


Description matérielle

Cette étude est en bon état de conservation. Quelques soulèvements ponctuels ont été refixés en 2009 ou 2010. On observe sur la radiographie des semences forgées et mécaniques, ainsi qu’un châssis très vraisemblablement en résineux de qualité ordinaire ,.
La fluorescence d’ultraviolets (1) ne révèle aucune autre intervention postérieure majeure . Seules quelques petites retouches mineures, pratiquées lors du refixage des soulèvements, sont bien visibles et ne doivent pas être décrites.
On observe néanmoins une zone assez large dans le ciel, dans une tonalité bleu clair très légère. L’observation à l’œil nu en lumière directe ne permet pas d’affirmer que cette zone correspond à une intervention postérieure non identifiée. Deux hypothèses peuvent être formulées. Il pourrait s’agir d’une retouche de Corot posée sur un premier vernis, puis recouverte ultérieurement par la couche protectrice définitive, pratiquée au moment où il se sépare de l’étude. La zone bleu clair pourrait correspondre à une réaction des pigments sur la première couche de vernis, traversant la seconde. Hypothèse la moins probable : cela pourrait être l’indication d’une restauration ancienne légère, mais cette couleur de fluorescence n’est pas connue dans la littérature scientifique.
Cette apparence atypique ne peut pour l’instant être expliquée définitivement. Elle ne permet pas de fonder des suppositions de falsifications. Quand bien même cela serait le cas, la zone concernée n’est pas significative et ne jette pas le doute sur le reste de l’étude.
Une marque est visible au revers sur la traverse verticale. Elle est difficilement lisible à l’œil nu et légèrement mieux en réflectographie infrarouge : « M. R--g ». La première lettre pourrait être un « o » ou un « a », la seconde un « ü » et les deux dernières « er », ce qui permettrait de lire : « M. Raüger » ou « M. Roüger ». Il est peut-être possible de lire « Rouyer » (2) , qui est le nom de la première propriétaire.
Tout le reste de la surface du revers est couvert par du papier de bordage, de type kraft beige clair .
Le cadre est sans rapport avec le XIXe siècle.

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Sujet et iconographie

Cette étude représente un paysage de montagne dont on peut comparer la facture à plusieurs œuvres de Corot bien connues (cfr Technique picturale et style).
Il s’agit d’une étude probablement réalisée sur le motif (parachevée ensuite) et non d’un tableau d’atelier. La distinction se fait :
- Par le traitement pictural, moins achevé que ne le serait un tableau,
- Par le sujet lui-même, limité à une vue de paysage, sans effet, sans personnage, sans anecdote ou histoire. Seuls comptent le travail sur la lumière, l’atmosphère, les couleurs, les matières et le point de vue dont Corot tient à conserver la mémoire,
- Par le support papier de taille réduite, donc facilement transportable en voyage. Ce type de support est bien connu chez Corot et la plupart des peintres de la première moitié du XIXe siècle.
Cette simplicité de la composition et ce mode opératoire sont réguliers chez Corot depuis son premier voyage en Italie (1825-1828). Il a cependant fallu attendre 1930 pour que soit révélée cette façon de travailler (3), 1991 pour qu’elle soit démontrée, puis définitivement admise (4), et 1996 pour qu’elle soit expliquée à un large public, lors de l’exposition rétrospective du bicentenaire de la naissance de l’artiste présentée aux galeries Nationales du Grand Palais (Paris), puis au Musée des Beaux-Arts du Canada (Ottawa) et enfin au Metropolitan Museum of art (New York) (5).
Si Corot est généralement reconnu, aujourd’hui encore, comme le grand peintre de paysage du XIXe siècle, son art était « limité », après sa mort, et jusqu’en 1930, à des tableaux parmi lesquels une frontière floue entre vue sur le motif et travail d’atelier était volontairement entretenue. Les tableaux dits « achevés » (en général destinés au Salon de Paris et d’autres répondant à des commandes) ne posaient naturellement pas de problèmes de reconnaissance ou d’attribution.
