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Ebénisterie - Epoque contemporaine - France - Histoire de l'art Eugène Warmenbol D'un orient à l'autre, ou L'Egypte en Extreme-orient Un parfait exemple d'égyptomanie : une armoire de 1907
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Reporticle : 2 Version : 1 Rédaction : 11/01/2012 Publication : 11/01/2012

Introduction

Une armoire à l'égytienne en Extrême-Orient

L’armoire « à l ‘égyptienne » présentée par la Galerie Victor Werner est exceptionnelle à plus d’un égard. Elle porte, en effet, non seulement le nom de l’ébéniste et la mention du lieu et de la date de fabrication, mais également, le nom du commanditaire et la mention de la nature et du cadre de ses fonctions. Toutes ces informations sont livrées en hiéroglyphes égyptiens, dont la translittération s’est avérée déterminante pour l’étude du meuble, stylistiquement assez proche du « Napoléon III ». Il date, en fait, de l’année de la cession du Congo à la Belgique par Léopold II. Le meuble, comme nous le verrons, livre des détails fort savoureux. La date de fabrication constitue l’élément essentiel, autour duquel s’organise la suite de l’étude. Elle se lit sans difficulté dans le bas de la « grande » inscription sur la gauche : « 1907 », avec un signe pour le millier, neuf pour les centaines, et sept pour les unités.

Les Sources

Armoire égyptisante, Anvers, collection privée
(Galerie Victor Werner)
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Armoire égyptisante, 1907
Buste de Prisse d'Avennes
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Emile Prisse d’Avennes

Emile Prisse d’Avennes (1807-1879) découvre l’Orient en qualité d’ingénieur hydrographe, appelé dans le cadre de ses fonctions par le roi d’Egypte Mehmet Ali. Bien vite sa passion pour l’archéologie prend le dessus et il parcourt le pays à la recherche de monuments oubliés. Sa formation aux Beaux-arts l’a doté d’un beau coup de crayon et il illustrera ses pérégrinations de dessins et croquis dont l’exactitude archéologique s’avèrera bien supérieure à celle de ses prédécesseurs. Il s’inscrit également dans la modernité en s’intéressant autant à la période pharaonique qu’à celles islamique et contemporaine. Maîtrisant l’arabe, il lance les bases d’études ethnographiques inédites pour l’époque. Son Histoire de l'art égyptien d'après les monuments (Paris, A Bertrand, 1879) sera un réel succès de librairie et constituera pour beaucoup la source principale de la connaissance de l’Egypte antique. Il a fait l'objet d'une importante exposition à la Bibliothèque Nationale.

L’ébéniste, qui, forcément, n’était pas égyptologue, s’est servi de sources littéraires, identifiables pour ce qui est des images, mais non pour ce qui est des textes. La forme générale du meuble est empruntée, sans le moindre doute, à la 53ème planche de la partie « Architecture » de l’Atlas de l’Art égyptien d’Emile Prisse d’Avennes paru planche par planche de 1858 à 1877. Le dessin reproduit la niche du mammisi (« Maison des Naissances ») de Dendérah, qui date de l’époque gréco-romaine. Que l’ébéniste ait bien utilisé cette source-là se trouve confirmé par l’identification des têtes en profil qui ornent les faces latérales du meuble. A gauche, en bas, il s’agit d’une tête du pharaon Amenhotep III, « croquée » par Emile Prisse d’Avennes dans la tombe thébaine de Khaemhat, illustrée par lui à la 38ème planche de la partie « Sculpture » de son Atlas. A gauche, en haut, nous voyons le profil de la reine Tiy, épouse du précédent, représenté dans la même tombe, mais aussi sur la même planche de son Atlas. Et nous retrouvons Emile Prisse d’Avennes et la même planche de l’Atlas sur la droite, puisqu’en bas comme en haut nous y voyons le profil du roi Taharqa en dieu Amon (ce qui explique les cornes de bélier), tel que représenté sur la colonnade qu’il a fait ériger à Karnak. La tête en haut, comme les deux têtes de gauche, est en métal, celle en bas, par contre, est en bois. Il fait peu de doute qu’elle vint remplacer la tête de Taousert, reine de la 19ème dynastie, et modèle de la Taousert du « Roman de la Momie » de Théophile Gautier, « croquée » dans son tombeau de la Vallée des Rois, une reine qui complète le quatuor rassemblé sur la planche de Prisse d’Avennes, comme elle complétait sans doute le quatuor rassemblé sur l’armoire.
Les deux volumes de l’Atlas de l’Art égyptien, richement illustrés de lithographies en couleurs claires, ont connu un succès sans précédent chez les artistes et décorateurs, sans doute aussi parce qu’ils étaient autrement accessibles, financièrement, que les volumes de la « Description de l’Egypte » publiés sous l’égide d’Edmé Jomard, ou des « Denkmäler aus Ägypten und Äthiopien », publiés sous la direction de Richard Lepsius. Nous les retrouvons mis en œuvre, entre autres, par le peintre-décorateur Henri Verbuecken à l’occasion de sa restauration en 1901 du Pavillon des Eléphants du Jardin zoologique d’Anvers, pavillon qui affecte la forme d’un temple égyptien…

