Compte-rendu de thèse*
Quiconque entreprend d’investiguer l’astérisme (1) des arts relationnels se heurte à une interrogation élémentaire : existe-t-il un art relationnel ? L’art n’est-il pas, d’emblée, un rapport au monde médiatisé par une forme, induisant une diversité de modes relationnels – formels, structuraux, cognitifs, communicationnels, trans- ou interactionnels ? Quel sens revêt cet accent mis sur une qualité sans doute intrinsèque à l’œuvre d’art ? Et d’abord, qu’entend-on par relation ?
L’histoire des arts récents nous livre plusieurs hypothèses relationnelles, sans qu’aucune étude n’ait à ce jour entrepris d’en établir une cartographie ni même une chronologie. La littérature sur la question est fragmentaire, n’abordant ces hypothèses qu’isolément, sans jamais les articuler en une histoire de l’art, une histoire des arts relationnels. La question a pourtant fait couler beaucoup d’encre, ces deux dernières décennies. Semblant caractériser une tendance de l’art depuis les années 1950, la pratique relationnelle, si elle fut théorisée à plusieurs reprises depuis le dernier quart du XXe siècle, nous semble rester largement mécomprise, réduite à son expression la plus élémentaire et médiatique. Aussi la définit-on souvent comme une tendance de l’art contemporain apparue au cours de la décennie 1990, prenant pour point de départ théorique et/ou pratique la sphère des rapports humains. Ou, encore, l’art comme « état de rencontre ». Quoiqu’insuffisamment nuancée, cette conception persiste.
Si depuis plus d’une décennie elle n’a cessé d’alimenter les débats, cette question, à en croire ses commentateurs, serait close, et cet art relégué au rang d’anecdote, en tant que manifestation historique d’une certaine conception de l’art, temporaire, fugace, une mode pour ainsi dire. Mais la polémique subsiste. Car si l’intrusion de l’art dans les espaces de l’agir social nous a, depuis quelques décennies déjà, familiarisés avec un nouveau paradigme artistique (participation, relationnel, contextualité, situation, pragmatisme, autant d’aspects que convoquent les artistes au travers de leurs pratiques, tout comme ceux qui les commentent ou les administrent, ouvrant sur un large champ d’investigation théorique et pratique), la confusion demeure lorsqu’il s’agit de définir avec justesse critique des pratiques que l’on s’accorde à qualifier, hâtivement et abusivement, de « relationnelles », sans discernement. Celles-ci, nous le verrons, sont devenues synonymes d’art public institutionnalisé, de « normalisation » de l’art contemporain, voire d’art « pastoral ». Le qualificatif dérange, sans jamais, étrangement, faire l’objet d’une analyse approfondie. Quel terme lourd de significations, pourtant, que celui de « relation ». Ses acceptions et usages varient considérablement, sous l’effet, souvent, des sciences ou perceptions du moment. Le mot et ses significations, autrement dit, ne vont pas de soi.
Cette étude procède donc d’une tentative de dépassement des lectures habituelles de l’art relationnel. Trois constats selon nous appellent et justifient cette réflexion. Le premier est celui d’une mécompréhension de l’idée même de relation qui, loin de se réduire à sa portée sociale, suppose un ensemble diversifié de significations (récit, narration, lien, rapport, relativité, interaction, dialogie, etc.). Le second est celui de la restriction des théories relationnelles à leur dimension politique qui, en plus de ne concerner qu’un ensemble de pratiques, n’en constitue pas le trait essentiel. Le troisième est celui de la nécessité de rétablir la continuité historiographique des arts relationnels pour mieux rendre compte de l’évolution et de l’articulation des théories et des pratiques qui les concernent.
Quant à l’objectif de cette analyse, il est de rendre au concept de relation sa densité, de le constituer en un outil de sorte qu’il puisse continuer à nourrir et enrichir les théories et réflexions sur l’art d’aujourd’hui. Il s’agit donc de démêler l’écheveau en élargissant la compréhension de l’art relationnel au départ de ses acceptions et de ses usages, au cours de la seconde moitié du XXe siècle et de ce début de XXIe siècle. Cette étude invite par conséquent à poser un regard rétrospectif sur une période récente des arts, mais souhaite également questionner une situation présente, par une observation et une mise en perspective de pratiques contemporaines. Aussi vise-t-elle à établir un bilan rétrospectif et prospectif de la question relationnelle. Enfin, c’est à un élargissement de la question que procède cette analyse, de manière à rendre compte d’une sensibilité relationnelle non exclusive au seul registre de l’art institué.
Dans un premier temps, un recentrement est opéré sur la conjugaison, au cours des années 1950-1960, de quatre facteurs étroitement liés permettant de rendre compte de l’émergence d’un art de nature relationnelle.
