Marc CHAGALL, de Vitebsk à Jérusalem, itinéraire d’un artiste juif
Pour être juste, Chagall n’aurait pas aimé ce qualificatif d’ « artiste juif » qui lui collait à la peau à la manière d’une étiquette encombrante et par trop réductrice de ce qu’il souhaitait transmettre — non pas qu’il reniât le moins du monde son état de Juif — mais bien parce qu’il souhaitait délivrer un message de paix, d’amour et d’harmonie entre les hommes et ce, quelle que soit leur religion : « Car comme toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d’amour et d’espoir. » (1). Puissions-nous encore ardemment l’écouter aujourd’hui.
VITEBSK – 1887 - 1910
Moshe Zakharovitch Chagall ou Segal (selon les transpositions orthographiques en hébreu) naît dans le shtetl de Liozna, un faubourg de Vitebsk le 7 juillet 1887 (soit le 15 du mois de Tammouz de l’an 5647). Il est l’aîné d’une famille de neufs enfants, dont les parents sont quasiment illettrés, son père travaille comme ouvrier chez un grossiste en harengs tandis que sa mère tient une petite épicerie. Ce sont des Juifs hassidiques traditionnels et Chagall suit des cours d’hébreu et étudie la torah et le talmud à la yeshivah du bourg, mais il montre rapidement des dispositions pour le dessin et ses parents acceptent de lui offrir des cours de peinture chez un peintre local, Yehuda Penn.
En 1897, Vitebsk, capitale de la Biélorussie compte près d’un million et demi d’habitants dont 175 000 Juifs.
En 1907, Chagall a 20 ans, lorsqu’il part à Saint-Pétersbourg, alors capitale culturelle de la Russie, où il réussit à s’inscrire, grâce à un subterfuge (2), à l’Ecole impériale des Beaux-arts (en principe interdite aux Juifs) et aux cours d’art moderne de Léon Bakst, qui collabore aux décors des ballets russes de Diaghilev, lui faisant ainsi découvrir une peinture française sortant de l’académisme. Dès lors, Chagall n’a plus qu’une idée en tête, partir à Paris. Aussi lorsque le député Vinaver lui propose de subventionner un séjour à Rome ou à Paris, Chagall n’hésite pas un seul instant et choisit la capitale française, où à la suite de ses mentors Bakst et Diaghilev arrivés en 1909, il débarque à son tour en 1910.
Lorsque Moïse, lors de l’Exode, redescendit du mont Sinaï avec les tables de la loi, il trouva les Hébreux idolâtrant un veau d’or, qu’il fit aussitôt détruire tout en châtiant implacablement les fautifs. C’est ainsi que la loi mosaïque interdit toute représentation visuelle de l’Eternel, certains de ses prophètes menaçant : « Toutes ces images sculptées seront fracassées » (3). Mais si on lit bien les textes de la Torah, cette interdiction ne s’applique en fait qu’aux hommes et c’est leur vanité que la loi condamne, et non pas celle de représenter Yahvé. Dans le judaïsme, on ne se prosterne pas devant Dieu, on le prie debout, Emmanuel Kant ne dira pas autre chose au XVIIIème siècle : « S’agenouiller ou se prosterner jusqu’à terre, pour se rendre sensible à l’adoration des choses célestes, est contraire à la dignité humaine, comme l’est la prière que l’on fait à celles-ci devant des images, car vous vous humiliez alors non devant un idéal qui vous représente votre raison, mais devant une idole qui est votre propre ouvrage. » (4) A l’instar de ce judaïsme, on peut affirmer que Chagall « voit des voix » et que c’est cela qu’il peint.