Le sort des études a longtemps été différent. Une étude, proche par la facture, de l’Ecole de Barbizon ou des impressionnistes, était attribuée à Corot sans aucun doute, tandis que les vues du type de celle-ci, par leur simplicité jugée « trop grande » ou « incompatible avec le Maître », étaient écartées.
Cela a naturellement conduit à de nombreux rejets, ou attributions erronées (6). Les choses se sont encore compliquées davantage lorsque Corot a commencé à peindre sur le motif des œuvres de plus en plus éloignées des études de ses débuts. Le tournant se situe autour de 1850 et la nouvelle façon se rencontre de plus en plus fréquemment à partir des années 1860.
La première preuve de l’existence de réelles « études » peintes sur le motif (comparables à celle-ci), sans aucun lien avec l’impressionnisme, est découverte par hasard en 1930 lors de la donation, au Musée du Louvre, par la Princesse Louis de Croÿ, d’une centaine d’études à l’huile sur papier de Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1818), le théoricien de la peinture de paysage et professeur d’Achille Etna Michallon, lui-même premier maître de Corot.
René Huyghe, Conservateur au Département des Peintures du Louvre, qui n’a que 24 ans, comprend à ce moment qu’il va falloir changer sa façon de regarder et comprendre Corot : « L’histoire de l’art, même moderne, est encore chargée de notions erronées malgré l’apparente limpidité que lui donne la commune acceptation de « vérités reconnues ». Il en est de ces vérités comme des vérités scientifiques : qu’apparaisse un fait nouveau irréductible aux explications établies et qui parvient à traverser leur barrage, il nous faut remettre en question les principes acceptés » (7). Il faudra cependant attendre encore plus de soixante ans pour que cette remise en question soit définitivement acceptée.
C’est à Peter Galassi qu’il revient d’avoir démontré en 1991 que le travail sur le motif devant des sujets en apparence sans intérêt était le moteur de l’apprentissage de Corot, puis de toute sa vie d’artiste (8). Il peint ce genre d’étude dans la nature au printemps et en été, pour les interpréter ensuite dans le confort de son atelier, en automne et en hiver. Il produit alors des œuvres que l’on qualifie parfois de « tableaux achevés », c’est-à-dire exposables publiquement.
Les objectifs de Corot, en réalisant ce genre d’études, sont multiples, ainsi que les conséquences sur sa manière d’envisager la peinture :
- Suivre l’enseignement de Pierre-Henri de Valenciennes (9). Il en fait, une fois sa formation achevée, un « système » de travail (ce qui est une totale nouveauté),
- Parfaire sa formation (e. a. par un séjour de longue durée à Rome et dans la campagne alentours),
- Puis poursuivre et étendre cette habitude à la France entière et dans les quelques pays où il se rend. Il engrange ainsi un nombre important de motifs qu’il conserve dans son atelier, dans sa mémoire et dans « son cœur » (10),
- Ses études et sa mémoire peuvent nourrir son inspiration pour réaliser des tableaux présentés au Salon de Paris ou répondre aux nombreuses commandes qui affluent à partir du début des années cinquante.
Ce n’est qu’au cours des dix ou quinze dernières années de sa vie qu’il exécute de véritables tableaux en plein air.
Les éléments qui précèdent expliquent qu’il n’y ait donc rien d’étonnant à ce qu’en mars 1979 (11), ce tableau n’ait pas été reconnu par Pierre Dieterle (l’expert du marché de l’art faisant mondialement autorité) et Germain Bazin, Conservateur en chef du Département des Peintures du Musée du Louvre et meilleur connaisseur de Corot à cette époque (12). Bazin est pourtant l’un des artisans de la redécouverte progressive de l’art de Corot.