L’ascendance pragmatiste – De celle-ci ressort la question déterminante de l’expérience. De l’éducation nouvelle à l’art comme expérience, l’œuvre pédagogique et philosophique de John Dewey, dont la théorie esthétique doit beaucoup à Emerson et au transcendantalisme, fut d’une grande influence sur l’instauration du Black Mountain College, singulière expérience éducative favorisant l’expérimentation créative. Sous l’influence de Dewey, notamment, les fondateurs de l’institution, fondèrent leur conception de l’apprentissage et de l’éducation sur la démocratie participative – comme mode de vie, forme d’expérience sociale et communautaire – et la réhabilitation de la catégorie de l’expérience. Celle-ci concerne chez Dewey la forme particulière de relation qu’entretient par ses activités l’homme avec son environnement. Le lieu de l’expérience est ainsi celui de l’interaction entre l’organisme et le milieu qui l’environne. L’expérience esthétique serait quant à elle l’expérience du monde la plus aboutie, elle prolongerait en l’amplifiant et en la réalisant pleinement l’expérience « commune » du quotidien (la pratique de l’art serait l’expérience de l’expérience). L’art selon Dewey ne doit donc pas se concevoir comme une entité ou une pratique séparée de la vie, et de notre expérience quotidienne, mais comme un point ultime où se réaliserait par excellence cette expérience.
Si de nombreux professeurs et pédagogues marquèrent de leur passage le Black Mountain, John Cage fut l’un de ceux qui surent tirer parti du climat qui régnait au sein de l’institution pour stimuler la recherche expérimentale. L’occasion pour le compositeur de radicaliser sous l’effet d’influences variées son principe de non-composition, ou l’indéterminé à l’œuvre.
L’indéterminé à l’œuvre – Depuis le début du XXe siècle, géométries non-euclidiennes, théories de la relativité, mécanique ondulatoire et mécanique quantique invitent à repenser les bases de la pensée scientifique, appelant à une révision des principes de la science classique, tout à la fois matérialiste (la réalité est formée de particules de matière), réductionniste (l’ensemble n’est rien d’autre que la somme des parties) et déterministe (tout effet résulte linéairement d’une cause nécessaire et suffisante). En relativisant l’absolutisme des lois physiques et le déterminisme sur lequel s’est bâtie la science, c’est tout le système de pensée occidental que les théories physiques ébranlent. En accord avec cette rupture épistémologique qui ne tarde pas à s’étendre à tous les domaines du savoir, Cage témoigne de son refus du déterminisme et du principe de causalité. Il cristallise en cela l’intérêt pour la formativité, les œuvres en mouvement, ouvertes, indéterminées, caractéristiques de l’art de l’après seconde guerre mondiale. En invoquant l’indéterminé, en faisant dialoguer les disciplines artistiques, en favorisant l’intégration de l’audience dans la situation produite et en recourant à d’innovantes procédures performatives, Cage engageait l’art dans une voie nouvelle, où performer le réel relève d’une volonté de mêler, loin de toute autonomie, l’art et la vie. Cette avancée esthétique s’avéra influente. Allan Kaprow et le regroupement international d’artistes Fluxus ont représenté des points culminants de cette tradition qui, partant d’une fascination pour l’indétermination favorisant des actes de liberté interprétative, sut porter à son terme l’idée même de l’expérience artistique. Aussi, Fluxus, par une ontologie nouvelle de la musique, tributaire des avancées esthétique de Cage, inaugure un terrain d’échange en l’espace du jeu, micro-territoire social et métaphore de la relation interhumaine, faisant œuvre de l’expérience vécue et appelant à une économie poétique de l’existence.
La naturalisation de l’art – La philosophie zen, le transcendantalisme d’Emerson, la mystique immanente de Thoreau et l’ « imitation de la nature dans sa manière d’opérer » de Coomaraswamy se conjuguent chez Cage en une volonté de « naturalisation » de l’art (« Êtes-vous d’accord avec cette déclaration-ci : Après tout la nature vaut mieux que l’art ? »). Celle-ci transparaît dans la nécessite éprouvée d’une inscription de l’œuvre dans le devenir « hasardeux » de la Nature, intuition qui mène le compositeur à substituer à l’esprit de contrôle celui d’acceptation. Cage, en effet, dans une tentative de taire l’égo, prétendait que l’une des composantes les plus intéressantes en art était ce facteur d’imprévisibilité par lequel des éléments extérieurs s’intègrent à l’œuvre de manière accidentelle. Aussi ce mycologue atypique invite-t-il à chercher le silence dans l’organisation indéterminée des micro-événements sonores survenant au sein d’un environnement donné. Son écologie sonore incite à la contemplation et à l’écoute de la nature – des environnements. Avec une œuvre poétique largement empreinte de ce rapport au monde naturel et à l’environnement, Cage participe d’une tradition et d’une philosophie distinctement américaine inspirée par le paysage naturel et le quotidien. Le compositeur a pu se montrer explicite à ce sujet, en qualifiant sa musique d’écologique. « Une musique qui permette d’habiter le monde ». Or, écouter le monde requiert de se montrer disponible à l’immédiateté des situations vécues, expérimentées. Faire en sorte que l’art rejoigne la vie, c’est donc être pleinement capable d’entrer en résonnance avec ce qui l’environne. Cage s’inscrit en cela dans une approche pleinement naturaliste, celle du pragmatisme américain qui refuse le dualisme nature/culture : l’homme intègre la nature, et l’acte de l’esprit qui transforme la nature à travers les progrès humains n’est autre que la continuation de la transformation de la nature par elle-même – la culture n’est que l’une des dernières armes que la nature s’est donnée pour s’accomplir.