Pourquoi son autoportrait a-t-il 7 doigts ? Parce qu’en yiddish, faire quelque chose « mit ale sibn finger » (« avec tous les 7 doigts ») consiste à mobiliser toutes ses facultés rationnelles et irrationnelles. Le Hassidisme (de Hassid, pieux en hébreu) est un mouvement mystique néo-panthéiste instauré en Ukraine par le rabbi Baal Shem Tov (1698 – 1760) au milieu du XVIIIème siècle ; il s’inspire, entre autre, de la Kabbale pour mieux mélanger le spirituel et le surnaturel au quotidien. Parce qu’elle est moins stricte qu’à la synagogue, elle est davantage une croyance populaire et festive dans laquelle chacun converse et prie directement avec Yahvé, musique et danse y jouant également un rôle majeur. Et c’est bien le sens qu’il faut donner au tableau de Chagall, dans lequel il a mêlé un sacré sublime (le Livre et l’étoile de David) avec le geste prosaïque et profane de la prisée. Le Hassidisme a rencontré un immense succès dans le yiddishland au XIXème siècle, mais il s’est malheureusement rigidifié et caricaturé au fil du temps, nous donnant aujourd’hui à voir l’image figée d’un Juif orthodoxe déguisé vivant dans son propre ghetto et n’obéissant qu’à ses propres règles. De manière populaire, c’est évidemment grâce au succès d’un film comme « Les Aventures de Rabbi Jacob » tourné par Gérard Oury en 1973, dans lequel un industriel français hargneux et antisémite – Louis de Funès – doit se déguiser en rabbin hassidique pour échapper à ses ennemis. Ou encore cette publicité Benetton en 1986 qui fit grincer quelques dents, nombre de Juifs ne se reconnaissant pas dans cette icône hassidique. « Shtetl » est un mot yiddish (dialecte mêlant haut-allemand et hébreu avec un soupçon de slave) désignant une petite ville ou une grand village ou encore une grosse bourgade près d’une grande ville, du XIIIème au XXème siècle, dans ce qu’on appelait le Yiddishland, à savoir un énorme territoire – surnommé aussi le « pays sans frontière » - en Europe orientale (Pologne, pays baltes, Biélorussie, Ukraine, Roumanie, Hongrie et Croatie) où vivaient des communautés de juifs ashkénazes parlant yiddish. En 1835, le tsar de Russie, Nicolas 1er leur impose des « zones de résidence » qui limitent leur libre circulation, l’enseignement supérieur et l’accès à certaines fonctions d’état (fonctionnaire, militaire…). Ces zones disparaissent momentanément en 1917 suite à la révolution bolchevique. Lénine réinstaure en 1923 des « Colonies Agricoles Juives » qui visent à intégrer les Juifs dans la vie moderne soviétique. Les CAJ se transforment brusquement en 1938 sur l’ordre de Staline en « Kolkhozes » mais sous l’influence du sionisme, du socialisme et des écrits de Tolstoï, elles apparaissent dès 1910 (Degania) en Palestine sous la forme de communautés rurales juives appelées « Kibboutz » (« Assemblée »).
Peu avant 1939, on estimait la population du Yiddishland à 11 millions de personnes.
Le Yiddishland va produire une importante culture autonome qui touche au théâtre, à la littérature (contes, poésie, presse), à la musique (Klezmer) et à la peinture. La comédie musicale américaine « Un Violon sur le toit » en 1964 est une des plus célèbres représentations de la vie d’un shtetl à l’époque des « Zones de résidence », elle est due à Joseph Stein pour le livret, Sheldon Harnick et Jerry Brock pour les paroles et musique d’après l’œuvre du romancier yiddish, Cholem Aleichem et les toiles de Marc Chagall. On y trouve en effet toute une gamme de personnages pittoresques : le rabbi (« le maître »), la yentl (« l’entremetteuse »), le schleiper (« le porteur de bagages »), le shoret (« le boucher casher ») ou encore le schnorrer (« le mendiant ») et bien sûr le violoniste klezmer ! Le cinéaste américain Norman Jewison en fera une version filmée en 1971 avec Chaïm Topol dans le rôle du violoniste ambulant.
« Pogrom » est un mot russe signifiant ”pillage”, selon l’historien Raul Hillberg c’est ”une brève explosion de violence d’une communauté contre un groupe de juifs qui vit au milieu d’elle-même. ». En Russie, par pogrom, on entend l’attaque d’un shtetl avec pillage et assassinats par un groupe de Chrétiens orthodoxes et ce avec le consentement passif des autorités ou avec son assentiment de 1881 à 1921. Le Tsar Alexandre II est assassiné par des anarchistes en 1881 et lorsque son fils, Alexandre III lui succède, il accuse les Juifs du complot et mène désormais une politique ouvertement antisémite, pogroms à l’appui, déclarant prophétiquement : « Un tiers des Juifs devra se convertir, un tiers émigrera et un tiers périra. » (5). La révolution bolchevique de 1917 change profondément la vie des Juifs russes sur le papier puisqu’ils retrouvent tous leurs droits civils, malheureusement dans les faits, ça ne change pas grand-chose à leur sort puisqu’on dénombre entre 1918 et 1921, 380 pogroms qui totaliseront 60 000 morts. Cette politique des pogroms aura deux conséquences, l’émigration aux Etats-Unis de 600 000 Juifs et la naissance du Sionisme.