Dieterle, en tant qu’expert du marché de l’art, a eu le dernier mot, d’autant plus facilement que Bazin, l’un des premiers à entrevoir la réalité de l’art du « Maître », n’est pas encore totalement acquis aux nouvelles thèses, ainsi qu’en témoigne la conclusion du chapitre qu’il consacre en 1973 aux années italiennes dans son dernier ouvrage sur le peintre : « Bien qu’un instinct sûr l’ait préservé des dangers du "cursus studiorum" [en italique dans le texte] officiel, il subit assez fortement l’empreinte de l’académisme pour que celui-ci ait pu, sans contrarier l’épanouissement de son génie, en retarder la conscience claire. Cette contradiction entre les vertus natives de l’artiste et les principes qu’il se croyait obligé de suivre, créa pendant quelques années le paradoxe d’un peintre qui faisait des chefs-d’œuvre à son insu et peut-être malgré lui » (13). Il est admis aujourd’hui, que Corot, au moment de l’exécution de cette étude, ne se croit pas obligé de suivre les principes enseignés à l’Académie ; il y adhère pleinement, comme tous les peintres de sa génération. Dans les années 70 la recherche n’avait pas encore démontré ce qui aurait permis à Bazin de reconnaître l’évidence apparaissant après les travaux cités ci-dessus et les expositions rétrospectives de 1975 (14) et 1996 (15). Bazin et Dieterle ne commettent aucune « faute », puisque la connaissance de l’art de Corot dans les années 1970 ne permettait pas de classer cette étude parmi les réalisations autographes. Il faut en effet à ce moment encore attendre vingt et un ans pour qu’elle change.
Ce genre de paysages, très simple, est pour Corot le type d’étude qu’il réalise régulièrement tout au long de sa vie. Il peut être comparé à une « note » prise à propos d’un sujet correspondant à sa recherche du moment ou à l’exercice en cours (tels ceux recommandés par P.-H. de Valenciennes dans son traité théorique (16) ) ou encore à une vue qui l’inspire. Il constitue ainsi un répertoire de motifs qu’il conserve dans son atelier et dans sa mémoire : « Je tirerai [ ... ] un tableau de cette étude ; mais à la rigueur, je pourrais à présent me passer de l'avoir devant moi. Lorsqu'un amateur désire la répétition d'un de mes sujets, il m'est facile de la lui donner sans revoir l'original ; je garde dans le cœur et dans les yeux la copie de tous mes ouvrages » (17).
L’identification de ce paysage n’est pas simple et peut encore faire l’objet de reconsidération. Plusieurs régions de France ont été envisagées, avant de retenir l’hypothèse d’une étude exécutée dans une zone montagneuse. Le paysage est l’élément dominant, mais la présence de légers débords du toit de ce qui s’apparente à un chalet, ou une grange, est propre en général à l’architecture de montagne et ne manquent pas dans les Alpes traversées par Corot.
Il n’est pas un peintre de la montagne au sens premier. Néanmoins, il les traverse à plusieurs reprises pour se rendre en Suisse et en Italie. Il peint à Lausanne en octobre 1825, et passe par les grands lacs alpins et la Suisse, en quittant Rome à la fin de l’été 1828 en direction de la France. En 1842, il se rend dans le Jura et en Suisse (Gex, Genève, Fribourg, Montreux, Mornex, Vevey). Il séjourne ensuite à la fin de l'été 1852 en Suisse, et travaille sur les bords du lac de Genève. Il est reçu dans la famille d'Armand Leleux, dont le beau-père, M. Giroud, habite Dardagny près de Genève. Un autre séjour est connu en juillet-août 1853 à Dardagny, en compagnie des peintres Leleux et Daubigny. Il est à nouveau en Suisse en 1856, mais cette fois à Neuchâtel. Puis il est accueilli en juillet 1857 à Genève et au château de Gruyères par la famille Bovy, chez qui il retourne en 1859 (18).
Le format, le style, la palette et la touche incitent à proposer deux dates probables d’exécution : le dernier trimestre de 1825 et septembre ou octobre 1828. Cependant, la composition, le style et la palette font davantage penser à une étude réalisée en 1828, sur le chemin du retour d’Italie vers la France.