L’entreprise éthique – L’investigation critique du quotidien, inspirée de l’agitation socio-politique et des idées contestataires de l’époque, donne lieu à une multitude de projets aux visées largement utopiques : Fluxus, Beuys, le GRAV, Mass Moving, les San Francisco Diggers, entre autres regroupements, s’engagent dans la fusion des cadres culturels, sociaux et politique, participant d’une entreprise éthique de type écosophique. Celle-ci concerne directement ou indirectement les rapports entre idéologies, cultures et actions humaines, tant individuelles que collectives, avec le milieu, l’environnement et les êtres qui l’habitent, dans le but d’orienter ces actions, les manières d’agir et d’être entre les humains et envers ce qui les entoure. Le transcendentalisme d’Emerson n’est pas loin, mais aussi l’anthroposophie de Rudolf Steiner, comme l’écosophie d’Arne Naess, qu’actualisera Guattari, soulevant de nombreux problèmes d’ordre philosophique : la place de l’humanité dans la nature, et son élucidation par de nouveaux moyens, notamment par le biais de systèmes et de perspectives relationnelles. Étant question d’éthique, il y va d’une conscientisation par le biais de l’art, passant par une requalification du rôle du créateur et du statut du spectateur devant désormais répondre à autant de propositions catalytiques. Ainsi, les besoins esthétiques de la population ne seraient plus satisfaits par des conduites conventionnelles de consommation, mais pas des formes déterminées d’actions, substituant à l’idéal de l’art pour tous celui de l’art par tous. Les actions mises en œuvre, enrichies des notions de contexte, de situation, de jeu, d’éphémérité, valorisant le processus, l’échange et les relations humaines, entendent bouleverser nos codes et comportements sociaux : ces projets visent à construire des situations et des dynamiques susceptibles d’ouvrir à chacun la possibilité d’exercer une curiosité critique sur son quotidien et de s’impliquer dans les processus qui le transforment. C’est par là renouer avec le caractère processuel des œuvres d’art, dans la production de micro-récits d’émancipation – manière, encore, de concevoir la pratique d’art en acte, dans la dynamique vivante de l’expérience.
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Ces quatre facteurs allaient à des degrés variables constituer le substrat d’arts relationnels définis comme tels au cours des trois décennies suivantes. Car s’il existe une constante historique depuis les années cinquante d’un art intégrant la participation à des degrés divers, cet art fut qualifié de « relationnel » à trois reprises, avant de devenir, bon gré mal gré, un leitmotiv de la culture contemporaine, participative et connectiviste.
Dès le début des années 1970, imprégné de l’air du temps et de l’esprit qui le caractérise, Jacques Lennep, alors influencé par les écrits de Popper et par la revendication socio-politique majeure que constitue la participation, cherche à intégrer et à faire participer le spectateur dans ses œuvres mobiles. Mais ce n’est qu’au contact de Courtois, Gehain, Herreyns, Horváth et Nyst, tous membres du Cercle d’Art Prospectif alors nouvellement constitué (1972 – et que rejoindront plus tard Jean-Pierre Ransonnet et Jacques Lizène), que va peu à peu s’imposer l’idée de relation. Dès ce moment les préoccupations, recherches et travaux du CAP s’appuient sur cette affirmation : toute perception implique des connexions de relations. C’est l’identification du réel par le moi qui le fait exister, par le truchement de la mise en relation. Aussi, l’art ne doit plus être considéré comme un problème de supports mais plutôt de rapports, et donc de relativité (2). Il s’agit de redéfinir l’œuvre comme une structure « ouverte », un espace ménageant une liberté de « lecture » mais aussi un champ impliquant participation et interaction. C’est donc la qualité d’ouverture de l’œuvre qui est ici investiguée, comme le champ de possibilités ouvert par l’indétermination, favorisant, chez le spectateur, l’interprétation libre de la proposition poétique (laquelle prend au sein du CAP les formes les plus variées : peinture, vidéo, photo, texte, action, installation, dessin, livre, etc.). Cette redéfinition du processus créateur et interprétatif s’est vue influencée par le structuralisme qui dominait les esprits et qui contribua à la formation d’une conception plurielle, relationnelle, dans de nombreux domaines au premier plan desquels la sémiologie, contribuant à légitimer la responsabilité toujours plus accrue du spectateur dans son intervention de consommation, de lecture, d’interprétation. Aussi la particularité du CAP est-elle d’avoir adopté une définition générale du concept de relation, en accord avec la diversité des expériences artistiques de l’époque : les relations formelles structurales (celles du lien-rapport qui aboutit à une expérimentation formaliste, analytique et structuraliste), les relations / narrations (celles du récit-histoire qui tient au caractère descriptif et narratif que peut avoir une démarche artistique), et les relations de type sociologique (l’investigation menée par Lennep au sein de son Musée de l’homme en est exemplaire). Il apparaît ensuite qu’une certaine conception de l’œuvre d’art s’est formée en regard des nouvelles méthodes dans le domaine des sciences qui intensifie les relations entre les divers secteurs spécialisés, favorisant l’émergence de l’idée relationnelle, au croisement des notions d’interdisciplinarité, d’environnement, de structure, de système, de communication, etc. C’est dans ce cadre que Lennep manifeste de l’intérêt pour l’approche « systémique », permettant à l’art relationnel, dans sa première expression, de coïncider avec l’esprit des sciences du moment. Un esprit relationnel qui en appelle à la transdisciplinarité et à la révision des représentations par trop fermées du réel : Lennep, refusant de compartimenter les savoirs et disciplines, revendique un art d’attitude permettant de croiser les approches du réel – ce qu’atteste, outre le Musée de l’Homme, la publication en 1982 de Relation et Relation (valorisant l’approche systémique comme attitude relationnelle), tel un point final aux activités du groupe.