PARIS – 1910-1914
En janvier 1910, Chagall s’installe dans le XVème arrondissement, à La Ruche, une bourdonnante et récente cité d’artistes (aux loyers meilleurs marchés qu’au Bateau-Lavoir), où ils retrouvent des compatriotes comme les sculpteurs Alexander Archipenko, Ossip Zadkine (originaire lui-aussi de Vitebsk) et Léon Indebaum. Mais aussi Amedeo Modigliani et Fernand Léger, des poètes comme Guillaume Apollinaire, Max Jacob ou Blaise Cendrars qui lui titrera plusieurs compositions (« Moi et le village »), il sera bientôt rejoint en 1912 et 1913 par le trio biélorusse, Pinchus Krémègne, Michel Kikoïne et Chaïm Soutine. Curieux, il visite le Louvre où il s’intéresse à Watteau, Delacroix et Géricault, découvre chez Vollard les tableaux de Van Gogh, Gauguin et les œuvres fauves de Matisse. Chagall est attiré par la couleur mais ce Fauvisme déjà vieillissant lui semble décoratif et il lui préfère le jeune Picasso cubiste découvert chez Kahnweiler où il trouve cette « discipline dans la forme » qu’il guette depuis son arrivée. Pourtant son cubisme est davantage un système de juxtapositions d’images plutôt qu’une déconstruction par plans. Autre rencontre importante, celle de Robert Delaunay dont la femme, Sonia Stern est russe et juive. Par leur intermédiaire, il rencontre un couple de compatriotes, Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova fondateurs du « Rayonnisme » et pionniers du « Primitivisme », arrivés à Paris en 1914. Mais tout en picorant ici et là, Chagall n’entrera jamais dans aucun mouvement pictural, pareillement plus tard pour le Surréalisme auquel, malgré les sollicitations de Breton, il n’adhérera pas. S’il y a bien deux points communs dans son œuvre c’est une palette richement colorée et son judaïsme profondément enraciné qui deviendra plus tard son « message biblique » et qu’il peindra inlassablement de mémoire durant son séjour parisien. Mais malgré toutes ces rencontres fertiles, Chagall ne parvient pas à vendre ses œuvres, Apollinaire qui l’a pris sous son aile lui obtient en 1914 une exposition personnelle chez Herwath Walden, à la Galerie Der Sturm à Berlin. Profitant de son séjour berlinois et se languissant de sa fiancée, Bella Rosenfeld, il décide de rentrer à Vitebsk. La guerre éclate, les frontières sont aussitôt fermées et voilà Chagall coincé en Russie et puisqu’il est peintre, il est enrôlé dans une équipe de camouflage.
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Accusés par l’état-major russe d’espionner au profit des Allemands, les Juifs sont arbitrairement expulsés des zones frontalières et Vitebsk voit arriver des milliers de réfugiés originaires de Lituanie, ce qui entraîne un regain d’intérêt de Chagall pour ses coreligionnaires chahutés par les évènements et dont les fêtes rituelles sont devenues de rares moments de joie et d’émotion. En 1916, il est commandité pour décorer une école talmudique mais le projet ne dépassera pas le stade des esquisses. Son autre point d’intérêt est pour Bella, la jolie fiancée « aux gants noirs » qu’il épouse en 1915, une fille, Ida, leur naît l’année suivante.
Roch Hachana (« commencement de l’année ») correspond au nouvel an juif (25 et 26 septembre 2015), il est immédiatement suivi par 10 jours de pénitence et de jeûne afin d’obtenir le Grand Pardon lors de la célébration du Yom Kippour, la fête la plus sacrée du judaïsme avec ses rites propriatoires de repentance (le bouc émissaire) et de purification. Souccot a lieu en octobre et dure 7 jours, c’est la Fête dite des cabanes ou des tabernacles ou des tentes, elle célèbre la fuite des Juifs hors d’Egypte, logeant dans des cabanes de palmes (« soucca ») et recevant la manne céleste dans le désert. Pourim est l’équivalent d’un carnaval où l’on échange des cadeaux pour fêter le triomphe de la reine Esther contre l’infâme vizir perse Haman qui projetait de massacrer tous les Juifs de Perse (4 et 5 mars 2015).
Pessah, la Pâque juive (3 au 11 avril 2015) célèbre également le retour des Hébreux en Israël. On y sacrifie l’agneau et on le mange avec du pain sans levain (« matzot ») et des herbes amères lors du repas du seder. Le Sabbat (ou Chabbat, samedi) ou « le jour du repos » se célèbre en famille chaque vendredi lorsque le soir tombe, on allume alors les bougies de la ménorah (le chandelier à 7 branches), on fait un bon repas, on y boit du vin et chacun à son tour adresse une prière à l’éternel, le lendemain, samedi (« sabbato » en italien) est chômé jusqu’à la tombée de la nuit car comme il est dit dans « L’exode » : - « Pendant six jours tu feras ton ouvrage ; mais le septième jour, tu te reposeras, en sorte que ton bœuf et que ton âne aient du repos et que le fils de la servante et que l’étranger reprennent haleine. ».
