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- - - - Sophie Duplaix Pierre et Gilles. Clair-Obscur
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Reporticle : 201 Version : 1 Rédaction : 06/11/2016 Publication : 10/04/2017

Note de la rédaction

Ce reporticle est extrait du catalogue publié à l'occasion de l'exposition Pierre & Gilles. Clair-obscur, présentée au Musée d'Ixelles. Pour un complément d'information, le lecteur se référera à l'ouvrage suivant : Duplaix (S.)(Dir.), Pierre & Gilles, Clair-obscur, Bruxelles, Racine/Lannoo, 2017, 271 pages.

Pierre et Gilles. Clair-obscur

« Nous divisons […] en quatre parties toute la région qui va du Soleil et du Ciel jusqu’au centre du monde : la région de la source lumineuse (lux), celle de la lumière (lumen), celle de l’ombre, celle des ténèbres ; et dans ces parties nous voulons que soient contenus tout aspect, toute connaissance et science de Dieu, et qu’elles soient les demeures, les sièges naturels, de toute chose.
Dieu, en effet, est dans la région de la source lumineuse, l’Ange dans la région de la lumière, l’Homme dans la région de l’ombre, l’animal privé de raison dans la région des Ténèbres (1). »

Fig. 1 – Pierre & Gilles, Le Totem – Autoportrait, 1984, détail, Modèle : Pierre et Gilles.
Photo Pierre & Gilles.Close
Fig. 1 – Pierre & Gilles, Le Totem – Autoportrait, 1984, détail, Modèle : Pierre et Gilles.
Fig. 2 – Pierre & Gilles, Vénus marine [Sea Venus], 2000, Modèle : Lætitia Casta, Photographie peinte, pièce unique.
Photo Pierre & Gilles, The Cultural Foundation EKATERINA, Moscou.Close
Fig. 2 – Pierre & Gilles, Vénus marine [Sea Venus], 2000, Modèle : Lætitia Casta Photographie peinte, pièce unique.

Chez Pierre et Gilles, qui font de la figure humaine leur sujet, cette gradation de l’ombre à la lumière n’est pas une aporie, pas plus qu’elle ne s’érige en paradigme. C’est justement dans les passages entre ces registres, dans leur brouillage subtil, dans leur combinaison et leur redistribution que naissent les tensions fécondes, que se forment de nouvelles manières de penser les catégories. La famille humaine de Pierre et Gilles arpente métaphoriquement toutes ces « régions » de l’univers, et ce mouvement ascendant ou descendant croise une aire géographique sans limites. Qui plus est, elle défie les temporalités et les croyances, s’incarne ici ou là, arrêtant le regard sur un moment « de grâce » au sens où, quelle que soit l’alchimie singulière de l’image peinte qui nous est donnée à voir – et que parfois, la morale réprouve –, l’être mis en scène par les artistes suscite l’empathie. Souvent sur fond de ciel, il irradie. Il n’est pas le bloc solide que nulle clarté ne traverse : il capte et diffuse la lumière
Celle-ci se décline dans toutes ses variations, de la guirlande d’ampoules bon marché qui sacralise Le Vendeur du métro (1994) aux rayons éblouissants de personnages « en gloire », comme dans Ice Lady (1994) ou Vénus marine (2000), ou encore lorsqu’elle caresse et modèle les corps parfaits des héros, avec Mercure (2001) ou Oreste (2013). La lumière est tantôt ce flux vital, tantôt ce halo mystique, tantôt cette lueur ténue qui dans l’ombre magnifie toute chose. Elle accompagne les êtres et elle les définit. Elle porte aussi en creux son antithèse, cette obscurité qui sert de cadre à la noirceur de l’âme (« La Rose et le Couteau » (1998)), à la brutalité d’un meurtre (Un autre matin (2008)).
Mais rien, chez Pierre et Gilles, n’est jamais univoque. Ni totalement joyeux ni totalement désespéré. Il y a cette forme de rédemption qui confère aux plus débauchés un naturel qui les absout, une incertitude qui donne aux plus glorieux une proximité rassurante, une manière de plénitude même dans les sujets macabres, grâce à de savantes mises en scène. Cet art du clair-obscur est ainsi à entendre dans toute sa polysémie. Au-delà des modelés magnifiés par la lumière, des ambiances contrastées qui font basculer l’image dans la virtuosité des plus grandes peintures de genre ou d’histoire, les œuvres de Pierre et Gilles transmettent l’expression d’une humanité qui défie les classifications établies. Les rôles librement distribués avec la complicité des protagonistes témoignent de cette croyance en la prééminence de l’âme, par-delà les catégories discriminatoires imposées par la société. Il n’y a pas une vérité mais d’innombrables possibles, pas d’attribution irréversible entre une ombre maléfique et une clarté rédemptrice. Chacun peut prétendre être dieu ou héros, saint ou dépravé, victime ou bourreau. Car chacun porte en soi contradictions et tourments, pulsions vitales ou morbides. Cette palette des émotions et sensations, cette quête du plaisir ou du devoir, Pierre et Gilles nous les livrent dans un cadre atemporel. Même si certains détails nous renvoient objectivement à une époque ou à un lieu donné, d’autres viennent désamorcer la certitude que le discours s’applique à ce contexte précis.

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    Notes

    NuméroNote
    1Charles de Bovelles, Le Sage, 1510, dans E. Cassirer, Individu et cosmos dans la philosophie de la Renaissance, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983 (1re éd. 1927), p. 400.