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C’est au collectif d’art sociologique initié en 1974 qu’il revient ensuite d’avoir constitué le concept de relation comme principe fondamental. Le collectif d’art sociologique initié par Hervé Fischer, Fred Forest et Jean-Paul Thénot en 1974, fruit de la rencontre de leurs intérêts, recherches et pratiques respectives, prenant le quotidien, l’ordinaire et ses canaux médiatiques de communication comme matériau d’observation, terrains d’action et d’animation, a pour thème fondamental le fait sociologique et le lien entre l’art et la société – un intérêt qui animait chacun des protagonistes du groupe bien avant sa constitution (il mobilise Forest dès 1967). Ce projet se veut tout à la fois politique, épistémologique, sociologique, et artistique. L’un des manifestes du collectif, signé en 1979 et publié en 1980 dans la revue +-0 (dans laquelle, un an plus tôt, Lennep consacrait un texte au concept de relation), affirme que « l’art sociologique est un art relationnel », et « est un produit typique de son époque » – « En tant que tel, il relève directement de certains concepts : le concept de relation, le concept d’organisation, le concept d’information ». Aussi, le cinquième manifeste du collectif, évoquant ces trois principes constituants, définit le concept de « relation » en stipulant qu’une nouvelle attitude mentale favorise désormais les interférences entre des secteurs cloisonnés, donnant naissance dans le domaine des sciences à la théorie de la systémique. « Dans le champ artistique, cette donnée ‘‘relationnelle’’ s’affirme également. L’œuvre comme structure ouverte introduit aléatoire et participation du public dans des processus de communication interactifs ». Cette pratique de l’art sociologique n’est, de l’aveu de son plus fervent défenseur, ni art ni science, mais une recherche de caractère épistémologique : cette recherche se conçoit comme une stratégie empirique utilisant la science comme art et l’art comme science.
Dans le prolongement direct de l’art sociologique, Forest, Mario Costa et Horacio Zabala fondent en 1983 l’Esthétique de la communication et des systèmes, qui investigue tant les outils que les systèmes de communication et explore la dimension relationnelle des réseaux dont le développement s’avère déterminant sur le plan de l’échange, de la circulation et de la communication. De nouveau l’accent est mis sur la dimension systémique et les décloisonnements disciplinaires, à l’image d’une culture toujours plus globale, où la distinction entre les catégories de la science et la catégorie artistique de la créativité perd de son sens. La notion de système fonde encore le principe de l’œuvre-système invisible (« art relationnel ou art de la relation »), que Forest ne théorise que plus tard (2005) – formule qualifiant des œuvres qui, au terme d’une culture rétinienne hégémonique, ne s’adressent plus directement à notre appréhension sensible (canaux de communication, échanges d’informations, fréquences électromagnétiques, faisceaux d’ondes – naturelles ou culturelles –, œuvres cognitives, etc.). On note que le système, tel qu’il a été considéré par Morin (qui le définit comme une unité globale organisée d’interrelations entre éléments, actions, ou individus), est au cœur d’un paradigme de la complexité et d’une épistémologie complexe qui préconisent une méthode qui relie les connaissances, opèrent une réforme globale de la pensée, inaugurent une conception nouvelle de la nature humaine et une compréhension du monde fondée sur le principe de la « reliance », force élémentaire d’organisation contre la dispersion, la désintégration. Enrichie de ce système de pensée, la conception de l’art relationnel de Forest se révèle complexe, systémique et connectiviste.