Deux études connues présentent des caractéristiques stylistiques similaires : Lausanne. Au fond, le Lac de Genève et les Alpes, octobre 1825 (Grande-Bretagne, coll. part., R 42) (19) et Les Alpes au soleil (Suisse, coll. part., 1822, D 56 1) (20). Le ciel de la seconde est très comparable (sur photo) à celui de la présente Etude d’un paysage de montagne. C’est également une huile sur papier marouflée sur toile, mais elle a été réalisée à Paris d’après une étude d’Achille-Etna Michallon peinte sur les lieux en 1821.
Technique picturale et style

La composition est simple mais concourt à donner un grand sentiment de beauté et de quiétude presque bucolique. Un chemin courbe conduit à ce qui semble être une grange davantage qu’un chalet, à la lisière d’un petit bois, sur un fond de montagnes. L’avant plan est esquissé, sans détail, mais rappelle clairement une étendue d’herbe. Les arbres du petit bois sont esquissés en quelques touches rapides, néanmoins très évocatrices. La technique employée est la même à l’arrière-plan, sur le flanc droit, qui est posé avec une particulière finesse.
Le ciel est peu travaillé, mais rend bien la lumière particulière de l’aube ou du crépuscule, dans une belle variété de tons rose/rouge, culminant dans un bleu très léger.
Il est fort probable que Corot a d’abord jeté sur le papier les grandes lignes de ce qu’il souhaitait représenter. Un trait noir est bien visible, en réflectographie dans l’infrarouge, le long des sommets. Le dessin sous-jacent n’est pas visible dans une autre zone, ce qui peut s’expliquer par une imperméabilité des pigments aux infrarouges ou une limite technique propre à la réflectographie ou à la caméra utilisée ou encore une absence sur le reste de l’étude. Ce type de mise en place est aussi présent sur une étude réalisée en juillet 1873 à Sin-Le-Noble (21).
La facture est simple, conforme à ce que l’on attend d’une étude de ce type chez Corot : aucun détail, tout est évoqué sans soucis de finition, mais l’ensemble donne une belle vue de paysage comme il en a réalisé en Italie entre 1825 et 1828. La palette employée est un autre point commun : simple, peu étendue, jouant sur le camaïeu pour le sol, le bois et le ciel.
La radiographie (22) confirme la parfaite maîtrise de l’auteur de cette étude. Tout y est posé d’une seule venue, sans reprise, à l’exception de l’arbre situé derrière le chalet, modifié peu de temps après l’exécution de l’ensemble. Quelques modestes points de retouches postérieures sont clairement visibles :
- A gauche de l’arbre modifié ;
- Devant, à gauche, du groupe d’arbres central ;
- En haut à droite, presque au sommet de la montagne du fond.
Cette étude est un bel exemple du grand art de Corot, capable avec une économie de moyens d’exprimer la beauté d’un paysage et sa grande poésie.

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Histoire et attribution

La signature que porte l’étude peut faire l’objet d’une discussion, mais après une observation au microscope optique réalisée en novembre 2015, elle peut être classée au nombre des signatures autographes (cfr Analyse comparative).
Un détour par les origines de l’étude est indispensable avant d’aborder la signature elle-même. Le tableau a été vendu à Louise Rouyer-Warnier par Eugène Ducasse (23), et est resté dans la même famille jusqu’à ce jour. Louise Rouyer-Warnier est la fille de Jules Désiré Warnier, collectionneur rémois bien connu et donateur au Musée des Beaux-Arts de Reims de nombreux Corot. Ducasse est essentiellement dessinateur et graveur, élève de Corot, dont il est également collectionneur. Il est aussi un ami d’Alfred Robaut (1830-1909), le premier biographe du peintre.
Curieusement, peu de choses sont connues à son sujet. Jean Eugène Ducasse, né à Paris à une date inconnue, est élève de Chassériau et Corot (24). Il présente une seule eau-forte au Salon de 1857 : n° 3181, Solitude, d’après Corot (25). Aucune autre participation n’est connue. Henri Béraldi ajoute que Ducasse a gravé et signé « une dizaine d’autres pièces d’après le même peintre » (26).
