divers. Il peut s’agir selon les cas de simples jarres en céramique, ou de reliquaires, de cercueils ou de statues-sarcophages le plus souvent en bois ou en bronze. Ils ont malheureusement peu passionné les égyptologues, probablement parce qu’ils sont le reflet de la piété populaire et donc souvent réalisés dans des ateliers locaux et de moindre qualité. La plupart n’ont pas non plus été retrouvés en contexte archéologique ou sont de provenance inconnue, étant le résultat de fouilles clandestines, ce qui en rend la datation souvent ardue. Beaucoup ont également perdu leur inscription en même temps que le socle en bois qui la contenait. Toutes raisons qui peuvent expliquer la désaffection des spécialistes vis-à-vis de ce type d’artefacts.

Notes

NuméroNote
1G. Steindorff, Grabfunde des Mittleren Reichs in den Königlichen Museen zu Berlin. II. Der Sarg des Sebk-O. – Ein Grabfund aus Gebelen, Berlin 1901 (Mitteilungen aus den Orientalischen Sammlungen 9), p. 5.
2Voir à ce sujet : H. Willems, Les Textes des Sarcophages et la démocratie. Eléments d’une histoire culturelle du Moyen Empire égyptien, Paris 2008.
3Pour le développement typologique des cercueils du Moyen Empire, voir G. Lapp, Typologie der Särge und Sargkammern von der 6. bis zur 13. Dynastie, Heidelberg 1993 (SAGA  7) ; H. Willems, Chests of Life. A Study of the Typology and Conceptual Development of Middle Kingdom Standard Class Coffins, Leiden 1988 (Mededelingen en Verhandelingen van het Vooraziatisch-Egyptisch Genootschap « Ex Oriente Lux » 25)
4Pour un aperçu, voir COTELLE-MICHEL L., Les sarcophages en terre cuite en Égypte et en Nubie de l’époque prédynastique à l’époque romaine, Dijon, 2004, p. 17-19.
5Amnon Ben-Tor, The archaeology of Ancien Israel, 1992, p. 1-126.
6Inv. JE 38640.
7Strabon, Géographie, XVII, 1. 22.
8Hérodote, Histoires, III, 28.
9Inv. VINDOB.3873. Il mesure 192 cm et est écrit sur les deux faces, en démotique et en hiératique. Sa provenance n’est pas connue (probablement Memphis –Saqqarah).
10L’emplacement de la Ouabet de Saqqarah-nord, au sud-ouest du temple de Ptah, a été retrouvée. Elle contenait notamment des lits-tables d’embaumement en albâtre.
11ARMITAGE P.L., CLUTTON-BROCK J., A radiological and histological investigation into the mummification of cats from Ancient Egypt, dans Journal of archaeological Science, 8, juin 1981, p.185-196 ; voir aussi pour l’étude des momies de chats du Musée du Louvre : WEINGÄRTNER V., Une étude radiologique des momies de « chats » du musée du Louvre, thèse pour le doctorat vétérinaire, Alfort, 1986.