Enfin, constatant que depuis le début des années 1990 une série d’artistes ont à cœur d’engager un rapport de proximité et d’interaction entre leur œuvre et le public, Nicolas Bourriaud suggère dans son essai sur l’esthétique relationnelle (1998) – anticipé par quelques textes évocateurs (dont « Le paradigme esthétique », 1993) et par l’exposition Traffic (1996) – que l’œuvre d’art contemporaine puise sa forme et son sens dans les relations interindividuelles qu’elle tisse, en faisant appel à des figures de référence de la sphère des rapports humains. Cette théorie esthétique consiste donc à juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent – la mouvance est hétérogène, elle offre un univers de formes : aucun style, aucune thématique ou iconographie ne relie les artistes entre eux (notons que malgré sa dimension pragmatique, cette esthétique opère une revalorisation de la forme – qui souvent trouve ses marques dans l’art minimal et conceptuel –, faisant coïncider sur le terrain institutionnel les registres du performatif et de la représentation). L’œuvre relationnelle se conçoit le plus souvent comme un interstice social au sein duquel de nouvelles expériences, de nouvelles alternatives et de nouveaux espaces de négociation et de commerce sont construits. Répondant à la nécessité d’introduire de la « proximité » dans les pratiques artistiques, cette dolce utopia substitue aux utopies sociales et à l’espoir révolutionnaire des « micro-utopies » quotidiennes, des « stratégies mimétiques » et un « réalisme » qualifié par le critique d’ « opératoire ». Ces œuvres contractuelles favoriseraient la co-présence du spectateur devant l’œuvre et l’inciteraient à une « association libre » au sein d’une aire intermédiaire d’expérience propice à la rencontre et à la communication. Car appelant à la production de « moments de convivialité construite » ou de « socialités alternatives », c’est à une tentative de réhabilitation de l’expérience qu’appelle Nicolas Bourriaud. Une expérience occasionnée par ces constructions provisoires et nomades par lesquelles l’artiste modélise et diffuse des situations disruptrices.
Sur le plan de la réception critique, si ces pratiques ritualisées de sociabilité ont rencontré un certain succès, elles ont surtout fait l’objet de vives controverses, passant pour un revival institutionnel et typiquement post-moderne des utopies participatives – devenues modestes et relatives. Aussi trouve-t-on en filigrane de cette théorie les traits fondamentaux de la pensée de Michel Maffesoli, de Michel de Certeau et de Félix Guattari : reliance, trajectoires tactiques (invention du quotidien) et écosophie fondent le substrat de cette pensée par ailleurs largement inspirée du paradigme esthétique guattarien (dit « de la subjectivation »). Ces aspects sous-tendent de la même manière les théories connexes du critique et ses principaux ouvrages (Formes de Vie, Postproduction, Radicant).
Si à aucun moment Bouriaud n’évoque les travaux de Lennep ni ceux de Forest, ces théories n’en sont pas moins, dans une certaine mesure, apparentées. Les deux premiers de ces trois moments historiques communiquent d’ailleurs et s’influèrent l’un l’autre. Par-delà certaines œuvres se faisant écho et une diffusion des idées par le canal de diffusion commun que constitue la revue +-0, Forest et Lennep ont entretenu un échange et ont à l’occasion collaboré à leurs activités respectives. Forest d’ailleurs estimera la part du CAP égale à la sienne dans la formulation et la pratique du concept de relation, et avouera l’influence fondamentale qu’exerça l’ouvrage Relation et Relation sur les développements poursuivis par les protagonistes de l’Esthétique de la communication. Malgré leurs convergences de pensée, les deux artistes, comme leurs groupes respectifs, présentent également quelques divergences d’intention, de propos. Mais devant le succès que rencontre la publication de Bourriaud dès 1998, les deux artistes entendent rappeler l’antécédence de leurs propres recherches et travaux sur ceux du critique français. Il s’agit pour eux de montrer qu’au cours de son évolution, cet art relationnel aurait opéré un resserrement autour d’un principe majeur de cet art pour en faire la caractéristique exclusive : l’expérience sociale. Un constat qui doit être relativisé en ce que l’intuition qui guide chacun des théoriciens déborde du champ strictement social de l’art : l’attitude relationnelle s’apparente à chaque fois à celle de l’approche systémique, et quand celle-ci n’est pas invoquée par Bourriaud, c’est l’idéologie de la reliance qui se trouve largement suggérée – dans son sens élargi, que l’on pourrait dire systémique.
Il importe donc de réintroduire de la continuité dans la lecture des arts relationnels qui par-delà leurs différences participent d’un mouvement, d’une maturation commune. On y relève des traits communs trahissant une intuition et des intentions convergentes : la dimension pragmatique, la valorisation de l’expérience, la liberté ou relativité interprétative et la dimension participative, l’attitude relationnelle de transdisciplinarité, le souci d’une économie poétique de l’existence et la conscience écosophique.