Il fait partie du groupe d’amis de Corot qui lui remettent le 29 décembre 1874 (27), au Grand Hôtel, une médaille d'honneur gravée par Geoffroy Dechaume, « afin de rétablir l'injustice faite au Salon, où il n'avait jamais remporté la médaille de première classe ».
Après avoir été élève, il devient un ami de Corot (suffisamment pour que ce dernier lui offre les R 1242 et R 1243). Un relevé réalisé dans le Robaut indique que Ducasse a été un collectionneur des œuvres de son ami. En effet, quinze Corot lui ont appartenu ; deux sont conservés dans des musées : R 294 (Winterthur, Museum Oskar Reinhart) et R 1559 bis (Baltimore, The Walters Art Museum). Treize ne sont pas localisés : R 90, R 104, R 149, R 501 (vu lors de l’exposition de 1878), R 675, R 928, R 1242, R 1243, R 1269, R 1353 (exposition de 1878), R 1478, R 1568 (exposition de 1878) et R 2268.
Une seizième œuvre, objet de cette étude, a échappé à Robaut et se trouve aujourd’hui dans une collection particulière. Cet argument pourrait naturellement paraître fallacieux, mais cette catégorie d’œuvres ayant échappé au catalogage entrepris par Alfred Robaut est bien connue et documentée.
Ducasse acquiert également lors de la vente posthume de 1875 trois dessins de la collection de Corot exécutés par Caruelle d’Aligny, Eugène Lavieille et un d’après Ribera.
Enfin, le catalogue Robaut donne les références de trois gravures réalisées par Ducasse à partir de peintures de Corot : R 1235, R 1238 et R 1811.
Curieusement, il décède à une date et en un lieu inconnus (28).
La provenance n’est donc pas suspecte et bien connue dans l’historiographie de Corot. Naturellement, une collection de qualité peut comporter une pièce douteuse, mais rien n’indique en l’espèce que cela soit le cas.
Analyse comparative

La signature a une apparence normale , correspondant aux signatures connues de Corot à partir des années cinquante et particulièrement dans la décade suivante. Une première observation en lumière directe, sous un agrandissement x50 (29), montre au moins deux traits de peinture noire recouvrant ce qui semble être des craquelures. C’est en général l’indication d’une signature apocryphe apposée bien après l’exécution de l’étude ou de l’œuvre. La fluorescence d’ultraviolets donne l’impression qu’elle est posée au-dessus de la dernière couche de vernis . Cette impression est confirmée par le même document en noir et blanc . En revanche l’observation au microscope x70 infirme très clairement ces premières observations , , , , . Toute la signature est bien intégrée à son environnement, certaines zones étant partiellement usées , .
Le « C » est traversé par un trait grisâtre, recouvert en son milieu par le noir employé pour le reste de la lettre . Le premier « O » est très usé , le « R » également. Le même trait grisâtre (qui n’est pas une craquelure) traverse la jambe droite, un autre, plus clair, est visible dans le bas de la jambe gauche . Il n’y a rien à signaler de particulier à propos du second « O » , usé lui aussi , tandis que le « T » présente la particularité d’une tonalité noire plus soutenue à l’extrémité droite de la barre transversale, assimilable à une intervention postérieure.
La réflectographie de la signature , pas plus qu’une photographie dans l’infrarouge , n’apportent d’information nouvelle. Le filtrage dans le rouge (ca 620 nm) peut faire penser à une hésitation lors du traçage du second « O » , ce que l’observation au microscope ne confirme pas du tout. Il est bien posé d’un seul trait et présente un niveau d’usure comparable au premier.