L’auteur

La signature de l’ébéniste ouvre la « grande » inscription sur la gauche : il s’agit d’un certain « Joseph », qui soit porte « Birouty » (ou Beyrouthi) pour nom de famille, soit se donne comme originaire « de Beyrouth ». Suivent deux signes (un oiseau, le signe G17 de la liste de Gardiner, et un arbre, le M1 de la même liste) que nous ne pouvons malheureusement pas lire comme « du pays des Cèdres » (donc, « du Liban ») comme nous l’avions pensé à une première lecture: l’arbre est dessiné sommairement mais correctement et doit être identifié à un sycomore. Nous reviendrons à cette question plus loin, puisque cette combinaison de signes apparaît une deuxième fois sur l’armoire. Nos recherches n’ont rien révélé à propos de cet ébéniste. Un meuble semblable, sans aucun doute du même auteur, et utilisant en partie les mêmes bronzes, était en vente chez Philippe Farley à New York en 1991. Il l’attribuait, erronément mais significativement, à « Charles Moral, ca. 1840 ». Cette armoire est également rehaussée de textes hiéroglyphiques, malheureusement illisibles sur la photographie de celle-ci, publiée à l’époque dans l’Architectural Digest.

Le commanditaire

Armoire égyptisante, Bruxelles, collection privée (Galerie Victor Werner), détail du hiéroglyphe «Mahachulalongkorn»
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Détail du hiéroglyphe «Mahachulalongkorn».

Le nom du commanditaire ouvre la « grande » inscription sur la droite : il s’agit d’un certain « Parmentier ». Au vu de ce qui suit, il s’agit très certainement d’Henri Parmentier (1871-1949). Architecte de formation, il débarque en Indochine en novembre 1900, comme pensionnaire de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, qui vient d’être créée. Il devient chef du Service archéologique de l’EFEO en 1904 et organise dès cette année une mission à Angkor, avec H. Dufour et Ch. Carpeaux. Angkor restera la grande œuvre de cet homme qui fera de l’Indochine sa seconde patrie. Henri Parmentier assurera deux fois la direction (par intérim) de l’EFEO, de juillet 1909 à novembre 1910, et de mai 1918 à décembre 1920. Nous venons de voir qu’Henri Parmentier était architecte de formation, le signe hiéroglyphique (le signe A9 de la liste de Gardiner) qui suit le cartouche contenant son nom, ne signifie sans doute rien d’autre. Plus curieux sont les hiéroglyphes qui suivent, car ils composent le nom « Siam », l’ancienne dénomination de la Thaïlande. Henri Parmentier était architecte en Indochine française et non en Thaïlande. Les autres signes dans le cartouche, par ailleurs, composent le nom, ou plutôt le titre, « Maha Chulalongkorn », porté, entre autres par le roi Rama V du Siam, qui règne de 1868 à sa mort en 1910.

Il est difficile de comprendre pourquoi Henri Parmentier a tenu a associer son nom à celui d’un roi du Siam, d’autant que la France et le Siam de Rama V ont mené une guerre en 1893, qui a mené à la cession du Laos à la France. Et si Henri Parmentier l’a fait par jeu, cela nous paraît quelque peu léger, puisque le titre en question réfère au « Bouddha royal ». D’autre part, c’est en mars 1907 que Rama V « restitue » les provinces de Battambang et d’Angkor au Cambodge, c’est-à-dire, à ce moment-là, à l’Indochine française. Notons pour l’anecdote que Rama V fut l’enfant éduqué par Anna Leonowens, célèbre en Occident par le film « Anna et le Roi » (et ses remakes), toujours interdit d’ailleurs en Thaïlande.