Aussi les pratiques des décennies 1950-60 examinées au départ de cette étude ne se contentent pas d’anticiper les théories relationnelles, elles les accomplissent, les matérialisent déjà. Simplement n’ont-elles pas fait l’objet d’une hypothèse relationnelle stricto sensu, bien que certains termes qui les définissent s’apparentent d’assez près ou appellent l’idée de relation (indétermination, communication, rétroaction, interaction, participation, communauté, réseau, etc.), et que s’accroît la conscience des rapports entretenus par l’homme avec son environnement, dans son étendue la plus vaste (land art, earth art, eco art, environmental art, architecture et urbanisme (à la définition sensible, relationnelle et située de l’environnement), théâtre, événements sociaux et politiques (fête, manifestations, etc.), métaphores écologiques devant humaniser la technologie, intérêt pour la cybernétique, etc.).
Avec du recul, le champ des arts relationnels s’apparente à une constellation connectant des pratiques disparates, formellement et intentionnellement hétérogènes mais participant d’un ensemble signifiant, celui des arts relationnels. Celui-ci inclut par-delà les théories relationnistes stricto sensu nombre de pratiques socialement questionnantes où l’altérité se voit mise en jeu, des formes inédites d’attablement et de commensalité, certaines pratiques site-oriented et spatiales déterminant la relation comme espace de négociation (du site au lieu, glissement qu’opère la relation), mais aussi les formes-trajets cinéplastiques, trajectoires tactiques et autres concaténations, interventions et situations des arts d’aujourd’hui. En deçà de leurs différences, ces pratiques partagent les mêmes traits fondamentaux. Elles sont animées d’une même intuition : l’intuition que l’art, en plus d’être l’expression et le produit de la vitalité, peut nous aider à rétablir cette connexion qui nous relie au monde, et qu’il peut être en ce sens l’instrument de sa transformation. Cette intention déborde du seul monde de l’art puisqu’elle anime outre mesure l’art festif des collectifs décidés à réenchanter la vie, l’utopie des squats et des zones d’autonomie temporaire, la fronde libertaire des hackers et artistes de l’Internet, quelqu’amateurs qu’ils soient.
Aussi importe-t-il de considérer cette dynamique relationnelle par-delà l’art contemporain – cautionné, légitimé, institué. L’esthétique se comprend déjà a priori comme la faculté et manière de sentir et d’éprouver en commun – la sensibilité esthétique, en dehors de la production d’œuvres esthétiques, est quelque chose qui travaille l’ensemble du socius. Quant à la créativité, elle serait latente, comme aspect vital, et s’exprimerait chez la plupart des individus en un espace déterminé, celui d’une aire intermédiaire d’expériences qui n’est pas contestée (Winnicott), qui peut prendre l’aspect d’une religion, d’un art, et de toutes les « religions par analogie » qui caractérisent notre époque et dynamisent notre socialité. C’est précisément cette inventivité, cette intuition esthétique peut-être originellement ludique que les artistes engagés dans la valorisation de la part créative du spectateur, dans la sollicitation et la conviance, à des degrés divers, tentent pour ainsi dire de faire jaillir en chacun. Leur but, souvent, est de générer des situations au sein desquelles le participant développerait une impulsion créatrice, où il provoquerait et accomplirait un acte libre. Libre, en principe, car la liberté, devant être conservée par l’être humain face à tout événement, constitue le « droit à l’épanouissement ». Elle est une condition sine equa none à la construction du sujet et sans elle toute créativité se verrait anéantie entraînant une résorption corrélative de l’invention (3).
Dans ce mode expérientiel de l’art, l’artiste assure une fonction de catalyseur sans laquelle l’expérience ne peut avoir lieu – ce sont ses qualités d’ingénieur qu’il délaisse pour leur préférer celles du chaman, être intercesseur, révélateur, médiateur ou agent dynamique de liaison, garant des reliances de tous types. L’acte artistique opère comme un dispositif maïeutique et, loin d’une communication discursive, cherche à susciter une relation dialogique, pour amorcer un échange dialectique. Aussi le fantasme de la néo-avant-garde, comme de la contre-culture, allait-il plus loin, préconisant une économie poétique à l’échelle globale, mais d’abord à celle de l’individu, autonome, libre et inventif, singularisant par ses trajectoires tactiques la trame du quotidien. Difficile de ne pas repenser cette utopie à l’heure où notre environnement technoculturel suscite le développement de nouvelles pratiques culturelles ignorant la séparation entre l’émission et la réception, la composition et la consommation, favorisant les micro-territoires de consommation, d’interprétation et de production. C’est à une révolution silencieuse que nous assistons, à l’ère des réseaux et de l’hypertexte : la montée en puissance de l’amateur, les pratiques nouvelles de l’automédialité, le renouvellement des cadres de sociabilités favorisés par les liaisons numériques, l’hybridation des espaces culturels individuels, le triomphe de l’esthétique diffuse à l’état gazeux, etc. Si elle anime et réjouit, cette révolution culturelle passe aux yeux de certains pour une réalisation dystopique de l’aspiration néo-avant-gardiste fondée sur la vision optimiste d’un être essentiellement doué, au potentiel et au devenir artiste, et pour une dérive de nos démocraties culturelles encourageant à toujours plus de dilettantisme. Aussi est-elle à évaluer dans sa dimension pharmacologique, encourageant l’individuation psychique et collective tout en courant le risque de la désindividuation.