RUSSIE & REVOLUTION – 1918-1922
La Révolution bolchevique rend aux Juifs leurs droits civils et Chagall est contacté en 1918 par l’ex-journaliste Anatole Lounatcharsky, qu’il avait rencontré à Paris, entretemps devenu Commissaire du Peuple à l’instruction publique, qui lui propose la direction des Beaux-arts de Vitebsk. Enthousiasmé par le projet, Chagall fonde une Académie, organise expositions et festivités artistiques et invite El Lissitzky et Kazimir Malevitch à le rejoindre. Mais rapidement les positions esthétiques radicales de Malevitch se heurtent à la vision poétique et figurative de Chagall et profitant d’une brève absence, il est démissionné de sa charge. Chagall émigre à Moscou en 1920. Il y travaille au Théâtre juif d’état pour lequel il conçoit quelques grands décors mais le salaire est misérable et Chagall décide d’emmener sa famille à Berlin où Herwath Walden qui avait entre-temps vendu les toiles déposées en 1914, avait déposé l’argent sur un compte en banque. Las, suite à l’inflation due à la guerre, cet argent n’a plus aucune valeur et Chagall se retrouve dans une situation financière extrêmement précaire, heureusement grâce à l’invitation de Blaise Cendrars, il peut retourner à Paris.
RETOUR A PARIS 1923 – 1941
Le Juif errant est une légende chrétienne médiévale : Ahasvérus, cordonnier de son état assiste à la montée au calvaire du christ et lorsque celui-ci tombe à ses pieds, il refuse de l’aider ; pour ce manque flagrant de miséricorde, il est désormais condamné à l’immortalité et à une errance perpétuelle de par le monde. Si la première version du XIIIème siècle en fait le symbole d’un misérable voyageur apatride du fait de la chute du royaume d’Israël au profit du royaume de dieu, la deuxième version qui paraît au XVIème siècle en Allemagne via un opuscule anonyme connaîtra un succès foudroyant, elle transforme la légende en mythe, faisant alors de l’artisan impitoyable, un Juif cruel et sans pitié bien représentatif de la race maudite, cette race déicide dorénavant responsable de tous les malheurs humains : peste, famine et guerre ; devenant ainsi une figure emblématique de l’antisémitisme, bouc émissaire auquel on attribue ici et là des sacrifices d’enfants, des profanations d’hosties, des enlèvement de jeunes filles ou encore des puits empoisonnés. En 1910, Apollinaire publie une courte nouvelle intitulée « Le Passant de Prague » dans laquelle il raconte sa rencontre avec Isaac Laquedem, le Juif errant revenant de Paris par Bruxelles ; il le promène dans la ville et l’emmène au bordel : « Des remords ? Pourquoi ? Gardez la paix de l’âme et soyez méchant. Les bons vous en sauront gré. Le Christ ! Je l’ai bafoué. Il m’a fait surhumain. Adieu ! » Le Juif errant peut aussi être compris comme le symbole de la diaspora du peuple juif. (du grec ancien, « dispersion d’une communauté »).
A Paris, Chagall se consacre à la gravure (eau-forte et lithographie). Le galeriste et éditeur Ambroise Vollard lui demande d’abord d’illustrer le Revizor de Gogol puis les Fables de la Fontaine et pour finir la Bible, sujet qui le passionnait tout particulièrement et pour lequel il va se resourcer en 1931 en Palestine en inaugurant le Musée de Tel Aviv pour continuer par la Syrie et l’Egypte et sur lequel il travaillera jusqu’en 1939, las, Vollard décède accidentellement, la guerre menace et Chagall ne reprendra le chantier qu’en 1952, il faudra attendre 1957 pour que Tériade édite enfin « La Bible ». Une première rétrospective à Paris en 1924 suivie d’une autre à New York en 1926 consacrent son talent et le libèrent enfin des difficultés pécuniaires. Toujours dans les années 30, il voyage en Hollande pour aller voir les gravures de Rembrandt, en Espagne où il découvre Le Gréco mais en 1935, à Varsovie lorsqu’il est confronté au ghetto, il prend brutalement conscience de la terrible menace qui guette les siens. Sa palette s’assombrit terriblement et chaque ciel semble menacé par un orage imminent. En 1937 s’ouvre à Munich une exposition d’ « art dégénéré » dans laquelle figurent plusieurs de ses œuvres et en 1939 a lieu à Lucerne une vente programmée d’œuvres dégénérées par Goebbels, lors de laquelle la ville de Liège achète e.a. « La maison bleue ». Devenu Marc, Chagall acquiert la nationalité française en 1937, mais la chose a peu de valeur face à la montée de plus en plus virulente de l’antisémitisme.