Les signatures des œuvres conservées aux Musées du Louvre et d’Orsay (30) présentent des caractéristiques tellement similaires que celle de cette petite étude peut en être rapprochée, notamment par le « R » et le « T », très caractéristiques chez Corot. En outre, les « O » sont dans la plupart des cas tracés, dans ces deux musées, en deux traits plus ou moins égaux et plus ou moins fermés. Enfin, on ne constate aucune raideur ou hésitation ; le ductus est souple, léger et fluide.
En conclusion, cette signature, compatible avec celles connues, à partir des années cinquante, et particulièrement soixante, sur les tableaux et études autographes exposés aux Musées du Louvre et d’Orsay, a très probablement été posée tardivement et ensuite retouchée sur la pointe du « T ». Il n’y a aucune raison pour que Corot signe cette étude en 1828. Il ne peut l’avoir fait qu’au moment où il s’en sépare, soit de nombreuses années après sa réalisation. Cette pratique est bien connue dans l’histoire de Corot qui pouvait signer ses études à la « demande ». Elle ne suscite pas dans le cas présent d’inquiétudes particulières.
La signature tardive explique son apparence en fluorescence d’ultraviolets : posée sur un premier vernis, puis recouverte par le dernier, la fluorescence traverse cette dernière couche et produit cette très légère teinte grise.
La signature n’emporte jamais la décision à elle seule, chez aucun peintre, moins encore en ce qui concerne Corot. Il ne signe pas systématiquement ses réalisations. Il a signé quelques tableaux de ses élèves, mais moins qu’on ne le répète sans cesse. En outre, d’authentiques tableaux, conservés au Musée du Louvre, portent de fausses signatures ; au moins un tableau arbore une fausse et une vraie signature et un autre deux signatures authentiques :
- Marie Louise Laure Sennegon, nièce de l'artiste, R 248, Paris, Musée du Louvre (RF 1965) ; la signature en haut à droite est apocryphe, l’authentique est en bas à droite (daté 1831).
- Portrait d'homme, peut-être Ferdinand Osmond, dit autrefois le peintre Jean Augustin Franquelin, D 1948 9 (31), Paris, Musée du Louvre (RF 1965 4) ; signé et daté en bas à droite « Corot 1835 » et signé en bas à gauche ; « C. Corot ». Les deux signatures sont authentiques.
Cette petite étude n’a pas été reconnue en 1979 par Pierre Dieterle et Germain Bazin à qui le tableau avait été présenté par Jean Piquart (père de l’actuelle propriétaire). Mais, il n’y a plus lieu aujourd’hui de mettre en doute cette paternité pour les raisons évoquées jusqu’à présent.
Enfin, aucune autre étude ou œuvre représentant le même sujet à la même époque n’est connue dans une collection publique ou privée. Elle est un témoignage précieux du début de la vie artistique de Corot et une démonstration supplémentaire des acquis de son séjour romain entre 1825 et 1828.

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Commentaire

Pour toutes les raisons exposées, je ne vois aucun obstacle à reconnaître cette étude comme étant autographe, ceci en fonction des connaissances actuelles, avec un infime pourcentage d’erreur. C’est pourquoi cette étude sera intégrée dans le nouveau catalogue de l’œuvre peint et graphique de Camille Corot en cours de recherches.
L’attention du lecteur, de l’amateur, du collectionneur et du juge est attirée sur la considération fondamentale suivante : un catalogue raisonné, un rapport d’étude ou un article scientifique sont rédigés en l’état des connaissances au moment de la remise du texte.
Cela peut conduire, dans certains cas, à un résultat provisoire ou à une révision et signifie qu’une autre conclusion pourrait être formulée dans un futur non prévisible si les méthodes actuelles d’investigation étaient améliorées ou si de nouvelles méthodes étaient découvertes, ou encore si des facteurs quelconques étaient mis au jour.
Un Historien de l’Art et/ou un scientifique a une obligation de moyens et non de résultat : elle consiste à exécuter dans les règles de l’art les recherches, examens et analyses scientifiques que requiert l’étude complète d’une œuvre.