De la sorte, et bien que l’on constate dans la littérature sur la question une simplification de l’idée relationnelle qui se résume pour l’essentiel, au tournant des XXe et XXIe siècles, à sa signification la plus commune, celle du lien (social a priori), elle n’en relève pas moins d’une intuition largement étendue puisqu’en touchant au politique (le vivre ensemble) et en invoquant la sensibilité écosophique, ces pratiques participent nettement d’une pensée relationnelle qui, contre une perspective isolationniste qui décontextualise et essentialise, contextualise et situe (4). Les traits maffesoliens relevés dans les propos de Bourriaud sont par ailleurs autant d’indices permettant de rattacher son idéologie esthétique au paradigme reliant en faveur duquel nombre de penseurs argumentent. Selon certains, en effet, penseurs ou idéologues, au paradigme moderne de la déliance – ce temps est celui de la découverte de l’atome et de la gloire de l’individu – se substituerait le paradigme postmoderne reliant – systémique (une opposition à nuancer – ne faudrait-il pas, comme le suggère Marcel Bolle de Bal, comprendre notre hypermodernité sur fond d’un couple duel, celui de la « synthèse dialectique ou paradoxe dialogique » déliance/reliance ?).
Aussi, si dans sa réappropriation de la pensée du philosophe Félix Guattari, Bourriaud défend autant l’idée d’un « paradigme esthétique de la subjectivation » qu’une « pratique artistique-écosophique », ceux-ci nous semblent dans une certaine mesure caractériser l’ensemble des pratiques participant de cette constellation des arts relationnels. Rappelons qu’initialement ancrée dans le mouvement de l’écologie profonde qui se développe dès les années 1960, l’écosophie comme courant de pensée est proche de celui de l’éthique environnementale, questionnant l’un l’autre la place de l’humanité dans une nature repensée par le biais de l’analyse systémique et de perspectives relationnelles. Après Naess, pour qui l’écosophie devait mener à la réalisation de Soi, c’est Guattari qui proposa une vision élargie et transversaliste de l’écologie politique, articulant ses différentes dimensions en vue d’un engagement qui soit à la fois pratique et théorique, éthico-politique et esthétique, se substituant aux anciennes formes d’engagement religieux, politique ou associatif. Mouvement aux multiples facettes, cette écosophie, science des écosystèmes de toute nature articulant les trois écologies (environnementale, sociale et mentale), doit mettre en place des instances et des dispositifs à la fois analytiques et producteurs de subjectivité. Dans pareil contexte l’esthétique est à privilégier, la perspective esthétique, en dehors de la production d’œuvres esthétiques, travaillant constamment et à tous les niveaux notre micropolitique existentielle. Ce sont donc des économies d’existence ou « possibilités de vie » que l’art se doit de favoriser, en dehors d’une sphère autonome ou « monde de l’art » – « des modes éthiques informés par la pratique artistique, dont l’unique impératif serait : invente-toi, produis-toi toi-même » (Bourriaud). La reconstitution des Territoires existentiels et la révolution moléculaire qu’appelle Guattari de ses vœux, auxquelles participeraient selon Nicolas Bourriaud les pratiques relationnelles, visent donc une thérapeutique de socialités détériorées (de Certeau), telle une réponse à cette « monstrueuse pathologie atomiste » relevée par Bateson à tous les niveaux du social – la pathologie d’un mode de pensée erroné qui « ne pourra être corrigée, en fin de compte, que par l’extraordinaire découverte des relations qui font la beauté de la nature » (Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit). Cette reconnaissance, qui échappe à notre perception sensible immédiate, peut être favorisée par l’art, qui constitue l’une de ces voies d’accès vers les relations dans la mesure où « l’art à une fonction positive » pouvant « modifier, par exemple, une conception trop projective de la vie, pour la rendre plus systémique » (dans son dernier ouvrage, La nature et la pensée, Bateson définit l’esthétique comme la « sensibilité à la structure reliante entre les créatures vivantes »). La rendre plus systémique, c’est la concevoir à travers le prisme de la pensée relationnelle, dans la mesure où les éléments constituant un système n’existent pas en eux-mêmes, mais dans leur seule interaction. Il s’agit donc moins de considérer les éléments et, ensuite, leurs interactions, que le produit de leurs interaction, produit impossible à prendre en compte par les stratégies traditionnelles de division et de simplification, caractéristiques de la logique de déliance moderne (nécessaire, mais insuffisante). Fondé sur les concepts d’interaction et de globalité, le caractère relationnel de la systémique se définit selon d’autres concepts, dont ceux d’information, de rétroaction, de finalité, de régulation, d’organisation, de dialogie, etc. Ces concepts ont une même fin analytique : s’attacher à l’unité d’un système donné et à son comportement plutôt que d’en isoler les composants, permettant de mieux saisir la nature des phénomènes complexes. Une nouvelle épistémologie proche de l’esprit intégratif est donc ici suggérée, au sein de laquelle c’est l’interdisciplinarité qui prime, c’est à dire la recherche des relations entre les différents domaines de la connaissance ou leur intégration.