En 1898, la France avait été littéralement déchirée en deux par l’affaire Dreyfus et le climat délétère des années 30 ressuscite les vieux démons. Chagall réagit en peignant « Résistance », une œuvre syncrétique dans laquelle, il associe un christ crucifié vêtu du « talit » (le châle de prière), symbole du sacrifice avec des personnages humains ou angéliques sur fond de shtetl menacé.
« La Crucifixion blanche » peinte un an plus tard décrit cette fois un sauve-qui-peut généralisé autour du crucifié mort et abandonné. Lorsque la guerre éclate en 1940, Chagall part avec Bella et Ida dans le Lubéron et grâce à un comité américain installé à Marseille qui vient en aide aux artistes, ils peuvent s’embarquer pour New York, ils y débarquent le 22 juin 1941, ce jour-là les troupes allemandes envahissent l’URSS. Vitebsk est prise le 11 juillet 1941, les massacres de Juifs par des unités spéciales débutent dès la fin juillet et en octobre 1942, on estime à 110 000, le nombre de Juifs biélorusses assassinés.
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NEW YORK – 1941-1946
Outre sa famille, Chagall, grâce au MoMA a pu emmener ses œuvres et son matériel à New York, où il retrouve de nombreux artistes en exil. Rasséréné sur le sort de ses proches, sa peinture est moins angoissée et il expose régulièrement à la Galerie Pierre Matisse. Son séjour américain sera surtout marqué par son passage au monde de l’opéra puisqu’il est contacté en 1942 par l’American Ballet Theater qui lui commande des décors et des costumes pour Aleko, une chorégraphie de Leonid Massine sur une musique de Serguei Rachmaninov (1892) qui raconte – en un acte – l’histoire d’un jeune citadin, Aleko, qui espère trouver le salut en suivant une troupe de tziganes ; il tombe éperdument amoureux de l’affriolante Zemfira qui ne partage malheureusement pas sa passion. Excédé par les infidélités répétées de la belle, il la poignarde avant d’être banni de la tribu. Cette sombre et passionnelle diaspora ne pouvait que séduire Chagall qui livra une impressionnante série de costumes hautement colorés exécutés durant son séjour au Mexique avant de poursuivre avec L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky qui se joua en 1945 au MoMA. Le 2 septembre 1944, un terrible drame le frappe, Bella décède inopinément et Chagall en sera profondément affecté durant de nombreuses années.
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RETOUR EN FRANCE – VENCE – 1947-1985
En 1946, après une importante rétrospective au MoMA, Chagall rentre en France, où il est accueilli comme une star, recevant une exceptionnelle consécration officielle dont une grande rétrospective au Musée d’Art moderne de Paris. A l’instar de Picasso et de Matisse, Il quitte l’Île-de-France pour descendre à son tour dans le sud et s’installer à Vence en 1947. Cette année-là, le 11 juillet, le navire Exodus quitte le port de Sète avec à son bord 4 500 Juifs rescapés de la Shoah mais sans visa, à destination de Tel Aviv, alors sous mandat britannique. Le 16 juillet, les Anglais arraisonnent le bateau au large de la Palestine et renvoient brutalement tous les passagers en Allemagne, en zone britannique. L’affaire bouleverse l’opinion mondiale et son impact émotionnel fera accélérer le processus de création de l’état d’Israël qui voit le jour, le 14 mai 1948. A partir des années 1950, à travers peintures mais aussi vitraux, tapisseries et mosaïques, Chagall chante l’Ancien testament, les 12 tribus d’Israël et l’histoire de Moïse.
En 1973 est inauguré le Musée National du Message Biblique à Nice.
Chagall décède à Saint-Paul-de-Vence, le 28 mars 1985, à l’âge de 97 ans.
Comme un barbare
(…) Mon peuple, c’est pour toi que j’ai chanté
Qui sait si ce chant te plaît
Une voix sort de mes poumons
Toute chagrin et fatigue
C’est d’après toi que je peins
Fleurs, forêts, gens et maisons
Comme un barbare je colore ta face
Nuit et jour je te bénis (6)