Parmentier et l’Egypte

Il suffit de relire Marguerite Duras (« L’Amant ») pour savoir à quel point petit était le milieu colonial en Indochine française. Il ne fait aucun doute que tout le monde connaissait tout le monde, intimement. Parmi les coloniaux, proches de l’EFEO, figurent Georges et Henri Maspéro, deux fils de Gaston Maspéro (1846-1916), un des plus grands égyptologues français. Georges Maspéro (1872-1942) avait été formé, à partir de 1891, à l’Ecole Coloniale et à l’Ecole des Langues orientales, où il obtint les diplômes de chinois et d’annamite. Il est chancelier-stagiaire dès 1894 à Phnom Pén et correspondant de l’EFEO dès 1903. Il a certainement fréquenté Henri Parmentier donc et lui a parlé d’Egypte, sans doute, où Georges Maspéro avait passé une partie de sa jeunesse. Henri Maspéro (1883-1945), demi-frère du précédent, et sinologue de formation, aura abondé dans le même sens, mais il est vrai qu’il ne rejoint d’EFEO qu’en 1908. Dans notre histoire, il arrive certes trop tard.

Les « petites » inscriptions

Les deux « petites » inscriptions doivent vraisemblablement se lire l’une à la suite de l’autre, celle de droite d’abord, celle de gauche ensuite. Le premier signe (l’œil D4 de la liste de Gardiner) nous précise apparemment qu’il s’agit, dans cette inscription, du lieu de manufacture (le signe dit « made in… », en quelque sorte). Les derniers signes sont le G17 et M1 de la liste de Gardiner, évoqués plus haut, mais suivis ici du signe O49, ce que les égyptologues appellent un « déterminatif », le signe suggérant le « champ sémantique » du mot « déterminé ».

Ce signe O49 nous révèle que les signes qui précèdent composent (la fin d’)un nom de ville. Il y a tout lieu de penser qu’il s’agit de Paris, même si les autres signes de la « petite » inscription de droite n’en donnent pas toutes les lettres (il manque le D21, qui se lit « r », de la liste de Gardiner)..

Circonstances

Henri Parmentier quitte l’Indochine début juillet 1907, pour raisons de santé, et y revient début janvier 1908. A ce moment, plus exactement de mai à octobre 1907, se tient au Bois de Vincennes à Paris l’Exposition coloniale, qui présentait entre autres un « village indochinois », peuplé d’indigènes, à la manière de l’époque. Il ne fait pas le moindre doute qu’Henri Parmentier y a représenté l’Ecole Française d’Extrême-Orient, et qu’il n’est pas revenu de Saigon seulement pour se refaire une santé. Il est donc à Paris dans la deuxième moitié de 1907 : il y a (ou était-ce, en fait, en route, à Beyrouth ?) commandé des meubles chez « Joseph », dont l’armoire que nous étudions. Comme ils portent son nom, nous pensons que ce fut à titre personnel.

Appréciation

Il ne manque pas de particuliers qui se font faire une bibliothèque (la référence est à celle d’Alexandrie, bien sûr), ou une autre pièce avec des meubles « à l’égyptienne », mais nous ne connaissons pas d’autres exemples en Extrême-Orient, que celui d’Henri Parmentier. Nous ferons volontiers la comparaison ici avec le « Palais hindou » construit en 1907-1908 pour Edouard Empain, l’industriel belge, dans la banlieue du Caire. Cet édifice, totalement incongru sous le soleil d’Egypte, est inspiré des monuments de Khajurâho et Fatehpur Sikri. De l’autre côté de l’Orient, Henri Parmentier se mettait dans des meubles à l’égyptienne, dans lesquels, sans doute, seuls Georges et puis Henri Maspéro se sont sentis « chez eux ».
Et quoi de plus exotique, en plus, d’avoir sur ces meubles le nom d’un souverain du Siam. La reine Victoria était mentionnée en hiéroglyphes sur les architraves de l’Egyptian Court de Crystal Palace, à Londres, en 1854, celui du roi Léopold Ier sur ceux du temple égyptien d’Anvers, évoqué plus haut, en 1856. Ici, on a fait « encore plus exotique »…

Illustrations

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