En 1979, Ilya Prigogine et Isabelle Stengers plaidaient dans leur ouvrage du même nom en faveur d’une Nouvelle Alliance. À l’instar de Morin qui substitue au paradigme de la simplicité celui de la complexité en lui associant une épistémologie ad hoc, les auteurs constatent une métamorphose de la science qui implique plusieurs nouvelles alliances : non seulement entre l’homme et la nature, entre sciences de l’homme et sciences de la nature, mais aussi entre les diverses sciences de l’homme (sociologie, psychologie, économie, histoire, etc.), entre science et culture, théorie et pratique, recherche et action, expérimentation et expérience. C’est encore ce qui ressort des connexions invisibles de Fritjof Capra (convoqué par Forest) comme de la « philosophie et science des relations » de Michel Bitbol, notamment. C’est aussi la piste suggérée par l’artiste Devora Neumark pour laquelle les pratiques relationnelles de l’art font sens à la lueur de la physique quantique – les choses n’y ont pas de propriété indépendamment des relations qu’elles peuvent établir entre elles. L’époque semble à ce titre diversement relationnelle, tout à la fois marquée par le relativisme postmoderne trahissant la défiance envers les universels de la perception (il convient de concevoir les choses dans leurs relations et dans leurs rapports nécessaires, c’est-à-dire restitués dans leur contexte), la pensée relationnelle ou systémique (le paradigme ou modèle épistémologique reliant), et le relationnisme philosophique qui postule des liaisons, des relations, plutôt que des objets (Cassirer, Bachelard, Simondon, Morin, etc.). Devant le double procès de déliance, tant intellectuelle qu’existentielle, apparaissent donc des aspirations à de nouvelles reliances, tant scientifiques qu’humaines, auxquels participent selon nous les arts relationnels. Ces pratiques, par-delà leurs différences, témoignent de la nécessité prégnante de continuer à fonder et sonder cette conception relationnelle du monde, laquelle appelle depuis plusieurs décennies déjà à l’élaboration d’une science, d’une philosophie et d’un art relationnels.
En définitive, s’il nous fallait synthétiser ce qui, dans la culture de ces dernières décennies, caractérise les arts relationnels, dans leur diversité, nous dirions qu’ils sont des manifestations diverses d’un art dont l’intention première est d’établir des relations à différents niveaux de la réalité. Parallèlement à une science qui se constitue en une connaissance des relations (approches structuraliste et systémique), cet art privilégie une poétique intuitive des relations, tous deux appelant à la conscience des relations (écologie). C’est dans le procès de reliance, paradigme de la modernité avancée – quel qu’en soit le nom –, qui désormais caractérise tant les sciences de la nature que les sciences de l’homme – lesquelles doivent être réconciliées –, que se constituent ces arts relationnels auxquels il est permis d’accorder une dimension praxique et écosophique qui excède le caractère politique auquel ils ne peuvent se résoudre.
L’enjeu d’une réinscription et d’une revalorisation du concept relationnel dans le lexique, dans la théorie et dans la pratique des arts nous semble par conséquent fondamental, en ce que cette notion ouvre un champ de réflexion suffisamment large, par-delà les catégorisations réductrices dont les arts relationnels font l’objet, des arts dont on veut croire qu’ils appartiennent moins à l’avenir qu’à l’histoire. Malgré des formes et des propos hétérogènes, dont certains certainement discutables, c’est une même intuition que trahissent de telles théories et pratiques, en accord avec la pensée relationnelle symptomatique des conceptions et représentations les plus récentes du réel. Aussi répondent-ils à la nécessité souvent invoquée d’aménager dans les humanités une « écologie de l’esprit ». Nous souhaitons donc encourager la prise de conscience des aspects fondamentaux qui constituent l’idée et l’aspiration relationnelles, et de rendre au concept de relation sa densité, son potentiel, d’en faire un outil, l’instrument d’une opération, de sorte qu’il puisse continuer à nourrir et enrichir les théories sur l’art et la réflexion portée par les artistes, leurs commentateurs mais aussi les publics sur l’art de notre temps.
Sébastien Biset
* Le paradigme relationnel. Aspects fondamentaux des arts relationnels (1952-2012), par Sébastien Biset, 478 pages. Thèse de doctorat, UCL (Faculté de Philosophie, Arts et Lettres – 2008-2012), réalisée sous la direction des professeurs Ralph Dekoninck (UCL), Alexander Streitberger (UCL), Joël Roucloux (UCL), Daniel Vander Gucht (ULB) et Patrice Loubier (UQAM), en vue de l’obtention du titre de docteur en Histoire, Art et Archéologie. Soutenance publique tenue le 19 juin 2012, en la Faculté de Philosophie, Arts et Lettres, UCL.
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