L’Histoire de l’Art est un domaine de la connaissance qui, à l’instar des autres, comporte toujours de larges zones d’ombre et de profondes lacunes. Il est dès lors compréhensible que des opinions tenues pour absolument fiables dans le passé, ou actuellement, puissent être revues à la lumière de connaissances nouvelles et méthodes d’investigation toujours plus performantes et rigoureuses. (32)
bibliographie

Cette étude n’a jamais fait l’objet d’une publication ou d’une exposition. Les ouvrages cités ci-dessous le sont dans le cadre de cette étude :
- Bazin (G.), Corot, Paris, 1942, réédité et revu en 1951 et 1973.
- Bühler (H. P.), « Ducasse (Jean-Eugène) », in Allgemeines Künstlerlexikon, vol. 30, Leipzig, 2001, https://www.degruyter.com/database/AKL/entry/_10196077/html vérifié le 15/05/2024.
- Conisbee (Philip), Sarah Faunce, Jeremy Strick, avec la collaboration de Peter Galassi, In the light of Italy : Corot and early open-air painting, Washington DC. National Gallery of Art. 26 mai - 2 septembre. Brooklyn Museum. 11 octobre 1996 - 12 janvier 1997. Saint-Louis. Art Museum. 21 février - 18 mai, Londres, Washington DC, 1996.
- Galassi (P.), Corot en Italie : la peinture de plein-air et la tradition classique, traduit de l'anglais par Jeanne Bouniort, Paris, 1991.
- Huyghe (R.), Le don de Madame la princesse de Croÿ, dans Beaux-Arts. Chronique des arts et de la curiosité, 8e année. n° 10, Paris, 20 octobre 1930, p. 4.
- Lang (P., sous la dir. de), Corot en Suisse, Genève. Musée Rath. 24 septembre 2010 - 9 janvier 2011, Genève, 2010.
- Ottani Cavina (Anna, sous la dir. de), Vincent Pomarède, Stefano Tumidei, Valentina Branchini, Emilia Calbi, Torsten Gunnarson, Christoph Heilmann, Kasper Monrad, Bianca Riccio, Tomas Sharman, Paysages d’Italie. Les peintres du plein-air (1780 - 1830), Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 3 avril - 9 juillet 2001 – Mantoue, Centro Internazionale d’Arte e di Cultura di Palazzo Te, 1er septembre - 16 décembre, Paris, 2001.
- Pantazzi (M.), V. Pomarède assisté de G. de Wallens, G. Tinterow assisté de A. M. P. Norton, Corot (1796-1875). Paris, Galeries Nationales du Grand Palais. Ottawa, Musée des Beaux-Arts du Canada. New York, The Metropolitan Museum of Art, Paris, 1996.
- Silvestre (T.), Histoire des artistes vivants. Reproduction de leurs principales œuvres par la photographie, Paris, 1853.
- Toussaint (H.), G. Monnier, M. Servot, Hommage à Corot. Peintures et dessins des collections françaises. Orangerie des Tuileries, 6 juin - 29 septembre 1975, Paris, 1975.
- Valenciennes (P.-H. de), Eléments de perspective pratique à l'usage des artistes, suivis de Réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage, Paris, 1799 (réédité en 1820).
- Wallens (Gérard de), Die falschen Corots : Mythos oder Wirklichkeit ? Über die dringende Notwendigkeit eines wissenschaftlichen Kataloges, dans Camille Corot. Natur und Traum, Karlsruhe. Staatliche Kunsthalle. 29 septembre 2012 – 6 janvier 2013, Karlsruhe, 2012, p. 456-457.
- Wallens (Gérard de), Les faux Corot. Mythe ou réalité ? Un urgent besoin de catalogue scientifique, dans Corot dans la lumière du Nord, Douai. Musée de la Chartreuse, 5 octobre 2013 – 6 janvier 2014, Carcassonne, Musée des Beaux-Arts, 21 février – 21 mai 2014, Paris, p. 264-275 (version française de l’article paru en allemand en 2012).



